ILTIS Lucien Guillaume [né ILTIS Luzian Wilhelm]. Pseudonyme dans l’Internationale : BERGMANN Hans, « Instrukteur Hans » ; pseudonyme dans la Résistance : BOULANGER.

Par Léon Strauss

Né le 15 mai 1903 à Mannheim (Allemagne), mort vraisemblablement le 29 septembre 1967 à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) ; ouvrier métallurgiste ; militant communiste en Allemagne, en URSS, en Autriche et en France, agent du Komintern en Autriche, rédacteur en chef de l’Humanité de Strasbourg, membre du Comité militaire des FTP de zone Sud ; agent de la Gestapo en France.

Lucien Iltis était né à Mannheim où son père, Camille Lucien Iltis, originaire de Kirchberg (alors en Haute-Alsace, Alsace-Lorraine), ouvrier métallurgiste, militant syndicaliste et social-démocrate, avait épousé une Allemande, Bertha Rumstadt, ouvrière de l’habillement, elle-même originaire de Mannheim. Bien que susceptible d’être réintégré de plein droit dans la nationalité française en 1919 comme enfant d’Alsacien, le jeune Iltis resta en Allemagne après le retour de l’Alsace à la France.

Après un apprentissage de métallurgiste, il travailla jusqu’en 1926 comme tourneur, ajusteur ou mécanicien dans diverses entreprises métallurgiques. Il fut membre de la Freie Sozialistische Jugend (FSJ, Jeunesse socialiste libre), puis de la Kommunistische Jugendverband Deutschlands (KJVD, association communiste de la jeunesse allemande) de 1919 à 1927. De 1925 à 1928, il était « Jugend-Polleiter » (dirigeant politique de la jeunesse) pour le district de Bade-Palatinat. Il avait adhéré en 1921 au Deutscher Metallarbeiterverband (DMV, Fédération syndicale allemande des ouvriers métallurgistes), dont il dirigea la section locale des jeunes. Il adhéra en 1925 au Kommunistische Partei Deutschlands (KPD, Parti communiste d’Allemagne). Il avait été chargé d’un « travail littéraire » à Landau, Kaiserslautern et Ludwigshafen, villes occupées par l’armée française en 1924-1925. En 1926, sans travail, il fut reporter pour le journal du parti. Il fut nommé ensuite rédacteur « localier » à l’Arbeiterzeitung à Ludwigshafen (Palatinat bavarois), puis à Mannheim (1927-1929). À partir de 1929, toutes ses activités étaient « illégales ». Le 1er août 1929, il prit la parole au nom du KPD lors d’une manifestation interdite à Bâle, ce qui lui valut une condamnation suivie d’une expulsion du territoire suisse. Il fut envoyé à Moscou, où il suivit pendant le premier semestre de 1930 les cours d’une école militaire, sans doute l’Académie militaire Lénine et il aurait été nommé officier de l’Armée rouge, mais ce renseignement, dont il aurait fait état dans sa « bio » de 1943, ne figure que sous une forme imprécise (six mois d’« école militaire à Moscou ») dans son autobiographie rédigée à Moscou en 1935. Revenu à Berlin en 1930, il travailla à l’ « appareil M (ilitaire) » central du KPD, où il était chargé d’organiser la lutte contre le SPD, le Parti social-démocrate d’Allemagne, tout en reprenant son activité de journaliste à l’Einheit. De mars 1931 à septembre 1932, il fut affecté à la « Massen-Abteilung » (département des masses) du comité central, où il fut également chargé des questions concernant le SPD. D’octobre 1932 à juillet 1933, il revint à l’ » appareil M » central du KPD, où il fut responsable du département « Police » en suppléance de Rudi Schwarz. Recherché pour haute trahison par la Gestapo dès mars 1933, il retourna en URSS, où il fut d’août 1933 à juin 1934 « aspirant » (professeur auxiliaire) à « l’École spéciale M ». En juillet 1934, le Komintern l’envoya à Vienne (Autriche) en qualité d’instructeur militaire ou de responsable de l’appareil militaire du Parti communiste autrichien (KPÖ), le « Schutzbund ».

Expulsé d’Autriche en avril 1935, il partit pour Mulhouse. Il venait en effet d’obtenir sa réintégration rétroactive dans la nationalité française en janvier 1935 et son père était rentré en Alsace à la fin de l’année 1934. Sa compagne allemande, mère de son enfant, Minna Claire Jeanne Zander (née à Perleberg, Allemagne, le 26 novembre 1902, morte à Strasbourg le 20 avril 1978) s’était réfugiée à Mulhouse (Haut-Rhin). Ils se marièrent à Mulhouse le 13 juin 1935. Iltis était alors sans ressources. Des directives furent transmises, à sa demande, le 15 juin à « l’agent de liaison de Paris du Komintern » pour lui faire adresser des fonds par l’intermédiaire du secrétaire de la jeunesse à Zurich. De retour à Moscou en août 1935 et laissé sans affectation par le Komintern et par le KPD, il demanda à partir en Alsace. Le 21 septembre 1935, « Alex » du KPD proposa à « Richter » de le mettre à la disposition du PCF. André Marty demanda le 13 octobre 1935 à Alfred Cordier du Secours rouge international, en accord avec les instances de l’Internationale communiste, de rembourser son voyage de retour. Il devint rédacteur en chef de l’Humanité en langue allemande dont le siège venait d’être transféré de Metz à Strasbourg le 14 mai 1935. À cette époque, selon le témoignage de Joseph Ott, alors garçon de bureau au journal, Iltis ne savait pas encore le français (qu’il avait entrepris d’apprendre à Moscou) et il fallait lui traduire tous les jours l’Humanité parisienne. Il aurait aussi appartenu, à cette époque, au réseau de sabotage maritime antinazi dépendant du Komintern et dirigé de Copenhague par Ernst Wollweber.

Iltis fut mobilisé dans l’armée française en septembre 1938 et de nouveau le 1er septembre 1939. Prisonnier de guerre le 13 juin 1940, il fut libéré de son Stalag, comme la plupart des Alsaciens, le 21 août 1940. Il quitta l’Alsace annexée, où la Gestapo commençait à arrêter les militants communistes les plus connus (il figurait d’ailleurs sur la liste des militants de gauche dressée par le SIPO-SD le 19 septembre 1940). Il passa en zone libre, où il s’établit à Herepian (Hérault), où se trouvaient ses parents. Sur l’ordre du PCF clandestin, il repartit pour Strasbourg, où il fut arrêté dès le 18 octobre 1940. Il fut emprisonné successivement à Strasbourg, Kassel, Karlsruhe, Francfort et Berlin. En mars 1941, il accepta de travailler pour l’inspecteur Johannes Leber, de la section des renseignements de la Gestapo de Strasbourg, qui l’envoya en zone non occupée, muni de 10000 F, pour y reprendre contact avec le Parti clandestin. Arrêté à Herepian par la police de Vichy pour « menées subversives », il fut interné le 7 juillet 1941 au camp du Vernet (Ariège), puis transféré le 4 septembre 1941 à celui de Saint-Sulpice-la-Pointe. Libéré le 12 octobre 1942, il habita Casteljaloux (Lot-et-Garonne), où il avait trouvé un emploi dans une scierie. Après l’invasion de la Zone Sud, alors que les Allemands avaient perdu le contact avec Iltis, ce dernier aurait fait spontanément des offres de service à Leber, par l’intermédiaire du SD de Toulouse et aurait envoyé un rapport à Berlin sur les communistes rencontrés dans les camps. Peu après, un courrier de « l’appareil militaire de l’Internationale communiste » se serait présenté à son domicile. Cet organisme aurait été informé de la libération d’Iltis par son beau-frère, Jakob Lüthi, responsable communiste suisse de Zurich. Iltis était pourtant déjà passé entièrement au service de la Gestapo, après avoir « travaillé » pour la police française. Selon Guy Serbat, le personnage était un agent double et restait en contact avec Georges Beyer le responsable du Service B, service de renseignement des FTP. Fin septembre 1943, le Comité militaire national FTPF l’affecta dans les services techniques du Comité militaire des Francs-Tireurs et Partisans de zone Sud (CMZ), où il fut d’abord nommé responsable des parachutages. Il fut présenté par André Jacquot aux trois commandants de subdivision, dont Serbat qui fut « frappé par le teint très mat de l’individu, son front dégarni, une sorte de sourire qui le dispensait de parler », donc de révéler son accent allemand.

En janvier 1944, il devint commissaire technique interrégional de Lyon sous le pseudonyme de « Boulanger ». Il se présenta, pour la « biographie » contrôlée rédigée par Camille Labrux, responsable des cadres pour la première circonscription FTP, comme « officier soviétique, ancien de l’Académie Lénine ». Pendant cette période, il s’était rendu à plusieurs reprises à Strasbourg, sans doute pour rendre des comptes à Leber. Du 13 au 15 mai 1944, il fit arrêter deux membres du CMZ, un membre du Comité militaire national et de nombreux cadres militaires des FTP (au total 25 personnes) par Klaus Barbie, chef du service IV du Sipo-SD de Lyon, qui les tortura un mois durant avant d’en faire fusiller un certain nombre. Selon plusieurs témoins, Iltis participa aux interrogatoires, en essayant de se dissimuler derrière un journal. Rentré à Strasbourg ou à Kehl, ville badoise voisine, à la fin du mois de mai 1944, il tenta en juillet de reprendre contact avec quelques communistes strasbourgeois, dont Elise Rosenblatt et Albert Kamper, qui avaient échappé aux rafles de 1942 et 1943.

En août 1944, il s’échappa de l’Alsace et revint dans le Sud-Ouest de la France. Le 8 septembre 1944, il réussit à s’engager dans le Groupement Mobile d’Alsace en voie de constitution à Montauban (Tarn-et-Garonne). Il participa ainsi aux opérations de Libération du Haut-Rhin avec le grade d’adjudant-chef, auquel ses compétences militaires acquises à Moscou lui avaient permis d’accéder. Il fut affecté ensuite aux services de sécurité des Forces françaises d’occupation à la caserne française de Wollmatingen, quartier périphérique de Constance, en qualité d’agent auxiliaire de la Sûreté française en Allemagne. Les familles des victimes lyonnaises de la rafle de mai 1944 criaient alors vengeance. Selon René Meyer, agent de la DST à cette époque, Iltis aurait rencontré Tillon qui, en échange du silence sur sa trahison, l’aurait chargé de pénétrer les services spéciaux français. Beyer, membre du comité central chargé des cadres, envoya le commandant André Teuléry (dit aussi Simon Teuléry) à Iltis pour lui recommander de « prendre des précautions ». Pourtant, tout en poursuivant son service en Allemagne occupée, il aurait été à cette époque secrétaire d’une cellule communiste de Strasbourg-Neudorf. À la suite de la capture de Leber et de ses déclarations, il fut arrêté par deux inspecteurs de police adjoints de la Brigade de la Sécurité du Territoire de Strasbourg le 29 novembre 1946 à Bergzabern (Palatinat), où il était devenu chef de poste de la Sûreté aux armées. Inculpé d’intelligences avec l’ennemi, il fut transféré de Strasbourg à la prison de Montluc à Lyon le 11 février 1947, mais le procès verbal rédigé à Strasbourg avait disparu. Iltis fut de nouveau réintégré dans la nationalité française à la date du 17 juin 1952, ce qui supposerait qu’il y aurait renoncé à une date indéterminée, en supposant que ce soit juridiquement possible. Il avait étudié le droit en prison et il réussit ainsi à obtenir deux ordonnances successives de non-lieu (le 29 avril 1955 du chef de trahison, le 29 août 1955 du chef d’atteinte à la sécurité extérieure de l’Etat) en arguant de sa nationalité allemande au moment des faits (alors que la nationalité allemande allouée aux Alsaciens et Mosellans par les nazis en 1943 n’a jamais été reconnue en droit français). Le 15 novembre 1955, la chambre des mises en accusation de la Cour d’Appel de Lyon ordonna sa mise en liberté provisoire, ce qui suppose que d’autres instances le concernant étaient encore en cours. Il aurait quand même réussi à se rendre en République fédérale d’Allemagne, où il se serait installé à Francfort-sur-le-Main.

Dans L’Affaire Marty publiée la même année, André Marty affirma que Beyer était venu le voir en février 1949 pour se plaindre des rumeurs qui l’accusaient d’être responsable d’avoir introduit Iltis au CMZ. C’est à Francfort qu’il serait décédé le 29 septembre 1967 (selon sa famille). Certains prétendirent qu’il était passé en RDA.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article73261, notice ILTIS Lucien Guillaume [né ILTIS Luzian Wilhelm]. Pseudonyme dans l'Internationale : BERGMANN Hans, « Instrukteur Hans » ; pseudonyme dans la Résistance : BOULANGER. par Léon Strauss, version mise en ligne le 13 août 2009, dernière modification le 10 juin 2018.

Par Léon Strauss

SOURCES : RGASPI, 495 270 1204, Dossier Bergmann-Iltis de Moscou (1934-1935). — Roger Faligot et Rémi Kauffer, Service B, Fayard, Paris, 1985, chap.15. — Entretien de LS avec Boosz, 21 juin1985 — R. Faligot, R. Kauffer, « Qui a livré à Barbie les chefs militaires de la Résistance communiste en Zone Sud ?, » Le Monde, 27-28 avril 1986 — Roger Faligot, Jean Guisnel, Rémi Kauffer, Histoire politique des services secrets français de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, La Découverte, 2012. - G. Heumann, « Le mensonge, un produit d’entretien », Huma-Sept Jours, Strasbourg, 9 mai 1986 — G. Serbat, « Barbie : il faut éclaircir le rôle de l’officier soviétique Iltis, dénonciateur du CMZ des FTP », Mémoire et histoire des FTP, novembre 1986. — C. Hempel-Küter, « Die Tages- und Wochenpresse der KPD im Deutschen Reich von 1918 bis 1933 », Internationale wissenschaftliche Korrespondenz zur Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung, Berlin-Ouest, mars 1987, p. 27-82. — L. Strauss, « L’Alsace-Lorraine », Les Communistes français de Munich à Châteaubriant, (1938-1941), dir. par J.P. Rioux, Paris, 1987, p. 370, 371, 375, 377. — R. Faligot, R. Kauffer, Les Résistants, Paris, 1989, p. 224, 537-538 — L. Strauss, « Iltis Lucien », Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne, n° 18, Strasbourg, 1991, p. 1735-1736. — Entretien de Léon Strauss avec René Meyer, ancien fonctionnaire de la Sécurité du territoire, 11 décembre 1998. — Guy Serbat, Le PCF et la lutte armée, 1943-1944, témoignage, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 27, 52, 75, 77, 117-119, 224-225, 230-238. — Entretien téléphonique avec G. Serbat.

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