BEVIN Ernest

Né le 7 mars 1881 à Winsford, Somerset ; mort le 14 avril 1951 à Londres ; dirigeant syndicaliste et homme d’État travailliste.

Enfant illégitime, Ernest Bevin, est venu au monde dans un milieu rural très pauvre. Tandis que son père est resté totalement inconnu, sa mère, Mercy Bevin, qui avait eu sept enfants (Ernest était le dernier et le sixième fils) et qui élevait seule sa famille, est morte quand l’enfant avait huit ans. Ernest est alors recueilli par sa demi-sœur. À treize ans, il part pour Bristol où il travaille successivement comme garçon de cuisine, livreur et enfin receveur de tramway.

Elevé dans la religion non-conformiste et très pieux, Bevin fréquente un des temples baptistes de Bristol et devient prédicateur dans la ville et les villages environnants. Dès son plus jeune âge, il avait manifesté une véritable passion d’apprendre et il adorait la discussion. L’ardent milieu non-conformiste de Bristol, avec ses idées sociales avancées répond tout à fait à ce besoin.

Après 1900 cependant la religion cède peu à peu la place dans ses préoccupations à la politique. Bevin s’inscrit alors à la société socialiste de Bristol, affiliée elle-même à la Social Democratic Federation. Devenu en 1908 secrétaire bénévole, sur le plan local, du « comité pour le droit au travail » (les années 1908-1909 sont des années de chômage massif à travers tout le pays), il entre en contact pour la première fois avec le monde des dockers : en effet, ayant mis sur pied en 1910 une organisation syndicale pour les charretiers, il en obtient le rattachement au syndicat des dockers, le Dock, Wharf, Riverside and General Workers’ Union, dirigé par Ben Tillett*. Lui-même en est nommé président. Au printemps de 1911, Bevin décide d’abandonner son métier de camionneur-livreur pour se consacrer au syndicalisme : il entre comme permanent au syndicat des dockers, le Dockers’ Union. En 1913, il est appelé au bureau national et à la mort d’Harry Orbell en mars 1914, il devient l’un des trois « organisateurs nationaux ».

Au cours de la Première guerre mondiale, Bevin adopte une attitude de compromis (« middle of the road »). S’il récuse avec vigueur le pacifisme de l’Independent Labour Party, il n’est pas pour autant un partisan inconditionnel de la guerre : ainsi il s’oppose fortement aussi bien à la conscription qu’à l’entrée des travaillistes au gouvernement d’union sacrée de Lloyd George, en décembre 1916. D’ailleurs il se méfie intensément de Lloyd George.

C’est en 1915 que Bevin est mandaté pour la première fois comme délégué à la conférence annuelle du Trades Union Congress. La même année, il se rend aux États-Unis pour participer au congrès annuel de l’American Federation of Labor. Il refuse en 1917, une situation de conseiller du travail auprès du gouvernement. En juin 1917, il assiste à la fameuse Convention de Leeds où est proposée l’institution de conseils de travailleurs et de soldats dans tout le pays, mais lui-même est hostile à cette idée.

Pendant toute la guerre et jusqu’en 1920, Bevin poursuit sa tâche d’organisateur (national organiser) de la Dockers’ Union, mais à ce stade il n’est pas encore une personnalité très connue dans le monde du travail. Et quand il se présente aux élections en décembre 1918 à Bristol-centre comme candidat Labour, il est battu. En revanche, en mai 1920, il est choisi comme secrétaire général adjoint de son syndicat, et c’est alors qu’il devient célèbre. Deux épisodes en effet le projettent au premier plan de l’actualité. D’abord sa brillante défense des dockers devant le « Comité Shaw » chargé d’enquêter sur les conditions de salaire et de travail des dockers (son intervention lui vaut le surnom de « Dockers’ KC » — c’est-à-dire King’s Counsel ou avocat de la couronne). Ensuite le rôle qu’il joue dans le « conseil d’action » (Council of Action) organisé par les ouvriers pour s’opposer à une intervention militaire de la Grande-Bretagne contre l’Union Soviétique.

Au cours des années qui suivent la guerre, Bevin acquiert une stature de plus en plus considérable dans le mouvement ouvrier. Il s’intéresse à la fois aux problèmes de la structuration des syndicats et aux questions de tactique et de stratégie. Lors du fameux « vendredi noir » (15 avril 1921) qui assure le triomphe des chefs modérés des trade unions, il vote avec les cheminots contre les mineurs — une décision qu’il n’a jamais reniée par la suite. Au plan des structures syndicales, c’est essentiellement l’action de Bevin qui aboutit entre 1920 et 1923, à la formation du syndicat géant, le Transport and General Workers’ Union (TGWU), grâce à la fusion d’une série de trade unions en un syndicat unique (encore aujourd’hui, le TGWU demeure la plus puissante fédération syndicale de Grande-Bretagne).

Tout au long des années 1920 le rôle personnel de Bevin et son influence politique ne cessent de croître dans le monde syndical. Au moment de la grève générale en 1926, Bevin approuve l’attitude du bureau du T.U.C. qui cherche à négocier. Pour sa part, il est convaincu que le Memorandum Samuel proposé aux mineurs représente, pour ceux-ci, la meilleure chance qui leur soit offerte pour régler de manière définitive leurs problèmes. Après l’échec de la grève générale, Bevin prend position en faveur des conversations Mond-Turner pour l’amélioration des relations industrielles.

Dans la mesure où il avait un sens aigu du pouvoir de la presse, il s’est intéressé de près au cours de cette période au destin du Daily Herald. Lorsque vers la fm des années 1920, le quotidien travailliste commence à voir son tirage diminuer et à perdre de l’argent, c’est Bevin qui se charge de faire aboutir les négociations compliquées conduites avec le représentant d’Odhams Press, J.S. Elias : l’affaire est menée à bien, tandis que Odhams Press prend en charge le Daily Herald, celui-ci garde toute sa liberté sur le plan politique. Le premier numéro du nouveau Daily Herald peut ainsi paraître le 15 mars 1930. C’est Bevin également qui prend l’initiative de faire appel aux sections locales du Labour Party pour aider le lancement du journal nouvelle manière. Trois ans plus tard, en juin 1933, le Daily Herald sera le premier quotidien britannique à dépasser le chiffre de deux millions d’exemplaires vendus.

De 1929 à 1931 Bevin fait partie du comité sur les Finances et l’Industrie présidé par Lord Macmillan. C’est là qu’il fait la connaissance de Keynes, qui siège lui aussi au comité. Cela lui permet de se familiariser avec les problèmes économiques et monétaires et surtout de s’initier aux thèses keynésiennes sur le plein emploi. Bevin est également membre du conseil consultatif sur les questions économiques (Economic Advisory Council) que Ramsay MacDonald* a mis sur pied en janvier 1930. Bevin rencontre là Keynes, Tawney*, Cole* (Citrine* et lui-même représentent les trade unions). On espérait alors — Bevin était du nombre — que le conseil servirait à guider la politique économique du gouvernement travailliste. Malheureusement il n’en fut pas ainsi, en particulier à cause de l’orthodoxie financière et monétaire de Snowden*, le chancelier de l’Échiquier.

Lors du fiasco du deuxième gouvernement travailliste en août 1931, quand MacDonald choisit de former un gouvernement d’union nationale avec les conservateurs, Bevin est de ceux qui dénoncent sans pitié la « trahison » du Premier ministre. À l’automne, au moment des élections provoquées par le nouveau gouvernement, Bevin, cédant à la pression d’Henderson* et d’autres leaders travaillistes, surmonte sa répugnance et se présente comme candidat travailliste à Gateshead, mais il essuie une défaite complète.

Pendant les années 1930, si Bevin se tient en retrait sur le plan politique, il apparaît comme la personnalité numéro un du syndicalisme britannique. Avec Walter Citrine, le secrétaire du TUC, il règne sur les congrès annuels du TUC. Au lendemain de la crise de 1931, il avait collaboré pendant quelque temps avec G.D.H. Cole au sein de la société d’information et de propagande socialiste (Society for Socialist Inquiry and Propaganda) ; d’autre part il avait été à l’origine du lancement d’un nouvel hebdomadaire, le New Clarion (celui-ci n’aura en fait que deux années d’existence, de 1932 à 1934). Mais de plus en plus Bevin s’écarte des intellectuels du parti, entrant en conflit notamment avec Cripps* et la Socialist League. Pour lui les intellectuels sont des êtres irresponsables, auxquels on ne saurait se fier. Il leur oppose les trade unions, bastion fidèle et stable du mouvement travailliste. Il n’y a que les communistes à être encore plus mal traités que les intellectuels par Bevin. Celui-ci tout au long des années 1930 combat farouchement toutes les campagnes pour l’unité d’action et pour le front populaire.

Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, alors que le Labour doit affronter le double problème de la sécurité collective et du réarmement face à un gouvernement conservateur, Bevin n’hésite pas une minute à soutenir la politique de réarmement afin de barrer la route aux fascismes. Au congrès annuel du parti travailliste en 1935, il attaque durement le pacifisme de Lansbury* et fait approuver par le congrès la politique de sanctions contre l’Italie. En 1936-1937, Bevin préside le TUC tandis que Hugh Dalton* préside le comité exécutif du Labour Party. Sous ces influences conjuguées les travaillistes révisent peu à peu leurs positions en matière de politique étrangère et de défense, ce qui les amène finalement à soutenir le programme de réarmement du gouvernement conservateur.

Pendant la « drôle de guerre », Bevin ne prend aucune part aux affaires. Par contre, lorsque Churchill devient Premier ministre, Bevin accepte le portefeuille du Travail. Il réussit pleinement à ce poste qu’il détient jusqu’au mois de mai 1945. En plus du rôle décisif qu’il est appelé à jouer dans l’organisation de l’effort de guerre et dans la mobilisation industrielle, Bevin participe activement aux délibérations et aux décisions du Cabinet de guerre.

Bevin sort ainsi de la guerre avec une très forte réputation. Il est devenu l’une des deux ou trois personnalités de premier plan du travaillisme. Aussi est-il nommé ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement travailliste dirigé par Attlee*. Bientôt la tension entre l’U.R.S.S. et les pays de l’Ouest dégénère en guerre froide. Pour sa part, Bevin adopte une ligne très ferme : vigoureusement opposé à la Russie stalinienne, il s’applique à renforcer l’alliance avec les États-Unis. Cette action lui vaut de vives attaques de la part de la gauche travailliste qui lui reproche à la fois son antisoviétisme et sa trop grande allégeance envers Washington.

En mars 1951, en raison de la rapide détérioration de sa santé, Bevin doit démissionner (C’est Morrison* qui le remplace au Foreign Office). Il meurt un mois plus tard, âgé de soixante-dix ans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75318, notice BEVIN Ernest, version mise en ligne le 12 décembre 2009, dernière modification le 12 décembre 2009.

ŒUVRE : (en collaboration avec G.D.H. Cole) The Crisis. What it is : how it arose : What to do (La Crise), Londres, 1931. — The Job to be done (Le travail devant nous), Londres, 1942.

BIBLIOGRAPHIE : T. Evans, Bevin, Londres, 1946. — F. Williams, Ernest Bevin : portrait of a great Englishman, Londres, 1952. — A. Bullock, The Life and Times of Ernest Bevin, vol. 1 : 1881-1940, Londres, 1960 ; vol. 2 : 1940-1945, Londres, 1967. — A. Shlaim, P. Jones et K. Sainsbury, British Foreign Secretaries since 1945, Newton Abbot, 1977. — Dictionary of National Biography, 1951-1960.

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