HAGNAUER Roger, Samuel dit HAIRIUS

Par Jean Maitron avec des apports de Jacques Girault

Né le 1er juillet 1901 à Paris (XIe arr.), mort le 11 janvier 1986 à Meudon (Hauts-de-Seine) ; instituteur puis professeur d’enseignement général des collèges ; militant syndicaliste.

Roger Hagnauer naquit de grands-parents alsaciens ayant opté pour la France en 1871. Le grand-père maternel avait accompli sept ans de service militaire dont deux au Mexique. Garde mobile en 1871, il mourut en 1910 à l’âge de soixante-dix ans, frappé de congestion. Le grand-père paternel vécut avec sa femme et ses six enfants dans un taudis de la rue Oberkampf, (XIe arr.). Ébéniste, il mourut en 1917 après avoir été paralysé pendant près de dix ans. Juifs alsaciens, ses deux grands-pères étaient très attachés aux traditions juives mais professaient un patriotisme alsacien revanchard et intransigeant.

Le père de Roger Hagnauer, devenu petit employé, eut cinq enfants dont l’un mourut en bas âge ; Roger était le quatrième, René Hagnauer étant né avant lui. Le père souffrait beaucoup d’avoir quitté l’école à onze ans. Autodidacte, admirateur passionné de Victor Hugo, il fut converti au socialisme par un ancien Communard qui fut conseiller municipal de Paris. La scolarité de Roger Hagnauer se prolongea pendant la Première Guerre mondiale à l’école primaire supérieure Turgot mais son père mourut de maladie en octobre 1914 et Roger Hagnauer dut chercher un travail salarié après le baccalauréat obtenu en 1918. Effectuant des suppléances d’instituteur de 1919 à 1922, obtenant après une interruption une suppléance à Bondy en octobre 1921, titularisé en janvier 1923, il ne put reprendre ses cours à la Sorbonne qu’après son mariage avec Yvonne Even (voir Yvonne Hagnauer), le 28 décembre 1925 ; le couple n’eut pas d’enfants. Il obtint le certificat d’Histoire moderne et contemporaine. Après la mort de son père, Roger continua à lire l’Humanité mais l’abandonna en 1916 pour Le Journal du Peuple et adhéra aux Jeunesses républicaines du IIIe arrondissement qu’il « noyauta avec quelques camarades » selon son expression. Exclu de ce groupe en 1921, il fonda avec des amis le premier groupe parisien de Clarté, dont il fut le premier secrétaire, et eut l’honneur, avec les secrétaires des autres groupes, d’être invité à déjeuner chez Henri Barbusse. Parallèlement, il travaillait à la Librairie du Travail avec Marcel Hasfeld.

Le 1er janvier 1920, Roger Hagnauer adhéra au Parti socialiste SFIO. Il était déjà membre du Comité de la Troisième Internationale et, avec un autre « turgotin », Henri Fulconis, mort tuberculeux en 1931, il n’avait adhéré au Parti socialiste que pour y militer en faveur de l’Internationale de Moscou. Depuis novembre 1919 quand il obtint son premier poste de suppléant, il était syndiqué à la Fédération de l’Enseignement, l’ancienne Fédération nationale des Syndicats d’instituteurs qui luttait dans la CGT au sein de la minorité zimmerwaldienne, d’abord avec Albert Bourderon et Alphonse Merrheim puis avec Pierre Monatte et Alfred Rosmer dont il partagea les positions exprimées dans La Vie ouvrière. Il militait alors surtout au sein de la onzième section du Parti communiste, aux Jeunesses communistes et à la gauche du Parti communiste groupée, pour « redresser » le Parti autour de Boris Souvarine, d’Alfred Rosmer, d’Albert Treint, et il assista, à titre d’auditeur, au IIe congrès du Parti tenu à Paris du 15 au 20 octobre 1922. En outre, il participait en 1921-1922 en liaison avec Marcel Raguier et Marcel Martinet à la campagne qui se développait parmi les communistes pour s’opposer à l’incorporation des enfants dans les pupilles communistes et « leur utilisation scandaleuse dans la propagande la plus grossière ».

Incorporé le 1er novembre 1922 au 167e régiment d’infanterie à Wiesbaden (Rhénanie) puis au 8e de la même arme le 10 avril suivant dans le Taunus, Roger Hagnauer fut nommé caporal le 15 juillet 1923. L’occupation de la Ruhr ayant été décidée, les Jeunesses communistes engagèrent, avec les communistes allemands, une action dite de fraternisation. Des militants des Jeunesses dont Robert Lozeray, frère du futur député communiste, assurèrent la liaison avec les jeunes communistes ou sympathisants du contingent. Il y avait un indicateur dans le Bureau politique des Jeunesses. Robert fut arrêté portant sur lui la liste de tous les soldats qu’il devait rencontrer. Tous furent arrêtés et emprisonnés à la prison militaire de Mayence en novembre 1923. Roger resta au secret pendant deux mois et, dans ces conditions, il apprit, par le "veilleur" de sa cellule, la mort de Lénine, le 21 janvier 1924. Le secret levé, il partagea la cellule d’Albert Lemire jusqu’en mai 1924. Le mois suivant, l’affaire se termina par un non-lieu et Roger Hagnauer fut renvoyé dans ses foyers le 31 octobre.

Après sa libération, Roger Hagnauer se joignit à l’opposition communiste de Boris Souvarine, Pierre Monatte, Alfred Rosmer, Fernand Loriot, Magdeleine et Maurice Paz. Cependant, instituteur au Bourget, il rejoignit sa cellule communiste et participa, en 1925, à des réunions publiques contre la guerre du Maroc. Mais, depuis cette époque, sa vie militante fut liée à celle de La Révolution prolétarienne et de la Ligue syndicaliste et elle s’exerça essentiellement au sein des syndicats. Ayant collaboré publiquement au Bulletin communiste de Souvarine et à La Révolution prolétarienne, signé la lettre dite des 250 à l’Internationale communiste en octobre 1925, il fut exclu de sa cellule, portant le numéro 471, exclusion ratifiée par le Comité central le 7 janvier 1926. Il fit partie alors du « noyau de La Révolution prolétarienne ».

Dès lors, Roger Hagnauer n’eut qu’une activité syndicale avec comme objectif militant unique la défense de l’indépendance du syndicalisme vis-à-vis des partis politiques.

Secrétaire adjoint du syndicat unitaire des membres de l’enseignement de la Seine en 1925 tout en étant aussi membre du Syndicat national (SN) affilié à la CGT, Roger Hagnauer appartenait à la fraction syndicale opposée aux militants communistes. Il démissionna de ses responsabilités en 1926 mais resta membre du syndicat unitaire. Délégué à ses congrès nationaux en 1925 (Paris) et en 1927 (Tours), il intervint au nom de la minorité pour défendre la motion contre « la direction unique du Parti et des syndicats », motion rédigée par Marthe Bigot et inspirée par Fernand Loriot. En 1927, il réussit à faire voter par la section syndicale du Syndicat national la motion d’unité Paris-État-Rive droite. La bolchevisation du syndicat unitaire l’obligea à abandonner la CGTU. En 1929, la majorité fédérale Bouët, Dommanget, Bernard, s’opposa à la direction de la CGTU.

Roger Hagnauer intervint en 1929 pour la première fois au congrès du Syndicat national sur la question de l’aménagement du SN dans la CGT et il soutint la thèse que la fédération d’industrie, c’était la Fédération de l’Enseignement et non la Fédération des Fonctionnaires. Dans la section de la Seine du SN, Hagnauer entra au conseil syndical en 1926 comme représentant du groupe de jeunes. Animateur de la commission d’éducation sociale en 1928, il participa à son bureau et le 21 décembre 1929, il était nommé secrétaire adjoint de la section de la Seine du SN. En 1930, il devint secrétaire de rédaction du bulletin de la Seine du SN qu’il transforma bientôt en École du Grand Paris. Il conserva cette responsabilité jusqu’en 1937. Sur le plan professionnel, intéressé par l’Éducation nouvelle, il organisait « systématiquement des classes promenades » et « dans toutes les classes le système des délégués élus ».

En décembre 1930, Roger Hagnauer fit partie du Comité pour l’unité syndicale dit Comité des 22 (voir Chambelland Maurice) et fut appelé à ce titre à assurer de nombreuses réunions à Paris et en province. En 1931, 1933, 1935, il fut délégué aux congrès de la CGT.

Au sein du SN, Roger Hagnauer travailla avec ses amis de la Loire, de l’Indre, du Finistère et du Morbihan, à la formation d’une gauche au nom de laquelle il intervint dans tous les congrès en 1930, 1931, 1932, 1933, 1934. Il assuma dans sa section syndicale, des responsabilités importantes lors de tous les mouvements et particulièrement lors de la grève du 12 février 1934. Il la représentait en 1934-1935 au comité général de l’Union des syndicats de la région parisienne. Il prit la parole au nom des partisans de l’indépendance syndical aux congrès d’unité de l’union des syndicats parisiens en décembre 1935 et au congrès confédéral d’unité de la CGT de Toulouse en avril 1936.

En 1935, l’unité dans la Seine-Seine-et-Oise se réalisa dans l’enseignement et Roger Hagnauer présenta dans une assemblée extraordinaire à la Bourse du Travail les statuts du Syndicat unifié de la Région parisienne avant d’en être élu secrétaire général, responsabilité qu’il assura jusqu’en 1939. Il fut élu par le conseil national du nouveau Syndicat national des instituteurs, en décembre 1935, membre de son bureau national. En octobre 1937, il remplaça René Vivès au secrétariat de la Commission d’éducation sociale du Syndicat national des instituteurs. Sans jamais interrompre ses cours sauf une dizaine de jours en juin 1936 pour intervenir comme délégué syndical dans les entreprises en grève, la plupart de ses jours de congé furent pris, dès le second trimestre de l’année scolaire, par des délégations auprès des sections syndicales de province. Depuis 1935, il collaborait régulièrement à L’École Libératrice. Comme représentant du personnel, il fut, à partir de 1935, membre de la commission ministérielle des congés de longue durée et des retraites proportionnelles pour maladies incurables. Il entra en relations avec les sections syndicales des sanatoria de Sainte-Feyre et de Saint-Jean-d’Aulph. Proche collaborateur du secrétaire général du SNI André Delmas, il anima l’action de la majorité contre la guerre et pour l’indépendance du syndicalisme qui s’exprimait aussi dans l’hebdomadaire Syndicats. Il défendit les positions du SNI sur les questions internationales au congrès de la Fédération des Fonctionnaires en avril 1939. Outre ses délégations syndicales, il participa à de nombreux meetings à Paris et en province avec les « Combattants de la Paix » ou le « Comité contre les procès de Moscou ». Il a donné de nombreux articles dans La Révolution prolétarienne, Le Cri du Peuple, L’École Libératrice, La Solidarité antifasciste, etc.

Secrétaire de la Commission d’éducation sociale, Roger Hagnauer présenta, au nom du bureau, le rapport sur ces questions sociales aux congrès de 1938 et 1939. À ce titre, il intervint aux conseils et congrès de la Fédération générale de l’Enseignement et de la Fédération des fonctionnaires. Lorsque la CGT lança contre les décrets-lois Paul Reynaud, la grève du 30 novembre 1938, le SNI, en dépit de nombreuses défaillances, fut certainement, avec celui des postiers, le syndicat des services publics qui obtint le plus de succès, relatif toutefois, en cette journée. En 1939, Roger Hagnauer participa au dernier congrès de l’avant-guerre à Montrouge, juillet 1939, et y présenta un rapport.

Roger Hagnauer représentait le SNI, en 1937, à la commission exécutive de l’union des syndicats CGT de la Région Parisienne dominée par les militants communistes (16 sur 25). Dans un rapport envoyé à Moscou, il était qualifié de « trotskysant ». Il démissionna de la CE en 1938 « pour protester contre la nouvelle colonisation stalinienne de la CGT ».

Déjà mobilisé, Roger Hagnauer, avec son épouse, signa en septembre 1939 le tract « Paix immédiate » de Lecoin. Nommé dans un cours complémentaire de Paris pour la rentrée de 1939, il fut révoqué peu après sans y avoir enseigné. Lors de la débâcle de mai-juin 1940, il fut fait prisonnier puis fut libéré pour cause sanitaire en novembre 1940. Sans travail, il entra au Secours national comme employé subalterne aux appointements de 350 F par mois puis devint « chef de groupe ». En 1941, il fonda avec sa femme Yvonne la Maison d’enfants de Sèvres qui accueillit et sauva nombre d’enfants juifs et quelques adultes, désignés par des noms d’oiseaux comme pseudonymes (pour le couple Hagnauer, Pingouin et Goéland). Ses liens avec le Secours national, qui lui furent violemment reprochés par les communistes, lui servaient de couverture.

Quand se posa la question de la reconstitution du bureau national du SNI à la Libération, Roger Hagnauer fut mis en accusation en 1944 par les syndicalistes communistes Paul Delanoue, rédacteur en chef de L’École Libératrice clandestine et Jean Roulon, rédacteur en chef de L’École laïque, membre du comité directeur de reconstruction du SNI. Après explication de Hagnauer, il fut établi qu’il avait été suspendu ainsi que sa femme pour avoir signé l’appel de Lecoin. En 1943, Roger Hagnauer se réfugia dans les environs de Clermont-Ferrand et fut convoqué par René Bonissel à la réunion clandestine du bureau du SNI le 30 décembre 1943. Un jury d’honneur institué par décision de la Fédération de l’éducation nationale le 12 novembre 1949 et constitué le 23 janvier 1950, conclut finalement dans sa séance du 20 mai 1950, à l’unanimité des présents, « que les pièces versées au dossier par l’accusation ne sont pas concluantes et qu’il n’y a donc pas lieu de retenir les accusations portées contre ce camarade » (Hagnauer).

Tout en étant militant du SNI, Roger Hagnauer, signataire de la motion favorable au courant « Force ouvrière » en 1949, fut entre 1950 et 1953 secrétaire adjoint de la Fédération FO de l’Éducation nationale et secrétaire de l’Union des syndicats FO de la région parisienne pendant la même période. Pour la préparation du congrès du SNI de 1952, il publia, dans L’École libératrice du 27 juin, avec 8 autres militants, connus pour leur proximité avec le courant « Force ouvrière » un texte dit d’« orientation syndicale » préconisant la recherche prioritaire de l’unité « dans l’indépendance absolue du mouvement syndical ». Quand la décision d’interdire la double affiliation intervint, il choisit de rester uniquement membre du SNI.

Roger Hagnauer continua sa collaboration à La Révolution prolétarienne dont il fut le gérant de 1955 à 1965, approuvant notamment sa lutte contre le colonialisme. Il republia en 1956 le texte de la Charte d’Amiens dans une brochure qui connut deux éditions. Il collabora aussi à de nombreux journaux et revues libertaires et fut membre de la Commission internationale de liaison ouvrière fondée par Louis Mercier.

Roger Hagnauer reprit son enseignement en cours complémentaire à partir de 1948 et devint professeur d’enseignement général jusqu’en 1964. Conseiller pédagogique de 1964 à 1967, il enseignait parallèlement à l’Association philotechnique à partir de 1964. Il terminant sa carrière comme documentaliste à l’école normale d’instituteurs de Paris (rue Molitor) où il avait été nommé en 1968. Retraité, syndiqué, il habitait alors le grand ensemble de Meudon-la-Forêt. Il termina un manuscrit autobiographique pour les Éditions de la Tête des Feuilles qui ne fut pas édité après la disparition de l’éditeur. En raison de son rôle pour protéger les enfants juifs pendant la guerre, avec son épouse reconnue comme « Juste parmi les nations », il était considéré aussi comme « Juste » selon les termes de Luc Bentz, secrétaire de la section du SNI-PEGC de Paris lors de ses obsèques.

Remarquable orateur de meetings et bon connaisseur de l’histoire du mouvement ouvrier, Roger Hagnauer n’en a pas moins été souvent un militant ombrageux et irritable et ce caractère, joint à un antistalinisme intransigeant, entraînèrent parfois des heurts qui expliquèrent les rapports difficiles et conflictuels qu’il eut parfois avec ses camarades de lutte.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article73792, notice HAGNAUER Roger, Samuel dit HAIRIUS par Jean Maitron avec des apports de Jacques Girault, version mise en ligne le 4 septembre 2009, dernière modification le 12 octobre 2022.

Par Jean Maitron avec des apports de Jacques Girault

Iconographie fournie par Marie-Hélène Agnès @ Les enfants de Goëland et Pingouin

ŒUVRE : Outre la brochure non datée [1956], supplément de La Révolution prolétarienne, Le syndicalisme vivant. L’Actualité de la Charte d’Amiens,
-  Les joies et les fruits de la lecture, Paris, Éditions ouvrières, 1960,
-  L’expression écrite et orale : au temps du stylo et du micro, Paris, Éditions ouvrières, 1961,
-  Des mots et des idées, défense et vulgarisation de la langue française Paris, Éditions ouvrières, 1968,
-  À propos des activités d’éveil : comptes rendus d’expériences, Paris, Éditions de l’École, 1970,
-  Deux jeunes Parisiens en l’année du premier métro, Paris, Éditions de l’École, 1973,
Et en collaboration avec Yvonne Hagnauer, des recueils de textes choisis, dans la collection Folio-Thèmes, chez Colin-Gallimard,
-  À bicyclette, 1976,
-  C’est la fête, 1977.
et avec Georges Onclinex, Lycios à Olympie, Paris, École des Loisirs, 1972.
Chronique de l’entre-deux-guerres : histoire de la revue Révolution prolétarienne 1925-1939, dactyl. (un ex. au CEDIAS).

SOURCES : RGASPI, 517 1 1871. — DBMOF, notice par Jean Maitron. — Presse syndicale. — Notes de R. Hagnauer. — Renseignements fournis en 1976 par l’intéressé à Jacques Girault. — Notes de Luc Bentz et de Marianne Enckell. — La Révolution prolétarienne, n° 672, 1er trimestre 1986. — Jean-Pierre Le Crom, Au secours Maréchal ! L’instrumentalisation de l’humanitaire (1940-1944), PUF, 2013. — Michel Leclerc, Goéland, Pingouin et leurs 500 petits, documentaire de 1h49, 2021 (comptes rendus, le 3 novembre 2021, dans le Monde par Murielle Joudet, et dans l’Humanité par Vincent Ostria).

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