JOLLY Robert, Gabriel, Jean, Alexandre. Pseudonyme : PORTANT Robert

Par Jacques Blanchard, René Lemarquis, Claude Pennetier et Florence Regourd

Né le 11 mars 1904 à Mouzeuil (Vendée), mort le 27 septembre 1988 à l’hôpital de Luçon (Vendée) ; cultivateur, cordonnier puis marchand forain ; militant et dirigeant communiste dans les départements de Vendée, Haute-Vienne, Loire-Inférieure et Deux-Sèvres ; élève de l’ELI (École léniniste internationale de Moscou) en 1931-1932.

Robert Jolly jouant du cornet
Robert Jolly jouant du cornet

Fils unique de petits cultivateurs, Gabriel Jolly et Ernestine Guyonnet, propriétaires de quelques lopins, exploitant le reste en fermage à Mouzeuil, Robert Jolly fit un apprentissage de cordonnier chez un petit patron après des études élémentaires perturbées par la guerre. Il fut ensuite cultivateur (il l’était lors de son mariage en 1927), cordonnier, employé de commerce chez son camarade communiste Edmond Guillou, marchand de matériaux de construction à La Roche-sur-Yon (1923-1924), travaillant épisodiquement en usine et enfin marchand forain. Son père lisait L’Humanité tous les jours et son oncle maternel, Jean Guyonnet, cultivateur à Mouzeuil, fit graver une faucille et un marteau sur sa cheminée. Robert Jolly racontait à ses filles « qu’il avait pris sa carte après le congrès de Tours et l’a[vait] gardée toute sa vie, que s’il était devenu communiste, c’était à cause de sa mère, qui avait vu partir tous les hommes de sa vie à la guerre de 14 et nourrissait cette idée que les communistes et Jaurès, c’était la paix ».

Il épousa à Nantes, le 29 octobre 1927, Geneviève Forget (Nantes, 1900—Luçon, Vendée 1988), d’une famille communisante, elle-même communiste et future secrétaire de section du Secours populaire, qu’il avait rencontrée dans une réunion organisée par Ernest Le Goff* en Vendée. . Elle était alors lingère dans la succursale nantaise des Galeries Lafayette et avait été déléguée en septembre 1927 à une conférence nationale féminine de la CGTU. Ils eurent une première fille Suzanne, en 1929. Il habita Nantes (en 1926 et 1930 puis 1938), Limoges (en 1928 et 1929), la Loire-Inférieure (1932) puis à son retour d’URSS, Mouzeuil et les Deux-Sèvres, (1933 à 1937), à Nantes et enfin à nouveau en Vendée.

Robert Jolly avait lu La Vague de Pierre Brizon « qui l’avait retourné » et était en liaison avec Edmond Guillou qui éditait depuis 1919 Le Prolétaire de la Vendée. Il avait adhéré aux Jeunesses communistes en 1922 et au Parti communiste en 1923, sans avoir été au préalable membre du Parti socialiste. Lorsqu’il travaillait en 1923, comme employé chez Guillou, il s’abonna au journal Le Travailleur charentais, devenu une tribune pour la petite fédération socialiste communiste de Vendée, réunie autour de Ludovic Clergeaud, avec lequel Guillou et Jolly polémiquaient. Il fit son service militaire au 2e régiment de tirailleurs nord-africains, incorporé à Mostaganem (Algérie) entre mai 1924 et novembre 1925. Il lisait alors Clarté et l’Humanité.

Il se syndiqua à la CGTU en 1927 (syndicat unitaire de la chaussure puis des métaux) et fut aussi membre du SRI. Il avait participé aux écoles élémentaires de huit jours, mais considérait son niveau comme faible.

Il constitua en Vendée, en 1925, quelques comités locaux de paysans, participa en tant que correspondant et diffuseur à La Voix Paysanne, organe du Conseil paysan français dont il fut membre et écrivit des petites brochures sur la question paysanne, ce qui provoqua « quelques brouilles partielles avec [ses] parents ». Un procès intenté en 1927 par des curés « de sa paroisse » où il fut condamné à des amendes, aggrava la discorde avec ses parents. En 1928, il vint à Limoges où il entra au bureau régional du Parti communiste puis, comme secrétaire de la section d’organisation. Il travaillait alors en usine où il participa à une grève de trois semaines. Il fut également responsable devant le bureau régional du travail parmi les paysans, y créa des comités de paysans travailleurs et eut à Limoges en 1929 une activité illégale, antimilitariste, en liaison avec des soldats. Du 15 mars 1930 au 1er mai 1931, il accéda à la fonction de secrétaire permanent de la région Atlantique et fut secrétaire de l’Union locale des syndicats unitaires de Nantes. Il intervenait, en 1930, comme orateur communiste ou contradicteur dans des réunions, même en Vendée. Il milita avec Jean Bruhat, Gabriel Citerne, qu’il rencontra à Nantes en 1930, ce dernier était alors secrétaire national du Secours rouge (SRI), René Leroy, Lunot, cheminot à La Roche-sur-Yon. Il semble avoir connu des difficultés dans cette responsabilité de permanent puisqu’il affirmait, dans un texte écrit à Moscou, y avoir été « trouvé trop faible politiquement » et « avoir mal passé son examen ». Revoyant son passé militant à la fin des années 1970, il regrettait « cette époque des fractions, des confusions entre le rôle du Parti et des syndicats, de la violence de la lutte qui allait jusqu’aux coups de poing avec la CGT ». Cessant d’être permanent, il travailla sur le port de Nantes et dans le bâtiment et quand il le put, à la campagne. Robert Jolly fut alors désigné pour suivre les cours de l’École léniniste internationale à Moscou, pendant l’année 1931-1932.

Jean Roque, secrétaire régional du Parti écrivait : « il est attaché et dévoué au Parti. Pourra rendre de grands services à son retour de l’école. A toujours montré son accord avec le parti. Cherche toujours à discuter les problèmes nouveaux. A toujours manifesté sa volonté d’apprendre, et de se convaincre. Élément sain et de toute confiance. En général, ce camarade a une tendance à exagérer ses faiblesses et a eu, par moment, quelques découragements. Manifeste une certaine timidité. »

Avant son départ, Robert Joly s’inquiétait du devenir de sa famille [qui en effet souffrit de son départ ; sa femme, Geneviève Jolly avait accouché en août 1929 et ne travaillait pas] et s’en ouvrit à la direction régionale. La section d’Agit-Prop du comité central répondit : « les élèves chargés de famille reçoivent une allocation qui pour lui s’élèvera à un peu plus de 600 francs par mois. Cette allocation est envoyée à la famille directement par l’École, par l’intermédiaire d’une banque. Il faut qu’il trouve une autre adresse que la sienne pour la réception de l’argent. Mais, il doit tenir compte que la première mensualité arrivera avec un peu de retard en raison de diverses formalités qui sont faites avant le premier envoi »

Il appartenait au deuxième contingent pour l’École léniniste internationale d’un an, fort de vingt-deux militants . Voici la liste avec les commentaires du Komintern après l’école : Holmières René, base, Région Pyrénées ; Dourdin Gaston, base, région Paris-Nord ; Zellner Émile, secrétaire du sous-rayon de Vitry ; Billat Paul, secrétaire de la région des Alpes ; Monceaux Edgard, (secrétaire du sous-rayon d’Ivry, barré), base ; Moine André, membre du BR, région des Pyrénées ; Herbs Michel, responsable du travail syndical de la région troyenne ; Martinan, membre du secrétariat de la région Est ; Jolly Robert, base ; Gillot Auguste, région Paris-Sud [dont Robert Jolly parlait souvent] ; Furmeyer, base, région Alsace-Lorraine ; Galatry Émile, secrétariat région Nord-Est ; Capitaine Thérèse, secrétariat rayon de Boulogne ; Martha Desrumeaux, instructeur du CC ; Havez Auguste, mairie de Vitry, agit-prop région Paris-Sud ; Boualem, section coloniale ; Bouchafa Salah, section coloniale, 20e UR ; Albert, nègre ; Dalmas Albert, base, région Paris-Ville, renvoyé de l’École ; Paumard Jean, base région Paris-Ouest, renvoyé de l’École ; Jany Ignacy, pol. ; Kuhn Guillaume, secrétariat SRI Alsace-Lorraine.

Il répondit à un questionnaire biographique le 4 octobre 1931, à Moscou, sous le pseudonyme de Robert Portant. L’élève de l’ELI se lia d’amitié avec Waldeck Rochet arrivé quelques mois plus tôt avec le 3e contigent de l’École de trois ans. Il avait essayé d’apprendre le russe pendant son séjour. De son passage à l’ELI de Moscou "il ne parlait jamais" dit sa fille Odette Charrier.

À son retour, « désireux de travailler, plein d’enthousiasme », il fut obligé, en raison de difficultés matérielles, de retourner à Mouzeuil en 1932 pendant la période du Front populaire puis fut nommé secrétaire politique de la fédération départementale des Deux-Sèvres. Le couple Jolly habita à Thouars puis à Niort durant le Front populaire. Il eut alors l’occasion, de 1936 à 1938, de développer la diffusion du journal de la Fédération, Le Semeur. Il intervenait également en Vendée puisqu’en 1936 aux Sables d’Olonne, il prenait la parole au nom du Comité Amsterdam-Pleyel, lors d’un réunion du comité antifasciste.

Aux élections législatives d’avril-mai 1936, Robert Jolly, candidat communiste dans la circonscription de Parthenay (Deux-Sèvres), avait eu pour concurrents le député sortant, le conservateur Clovis Macouin réélu au second tour, le radical « pelletaniste » Robert Bigot, le radical-socialiste Léon Brunet et le socialiste SFIO Delphin Turpault. Robert Jolly avait recueilli 337 suffrages sur 20 431 votants. Au second tour, comme Turpault et Brunet, il s’était désisté pour Bigot.

Au cours de sa vie militante Robert Jolly connut la répression : retenu treize jours dans une prison allemande à son retour d’URSS en 1932 ; il fut aussi poursuivi pour un article paru dans l’Humanité. Il paraît avoir beaucoup profité de son séjour à Moscou où il lut beaucoup et apprit à connaître « ce qu’est une direction régionale du parti, un syndicat ouvrier, surtout l’importance des problèmes d’organisation ». Il affirmait avoir toujours lutté contre les déviations de droite et de gauche mais, ajoutait-il, « ce qui ne veut pas dire que j’y ai toujours bien réussi » D’ailleurs, Auguste Havez lui reprochait à l’ÉLI de « fuir assez facilement à l’occasion [...] il est assez difficile de deviner ce qu’il pense » et Martha Desrumeaux trouvait « qu’il avait montré du libéralisme envers les camarades de l’ex-groupe » et que, conciliateur, il était « assez vague quand il faut se prononcer sur un problème politique ». Ce jugement explique peut-être pourquoi, en 1937, il ne répondait pas dans son autobiographie aux questions traditionnelles sur les oppositions, se contentant d’affirmer n’avoir aucune liaison avec celles-ci. Il rappelait dans sa correspondance privée s’être opposé à Edmond Guillou quand ce dernier « avait mal tourné », c’est-à-dire avait rejoint Boris Souvarine et l’équipe du Bulletin communiste, après son exclusion du PCF en 1924.

À partir de 1938, il vivait et travaillait en usine à Nantes. Rappelé à l’activité militaire le 3 septembre 1939, affecté au 265e RI, il fut envoyé en Corse d’ où il ne revint, franchissant la ligne de démarcation qu’après l’armistice. Sa deuxième fille, Odette, naquit en juin 1940. Il fut démobilisé en août 1940. La famille revint définitivement à Mouzeuil début 1941. Robert Jolly maintenait clandestinement l’activité du PCF et travaillait comme marchand forain. La Vendée étant en zone occupée, il fut réquisitionné par les Allemands, comme tous les hommes à Mouzeuil, pour creuser des trous afin d’installer des canons dirigés sur Fontenay-le-Comte. Il y fit, selon son expression, de la résistance passive. Le couple Jolly était surveillé par les gendarmes, ils recueillirent durant la guerre, les deux enfants de son beau-frère et les deux garçons de Gabriel Citerne*. Ils cachèrent des résistants dont Jean Cailler, organisateur de la Résistance en Vendée, abattu dans la Vienne le 19 août 1944, fils d’Hubert Cailler, secrétaire fédéral du PCF clandestin en Vendée d’août 1943 à septembre 1944 qui fut abattu par les Allemands à La Roche-sur-Yon, le 7 septembre 1944. En 1980, Robert Jolly gardait encore précieusement un tract de la main d’Hubert Cailler. Quand il rejoignit le maquis FTP du sud Vendée (à l’Île d’Elle) en 1944, sa femme, Geneviève, maintint l’activité de la cellule. Il participa à quelques actions d’éclat contre les Allemands, notamment l’attaque de l’école primaire de Benet qu’ils occupaient, en août 1944.

Dès la libération de la Vendée, en septembre 1944, il dirigeait la cellule de Mouzeuil, forte d’une quinzaine de membres, vendait La Terre et fut secrétaire de la section de Nalliers (1952 à 1956) puis de L’Hermenault (1957-1959 et 1961-1962). Il participait activement, sans être candidat, aux élections législatives de 1945 et 1946 où l’on retrouve sa présence dans les réunions de propagande. Il eut d’importantes responsabilités dans le Parti communiste après la Libération, il fut membre du comité de la fédération du PCF de Vendée (1952-1964) quand Auguste Brunet en était secrétaire fédéral. Il était avec lui pleinement en phase sur la ligne du Parti, même en 1956 ou en 1968, et réputé pour être « rigide » selon l’expression d’une de ses filles. Le portrait qu’en dresse alors Marcel Guintard ( élu suppléant au comité central et secrétaire fédéral après Brunet), est celui d’un dirigeant local vendéen-type « ayant participé aux combats de la Libération, dont la tournure d’esprit était faite de patriotisme et d’internationalisme, avec un attachement net à l’URSS qui avait supporté l’essentiel du fardeau nazi », « un vieux dirigeant fédéral défendant une ligne sectaire qui pensait vraiment que le socialisme avait été menacé en Tchécoslovaquie et que l’URSS n’avait fait que son devoir internationaliste ». Le comité fédéral de Vendée était alors très divisé, condamnant seulement du bout des lèvres l’intervention soviétique. Secrétaire départemental de France-URSS (1957), il restait dans les années soixante très proche de Georges Gillon (au comité fédéral, devenu maire de Pouillé en Vendée) et de Gustave Pouponneau* (également au comité fédéral, devenu maire de L’Hermenault). Secrétaire de l’Amicale des vétérans en 1962, organisant les cars pour la fête annuelle de la fédération à Sion, il ne manquait aucun repas de vétéran.

Consacrant ses loisirs à la pêche, à la fanfare de Nalliers où il jouait du cornet à piston et à la chorale de Luçon, écrivant des poèmes à ses heures, il entra à la maison de retraite de Chaillé-les-Marais en 1982.

Robert Jolly, atteint d’un cancer généralisé, affaibli par une opération inutile, mourut la même année que son épouse à l’hôpital de Luçon en 1988.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article73292, notice JOLLY Robert, Gabriel, Jean, Alexandre. Pseudonyme : PORTANT Robert par Jacques Blanchard, René Lemarquis, Claude Pennetier et Florence Regourd, version mise en ligne le 13 août 2009, dernière modification le 11 avril 2013.

Par Jacques Blanchard, René Lemarquis, Claude Pennetier et Florence Regourd

Robert Jolly jouant du cornet
Robert Jolly jouant du cornet
Rober Jolly et ses camarades en grève à Limoges en 1928
Rober Jolly et ses camarades en grève à Limoges en 1928
Robert Jolly debout, veste foncée et casquette.
Geneviève Jolly et Robert Jolly à Limoges, en 1928.
Geneviève Jolly et Robert Jolly à Limoges, en 1928.

SOURCES : Arch. Nat. F7/13118, rapport du 9 août 1929 et F7/13085. — Arch. Dép. Deux-Sèvres, 3 M 10/12, 3 M 11/41. — Arch. Dép. Vendée, 28 W 299 , 1 R 781, 4 M 404-405. — RGASPI, Moscou, 495 270 8649. Questionnaire d’octobre 1931 (Moscou) ; Autobiographie du 9 avril 1937 (Niort) ; Commission des cadres : 517 1 1111 ; 495 270 2973, autobiographie de sa femme, Geneviève, née Forget, 7 avril 1937. — Arch. comité national PCF, comités fédéraux — L’Émancipation, n° 50, janvier 1936. — Correspondance de Ludovic Clergeaud déposée au CDHMOT de Vendée. — Marcel Guintard, Les choses en face, Geste éditions, 1997. — Auguste Brunet, Si c’était à refaire, la résistance en Vendée, Le Temps des cerises, 2004. — Fanny Proust, Le jardin d’Odette, chronique d’une Vendéenne engagée, Art & Grains de mémoire, 2007. — Témoignage et correspondance de M. Jolly (1979 à 1981). — Témoignages de ses filles, Mme Auvinet et Mme Charrier (2012). —Notes de Sylvain Boulouque. — État civil.

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