HÉRARD Lucien

Par Pierre Lévêque, Jean Maitron

Né le 18 octobre 1898 à Moulins (Allier), mort le 4 novembre 1993 (lieu et date de décès non mentionnés dans les registres d’état civil) ; professeur ; militant syndicaliste de la Fédération unitaire de l’enseignement puis de la FGE ; militant communiste puis socialiste du Doubs et de la Côte-d’Or.

Lucien Hérard était issu d’un milieu familial prolétarien : son grand-père paternel était journalier en Côte-d’Or, et son grand-père maternel mineur dans l’Allier. Son père, Louis, René Hérard, chef cuisinier, vint s’installer à l’hôtel du Lion d’or à Château-Chinon (Nièvre), et sa mère, née Adélaîde Berthet, était femme de chambre. Il ne reçut de sa famille aucune formation politique.

Après l’école primaire supérieure de Château-Chinon, il fut élève-maître à l’École normale d’instituteurs de Dijon (Côte-d’Or) de 1914 à 1917, puis fut mobilisé d’avril 1917 à octobre 1919. Durant la guerre qu’il termina au grade de sergent, souvent malade, s’imposa à lui l’idée d’un changement profond et indispensable de l’ordre social. Surveillant à l’école normale pendant un an (1919-1920), il prépara le professorat à la faculté des lettres de Dijon où il subit l’influence d’Albert Mathiez pour lequel il éprouva une grande admiration.

Après s’être marié le 31 juillet 1920 à Digoin avec Anne Seguin, avec laquelle il eut une fille, il fut nommé professeur de lettres et économe à l’École normale de Commercy (Meuse) à la rentrée 1920, mais ne termina pas l’année scolaire, car remobilisé d’avril à juillet 1921. Il fut alors affecté à l’EPS de Besançon (Doubs) où il exerça de 1921 à 1934. Hérard milita alors activement à la Fédération unitaire de l’enseignement dans la section des professeurs du second et troisième degré et fut administrateur de L’Université syndicaliste dès le premier numéro en janvier 1928, dont Georges Cogniot était secrétaire de rédaction.

Il devint secrétaire du syndicat unitaire de l’enseignement du Doubs, en octobre 1929, secrétaire de la commission de propagande de l’enseignement du Doubs avec Charles Fabrizi, secrétaire général de l’Enseignement laïque vers 1928, assisté de François Bernard secrétaire corporatif, R. Joly trésorier), et membre du conseil fédéral et secrétaire adjoint de l’Internationale des travailleurs de l’enseignement ; il garda souvenir de l’atmosphère de camaraderie agissante qui régnait dans ce syndicat.
Il milita également à l’association syndicale des fonctionnaires des EPS, et fut élu comme candidat "isolé" à la CA en 1926. Il appela alors à la constitution d’une "opposition syndicaliste", mais fut peu actif, ne participant pas aux réunions de la CA, ni au congrès de 1927 où la direction fut fortement critiquée. Il pratiqua quelque temps la double appartenance à l’association syndicale, désormais affiliée à la CGT, et à la fédération unitaire (CGTU). Mais, convaincu de l’inutilité de la lutte pour faire évoluer les orientations de cette "association syndicale" issue de l’amicalisme, il ne se représenta pas en 1929, mais obtint quelques voix spontanées."

Sur le plan politique, Lucien Hérard avait adhéré au Parti communiste SFIC en 1921 et fut responsable de l’Agit-Prop. du Centre est avec Maurice Tréand en 1927. Il fut candidat aux élections municipales de Besançon en 1925 sur la liste communiste. Secrétaire de la Fédération communiste du Doubs, il dirigea jusqu’en 1925, en fait Le Semeur, hebdomadaire interfédéral de l’Est imprimé à Belfort, puis à Besançon.

En désaccord avec la direction du Parti sur le « centralisme démocratique » et sur les sanctions prises contre Trotsky et les trotskystes, il fut exclu en octobre ou novembre 1927. Le 29 mai 1932, à Belfort, il assista à la conférence régionale des exclus (voir Paul Rassinier) et participa alors à la formation de la Fédération communiste indépendante de l’Est qui, avec son petit journal, Le Travailleur, exerça une certaine influence dans la région de Montbéliard-Valentigney, mais disparut rapidement. Lucien Hérard, qui démissionna en janvier 1934 (voir Le Travailleur, 10 janvier), refusa de se rallier aussi bien au trotskysme qu’au « communisme démocratique » de Boris Souvarine et il organisa, à Besançon, en 1934, un groupe de défense antifasciste dont il fut le secrétaire et qui préfigurait le Front populaire. Selon un rapport à la direction du Parti communiste, en février 1934, il « a semblé se rapprocher de nous, a aidé à constituer le Comité antifasciste où, généralement, il était d’accord avec nos conclusions ». Il fut condamné par le tribunal correctionnel deux fois, dont une fois, le 24 juillet 1934, à des peines d’amendes pour participation à des incidents et coups et blessures avec les Jeunesses patriotes ou pour collage d’affiches.

Divorcé, il se remaria le 24 décembre 1934 à Besançon (Doubs) avec Jeanne, Madeleine Bernard, traductrice d’anglais, qui avait un enfant. Il indiquait alors avoir eu deux enfants. Dans les années 1980, il vivait avec Françoise Colin, avec qui il écrivit des ouvrages gastronomiques.

Il fut nommé en octobre 1934 professeur à l’EPS, devenue pendant la guerre collège moderne et technique de Dijon. Il devint secrétaire départemental de la Fédération générale de l’enseignement. Il prit contact avec la Bourse du Travail et adhéra au Parti socialiste SFIO à la fin de l’année 1934. Frappé par le « réformisme » et « l’électoralisme » de la Fédération de la Côte-d’Or, il organisa très rapidement avec l’aide de sa femme un petit groupe de militants publiant un bulletin polycopié L’Effort socialiste et syndicaliste, visant surtout à intéresser davantage les socialistes aux luttes syndicales. Il prit contact avec Marceau Pivert et organisa en Côte-d’Or la tendance « Gauche révolutionnaire » dont il diffusa le Bulletin à l’intérieur du Parti. Participant à beaucoup de réunions publiques à Dijon et hors de Dijon, il parvint à rallier à sa tendance, par son influence personnelle plus que par une véritable diffusion de l’idéologie de la GR, une forte minorité de la Fédération. En 1936 et 1937, il fut appelé à siéger à la CAP du Parti SFIO comme représentant de la Gauche révolutionnaire.

À la même époque, Hérard fonda à Dijon le Groupe d’études socialistes, qui organisa une quarantaine de conférences, devant une soixantaine d’auditeurs réguliers : effort de vulgarisation marxiste s’appuyant notamment sur Plekhanov, Rosa Luxembourg, etc. Il dirigea également, à la Bourse, le Collège du travail pour l’éducation ouvrière et la promotion du travail.

Très réticent devant le Front populaire car il soupçonnait le Parti communiste de chercher avant tout à « plumer la volaille » socialiste, Lucien Hérard participa néanmoins aux réunions publiques tenues à cette époque, mais il fut sans doute, parmi les dirigeants locaux du Parti socialiste SFIO, celui dont les relations avec le Parti communiste furent les moins bonnes et il soutint de nombreuses polémiques avec l’hebdomadaire communiste local Le Travailleur. Il joua cependant un grand rôle dans le mouvement syndical de l’époque et dans le syndicalisme des milieux ouvriers employés de Dijon. Il tenait la chronique « La vie syndicale » dans la publication de la fédération socialiste.

En juin 1938, au congrès du Parti socialiste SFIO de Royan, il fut le porte-parole de l’opposition de gauche. Il était peu favorable à la scission, vu la place importante conquise par la Gauche révolutionnaire dans le Parti mais il y fut poussé par ses camarades de la Fédération de la Seine et par sa femme qui, très convaincue, n’aurait pas admis de rester au Parti socialiste SFIO. Il contribua alors à la formation du PSOP, se prononça en faveur de son maintien au Front populaire lors de la conférence constitutive et essaya d’implanter le nouveau Parti en Côte-d’Or, où la dissidence aurait affecté une quinzaine de sections et 300 à 400 membres, en majorité ouvriers, sur environ 2 500 que comptait la Fédération. Ce qu’il envisageait, c’était de créer un courant socialiste révolutionnaire, mais sans intention d’unité avec le Parti communiste. De tendance pacifiste, redoutant que la guerre n’entraînât le triomphe du stalinisme, il approuva la politique de Munich mais participa à la grève du 30 novembre 1938. Membre de l’association des « Amis de l’Espagne républicaine », d’abord partisan de l’intervention, mais convaincu par Léon Blum de son impossibilité, il reçut chez lui beaucoup de réfugiés espagnols, notamment des membres du Parti socialiste et du POUM après qu’une filière fut organisée des camps du Midi vers Dijon.

Mobilisé de février à juillet 1940, poursuivi dès mai-juin 1939, comme secrétaire fédéral du PSOP alors qu’il avait déjà démissionné de ce poste, pour un tract pacifiste saisi à Cherbourg (Manche), défendu en avril-mai 1940 devant le tribunal de Cherbourg par Maître Gaston Gérard, avocat à Dijon, il fut relaxé. Le préfet, le 26 novembre 1940 demanda au secrétaire d’État à l’Instruction publique de prendre des « mesures sévères » à l’encontre de quatre enseignants syndicalistes, dont Hérard.

Lucien Hérard ne prit pas rang dans la Résistance mais, avec sa femme, aida à sauver des Juifs. Arrêté à deux reprises, il fut relâché dans l’été 1944. Il fut hostile à l’épuration du Parti telle qu’elle fut pratiquée par Daniel Mayer, réadhéra au Parti socialiste SFIO vers 1950 mais n’eut plus d’activité politique ; il participa encore à Dijon à l’action de l’Union rationaliste.
Professeur à l’Ecole normale d’instituteurs de Dijon de 1946 à 1959, Hérard devint ensuite directeur du Service du baccalauréat.

Hérard collabora à la presse régionale, donnant des billets au Courrier picard puis au Télégramme de Brest et à La Dépêche de Toulouse. Il participa à la création du Normalien dijonnais en 1952 puis de La Lettre de Bourgogne en 1975 qu’il dirigea jusqu’en 1993. En outre, il présida le Prix Bourgogne à partir de 1960 et organisa le cours international de vacances de l’Université de Dijon de 1961 à 1968. Membre du Comité régional des affaires culturelles en 1973, il entra au Comité économique et social de la région en 1975 et présida l’Académie de Dijon de1969 à 1972. Diverses manifestations célébrèrent après son décès l’action de ce « militant de l’identité bourguignonne ». Mosco, dans son film pour la télévision Mémoires d’Ex, enregistra son témoignage (1991). Son nom fut donné à une allée de Dijon.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75164, notice HÉRARD Lucien par Pierre Lévêque, Jean Maitron, version mise en ligne le 9 novembre 2009, dernière modification le 5 juillet 2022.

Par Pierre Lévêque, Jean Maitron

ŒUVRE :
- Reflets de nos enfances, Dijon, chez l’auteur, 1969, réédité, Précy-sous-Thil, Éd. de L’Armançon, 1991. — Étoiles et fourchettes, Dijon, 1970. — Avec Colin (Françoise), Recueil de la gastronomie bourguignonne, Ingersheim, SAEP, 1981, Les Meilleures recettes bourguignonnes, Ingersheim, SAEP, 1982, réédité à Rennes, Ouest France, 1984, Meilleures recettes de la Franche-Comté, Rennes, Ouest-France, 1996
Divers textes de Lucien Hérard, dans Voutey (Maurice), Lucien Hérard, Précy-sous-Thil, Éd. de l’Armançon, 1994
– « L’identité du socialisme français : Léon Blum et les "Révolutionnaires du Parti socialiste" », Cahiers Léon Blum, n° 17-18, 1985

SOURCES : Arch. Nat. F7/13749, F17 27110. — RGASPI, 517, 1, 1874. — Arch. Comité national du PCF, microfilm 231, 9 mai 1927. — Le Travailleur, 1932 et 1934. — Le Socialiste côte d’orien, 1935-1939. — Interview de Lucien Hérard par P. Lévêque en 1961. — Philippe Poirrier, “ Lucien Hérard. Du syndicaliste enseignant au médiateur culturel. L’engagement à l’échelle d’une vie ”, Les Cahiers, ADIAMOS, Chenôve, 2e semestre 2000. — Notes de Jacques Girault. — Lucien Hérard participa, en 1991, au film de Mosco Boucault, Mémoire d’ex avec Jules Fourrier et Adrien Langumier. — Claude Cuenot, Ouvriers et mouvement ouvrier dans le Doubs de la Première Guerre mondiale au début des années 1950, Besançon, Presses universitaire de France-Comté, 2020. — Loïc Le Bars, "La naissance de l’Université syndicaliste" Points de repères (IRHSES) n° 25, mars 2001, p. 43-46. — Notes d’Alain Dalançon et Hervé Le Fiblec.

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