Par Cédric Boissière (revu et complété ; octobre 2011)
Né le 20 octobre 1858 à Londres ; mort le 24 janvier 1943 à Londres ; syndicaliste, député socialiste puis libéral, membre du gouvernement et historien.
Originaire des quartiers populaires du sud de Londres (Lambeth), seizième enfant d’un ajusteur et d’une lavandière, John Burns vécut ses premières années dans une cave de Battersea. Éduqué quelque temps dans une école caritative de l’Église anglicane, il la quitta à dix ans, mais continua à suivre des cours du soir et à lire, principalement des textes politiques radicaux.
Après avoir exercé divers petits métiers, il commença à quatorze ans son apprentissage de mécanicien. Il rencontra alors Victor Delahaye, communard exilé à Londres, qui lui fit connaître le socialisme et la social-démocratie. En 1878, il fut arrêté pour la première fois, pour avoir tenu un meeting politique malgré son interdiction par les autorités. Devenu mécanicien, Burns adhéra immédiatement au syndicat de sa profession (Amalgamated Society of Engineers). Il partit travailler pendant un an en Afrique occidentale. Il y découvrit les méfaits de l’impérialisme. De retour à Londres, il s’installa à Battersea et épousa Charlotte Gale avec qui il eut un fils. Excellent orateur, il militait à ses moments de liberté dans les trade unions et les mouvements politiques avancés. Burns fut ainsi l’un des premiers ouvriers à adhérer à la Social Democratic Federation de Henry Hyndman, dirigée principalement par des membres des classes moyennes.
Lorsque William Morris et d’autres dirigeants se séparèrent de la SDF, en décembre 1884, pour fonder la Socialist League, Burns, demeura aux côtés de Hyndman et entra au comité exécutif du mouvement. En 1885, il fut l’un des trois candidats de la SDF aux élections législatives. Sous l’étiquette social-démocrate, il se présenta à Nottingham-Ouest. Il fut alors impliqué, avec les deux autres candidats SDF, dans le « scandale de l’or tory ». Maltman Barry, ancien militant de l’Association internationale des travailleurs, mais devenu agent électoral du parti conservateur, avait participé au financement de la campagne des candidats SDF. L’idée tory avait été de diviser les votes anti-conservateurs. Il semblerait cependant que Burns n’ait pas, contrairement aux deux autres candidats SDF, reçu de ce financement.
En parallèle, il participa aux grandes manifestations organisées à Londres pour défendre la liberté d’expression et réclamer une amélioration des conditions de vie et de travail des ouvriers. Cette agitation lui valut de comparaître par deux fois en justice. En 1886, après avoir brisé les vitres de clubs privés et appelé à piller des boulangeries, il fut jugé pour conspiration et sédition, avec Hyndman, Champion et « Jack » Williams. Ils furent tous acquittés. Burns y gagna son surnom, lié à sa plaidoirie, de « Man with the Red Flag » (l’homme au drapeau rouge). L’année suivante, à la suite de la grande manifestation du 13 novembre 1887 (Bloody Sunday), Burns fut condamné, en même temps que le député R. B. Cunninghame Graham, à six semaines de prison pour son rôle dans l’« émeute ». La Law and Liberty League d’Annie Besant et William Thomas Stead fut créée en partie pour assumer sa défense. Il la rejoignit dès sa libération.
À partir de 1888-1889 il fut en mesure de se consacrer exclusivement à ses activités politiques et syndicales grâce au soutien financier qu’il reçut des organisations ouvrières de Battersea, quartier prolétaire de Londres qui constitua sa base pour des années.
Il se fit définitivement connaître nationalement grâce à la grande grève des dockers de Londres au cours de l’été 1889. Il en prit la tête avec deux autres ouvriers Ben Tillett et Tom Mann. Cependant, sa modération, contrastant avec son attitude extrême des années précédentes lui valut une reconnaissance politique qui dépassait la gauche socialiste.
En 1889, il fut le premier élu de gauche au London County Council (le conseil municipal de Londres récemment créé). Ses électeurs se cotisèrent afin qu’il disposât d’une « indemnité parlementaire » de 2 livres par semaine et donc siéger et faire son travail. Il obtint en 1892 que les contrats municipaux ne fussent accordés qu’à des entreprises qui respectaient les droits syndicaux et qui payaient des salaires décents (donc le minimum syndical). En fait, c’était mettre en place un véritable soutien d’une institution publique aux trade unions. Il fut aussi en 1903 à l’origine des premiers logements sociaux de la capitale. Entre-temps, en 1892, il fut élu député pour Battersea. Burns était l’un des trois socialistes à entrer aux Communes. Les deux autres élus étaient John Keir Hardie, le fondateur de l’Independent Labour Party et J. Havelock Wilson, président de la National Union of Seamen.
Très vite cependant, Burns commença à évoluer sur le plan politique. Au Parlement, il déclina d’emblée toute alliance avec Keir Hardie et en 1893 il se sépara de la Social Democratic Federation. Lorsque la même année fut fondé l’Independent Labour Party (ILP), Burns refusa d’y adhérer. Il conservait des idées avancées : nationalisation du sol, des mines et des chemins de fer, journée de huit heures, Home Rule (autonomie politique de l’Irlande dans le cadre britannique), suffrage universel masculin et féminin ou accroissement des pouvoirs des autorités locales. Cependant, il considérait qu’une alliance avec les radicaux, l’aile gauche du parti libéral était nécessaire pour les faire passer.
Aux élections de 1895, alors que Keir Hardie était battu, John Burns fut réélu pour Battersea. Il était alors le seul député ouvrier indépendant aux Communes, bien qu’en fait il se rapprochait de plus en plus du parti libéral, tout en réaffirmant son pacifisme, comme au moment de la guerre des Boers. Sa position à Battersea était si forte qu’il fut réélu sans peine en 1900 et en 1906. Il entra dans le gouvernement libéral en décembre 1905, le premier ouvrier à atteindre ce niveau. Burns occupa le poste important de ministre du Gouvernement local (President of the Local Government Board). Il le conserva jusqu’au début de 1914, quand il reçut le portefeuille du Commerce (President of the Board of Trade).
L’entrée de Burns au gouvernement en 1905 fut considérée comme la première d’une longue série de trahisons de ses idéaux et de ses amis socialistes et travaillistes. Beatrice Webb fut une de ses critiques les plus acerbes, le présentant comme un réactionnaire inefficace et vaniteux. Il n’était pas exempt de défauts, comme sa volonté de tout contrôler jusqu’au moindre détail, ni de préjugés puisque, opposé à l’alcool, au tabac et au jeu, il considérait qu’il y avait une part de responsabilité individuelle dans la pauvreté. Certains de ses projets de loi échouèrent par manque de préparation. Cependant, il sut, avec le Housing and Town Planning Act de 1909, élargir au pays le concept de logements sociaux, mis en place à Londres. Le bilan de son action administrative fut aussi positif. Il humanisa la New Poor Law de 1834, lutta contre la tuberculose ou la mortalité infantile.
Au moment de la déclaration de la guerre en 1914, Burns démissionna du gouvernement par pacifisme. Il quitta les Communes en 1918, car il était très opposé à Lloyd-George. Désormais à la retraite, pendant près de trente ans, disposant d’une pension que lui avait faite Andrew Carnegie, il se consacra à l’étude, collectionna les livres (qu’il légua au London County Council), et écrivit des ouvrages d’histoire de Londres.
Après avoir été gravement blessé lors d’un bombardement de la capitale britannique en 1941, il mourut de vieillesse deux ans plus tard.
Par Cédric Boissière (revu et complété ; octobre 2011)
ŒUVRE : The Man with the Red Flag… Speech at the Old Bailey, Londres, 1886. — Brains better than Bets or Beer, Londres, 1902. — Labour and Free Trade, Londres, 1903.
BIBLIOGRAPHIE : H.L. Smith et V. Nash, The Story of the Dockers’ Strike, Londres, T. F. Unwin, 1889. — A.P. Grubb, From Candle Factory to British Cabinet : The Life of the Right Honourable John Burns, PC, MP, Londres, E. Dalton, 1908. — J. Burgess, John Burns : the Rise and Progress of a Right Honourable, Glasgow, Reformer’s Bookstall, 1911. — G.D.H. Cole, John Burns, V. Gollancz ltd et Fabian Society, 1943. — B. Webb, Our Partnership, Londres, Longmans, Green, 1948 — W. Kent, Labour’s Lost Leader, Londres, Williams & Norgate, 1950. — M. Katanka (éd.), Radicals, Reformers and Socialists, Londres, C. Knight, 1973. — K.D. Brown, « London and the historical reputation of John Burns », The London Journal, vol. 2, n° 2, 1976 ; John Burns, Londres, Royal Historical Society, 1977. — K. D. Brown, ‘Burns, John Elliott (1858–1943)’, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004 ; online edn, May 2010.