Par Claude Pennetier
Né et mort à Samazan (Lot-et-Garonne) : 16 août 1887-31 mai 1961 ; paysan pendant dix ans, enseignant pendant trois ans puis élu et permanent ; militant socialiste puis communiste du Lot-et-Garonne ; membre du comité directeur puis du comité central du PC ; membre du bureau politique en 1926 ; directeur de La Voix paysanne ; président de la Confédération générale des paysans travailleurs.
Fils unique de Jean Jean et Anne Castaing, métayers devenus petits propriétaires à Samazan (lieu dit Latapie), Jean Jean s’appelait comme son père et son grand-père, mais était surnommé Renaud. Avec la célébrité son prénom d’emprunt sera associé à son nom pour devenir parfois Renaud-Jean. Après des études primaires qui auraient révélé son aisance intellectuelle, Renaud-Jean travailla jusqu’à la guerre comme cultivateur sur la petite exploitation familiale de six hectares.
Renaud-Jean se rallia au socialisme en 1907 et adhéra au groupe socialiste de Marmande, à l’âge de vingt ans, en février-mars 1908. Mais, en 1910, il jugea que le Parti socialiste SFIO évoluait vers le parlementarisme et ne reprit pas sa carte en 1911.
La Première Guerre mondiale allait bouleverser sa vie. Il fut gravement blessé, le 8 septembre, dans un combat au corps à corps sur le Mont-More près de Vitry-le-François. La cuisse fracturée, il fut hospitalisé et c’est au lycée d’Agen transformé en hôpital qu’il se lia avec une agrégée de sciences naturelles qui faisait fonction d’infirmière. En décembre 1916 il était venu renforcer la dizaine de socialistes d’Agen tout en s’affirmant d’emblée favorable à la « minorité » pacifiste.
Renaud-Jean, mutilé de guerre (invalide à 30 %, il resta boiteux), bon orateur, fut une tête de liste solide pour les élections législatives du 16 novembre 1919. Renaud-Jean candidat pour les élections partielles du 5 décembre 1920 fut élu au second tour. Ce fut donc en député que ce militant inconnu arriva au congrès de Tours. L’ensemble des mandats du Lot-et-Garonne se portèrent en faveur de l’adhésion et même de la motion d’extrême gauche Leroy-Heine.
Ce jeune député d’un département rural attira d’emblée l’attention. À l’issue du congrès, il entra au comité directeur et fut nommé directeur de La Voix paysanne, journal créé à la suite du congrès de Strasbourg (février 1920). Membre de la commission de l’Agriculture à la Chambre, Renaud-Jean s’affirma au cours de l’année 1921 comme le théoricien et le propagandiste paysan dont le jeune Parti communiste avait besoin. Il rédigea La question agraire, thèse soumise aux militants, et la défendit devant le congrès de Marseille. Lénine* trouva « absolument juste dans l’ensemble » ce texte habile et souple, qui reprenait en les actualisant des positions défendues par Compère-Morel avant la guerre. Mais, Renaud-Jean jugeait sévèrement le comportement de la Gauche du Parti, s’inquiétait du soutien que lui apportait l’IC et condamnait le Front unique. Signe de son influence, Zinoviev* prit le soin de lui écrire le 16 juin 1922 pour lui dire : « Dans la session de l’Exécutif élargi, nous avons dû combattre certaines idées contenues dans quelques-uns de vos articles. Mais nous savons tous quel travail énorme et nouveau vous accomplissez en France et quels sont vos services dans ce domaine. Le IVe congrès universel étudiera la question agraire. Votre présence nous semble absolument indispensable. Nous serions encore plus heureux de vous voir à Moscou avant l’ouverture de ce congrès, afin d’avoir la possibilité de converser avec vous sur bien des sujets » (Arch. Renaud-Jean). Au même moment il était décrit par rapport de l’IC comme un « garçon intelligent, travailleur, foncièrement honnête, certainement une des belles forces d’avenir du communisme français ».
Si Renaud-Jean accepta d’aller à Moscou, il refusa de se couler dans le moule des courants et proposa au congrès de Paris (octobre 1922) une motion qui condamnait la Droite comme la Gauche. Il fut écarté du comité directeur. C’est donc hors des trois tendances qu’il se rendit au IVe congrès de l’IC. Les notes qu’il laissa de son premier contact avec Moscou signalent son esprit critique : le défilé de l’armée rouge lui fit une « impression pénible » ; il s’inquiéta du nombre de portraits de dirigeants en soulignant le « danger futur ». Sa rencontre avec Lénine* déjà très malade le confirma dans l’idée que Moscou ne s’intéressait qu’aux hommes de la Gauche. S’il admira l’ » intelligence prodigieuse » de Trotsky, sa « facilité d’expression », il le jugea « dangereusement absolu ». L’affrontement de Renaud-Jean avec Trotsky sur la question paysanne fut un des temps forts de la commission française. On mesure à la qualité de ses répliques comme à leur vigueur — Trotsky dira « nous apprécions cette manière comme une manière excellente, parce qu’on ne fait pas une politique révolutionnaire uniquement avec la courtoisie » — l’assurance acquise par le militant lot-et-garonnais en trois ans. Un incident « bref mais important » (Rosmer*) l’opposa à Trotsky à l’issue d’une séance de nuit. Interpellé par un délégué de la JC à propos de ses critiques du financement des Jeunesses par l’Internationale, il commença une explication que le président de séance interrompit en disant « que l’Internationale communiste n’a rien de commun avec une foire où les paysans madrés se livrent à leurs marchandages. » Renaud-Jean quitta la salle et ne revint au congrès qu’après avoir reçu une lettre explicative de Trotsky lui annonçant que l’affaire serait examinée par une commission. À l’issue du congrès, désigné comme membre du comité directeur, il déclara que bien que moralement hostile aux décisions du IVe congrès, il s’engageait, par esprit de discipline à les faire appliquer.
Renaud-Jean, qui n’avait pas répondu aux attentes de Zinoviev*, revint donc en France avec des sentiments partagés. Il ne se rendit pas à la 1re conférence internationale paysanne qui se tint à Moscou du 12 au 15 octobre 1923. La conférence nomma quatre délégués pour la France : Vazeilles, Angonin, Verdier et Renaud-Jean.
En 1927, Renaud-Jean se rendit en Ukraine pour mener un premier travail d’enquête sur la paysannerie soviétique et de retour, en juillet 1927, écrivit une brochure qui ne fut pas publiée par le secrétariat du Parti. Une nouvelle période s’ouvrit en novembre 1927 avec sa désapprobation totale de la nouvelle tactique « Classe contre classe ». Il s’engagea complètement dans la mise en cause de cette « folie » lors du comité central des 10 et 11 janvier 1928 qui adopta la « tactique » par 21 voix contre 13. Et au VIe congrès mondial, où Renaud-Jean vota les résolutions avec réserves, il fallut l’intervention de Molotov pour empêcher son élimination des organismes de direction. D’ailleurs ses prises de parole sur les problèmes paysans, loin d’être marginalisées, avaient provoqué un débat important et une réponse de Boukharine qui, tout en les contestant, témoignait de son intérêt pour les positions du militant gascon.
Prenant en compte la volonté du secrétariat de le conserver comme permanent, il accepta finalement en octobre 1928 de préparer la constitution de la CGPT, d’en prendre la présidence au congrès de Montluçon (mars 1929) et d’en assurer la direction effective. Membre suppléant du bureau politique, il se consacra surtout à la question paysanne. Son succès aux élections législatives de mai 1932 dans la circonscription de Marmande, marqua son retour sur le terrain lot-et-garonnais. Renaud-Jean était passé à nouveau par une période d’affrontement très dur sur la politique paysanne. Soucieux d’avancer des mots d’ordre mobilisateurs adaptés à la période de crise, il défendit l’idée du paiement des échéances en blé au cours officiel. Le 1er septembre 1933 le secrétariat du Parti communiste lui fit part de son désaccord total. Renaud-Jean, par une lettre du 26 octobre 1933, en appela au Komintern : « Seule une intervention de l’Internationale est capable de nous éviter la défaite dans la course avec le fascisme pour la conquête de la direction des paysans » (Arch. Renaud-Jean, 46 J 16).
Les événements de février 1934 portèrent à son paroxysme les tensions avec Maurice Trotsky. Il suggéra avec Doriot* de prendre contact avec les dirigeants du PS et de la CGT pour envisager une riposte commune. Thorez* refusa. Mais, Renaud-Jean continua dans les jours et les semaines qui suivirent à se prononcer pour une politique de front unique de la base au sommet contre le fascisme. Dans sa très importante intervention à la conférence nationale d’Ivry en juin 1934, Renaud-Jean condamna sans réserves l’attitude de Doriot* acceptant de voter les sanctions contre lui. Cependant, malgré les interruptions de Trotsky, il rappela que la ligne rapportée par celui-ci de Moscou aurait fait de Doriot* un triomphateur si celui-ci avait accepté de se rendre auprès de l’Internationale.
La politique de Front populaire rencontra donc son approbation et lui permit d’accepter de nouvelles responsabilités. En juillet-août 1935, il se rendit à Moscou comme délégué au VIIe congrès de l’IC et poursuivit son séjour en étudiant la collectivisation des campagnes. Son livre La Terre soviétique livra au public ses observations. Au bureau politique du 29 novembre 1935, c’est un kominternien, Manouilski, qui déclara que Renaud-Jean pouvait « rendre au Parti de grands services » et qu’il avait été écarté injustement. Le retour de Renaud-Jean est attesté par l’importance attribuée à son rapport sur « L’Union des paysans de France » au 8e congrès du Parti communiste (janvier 1936, Villeurbanne). Waldeck Rochet assurait le secrétariat de la section agraire, tandis que le député du Lot-et-Garonne était l’homme public, le porte-parole.
Réélu député dès le premier tour des élections législatives d’avril 1936, Renaud-Jean devint président du groupe communiste à la Chambre. Son nom fut avancé pour le portefeuille de l’Agriculture en cas de participation ministérielle des communistes, mais ce n’est que comme président de la puissante commission de l’Agriculture qu’il déposa un projet de loi tendant à la création d’un Office national interprofessionnel du blé. Pendant trois ans, constamment maintenu dans ses fonctions de président, il eut une influence considérable sur la politique agricole. Était-il pour autant, enfin, en accord avec la direction du PCF et de l’IC ? Nullement. Une note du département des cadres du Komintern, datée du 5 janvier 1939, indique : « Dans le dossier personnel de Renaud, on trouve des données sur le fait que, selon une information de Cachin*, communiquée ici au Comité exécutif de l’IC par Fried* en 1936, Renaud-Jean a dit à propos des procès [procès de Moscou] des trotskystes-zinoviévistes qu’il ne croyait pas à la culpabilité de ces gens et que ce serait une “vengeance de Staline*” » (RGASPI, 495 270 950). La politique internationale inquiétait également le paysan pacifiste : tout en condamnant la « non-intervention » en Espagne, il demanda au Parti de bien préciser qu’il s’agissait de faire respecter le droit international et non de prôner une « intervention ». Ses discours au CC sur le danger d’une position systématiquement négative face aux exigences hitlériennes reçurent un accueil froid. Enfin il n’apprécia pas les articles violents de Péri, dans l’Humanité, contre toute tentative de discussion avec Hitler. Aussi en fit-il un commentaire prudent tout en condamnant les accords de Munich.
La guerre devenant inévitable, Renaud-Jean se rangea résolument dans les rangs des partisans de l’effort de guerre face à l’Allemagne nazie.
L’annonce du Pacte germano-soviétique l’accabla. À la réunion du groupe parlementaire communiste, le 25 août, il demanda avec force des explications. Mais plus que le Pacte, c’est « le tournant » de fin septembre, caractérisant la guerre comme une « guerre impérialiste », qui provoqua son désaccord. Le 3 octobre, à la réunion du Groupe ouvrier paysan (nouvelle appellation du groupe communiste, Renaud-Jean s’attribue la paternité du mot « paysan »), il condamna la lettre au président Herriot du 1er octobre. Arrêté le 8 octobre 1939 comme signataire de ce document (dont il ignorait l’existence au moment de sa diffusion), il décida de se solidariser avec les camarades et de ne pas faire part au juge de ses états d’âme. Cependant, les notes rédigées début décembre dans sa prison ne laissent aucun doute sur l’ampleur de son désarroi : il était sévère pour les hommes (ceux qui ont fui, ceux qui ont rompu et celui qui a déserté) comme avec le fonctionnement du Parti. Son désaccord avec l’intervention soviétique en Finlande et sa désapprobation de l’attitude des quatre députés communistes à la séance du 9 janvier 1940 augmentèrent encore sa colère, aussi, le 13 janvier 1940 écrivit-il à l’avocat communiste Me Marcel Willard*, pour lui demander de ne plus assurer sa défense. Il déclarait : « J’ai rompu avec l’IC, non seulement par suite de la dissolution du Parti communiste mais parce que je n’accepte pas sa conception présente de ses relations avec ses diverses sections [...] Je n’accepterais de reprendre des relations avec les dirigeants de l’ancien PC que si j’avais auparavant des explications satisfaisantes sur certains de leurs actes » C’est ce document qui, adressé à Frachon* à Paris, à Duclos* à Bruxelles puis à Marty*-Thorez* à Moscou avec la mention « envoyé officiellement, par l’intermédiaire de la direction de la prison », fut considéré comme une rupture publique (Thorez* le lui rappela lors de leur entretien du 17 juillet 1945 en lui confirmant sa mise à l’écart des organismes dirigeants).
À Moscou, les informations sur son attitude lors du procès avaient été commentée dans les réunions du Komintern ; André Marty* nota dans son carnet le 29 mai 1940 « Au procès attitude pas aussi mauvaise ». Maurice Thorez* (sous le pseudonyme de Jean) ne connaissait pas précisément sa situation lorsqu’il écrivit une note le 10 mars 1943 :
« Renaud-Jean
« Membre du CC, député.
« D’origine paysanne, est demeuré en fait, en marge du Parti. Il ne s’est jamais assimilé la doctrine, la politique du Parti et de l’Internationale. Fut toujours [mot souligné] en opposition avec la ligne du Parti, en 1922 (à propos du FU) ; en 1925 (problème de réorganisation et de la bolchevisation du Parti) ; en 1927-1928 (classe contre classe) ; en 1934 (seul avec Jerram* à soutenir Doriot*, dans le CC) ; et enfin en 1939, où il s’est élevé violemment contre le Pacte germano-soviétique et la politique du Parti et de l’IC (Sans compter son désaccord permanent avec la politique agraire de l’Internationale).
« Cependant honnête, et aussi susceptible de céder à l’amour-propre, n’a pas voulu se désolidariser du Parti au début de l’instruction contre les députés. Il l’a fait le 13 janvier 1940, dans une lettre adressée par voie administrative à son avocat. Il y ébauche la plate-forme d’un prétendu Parti communiste “libre et national”. Condamné tout de même mais avec sursis, a été placé dans un camp de concentration. Mon opinion est qu’il n’a plus sa place dans le Parti. »
Il n’occupa plus que des fonctions locales.
Par Claude Pennetier
SOURCES : RGASPI, Moscou, 495 270 950. — Arch. Nat., F7/12759, 13000, 13056, 13090, 13092, 13110, 13125, 13171. — Arch. Dép. Lot-et-Garonne, divers et en particulier les arch. Renaud-Jean. — Papiers de Jacques Clémens. — Bibliothèque marxiste de Paris, microfilms des archives de l’IC. — Arch. Comité national, dossiers Marty. — Gérard Belloin, Renaud-Jean, le tribun des paysans, La part des hommes, Éditions de l’Atelier, 1993. — Notice par Claude Pennetier dans le DBMOF.