CRAIG Edward Thomas

Par Notice revue et augmentée par Laurent Colantonio (septembre 2011)

Né le 4 août 1804 à Manchester ; mort le 15 décembre 1894 à Londres (Hammersmith) ; réformateur social, principal organisateur de la communauté owenienne de Ralahine (Irlande).

Sa longue vie a fait de Edward Thomas Craig un témoin de presque tout le XIXe siècle. Il a quinze ans lorsqu’il assiste au grand meeting radical et ouvrier de Saint Peter’s Fields à Manchester, le 16 août 1819, épisode entré dans l’histoire sous le nom de « massacre de Peterloo », en référence à la brutale répression de la milice (yeomanry) qui tire sur la foule pour disperser le rassemblement, causant la mort de 14 personnes. À la fin du siècle, il accueille avec enthousiasme le renouveau du socialisme sous la bannière de Henry Hyndman et William Morris. Jusqu’à son dernier souffle, il a gardé une âme de militant.

Edward Craig perd son père, Joseph, à l’âge de 4 ans. Il est élevé par ses grands-parents paternels dans le Lancashire jusqu’au décès de sa grand-mère en 1815. Il retourne alors à Manchester, dans la famille très puritaine de sa mère, Elizabeth. Dans le souvenir de Craig, ses grands-parents maternels, des calvinistes strictes, « considéraient les livres scientifiques comme des instruments de Satan, [qu’il était] obligé de lire en cachette, la nuit » (Craig, The First Example…).

Il apprend d’abord le métier de coupeur de futaine, puis complète sa formation à l’Institut des arts et métiers de Manchester (Manchester Mechanics’ Institute), où il intègre la première promotion en 1825. Gros lecteur, il découvre avec enthousiasme les idées coopératistes dans le rapport rédigé par Robert Owen sur l’expérience menée à New Lanark, en Ecosse. Vers 1828, il s’engage dans l’organisation d’une société coopératiste (The Utility Society) à Salford, au nord-ouest de Manchester. Les réunions se tiennent chez le père de Mary Bottomley, qui deviendra sa femme en 1833. L’Utility Society est à l’origine de la création d’un institut de formation pour les travailleurs, le Salford Sunday School and Social Institute. En 1830, il devient président de la Société coopératiste de Manchester et l’année suivante, il contribue à l’organisation du premier congrès du mouvement coopératiste britannique, qui se tient à Manchester, les 26 et 27 mai 1831. Entre juin et septembre 1831, il fait paraître plusieurs journaux et brochures dans le nord de l’Angleterre, notamment le Lancashire Co-operator.

Au cours de l’été 1831, fort de sa réputation, il est approché par John Scott Vandeleur, un propriétaire irlandais qui souhaite établir une communauté owenienne sur ses terres à Ralahine, dans le comté de Clare. Vandeleur lui propose de s’occuper de la mise en œuvre du projet et de l’organisation de la communauté. Craig relève le défi et prend le bateau pour l’Irlande dès la fin du mois d’août. Dans l’esprit de Vandeleur, réputé être un landlord dur avec ses tenanciers, l’expérience coopératiste de Ralahine est surtout envisagée comme un moyen de calmer le mécontentement de ses paysans en leur proposant un programme de réforme assorti d’une nouvelle organisation sociale plus séduisante. Sous l’égide de Craig, la commune voit officiellement le jour le 7 novembre 1831. Elle est initialement composée de 27 célibataires (22 hommes et 5 femmes), 7 couples mariés, 12 enfants dont 7 orphelins. Elle s’étend sur 618 acres (soit environ 250 ha) et est dirigée par un comité de neuf membres, élu deux fois par an. Le terrain demeure la propriété de Vandeleur, qui continue de percevoir une rente annuelle de 700 livres. Pour les membres de la communauté, l’objectif est de constituer un « capital commun » utilisable, une fois les dépenses courantes honorées, pour subvenir aux besoins de chacun et améliorer la vie, matérielle et morale, au sein du groupe : aide aux plus âgés et aux malades, formation pour les adultes et éducation pour leurs enfants (dans une école dirigée par la femme de Craig), etc. Des règles écrites, prévues pour renforcer l’harmonie sociale, la justice et l’égalité, régissent la vie à Ralahine. L’alcool et le tabac sont proscrits, tout comme les jeux d’argent ; l’hygiène est une priorité (Craig est notamment à l’origine de l’installation d’un ingénieux système de « toilettes sèches », ash closet system, qui pourrait en partie expliquer l’absence du choléra à Ralahine, alors que la région alentour fut très touchée par l’épidémie de 1832). Les membres de la communauté travaillent beaucoup, 12 heures par jour en été et du lever au coucher du soleil l’hiver. Ils sont payés en « billets de travail » (labour notes) qui leur servent de monnaie d’échange dans les magasins coopératifs, où ils se fournissent en produits issus de la communauté. S’ils souhaitent faire des dépenses à l’extérieur, ils peuvent demander à changer des labour notes en livres sterling. Dans un premier temps, la commune fonctionne bien. Elle fait l’acquisition de machines neuves, notamment la première faucheuse active sur le sol irlandais. En outre, la communauté s’enrichit de 29 nouveaux membres. Robert Owen et William Thompson visitent Ralahine dans l’enthousiasme. Pourtant, à la fin de la même année, l’expérience est brusquement interrompue : Vandeleur, joueur invétéré, a beaucoup perdu dans les clubs dublinois ; ses terres ont été saisies pour payer les dettes, et la communauté, qui n’était protégée par aucune clause dans le contrat passé avec Vandeleur, est dissoute, au grand dam de Craig qui rentre en Angleterre. Des années plus tard, en 1882, Craig racontera l’histoire de la communauté owenienne de Ralahine dans The Irish Land and Labour Question Illustrated in the History of Ralahine and Co-operative Farming (Histoire de la communauté coopératiste de Ralahine).

Malgré cet échec, Craig reste fidèle aux théories oweniennes et au système coopératiste, qu’il considère toujours comme la forme d’organisation de la société la plus juste et la plus rationnelle. Après l’épisode de Ralahine, il se préoccupe beaucoup de pédagogie. À plusieurs reprises, il s’investit dans la création d’écoles expérimentales conformes à ses priorités en matière d’éducation. En 1834-1835, après un voyage en Europe, il s’occupe d’une école industrielle (industrial school) à Ealing Grove (Middlesex), où les travaux manuels et les apprentissages intellectuels sont pensés comme complémentaires, et où les châtiments corporels sont interdits. Il apporte aussi son aide et son soutien à la communauté owenienne de Manea Fen, installée dans le Norfolk (1838-41). À partir des années 1840, il enseigne dans des instituts ouvriers du Yorkshire (Rotherham and Mexborough Mechanics Institute) et délivre de nombreuses conférences à travers l’Angleterre, mais la seconde moitié de sa vie est d’abord consacrée au journalisme : à l’âge de soixante-quinze ans, il se flattera d’avoir été rédacteur en chef de six journaux différents, parmi lesquels le Brighton Times, le Leamington Adviser et l’Oxford University Herald.

Par ailleurs, Craig est passionné de phrénologie et de magnétisme animal ; à l’occasion, il mène ses propres expériences, qu’il décrit dans l’un de ses journaux, Annals of Mesmerism (Annales du mesmérisme). En 1888, il devient même président de la Société de phrénologie (Phrenological Society). Préoccupé de santé publique, il est en outre convaincu des vertus de la ventilation, de « l’air frais » et du régime végétarien et, vers la fin de sa vie, il publie un ouvrage qui vante les mérites des massages (The Science of Life). Personnage éclectique, Craig se distingue aussi comme « inventeur » : en 1873, il remporte notamment une médaille d’argent à l’Exposition de Cambridge (Working Classes’ Industrial Exhibition) pour avoir proposé le plus grand nombre d’inventions au cours de la manifestation (27 au total, parmi lesquelles les toilettes sèches et divers systèmes de ventilation, mais aussi la « baignoire portable pliable » ou le non moins énigmatique « pot de fleur convertible en issue de secours pour la famille »).

Cette multiplicité d’intérêts ne l’éloigne nullement des questions sociales et de la critique du capitalisme. Dans les années 1880, lorsque renaît le mouvement socialiste, Craig, désormais l’un des derniers coopératistes oweniens encore vivants, s’y investit aussitôt. En juin 1884, il organise avec quelques autres la section de Hammersmith – où il réside – de la Fédération Démocratique (Democratic Federation). Octogénaire et diminué par les séquelles d’une attaque d’apoplexie, Craig demeure actif : l’année qui précède sa mort, il participe à Bristol au congrès du mouvement coopératiste, où il prend encore la parole avec fougue. Il s’éteint dans sa maison baptisée « Ralahine Cottage », le 15 décembre 1894.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75381, notice CRAIG Edward Thomas par Notice revue et augmentée par Laurent Colantonio (septembre 2011), version mise en ligne le 12 décembre 2009, dernière modification le 19 février 2012.

Par Notice revue et augmentée par Laurent Colantonio (septembre 2011)

ŒUVRE : Work and Wages : or Capital, Currency and Production (Travail et salaires : ou le capital, l’argent, la production), Londres, [1865 ?]. — Ventilation and Drainage, Oxford, 1867. — The Irish Land and Labour Question illustrated in the History of Ralahine and Co-operative Farming, Londres, 1882. Adaptation fr. Par Marie Moret : Histoire de l’Association agricole de Ralahine, Saint-Quentin, 1882. — An Irish commune : the Experiment at Ralahine, County Clare, 1831–1833, Dublin, M. Lester, 1920 (adapté du précédent ouvrage) — The First Example of Profit Sharing and Home Rule, Hammersmith, 1892, 16 p. — The Science of Life, with the Philosophy and Economy of Self-Help in Massage, Londres, [1890 ?].

BIBLIOGRAPHIE : G.D.H. Cole, A Century of Co-operation, Manchester, Manchester University Press, 1945. — W.H.G. Armytage, Heavens Below. Utopian Experiments in England, 1560-1960, Londres, Routledge & Kegan, 1961. — R.G. Garnett, Co-operation and the Owenite Socialist Communities in Britain, 1825-1845, Manchester, Manchester University Press, 1972. — Cormac Ó Gráda, ‘The Owenite community at Ralahine, County Clare, 1831-33 : a reassessment’, em>International Review of Social History, i, 1974, p. 36–48. — P. Bolger, The Irish Co-operative Movemcnt : its history and development, Dublin, Institute of Public Administration, 1977. — J. Bellamy et J. Saville (éd.), Dictionary of Labour Biography, t. I, 1972. — David Lee, Ralahine. Land War and the Co-operative, Limerick, Bottom Dog, 1981. — Vincent Geoghegan, ‘Ralahine : an Irish Owenite community (1831–1833)’, International Review of Social History, xxxvi, n° 3, 1991, p. 377–411. — Fintan Lane, The Origins of Modern Irish Socialism, 1881–1896, Cork, Cork University Press, 1997. — Alun Evans, ‘E.T. Craig : proto-socialist, phrenologist and public health engineer’, International Journal of Epidemiology, vol. 37, n° 3, juin 2008, p. 490-505. — Michael Bevan, ‘Craig, Edward Thomas (1804–1894)’, in Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004, online edn, 2009. — Desmond McCabe, ‘Edward Thomas Craig’, in J. McGuire et J. Quinn (eds), Dictionary of Irish Biography, Cambridge, Cambridge University Press/Royal Irish Academy, 2009, vol. 2.

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