Par André Balent
Né le 24 septembre 1909 à Gallargues-le-Montueux (Gard) ; mort le 23 janvier 1998 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; militaire, boulanger, représentant en vins, marchand ambulant ; militant communiste ; volontaire des Brigades internationales ; résistant dans la région parisienne puis dans les Pyrénées-Orientales (MOI, AGE).
Le père d’Émile, André Sabatier, était né à Aigues-Mortes (Gard), le 25 janvier 1888. Sa mère, Louise Lerdat, née à Saint-Gilles (Gard) le 4 novembre 1890, épousa André Sabatier à Arles (Bouches-du-Rhône) le 3 janvier 1914. À cette occasion, André Sabatier reconnut son fils. Sa mère, infirmière volontaire aux armées, fut tuée alors qu’Émile était âgé de six ans. Son père, mobilisé, fut tué en 1918 à frontière franco-belge. Il fut mal accepté par la famille de son père, des bourgeois de Saint-Gilles, de droite. Émile Sabatier eut une enfance difficile. Élevé d’abord par sa grand-mère d’origine italienne et par son oncle Louis, ingénieur au PLM, homme de gauche très engagé, qui fut arrêté en 1920 pour avoir participé à la grève des cheminots et condamné à quatre ans de prison, Émile Sabatier fut ensuite placé à l’Assistance publique et fut scolarisé aux enfants de troupe. Engagé volontaire pour cinq ans le 10 août 1929, puis ultérieurement rengagé, il fut affecté au 19e régiment de Tirailleurs sénégalais. Embarqué à Marseille dès le 29 août 1929, il débarqua à Beyrouth. Il resta au Levant jusqu’au 26 décembre 1936, revenant en métropole pour des congés de fin de campagne. Le 16 septembre 1933, il fut affecté au 24e Régiment de Tirailleurs sénégalais, une unité perpignanaise qui participait aux opérations militaires en Syrie.
Il épousa Olga Chelhott à Alep (Syrie) le 19 août 1933. Un fils naquit de cette union et, après avoir vécu en Syrie, ils s’installèrent au Liban. Émile Sabatier et Olga Chelhott divorcèrent à la suite d’un jugement prononcé par le tribunal de grande instance de Perpignan rendu le 20 décembre 1970, alors qu’ils étaient séparés depuis longtemps. En effet, Émile Sabatier connut Olga Chelhott à Alep en 1932. Les fiançailles durèrent un an car il attendit d’être promu sergent avant de l’épouser. Deux enfants naquirent de cette union : André, né le 20 juin 1934 à Perpignan qui se maria à Damas en 1956 et qui eut cinq enfants ; et Marie-Thérèse, Marcelle née le 19 juin 1936 à Damas (Syrie), mariée à Damas en 1969 avec Joseph Moussali, mère de deux enfants. Ayant quitté la Syrie pour sa démobilisation, il s’est rendu peu après en Espagne, alors qu’il avait promis à sa femme de revenir en Syrie. S’il continua quelque temps à envoyer des lettres "à sa petite épouse chérie", il ne donna plus ensuite de signe de vie à sa famille syrienne. Olga Chelhott fit des démarches auprès de l’ambassade de France à Damas afin de reprendre contact avec lui, mais il refusa toujours de donner son adresse en France, n’oubliant pas, cependant, de demander des extraits de naissance de sa fille Marcelle. Il lui était en effet difficile de reprendre contact avec sa famille syrienne car il avait, entre temps, fondé une nouvelle famille avec une autre épouse. En effet, le 26 novembre 1971, il épousa à Perpignan Angèle Mora Boix (14 février 1915-4 septembre 2001) qu’il avait connue pendant la guerre civile espagnole. Institutrice, militante du PCE, elle était infirmière pendant la Guerre civile. Elle soigna Émile Sabatier, après qu’il eut été blessé au combat. Ils se marièrent à Puertollano (province de Ciudad Real) le 14 octobre 1938. Angèle Mora, emprisonnée après la victoire des franquistes ne put sauver sa tête que parce qu’elle était l’épouse d’un Français. Libérée en 1941, elle put rejoindre son mari à Perpignan. Après la Libération, Sabatier fut condamné à un an de prison pour « bigamie ». La procédure de 1970 permit la régularisation de sa situation matrimoniale. Quatre enfants naquirent de son union avec Angèle Mora : Joseph, Albert, Dolorès et Angèle. Le fils d’Angèle, Éric Duran, fils de Dolorès est (2008) secrétaire de mairie. Étudiant en histoire, il a soutenu une maîtrise sous la direction de Raymond Huard sur l’action clandestine des militants du PCE dans les Pyrénées-Orientales.
À l’occasion d’un congé de fin campagne (23 septembre 1933-23 mars 1934), Émile Sabatier vécut à Paris. Ce fut à ce moment-là qu’il adhéra au PC. Bien qu’étant toujours militaire, il fit aussi plusieurs petits boulots. Il fut boulanger puis représentant en vins à Bercy. Sportif, il pratiquait la boxe. Il partit en Espagne peu après sa démobilisation, en décembre 1936, et intégra les Brigades Internationales le 20 février 1937. Il servit à la 14e BI. Il appartint aussi à la 1re compagnie du 20e bataillon international de la 86e Brigade espagnole, à une compagnie de dépôt à la base (27 août 1937), au quartier général d’Albacete (3 octobre 1937). Il fut blessé trois fois : à Cordoue le 13 avril 1937 (jambe gauche), à Peñaroya (province de Cordoue) le 18 juillet 1937 (genou droit), à Cuesta de la Reina le 16 octobre 1937 (bras droit). Nommé capitaine le 19 avril 1937, il devint commandant le 21 janvier 1939. À la tête d’un bataillon, il fut blessé à Caspe (province de Saragosse, Aragon) et évacué à Valence alors que s’effondrait le front d’Aragon et que l’Espagne républicaine était partagée en deux. Il exerça un commandement dans une brigade espagnole (la 86e) de la zone « Centre » ce qui lui permit de connaître de près des anarchistes et de les apprécier à leur juste valeur. Au début de 1939, il quitta Valence dans la zone « Centre Sud » pour gagner Barcelone par la voie maritime. À la fin de la guerre, en Catalogne, il était l’un des officiers de la 11e BI composée essentiellement d’Allemands et d’Autrichiens. Cela signifie que, contrairement à la majorité des interbrigadistes originaires des pays démocratiques, rapatriés dès octobre 1938, il combattit jusqu’à la fin dans les rangs républicains et fut, en janvier-février 1939, pris dans le maelström de la Retirada. Enfermé d’abord, avec ses compagnons de combat, dans le camp d’Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), il fut transféré ensuite au camp disciplinaire établi au Château Royal de Collioure (Pyrénées-Orientales) dont il fut le seul Français (il y avait 49 Français parmi les 3 036 interbrigadistes détenus à Argelès le 7 mars 1939). Émile Sabatier qui s’était fait passer pour un Espagnol ne resta à Collioure que quelques jours avant d’être transféré à Gurs (Basses-Pyrénées). Rappelé aux armées lors de la mobilisation générale de 2 septembre 1939, son service connut une « interruption » du 11 décembre 1939 au 10 mars 1940, ainsi que le précise sa fiche du registre matricule du Gard. Le 11 mars 1940, il embarqua pour la Tunisie dans le cadre de son activité militaire, en fait, aussi, pour des raisons « disciplinaires ». Il fut officiellement démobilisé le 14 octobre 1940 (registre matricule). Mais, selon son témoignage, il se serait « échappé » et gagna Paris où il intégra la MOI. Il vint en zone libre à la fin de 1941. Toujours affecté à la MOI, il intégra les guérilleros espagnols (GE).
Émile Sabatier participa à la Résistance dans les Pyrénées-Orientales. Depuis Perpignan, il avait établi des liens avec le Haut Vallespir. Il participa d’abord aux activités du réseau de passages vers l’Espagne formé à Saint-Laurent-de-Cerdans animés par des résistants de droite ou modérés comme l’abbé Jean-Baptiste Bousquet ou l’industriel Jean Neyrolles. Mais, les Espagnols, des Républicains intégrés dans le 427e GTE (Groupement de travailleurs étrangers) qui travaillaient dans les forêts du Haut Vallespir formèrent le 1er bataillon de la 1re Brigade – Pyrénées-Orientales – du XIVe Corps de GE (devenu AGE – Agrupación de Guerrilleros Españoles – commandée par Luis Fernández et Juan Blázquez). En 1944, il était dans le massif du Canigou, parmi les guérilleros de l’AGE : connu désormais comme le « commandant Dédé » (en fait, capitaine des GE, officier d’état major de la 1re Brigade des GE), il assura la liaison entre les Guerrilleros de l’AGE et la Résistance française. Il fut, au printemps et jusqu’en août 1944, parmi les Guerrilleros (une centaine d’hommes issus des GTE, occupés à des travaux forestiers en Vallespir et dans les Albères ou à la mine de fer de Batère, sur le versant vallespirien du Canigou) placés sous le commandement de Rafael Gandia (« Martín »). Au mois de juillet 1944, la 1re Brigade des GE, renforcée par des éléments en provenance de l’Aude, de la Savoie, des Bouches-du-Rhône était en étroite liaison avec le maquis « Henri Barbusse » des FTPF (Voir Julien Panchot) replié, lui aussi dans le massif du Canigou. Ensemble GE et FTPF, occupèrent Prades pendant quelques heures, le 29 juillet : Émile Sabatier prit part à la direction de cette audacieuse opération. On expliqua longtemps que ce fut en représailles à cette attaque que les forces allemandes et la Milice attaquèrent le village de Valmanya, le brûlèrent et tuèrent quatre habitants qui n’avaient pu s’enfuir à temps dans la montagne. Mais, de fait, cet assaut du maquis de Valmanya s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie allemande, d’ampleur régionale, de la région toulousaine, à la basse vallée du Rhône. GE et FTPF, combattirent ensemble et se replièrent, tout en faisant le coup de feu. Avec Rafael Gandia, Émile Sabatier prit le commandement des opérations, regroupant les hommes des deux formations sur la crête séparant les versants vallespirien et conflentais du massif du Canigou après la mort de Julien Panchot blessé au combat puis achevé par les Allemands, et couvrant la retraite de ceux qui les rejoignaient.
Émile Sabatier, considéré aussi comme capitaine des FFI, demeura cependant dans les GE. À l’automne 1944, il participa à l’opération « Reconquête de l’Espagne » menée par les GE et l’UNE dans les Pyrénées centrales, au Val d’Aran, et qui se solda par un cuisant échec.
Après la Seconde Guerre mondiale, Émile Sabatier vécut dans les Pyrénées-Orientales. Il s’établit à son compte à Perpignan comme marchand ambulant de lait qu’il vendait en ville et dans une partie des Pyrénées-Orientales. On lui demanda d’intégrer la Légion étrangère pour le corps expéditionnaire d’Indochine. Il refusa et fut cassé de son grade de capitaine des FFI.
Il ne cessa de militer activement au PCF auquel il adhéra jusqu’à sa mort, sans, toutefois, exercer des fonctions dirigeantes. Il était membre de l’AVER. La police le surveillait étroitement car il était en liaison étroite avec le PCE, interdit en France, ainsi que le PSUC, en 1950 avec le déclenchement de l’opération « Boléro-Paprika ». Elle le soupçonnait non seulement de participer au soutien logistique de la lutte des maquis antifranquistes mais de participer à la préparation d’un coup d’État en Espagne. Il faisait donc partie, même si les accusations policières étaient parfois exagérées, d’un appareil clandestin de liaison entre le PCF et le PCE.
À sa mort, il était toujours domicilié à Perpignan, 3 rue Voltaire, au cœur de la vieille ville historique. Les urnes contenant ses cendres et celles de son épouse furent ultérieurement déposées au pied du col de la Manrella (commune de Maureillas-Las Illas, Pyrénées-Orientales) haut lieu de la Retirada de 1939. Une plaque a été posée à Las Illas, près d’un des monuments commémorant l’exil espagnol de 1939.
Par André Balent
SOURCES : Arch. Com. Gallargues, état civil. — Arch. Com. Perpignan, état civil. — Arch. AVER. — Arch. privées Balent, ordre de bataille des FFI des Pyrénées-Orientales, 1er Brigade des GE, liste des officiers, feuillets dactylographiés, 1944. — Arch. privées de Dolorès Duran, née Sabatier, en particulier l’extrait du registre matricule (Arch. Dép. Gard). — Notice DBMOF. — Patrice Bellet, « J’étais un brigadiste », Le Journal du dimanche, 21 juillet 1996, d’après une interview d’Émile Sabatier. — Ramon Gual, Jean Larrieu, Vichy, l’occupation nazie et la résistance catalane, II b : De la Résistance à la Libération, Prades, Terra Nostra, 1998, p. 727. — Roland Monells, Nicolas Sanchez, dirigeants départementaux du PCF, notices nécrologiques d’Émile Sabatier, Le Travailleur Catalan, Perpignan, 30 janvier 1998. — Ferran Sánchez Agustí, Espías, contrabando, maquis y evasión. La II Guerra Mundial en los Pirineos, Lérida, Milenio, 2003, p. 84. — Georges Sentis, Les communistes et la Résistance dans les Pyrénées-Orientales, t. 2 : Le difficile combat vers la libération nationale. Novembre 1942-août 1944, Lille, Marxisme régions, p. 114, 117-118. — Rémy Skoutelsky, L’espoir guidait leurs pas. Les volontaires français dans les Brigades internationales, 1936-1939, Paris, Grasset, 1998, p. 215, 231-232, 310. — Grégory Tuban, Les séquestrés de Collioure. Un camp disciplinaire au Château royal en 1939, Perpignan, Mare Nostrum, 2003, p. 52, 147. — Entretien téléphonique avec Éric Duran, petit-fils de l’intéressé, secrétaire de la mairie d’Olette-Évol, 25 février 2008. — Entretien avec Dolorès Duran, fille de l’intéressé, Villeneuve-de-la-Raho, 4 avril 2008. — Courriel de Marcelle Sabatier, épouse Moussali, fille d’André Sabatier, 8 août 2018.