THOMAS Eugène [THOMAS Désiré, Eugène]

Par Annie Jeammet

Né le 16 septembre 1856 à Noizé (Deux-Sèvres), mort le 9 février 1919 au Kremlin-Bicêtre (Seine, Val-de-Marne) ; ouvrier menuisier ; militant socialiste ; syndicaliste ; coopérateur ; maire du Kremlin-Bicêtre.

Eugène Thomas naquit à Noizé, dans le nord des Deux-Sèvres dans une famille catholique. Son père, Alexandre Thomas, était menuisier, il avait trente-trois ans. Sa mère, Orélie, Eulalie, Henry Monmusseau, avait vingt ans. Le couple avait déjà un fils, Henry, Alexandre, né le 8 octobre 1854. La famille partit s’installer à Parthenay (Deux-Sèvres) où la mère d’Eugène Thomas mourut le 17 juin 1874. Vers cette date les deux fils quittèrent Parthenay.
Eugène Thomas s’installa à Mosnes (Indre-et-Loire), sur la rive gauche de la Loire, près d’Amboise, où il travailla comme menuisier. Le 28 novembre 1876, à l’âge de vingt ans, il s’y maria avec Louise, Alexandrine Fierdepied, dix-neuf ans, sans profession, fille et sœur de tonnelier. Un des témoins d’Eugène Thomas était son frère, Henry, maréchal-ferrant. Le jeune couple s’installa à Saint-Martin-le-Beau (Indre-et-Loire), village de la vallée du Cher, entre Tours et Chenonceau. Eugène Thomas y était menuisier, vraisemblablement artisan. Dans les années suivantes, le couple donna naissance à cinq fils : Léon né en 1877, Samuel en 1881, Édouard, en 1884, Eugène, en 1886, Georges, en 1888. Entre-temps, son frère Henry vint s’installer comme maréchal-ferrant à Saint-Martin-le-Beau et s’y maria en 1880.

Eugène Thomas fut affilié à une loge maçonnique de Tours de 1878 à 1882, la loge des Démophiles. Il en sortit le 4 août 1882, « rayé, par refus de paiement de cotisation ». Aucun fait particulier le concernant ne figure dans le registre des tenues de ces années-là. Eugène Thomas appartint de nouveau à la maçonnerie car en 1912, au congrès de Lyon de la SFIO, il prit la parole au nom des francs-maçons.

En 1881 ou 1882, Henry Thomas quitta la Touraine pour venir à Gentilly (Seine, Val-de-Marne). Il s’établit comme maréchal-ferrant au 108, route de Fontainebleau (quartier du Kremlin). À partir de 1888, il devint adjoint au maire de Gentilly, de sensibilité radicale.

Courant 1889, Eugène Thomas et sa famille le rejoignirent et habitèrent quelque temps à la même adresse. Puis ils s’installèrent non loin de là, dans le quartier du Kremlin. Sur la liste nominative du recensement de 1896, la famille se composait d’Eugène et de son épouse, de leurs quatre fils aînés (Léon, 18 ans, bijoutier, Samuel, 14 ans, sans profession, Édouard, 11 ans et Eugène, 9 ans) et d’une petite fille, Suzanne, née en 1895. En revanche, il n’y a plus trace de Georges, déjà mort, sans doute, à cette date. Le couple eut encore un fils, Maurice, né le 18 janvier 1897.
Que devinrent les enfants d’Eugène Thomas ?

- Léon fut d’abord bijoutier (il l’était encore en 1904) puis mécanicien. Il épousa la fille de Jules Coutant, député socialiste de la circonscription, puis maire d’Ivry (Seine, Val-de-Marne) et ami d’Eugène Thomas jusqu’en 1905, au moins. Mobilisé, il fut blessé en 1915. Il se fixa à Ivry où il mourut en 1937, à l’âge de 60 ans.

- Samuel fut journalier. Il se maria en 1904 à Ivry et mourut en 1962 au Kremlin-Bicêtre (Seine, Val-de-Marne).

- Édouard devint dessinateur sur étoffe. En 1901, il était employé chez Blanchot. Caporal-fourrier de la Compagnie des sapeurs-pompiers, c’était une personnalité du Kremlin-Bicêtre. Il mourut à Dieppe en 1956.

- Eugène devint ajusteur et mourut en 1960 au Kremlin-Bicêtre.

- Suzanne, vivait toujours au Kremlin-Bicêtre en 1919, au moment de la mort de son père.

- Maurice suivit les cours de l’école Estienne. Envoyé au front (143e régiment d’infanterie), il mourut le 16 juin 1917.

Aucun de ses fils ne s’engagea dans la politique mais un fait montra que la famille était solidaire d’Eugène Thomas, y compris son frère, qui n’était pas socialiste, et son neveu. À l’approche des élections de mai 1912, les premières municipales après le sectionnement, Eugène Thomas eut peur de perdre les sièges de la première section (quartier du Kremlin). Il demanda alors à son frère, son neveu et ses fils Léon et Eugène, qui ne vivaient plus dans la ville, de se faire inscrire sur la liste électorale, comme demeurant au 41 bis rue du Kremlin (chez lui). Ils acceptèrent et votèrent au Kremlin. En juin 1912, le frère d’Eugène Thomas fut condamné pour fraude électorale, car il était inscrit et avait voté également dans sa commune de résidence, Franconville (Seine-et-Oise, Val-d’Oise), où il était même candidat radical.

Après son installation à Gentilly, Eugène Thomas se syndiqua et participa aussi à un groupe de coopérateurs qui fondèrent la coopérative Le Progrès de Gentilly en 1895. Il fut membre jusqu’en 1900 du Comité central de l’Union coopérative. Il regarda aussi du côté de la politique et commença à militer en suivant Jules Coutant, ouvrier métallurgiste d’Ivry, adhérent du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR, allemaniste) et élu sous cette étiquette député de la troisième circonscription de l’arrondissement de Sceaux en 1893. Eugène Thomas fut l’un de ses proches et l’un des organisateurs de ses campagnes électorales. En 1895, Jules Coutant quitta le POSR pour le groupe blanquiste, le Comité révolutionnaire central (CRC). Eugène Thomas le suivit chez les blanquistes.

La liste présentée par les socialistes aux élections municipales de Gentilly en mai 1896 était soutenue par l’Union des travailleurs socialistes révolutionnaires de l’arrondissement de Sceaux, groupe blanquiste de la banlieue sud. Il en alla de même pour la liste de janvier 1897. Eugène Thomas avait d’ailleurs des fonctions dans la nébuleuse des groupes blanquistes, il fut secrétaire du Comité de vigilance qui réunit plusieurs groupes locaux. En 1900, il fut délégué de sa circonscription au congrès socialiste de la salle Wagram, sous l’étiquette de la Fédération des groupes socialistes révolutionnaires (FSR, groupement lié au Parti socialiste révolutionnaire).

Au milieu des années 1890, il rencontra l’homme qui aura une influence majeure sur toute sa vie politique, Édouard Vaillant. Celui-ci avait plusieurs raisons de plaire à Eugène Thomas. Tout d’abord, c’était un ancien communard, or Eugène Thomas avait une véritable vénération pour la Commune, qu’il célébrait chaque année en mars, ensuite, Édouard Vaillant attachait une grande importance à l’action municipale concrète de l’hygiénisme. Au conseil municipal de Paris, il intervenait en faveur des dispensaires, de la lutte contre l’alcoolisme et la misère physiologique, des boulangeries et des boucheries municipales. Au Kremlin-Bicêtre, ce furent ces idées qu’ Eugène Thomas tenta de faire passer dans les faits. Eugène Thomas appréciait aussi particulièrement Marcel Sembat, « vaillantiste » et franc-maçon.

De son action à la tête de la commune, le fait le plus connu fut sa politique anticléricale.

En 1897, deux arrêtés interdirent toute manifestation religieuse sur la voie publique et la laïcisation des services fut rapide et totale. Par la suite, Eugène Thomas continua de manière déterminée la lutte contre la « peste cléricale » (article d’Eugène Thomas dans le journal L’Action socialiste du 18 septembre 1897). Courant 1899, le conseil émit un vœu tendant à la suppression du budget des cultes, dont le montant aurait pu être consacré à la Caisse de retraites des vieux travailleurs, et un autre tendant à faire appliquer le décret de dissolution des congrégations non autorisées, dont les biens auraient pu faire retour à la nation et servir « à l’installation de maisons de retraite pour les vieux travailleurs et les infirmes civils » (délibération du conseil municipal).

Eugène Thomas fréquentait ou admirait des militants de la libre pensée, comme Clovis Hugues ou Marcel Sembat. Ce fut dans une atmosphère alourdie par un fait divers local, le procès d’un ecclésiastique « bien connu dans [la] commune et qui est poursuivi pour outrage à la pudeur et détournement de mineurs », que le conseil municipal prit, le 7 septembre 1900, une « délibération tendant à interdire le port du costume ecclésiastique dans la commune » et invitant le maire « à prendre immédiatement un arrêté » à ce propos. Ce fut chose faite le 10 septembre.

Par cet arrêté, Eugène Thomas gagna une notoriété dépassant de beaucoup la commune. Mais début octobre, le préfet de police l’annula et l’effervescence ne tarda pas à retomber.

Il fut élu conseiller général du canton de Villejuif le 14 février 1897, réélu le 20 mai 1900 et le 29 mai 1904. Georges Gérard prit sa relève politique.

Dans la courte nécrologie qu’il lui consacra (en février 1919), le journal l’Humanité signala son engagement, pendant toute la guerre, en faveur du ravitaillement et de l’amélioration des conditions de vie de la population de la banlieue parisienne.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article73504, notice THOMAS Eugène [THOMAS Désiré, Eugène] par Annie Jeammet, version mise en ligne le 24 août 2009, dernière modification le 22 novembre 2022.

Par Annie Jeammet

SOURCES : Arch. mun. Kremlin-Bicêtre. — Comptes rendus des congrès socialistes. — La Bataille, 11, 12 et 14 février 1919. — Annie Jeammet, La vie municipale au Kremlin-Bicêtre : de la naissance de la commune au milieu des années 20, mémoire de maïtrise, 2005. — Notes de Jean Gaumont.

ICONOGRAPHIE : Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes III, op. cit., p. 200. Justinien Raymond

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