JACQUEMOTTE Joseph

Par José Gotovitch

Né et mort à Bruxelles, 22 avril 1883 — 11 octobre 1936 ; employé, permanent syndical, député ; fondateur et secrétaire général du Parti communiste belge ; membre du Comité exécutif de l’IC (1924-1936).

Joseph Jacquemotte  Meeting de rue (1932 ou 1933).
Joseph Jacquemotte Meeting de rue (1932 ou 1933).
Copyright CARCOB, Bruxelles

Les parents de Joseph Jacquemotte étaient tous deux enfants d’ouvriers. Le père devint sous-officier de carrière, puis agent de la police communale tandis que la mère tenait un commerce de tissus sur les marchés. Ils eurent sept enfants.

Le statut de son père permit à Joseph Jacquemotte de suivre l’école des pupilles jusqu’à 16 ans. Réformé à cause de sa vue, il devint employé de commerce dans les « maisons de nouveautés », c’est-à -dire les magasins à rayons multiples. Syndiqué à 18 ans, il participa avec les Jeunes gardes socialistes aux luttes pour le suffrage universel en 1902. Licencié pour activités syndicales en 1907, il devint secrétaire permanent du Syndicat des employés en 1910.

Bon organisateur, brillant agitateur, il mena personnellement des grèves et des actions directes, du boycott et des sabotages dans les grands magasins. Il connut de multiples arrestations et condamnations et fit plusieurs mois de prison. Séduit par le syndicalisme révolutionnaire français, il devint correspondant belge de La Vie ouvrière. Membre de facto du Parti ouvrier belge, il siégea à la direction fédérale bruxelloise où il s’inscrivit directement en opposition avec les pratiques et les tendances réformistes. Essentiellement pragmatique et ne laissant derrière lui aucune œuvre théorique, Jacquemotte acquit une très grande popularité à Bruxelles par son engagement sur le terrain. Viscéralement hostile aux compromis réformistes, défenseur acharné de l’autonomie syndicale, il ne rejetait pas les liens avec le Parti ouvrier dont il était d’ailleurs mandataire municipal. En 1913, il entra au bureau de la Commission syndicale du POB (Parti ouvrier belge), la direction nationale des syndicats réformistes. À la veille de la guerre de 1914, il était le porte-parole d’une tendance « socialiste révolutionnaire » qui possédait son organe L’Exploité et qui faisait souvent alliance, mais ne se confondait pas avec la minorité marxiste et intellectuelle groupée autour de Henri De Man et De Brouckère. Vis-à vis de la guerre qui menaçait, Joseph Jacquemotte avait adopté, à l’opposé de la majorité du POB, la position pacifiste de Gustave Hervé.

Sans se rallier à l’Union sacrée, ni s’aligner sur les jusqu’au-boutistes, Jacquemotte demeura à son poste syndical pendant la guerre et l’occupation et participa aux organisations caritatives interclassistes. Il prit position pour la conférence de Stockholm et la reprise des relations internationales. Il conduisit une grève en avril 1918.

La révolution bolchevique matérialisa pour lui le marxisme révolutionnaire, et cet homme d’action s’y rallia, non sans réserves, conservant une vision très syndicale de la révolution en cours. En août 1918, sans nom d’éditeur, il publia une brochure, La Révolution Russe, qui réunissait des documents authentiques sur Octobre. Il évita soigneusement cependant tout rapprochement avec le Conseil des soldats allemands créé à Bruxelles en novembre 1918 qui offrait au POB d’assurer l’ordre… et le pouvoir à Bruxelles.

Dès la Libération, Jacquemotte, rédacteur en chef de L’Exploité, s’opposa à la participation ministérielle socialiste, prôna le retour à la lutte des classes et structura son opposition en mettant sur pied Les Amis de L’Exploité . C’est au sein du POB qu’il entendait mener le combat, il ne suivit pas le groupe de jeunes qui se détachèrent de lui pour fonder dès 1920 un premier Parti communiste. De fait la minorité de Jacquemotte gagna du poids au sein du POB : à Bruxelles elle était majoritaire. Malgré la déclaration d’incompatibilité décidée par un congrès en 1920, Jacquemotte persista. Il espérait construire un parti de masse, pas un groupuscule coupé de celle-ci. Il fallut attendre le 3e congrès des Amis de l’Exploité, en mai 1921 pour que la scission s’imposât à ses yeux. Minorité en déclin depuis 1920, les amis de Jacquemotte ne furent plus qu’une poignée pour faire scission. Adversaire des chapelles et partisan résolu d’un parti de masse, Jacquemotte aboutissait à l’inverse de ses aspirations.

C’est au nom de son groupe que Jacquemotte fut présent au IIIe congrès de l’IC où il prit la parole le 27 juin 1921. Invité au titre d’aile gauche du POB, il parla désormais au nom d’un Parti communiste. Il dénonça avec véhémence la trahison des dirigeants socialistes. Il en appela avec force à une coopération étroite avec les PC français et allemands et à une direction très ferme de l’IC. Mais ses tergiversations et son orientation de type « kautskyen », dit un document de l’IC, le reléguaient nettement en retrait du « premier » PCB de War Van Overstraeten, déjà présent à l’IC depuis le deuxième congrès, parti qui se décrivait comme une « élite révolutionnaire débarrassée [totalement] de l’emprise de toute idéologie bourgeoise ». L’IC imposa aux deux formations de fusionner. Si l’ancien parti devait faire son deuil de l’antiparlementarisme qui lui était cher, le groupe Jacquemotte était appelé « à une clarification de ses positions et au rejet de tout centrisme et pacifisme ». Dans le parti fusionné en septembre 1921, fort à peine de 500 membres, Jacquemotte fit partie du bureau exécutif, mais n’occupa aucun poste clef. Avec la bénédiction de l’IC, la direction était entre les mains de l’ancien parti.

L’arrestation et le procès pour complot contre la sûreté de l’État intenté devant la Cour d’assises à près de 50 dirigeants communistes en 1923 remirent Joseph Jacquemotte en lumière. Il refusa toute coopération avec l’appareil judiciaire, y compris de signer les procès-verbaux. L’accusation le plaça en tête des inculpés. L’acquittement général après quatre mois d’emprisonnement contribua à sa popularité et à rompre son isolement à l’intérieur du Parti. Jacquemotte qui avait gardé ses fonctions syndicales, était l’orateur le plus populaire, le plus demandé.

Sans doute dut-il à cette fermeté d’intervenir au nom de la Belgique et d’être élu au Comité exécutif de l’Internationale communiste lors du Ve congrès en 1924 ? Il fut dès lors présent à tous les congrès et plénums de l’IC, appelé fréquemment à participer aux discussions du Secrétariat latin, en particulier de 1926 à 1929. En 1925, le PCB obtint deux députés : Jacquemotte et War Van Overstraeten. Jacquemotte seul fut réélu en 1929, puis encore en 1932 et en 1936. Il ne fait pas de doute qu’il ne sauva son siège en 1929 qu’en fonction de la popularité personnelle qu’il avait acquise à Bruxelles. Il était le tribun par excellence, fort écouté au Parlement, mais surtout orateur de quartier, dans les manifestations et les grèves. Il intervenait dans tout le pays car son immunité parlementaire le protégeait des arrestations systématiques dont étaient alors l’objet les communistes. Une double immunité d’ailleurs car la qualité de membre de l’Exécutif de l’IC le protégea également des remous internes du Parti.

Les relations de Jacquemotte avec le Parti et l’IC étaient en dents de scie. C’est comme secrétaire de la Commission syndicale centrale du PCB que Jacquemotte prit pour la première fois appui sur les structures de l’IC, en particulier l’Internationale syndicale rouge, pour faire admettre dans le parti « bolchevisé » une stratégie d’ouverture syndicale combattue non seulement par la direction, mais aussi par Lozovski. Au 6e plénum, le 3 mars 1926, il attaqua avec ironie et véhémence ce dernier pour défendre contre lui, la nécessité de lutter au sein des syndicats réformistes. Il estimait dérisoire la création de syndicats révolutionnaires alors que l’immense majorité de la classe ouvrière belge était organisée au sein des puissantes organisations socialistes et que les communistes y disposaient d’une influence non négligeable, notamment à Bruxelles.

Dans la bataille qui s’ouvrit en 1927 sur « la question russe », Jacquemotte se rangea résolument sous la bannière de l’IC : ses adversaires de toujours choisirent « le trotskysme » et détenaient la majorité du comité central. Avec Coenen et les délégués de l’IC, Jacquemotte renversa le rapport de force. Mais au terme de la lutte, même s’il apparut au VIe congrès mondial comme le dirigeant du PCB jouissant de la confiance de l’IC, celle-ci lui préféra Coenen « le Cachin belge », comme secrétaire général. Dans un parti réduit à l’état de groupuscule et amarré à la politique sectaire, les différenciations politiques étaient peu discernables. Jacquemotte participa aux discussions de 1929 du Secrétariat latin sur la question belge, mais fut écarté de fait de la direction « comme opportuniste » pour faire place aux dirigeants issus de la JC. La période qui suivit fut totalement confuse. L’IC ne comprit pas sa mise à l’écart. Menacé un moment d’exclusion, réintégré en 1931 sur intervention de Dimitrov, il dut cependant partager la direction avec ses adversaires. Réélu député en 1932, il donna toute sa mesure d’agitateur pendant les grèves violentes de l’été, prenant en outre une part prépondérante dans la direction du Parti dont la plupart des membres étaient emprisonnés. Faisant le bilan de la lutte et des résultats des élections, Jacquemotte fit le procès des « déviations gauchistes » qui bloquaient le développement du Parti. Mais l’IC cultiva l’ambiguïté en maintenant en flanc gardes, les dirigeants du courant qu’il dénonçait. Au 13e plénum cependant son intervention, le 1er décembre 1933, fut parfaitement conforme à la ligne anti-socialiste, d’autant qu’il dénonçait le plan de Man comme une entreprise de fascisation de l’État. On peut toutefois y percevoir une autre petite musique : s’il battait la coulpe du PCB pour son absence de préoccupation du travail illégal, il signalait que s’installer à l’avance dans l’illégalité faisait courir « le risque de perdre le contact avec les masses ».
Le pacte conclu par les Jeunesses communistes en août 1934 englobant les trotskystes déclencha l’intervention directe de l’IC et provoqua, parallèlement aux préparatifs du VIIe congrès, des changements décisifs. Débarquant à Bruxelles en octobre 1934, Berei trouva un secrétariat totalement anarchique. Il en rendit compte à la commission des cadres de l’IC en février 1935. Des trois membres le composant, deux, anciens dirigeants des Jeunesses et dénoncés alors comme sectaires, avaient des responsabilités directes dans la conclusion du Pacte. Jacquemotte était loué en revanche pour ses contacts avec les masses, pour sa popularité, son audience, y compris parmi les ouvriers socialistes. Il était « le symbole du communisme » en Belgique, bien au fait des stratégies syndicales et parlementaires.

Aussi incarna-t-il parfaitement le tournant opéré par la conférence nationale d’avril 1935 qui condamna le sectarisme, ouvrit la voie à l’action unitaire tant dans les syndicats que sur le plan politique. Incarnation du Parti communiste pour les masses, loin au-delà de ses rangs, il en devint seulement alors le véritable dirigeant. Berei le décrivit d’une fidélité à toute épreuve à l’IC, « incapable d’aventures (politiques) ». Mais il connaissait peu l’intérieur du Parti, manquait d’autorité sur l’appareil, travaillait seul, de manière autoritaire et n’admettait jamais s’être trompé.
Il n’empêche que Jacquemotte incarna remarquablement la politique du VIIe congrès auquel il participa. Poussant sans arrêt à l’unité, combattant sans relâche par ses articles réguliers les importants relents sectaires dans le Parti, il put se réjouir du brusque essor que connut celui-ci : triplement de ses élus en mai 1936, triplement de ses membres de 1935 à 1936. Il put créer le journal qu’il espérait, passant significativement de l’hebdomadaire Le Drapeau Rouge au quotidien La Voix du Peuple. Saluant l’unification décidée entre Jeunesses socialistes et communistes en juillet 1936, il lança alors ce que sa mort imminente transformera en un « testament » mythique : la proposition d’adhésion collective du PCB au Parti ouvrier belge, formulée le 18 juillet 1936.

Discutée depuis février 1936 à l’IC, cette idée s’inscrivait parfaitement dans l’orientation unitaire. Elle avait non seulement valeur de propagande, mais servait également, souligne Berei, à couper court à des propositions de fusion pure et simple qui auraient abouti à résorber entièrement le petit PCB au sein du POB.

Une mort très symbolique surprit Jacquemotte dans le train qui le ramenait de l’imprimerie liégeoise où il avait apporté la copie du journal. Placé devant la « difficulté considérable » de lui trouver un successeur, le délégué de l’IC à Bruxelles rédigea l’épitaphe la plus pertinente : « Personne ne jouit d’une autorité suffisante dans les masses ni de la connaissance solide du mouvement ouvrier et de la vie politique » dont disposait Joseph Jacquemotte. Son enterrement eut la force et l’ampleur de funérailles nationales.

Figure exceptionnelle du communisme belge en ce sens qu’il fut le seul dirigeant social démocrate à rallier irrévocablement la Révolution bolchevique, Joseph Jacquemotte s’était plié à sa discipline, acceptant d’être utilisé, renvoyé dans l’ombre ou appelé au sommet selon les aléas de sa politique. Mais il fut également, autre caractéristique exceptionnelle, l’une des rares personnalités communistes belges ayant, tout au long de son parcours, joui d’une identité politique personnelle et d’une popularité effective.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article73271, notice JACQUEMOTTE Joseph par José Gotovitch, version mise en ligne le 13 août 2009, dernière modification le 9 août 2010.

Par José Gotovitch

Joseph Jacquemotte Meeting de rue (1932 ou 1933).
Joseph Jacquemotte Meeting de rue (1932 ou 1933).
Copyright CARCOB, Bruxelles

SOURCES : RGASPI, 495 193 189 ; 495 93 232 ; 495 93 246 ; 495 93 250. — CARCOB, microfilms IML :IC, congrès et plénums ; Secrétariat latin ; PCB :bureau politique, comité central. — Notice biographique par Maxime Steinberg, Cahiers Marxistes, numéros 23, 24 et 25, avril, mai, juin-juillet 1974. — Joseph Jacquemotte. Une grande figure du mouvement ouvrier belge. Articles et interpellations parlementaires 1912-1936, Bruxelles, Fondation Jacquemotte, 1961, 238 pages.

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