CRIPPS Stafford [CRIPPS Richard Stafford]

Né le 24 avril 1889 à Parmoor, Buckinghamshlre ; mort le 21 avril 1952 à Zurich, Suisse ; homme d’État travailliste.

Le futur Sir Stafford Cripps est né dans la maison de famille des Cripps à Parmoor près de Henley-on-Thames. Son père, éminent homme de loi, était issu d’une vieille famille conservatrice qui avait vécu pendant des générations dans les Costwolds, à Cirencester ; sa mère était une des huit filles Potter (la plus jeune est devenue Beatrice Webb*). C’est donc dans un milieu pénétré des préoccupations sociales et religieuses que fut élevé le jeune Stafîord. Cinquième enfant et quatrième fils de la famille, il perdit sa mère quand il avait quatre ans.

Envoyé comme pensionnaire dans la célèbre école de Winchester il y fait d’excellentes études secondaires. Il est ensuite admis brillamment à l’Université d’Oxford en vue d’étudier la chimie à New College. Mais c’est finalement l’Université de Londres qu’il choisit pour ses études supérieures sur les conseils d’un professeur de chimie, Sir William Ramsay, qui devient son maître à University College. Diplômé et bien que voyant s’ouvrir devant lui la perspective d’une brillante carrière scientifique, Stafîord Cripps entreprend des études de droit et accède au barreau en 1913.

Lorsque éclate la guerre de 1914, Cripps — à qui une santé fragile interdit d’être combattant — s’engage dans la Croix Rouge comme chauffeur. Il est ensuite appelé à travailler, comme chimiste, dans une usine de munitions. Vers la fin de la guerre, il commence à souffrir de douleurs intestinales, et sa santé se détériore irrémédiablement. Jamais il ne sera un être bien portant.

Retourné au barreau en 1919, Cripps acquiert en peu de temps une immense réputation, fondée à la fois sur une science juridique impressionnante et sur une clarté d’expression sans pareille. Nommé en 1926 « avocat du roi », King’s Counsel, titre accordé à un petit nombre d’avocats jouissant d’une grande notoriété au barreau de Londres, Cripps est le plus jeune K.C. de son temps. Il gagne alors très largement sa vie et se spécialise dans deux types d’affaires : les affaires constitutionnelles et les affaires commerciales.

C’est au cours de ces années que Cripps a commencé à élargir le champ de ses intérêts dans le domaine social et humanitaire, mais pour l’immédiat son activité reste centrée sur les œuvres sociales de l’Eglise d’Angleterre. Jusqu’à la fin de ses jours il demeurera un esprit profondément religieux. Sollicité par une organisation chrétienne internationale pour la paix, la World Alliance to promote international friendship through the Churches (Alliance mondiale pour l’entente internationale par l’intermédiaire des Eglises), il en est, de 1923 à 1929, le trésorier, en même temps qu’un fervent propagandiste.

Cependant le père de Stafîord Cripps (érigé au rang de pair sous le nom de Lord Parmoor), était entré dans la vie politique (l’on ne saurait trop insister sur l’influence qu’il a exercée sur son fils). Pacifiste pendant la guerre, il est nommé Lord président du Conseil privé à deux reprises : d’abord dans le gouvernement travailliste de 1924, puis à nouveau dans celui de 1929-1931. C’est en 1929 que finalement Stafïord Cripps décide d’adhérer à son tour au Labour Party. L’année suivante Ramsay Mac-Donald* l’appelle dans son gouvernement comme conseiller juridique de la couronne (Solicitor-General), — poste qui confère automatiquement au titulaire le titre de chevalier ; Cripps devient donc Sir Stafïord Cripps. Néanmoins, comme pour exercer une fonction gouvernementale il fallait être membre du Parlement, à la faveur d’une élection partielle, il est élu député de Bristol en janvier 1931.

Après la débâcle politique de 1931, tandis que MacDonald, Snowden* et J.H. Thomas* abandonnent le Parti travailliste pour former un gouvernement d’union avec les conservateurs et que le Labour Party essuie aux élections d’octobre 1931 une écrasante défaite, Stafïord Cripps — qui a réussi à conserver son siège à Bristol — s’affirme comme l’un des porte-parole les plus en vue de la gauche, dénonçant sans relâche la banqueroute du « gradualisme ».

En 1932, alors que l’Independent Labour Party se désaffilie du parti travailliste, Stafïord Cripps est au nombre des fondateurs de la Ligue socialiste (Socialist League). Celle-ci rassemble des socialistes de gauche qui, tout en reconnaissant au Labour Party un rôle irremplaçable comme instrument politique et expression des aspirations ouvrières, veulent en finir une fois pour toutes avec le « MacDonaldisme », pâle réformisme théorique et pratique qui avait dominé le travaillisme au cours des années 1920. La Socialist League, qui est formée en 1932 (juste avant le congrès du Parti travailliste qui se tient à Leicester cette année-là) se compose de deux groupes : le premier, dominé par Frank Wise*, réunit des militants de l’Independent Labour Party qui ont refusé de suivre leur parti au moment de la sécession d’avec le Labour ; le second est constitué des animateurs d’une organisation de propagande et d’action fondée par G.D.H. Cole* en 1930 sous le nom de Society for Socialist Inquiry and Propaganda (Société d’études et de propagande socialistes). Pendant plusieurs années la Ligue socialiste va être le creuset des espoirs de la gauche du Labour.

A la mort de Frank Wise en 1933, c’est Stafïord Cripps qui est porté à la présidence de la Ligue. Très vite son nom s’identifie avec le mouvement. D’ailleurs, de tous les leaders de la gauche travailliste c’est lui qui a le plus contribué à redonner au Labour un esprit de combativité. A ses côtés l’on peut citer aussi William Mellor* et Aneurin Bevan*, ce dernier devenant pour Cripps un ami autant qu’un allié politique. Pourtant on n’aurait pu imaginer deux hommes plus différents — que ce fût par le tempérament, l’origine sociale ou les goûts — que Cripps et Bevan, mais chacun avait su reconnaître en l’autre la même qualité rare d’intelligence et de droiture politique. D’une certaine manière Cripps a abordé la politique avec candeur. Il connaissait en effet à peine le mouvement travailliste lorsqu’il y est entré, et moins encore son histoire. Sa culture socialiste était restreinte et ses slogans marxistes dénotent des lectures mal assimilées. Malgré ces handicaps, Cripps est animé d’une telle passion et ses qualités d’énergie et de netteté contrastent tant avec la passivité de bien des leaders syndicaux ou politiques travaillistes que sa réputation n’a cessé de croître, tandis que la leur allait en déclinant. Certes, Cripps a commis nombre de fautes politiques et il s’est montré bien souvent impatient et intolérant, mais au total ses qualités l’ont emporté largement sur ses déficiences.

Pendant toute cette période — de la fondation de la Ligue socialiste à la guerre — Cripps s’est trouvé sans arrêt en conflit avec la direction officielle du parti travailliste : que ce soit à propos des menaces de guerre, du fascisme, de la guerre d’Espagne ou bien du chômage en Angleterre. Le reproche essentiel que la gauche adresse alors aux leaders du Labour, c’est que ceux-ci ou bien ne veulent pas ou bien ne peuvent pas mobiliser l’ensemble des forces ouvrières contre le gouvernement des Tories.

Avec quelques amis, Stafïord Cripps lance en janvier 1937 un nouvel hebdomadaire socialiste, Tribune, dont le rédacteur en chef est William Mellor. Font partie du conseil d’administration avec Cripps : A. Bevan, G. Strauss, E. Wilkinson*, H. Laski* et H.N. Brailsford*. C’est au même moment qu’est déclenchée la fameuse campagne pour l’unité d’action (Union Campaign) : tentative la plus ambitieuse qu’ait lancée la gauche en Grande-Bretagne pour revitaliser le mouvement ouvrier. Cette campagne réunit principalement trois forces : la Ligue socialiste (Socialist League), le Parti communiste (CPGB) et le Parti indépendant du travail (Independent Labour Party). A première vue les circonstances paraissaient favorables. La guerre d’Espagne était en train de secouer jusqu’au tréfonds le labour movement Le Left Book Club, lancé avec succès par Victor Gollancz*, Laski et John Strachey* au cours de l’été 1936, avait préparé les esprits à l’idée d’un front unifié. Cependant, au sein de la Socialist League, l’unanimité était loin d’exister en faveur du mot d’ordre d’unité. Surtout l’exécutif du Labour Party intervient avec autant de vigueur que de rapidité pour stopper le mouvement. Le 27 janvier 1937, la Ligue socialiste est expulsée du parti et en mars l’exécutif réaffirme sa volonté d’interdire aux militants la double appartenance au parti et à la ligue. Attitude qui amène le Socialist League à prononcer sa dissolution. Lors du congrès annuel travailliste au cours de l’été, la question, mise à l’ordre du jour, est à nouveau discutée. Mais la gauche, fortement minoritaire, est battue. Cela n’empêche pas son leader, Stafïord Cripps, d’être continuellement réélu par les militants au comité exécutif comme représentant des sections locales du parti (en face de lui ses deux principaux adversaires sont alors Dalton* et Bevin*).

L’année 1938 est dominée par les affaires extérieures : défaite des républicains espagnols et crise de Munich. Aussi Cripps, Bevan et leurs alliés consacrent-ils tous leurs efforts à essayer d’entraîner la direction du Labour dans la voie d’une action énergique. Le mouvement de Front populaire ayant réussi à s’étendre dans plusieurs régions du pays, Cripps en profite pour tenter de convaincre les dirigeants travaillistes que le moment est venu de développer une opposition très large de manière à imposer un changement de gouvernement. Mais accusé d’indiscipline pour avoir soutenu l’idée de Front populaire, Stafïord Cripps est exclu du parti par le comité exécutif le 25 janvier 1939. Après lui, c’est le tour de Bevan, de Strauss et de plusieurs autres représentants de la gauche : ayant refusé de se soumettre aux décisions de l’exécutif, ils subissent le même sort.

Peu après l’entrée en guerre de l’Angleterre en 1939, Stafford Cripps entreprend un grand voyage qui le conduit en Extrême-Orient, en Inde, en URSS et aux États-Unis. Lorsque Winston Churchill devient Premier ministre en mai 1940, il propose à Stafford Cripps le poste d’ambassadeur à Moscou. Cripps accepte, mais en une période où continuent de se faire sentir les conséquences du pacte germano-soviétique, il se retrouve complètement isolé et sans aucun moyen d’action. La situation se renverse à partir de l’invasion de l’URSS par les troupes allemandes en juin 1941 et lorsque Stafïord Cripps rentre en Angleterre en janvier 1942, il bénéficie d’une extraordinaire réputation. Churchill le nomme Lord du sceau privé, leader de la Chambre des Communes et membre du Cabinet de guerre. Mais bientôt il lui confie une mission en Inde. C’est un échec, car Cripps ne réussit pas à convaincre les chefs du nationalisme indien de la sincérité des intentions britanniques. A son retour, il est nommé ministre de la Production aéronautique, poste où il réussit remarquablement (alors qu’il n’avait pas su s’affirmer comme leader des Communes).

À la fin de la guerre les travaillistes sortent vainqueurs aux élections et Stafïord Cripps reçoit le portefeuille du Commerce (President of the Board of Trade) dans le Cabinet Attlee* de 1945 (il avait été réintégré dans les rangs du parti en 1944). Il repartira en mission en Inde au cours de l’été 1946. L’année suivante, Cripps succède à Hugh Dalton au poste de chancelier de l’Echiquier. C’est alors que sa réputation d’austérité commence à faire le tour du pays — on l’appellera austerity Cripps. Répudiant la politique financière d’argent facile de Dalton, il prêche inlassablement le freinage des salaires, la nécessité de développer les exportations et de limiter les importations, le contrôle sévère des dépenses gouvernementales. Plus que tout autre ministre, il impose le sceau de sa personnalité au gouvernement travailliste de 1945 à 1950 ; il en apparaît comme le symbole et les électeurs garderont surtout le souvenir de sa politique d’austérité. En même temps la modération dont il fait preuve contribue grandement à réhabiliter le capitalisme. Mais sa santé s’affaiblit d’année en année. Usé par les responsabilités du pouvoir, Cripps doit démissionner le 20 octobre 1950 et il meurt moins de deux ans plus tard, âgé de soixante-trois ans.

Sir Stafford Cripps restera comme l’une des plus fortes personnalités de son temps. En tant qu’avocat il était incomparable, et il a mis au service du mouvement ouvrier des dons juridiques exceptionnels comme on a pu le voir lors de l’enquête sur la catastrophe minière de Gresford (1934-1937). À cette occasion c’est une performance extraordinaire qu’il a réalisée au profit de la Fédération des Mineurs.

De caractère plutôt secret, et de naturel réservé, Cripps a trouvé dans ses convictions religieuses profondes la source d’une intégrité exceptionnelle — reconnue par tous — et d’un dynamisme qui lui a permis d’aller de l’avant en toutes circonstances et malgré une santé déplorable.

Le ménage qu’il a formé avec sa femme Isobel est resté toujours très uni et heureux. Quant au contraste si frappant entre sa carrière d’avant-guerre et sa carrière d’après-guerre, il pourra servir aux méditations des historiens. En fin de compte, quoique très différent de l’itinéraire Attlee, le destin de Stafford Cripps est au moins aussi important pour comprendre le travaillisme du deuxième quart du xxe siècle.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75385, notice CRIPPS Stafford [CRIPPS Richard Stafford], version mise en ligne le 12 décembre 2009, dernière modification le 12 décembre 2009.

ŒUVRES PRINCIPALES : Why this Socialism ? (Les raisons de ce socialisme), Londres, 1934. — The Struggle for Peace (Le combat pour la paix), Londres, 1936. — Democracy Up-to-date (La démocratie d’aujourd’hui), Londres, 1939 ; 2e éd. 1944. — Towards Christian Democracy (Vers une démocratie chrétienne), Londres, 1945.

BIBLIOGRAPHIE : F. Tyler, Cripps : A portrait and a prospect, Londres, 1942. — P. Strauss, Cripps : advocate and rebel, Londres, 1943. — E. Estorick, Stafford Cripps : a biography, Londres, 1949. — R. Postgate, George Lansbury, Londres, 1951. — H. Dalton, Call back Yesterday, Londres 1953 ; idem, The Fateful Years, Londres, 1957 ; idem, High Tide and After, Londres, 1962. — C.A. Cooke, Life of Richard Stafford Cripps, Londres, 1957. — A. Bullock, The Life and Times of Ernest Bevin, vol. I : 1881-1940, Londres, 1960 ; vol II : 1940-1945, Londres, 1967. — M. Foot, Aneurin Bevan, vol. 1 : 1897-1947, Londres, 1962 ; vol. II : 1945-1960, Londres, 1973. — D. Marquand, « Sir Stafford Cripps » dans M. Sissons & P. French, The Age of Austerity, Londres, 1963. — E. Shinwell, I’ve lived through it all, Londres, 1973. — B. Donoughue & G.W. Jones, Herbert Morrison : portrait of a politician, Londres, 1973. — P. Seyd, « Factionalism within the Labour Party : the Socialist League, 1932-1937 » in Essays in Labour History 1918-1939, A Briggs et J. Saville, vol. 3, éd. Londres, 1977.

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