Par Elen Cocaign (octobre 2011)
Né à Londres le 9 avril 1893 – Mort à Londres le 8 février 1967. Éditeur.
Victor Gollancz est le troisième enfant d’un joaillier juif d’origine polonaise, Alexander Gollancz. Très jeune, il rejette la stricte orthodoxie professée par ses parents, lui préférant une vision plus libérale du monde. Inspiré par son oncle, Israël Gollancz, universitaire reconnu, spécialiste de Shakespeare et membre fondateur de la British Academy, Victor a un parcours scolaire exemplaire. Boursier à la Saint Paul’s School de Londres puis à New College, Oxford, il étudie les lettres classiques et obtient brillamment son diplôme.
Quand la guerre éclate, le jeune homme est réformé en raison de sa mauvaise vue. Il enseigne alors à la public school de Repton, à partir de 1916. Cette expérience est fondatrice : loin de se cantonner à leur apprendre les langues anciennes, il aborde avec ses élèves des sujets politiques, met en place un cours d’éducation civique et lance avec eux un journal, The Pubber. En 1917, il est renvoyé par le directeur de l’école, Geoffrey Fisher, futur archevêque de Canterbury, que ces innovations inquiètent. Il rejoint alors le Comité de Reconstruction organisé par Seebohm Rowntree pour élaborer des plans pour l’après-guerre.
En 1919, Victor Gollancz épouse une jeune artiste, Ruth Lowy, dont il aura cinq filles. Il est embauché en 1921 par la maison d’édition Benn Brothers. D’abord chargé des innovations techniques, il obtient rapidement un rôle éditorial et contribue au développement de l’entreprise en diversifiant sa liste de publications.
Six ans plus tard, il quitte Benn pour lancer sa propre maison, Gollancz Ltd, et s’affirme d’emblée comme un éditeur novateur et ambitieux. Il invite le typographe Stanley Morrison à créer une ligne de livres facilement reconnaissables : leurs couvertures jaune vif au lettrage noir et magenta donnent à l’entreprise une identité visuelle à part. Victor Gollancz promeut par ailleurs ses productions en recourant abondamment à la publicité : l’omniprésence de ses titres dans la presse lui attire les foudres des professionnels du livre, qui l’accusent de contribuer à la marchandisation de la culture.
S’il est surtout connu pour ses publications militantes, Victor Gollancz bâtit dans un premier temps une société viable – il prépare et exploite le succès des ouvrages d’une solide liste d’auteurs contemporains (Daphne du Maurier, Dorothy Sayers et Ford Madox Ford entre autres). Ce n’est qu’après une dizaine d’années, une fois la stabilité financière de sa maison assurée, qu’il se lance dans la publication de livres engagés : à une époque où ce type d’ouvrages est peu rentable et mal distribué, il limite habilement les risques qu’il encourt.
Préoccupé par la diffusion du fascisme en Europe et en Grande-Bretagne, Victor Gollancz est résolu à alerter l’opinion publique. Il crée en 1936 le Left Book Club, dont le principe est simple : les membres s’engagent à recevoir chaque mois un livre sur une question d’actualité, écrit spécialement pour le club par un intellectuel, un homme politique ou un expert. Du fait de l’abonnement des membres, la vente des livres est assurée et le tirage toujours important, ce qui permet une réduction des coûts de production : les livres, souvent épais, coûtent la somme modique de 2 shillings et 6 pence, soit entre la moitié et le tiers du prix habituel d’un tel volume dans le commerce.
Gollancz est persuadé qu’il existe un marché pour ces ouvrages, mais le succès rencontré par son projet dépasse ses attentes. Les membres sont de plus en plus nombreux ; enthousiastes, ils organisent la diffusion des livres et forment des cercles de discussion. Peu à peu, une sociabilité spécifique, militante, voit le jour autour du club : projections de films et de documentaires, cycles de conférences, troupes de théâtre, voyages en URSS, écoles d’été rassemblent les adhérents. Le bulletin mensuel qui accompagne les livres, Left News, rapporte les succès remportés par le club en Grande-Bretagne comme il décrirait la progression d’une armée. En douze mois, 45 000 Britanniques l’ont rejoint et, en 1939, Gollancz affirme que 57 000 personnes en sont membres. L’influence de cette institution s’étend en fait bien au delà du cercle restreint des adhérents et, plus qu’un club de lecture, c’est en fait un véritable mouvement politique.
Le Left Book Club attire et canalise les forces progressistes qui réclament la constitution d’un large Front Populaire anti-fasciste. Le comité chargé de sélectionner les ouvrages à publier, est à l’image de cette logique de rassemblement : Harold Laski est un intellectuel communiste, John Strachey est un ancien travailliste tandis que Victor Gollancz, qui se définit comme un homme de gauche, n’est membre d’aucun parti. Il répond systématiquement par des menaces de procès en diffamation aux journaux conservateurs qui le disent crypto-communiste. Le Left Book Club et le Parti Communiste sont certes liés : des dirigeants communistes participent aux cycles de conférences organisés par le Club, écrivent pour lui et Gollancz s’appuie sur le réseau des librairies communistes pour diffuser ses ouvrages (notamment sur les boutiques Collet’s gérées par Eva Reckitt). Il refuse par la suite de publier Homage to Catalonia (1938) de George Orwell, de peur d’offusquer l’U.R.S.S., alliée de la Grande-Bretagne. Mais Victor Gollancz reste toujours réfractaire à la raide scientificité du marxisme-léninisme et s’élève systématiquement contre les tentatives de prise de contrôle du club. Sa définition du Front Populaire est très ouverte : le club accueille d’ailleurs des textes de conservateurs, Winston Churchill et Eleanor Rathbone (War Can Be Averted, paru en janvier 1938).
Les livres publiés sous les auspices du Club pendant les années 1930 sont de nature variée : les ouvrages théoriques rédigés par Strachey ou H.N. Brailsford alternent avec des témoignages et des récits aux ambitions plus documentaires (comme The Road to Wigan Pier d’Orwell en mars 1937 ou The Town That Was Murdered d’Ellen Wilkinson en septembre 1939). Ils traitent de la menace fasciste en Europe, de l’impact de la Grande Dépression ou de la Guerre d’Espagne, et dénoncent l’appeasement, l’attentisme des gouvernements européens.
Contacté par un groupe de parlementaires travaillistes, Victor Gollancz accepte par ailleurs de devenir membre du conseil d’administration du journal Tribune, qui adopte le même positionnement politique que son club.
En 1939, à l’annonce du Pacte Germano-Soviétique, le Left Book Club éclate : les communistes le quittent, le positionnement de Gollancz est présenté comme belliciste et le nombre de membres baisse fortement. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des livres sont néanmoins publiés sous les auspices du club. Certains ont un écho considérable dans l’opinion publique et la préparent à l’alternance politique de 1945. C’est le cas de Guilty Men, publié dès juillet 1940 et vendu à plus de 200 000 exemplaires en quelques semaines, un ouvrage qui dénonce les responsables de la débâcle militaire : les Conservateurs qui ont retardé le réarmement de la Grande-Bretagne. Le club est néanmoins miné par les dissensions en son sein et la désorganisation de la distribution des ouvrages. Victor Gollancz se consacre à la défense des juifs et tente d’alerter l’opinion publique sur l’extermination en cours. Il s’élève avec d’autres contre la trêve politique liée à la conduite de la guerre et contribue notamment à l’élection à Westminster de membres du mouvement Common Wealth. Né en 1942 alors que convergent des groupes socialistes et libéraux favorables au maintien d’une opposition politique, ce mouvement égalitariste est dirigé pendant la guerre par Richard Acland et contribue à la diffusion d’idées collectivistes.
Après la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie en 1945 et l’accès au pouvoir des travaillistes, l’intérêt pour les publications engagées est plus restreint, d’autant que l’entrée progressive dans la Guerre Froide complique le choix d’une ligne politique : le club disparaît en 1947. Son influence sur la génération d’hommes politiques qui gère la reconstruction du pays est cependant décisive : Clement Attlee fait partie de ceux pour qui le Left Book Club a eu un rôle matriciel, en publiant l’un de ses premiers ouvrages (The Labour Party in Perspective, paru en août 1937) et en lui donnant l’occasion d’aller à la rencontre des Britanniques.
Victor Gollancz reste à la tête de sa maison d’édition, qui conserve un ancrage à gauche et publie notamment les ouvrages de certains des membres de l’Historians’ Group du Parti communiste et notamment The Making of the English Working Class d’E.P. Thompson en 1963. Mais il abandonne peu à peu le travail éditorial pour se consacrer à de nouveaux projets. Déçu par la politique, il explore des problèmes métaphysiques et spirituels dans ses deux autobiographies, écrites comme des lettres à son petit-fils Timothy. Humaniste, pacifiste, féministe, il soutient par ailleurs un grand nombre de causes humanitaires. En 1945, il est l’un des premiers à organiser une aide alimentaire à destination des Allemands. Dans les années 1940 et 1950, il s’investit dans le National Committee for Rescue from Nazi Terror, dans la Jewish Society for Human Service, puis dans l’Association for World Peace. Il participe ensuite aux campagnes en faveur du désarmement nucléaire et milite pour l’abolition de la peine de mort. En hommage à son activisme, il reçoit un certain nombre de distinctions et est fait pair du royaume en 1965.
En 1966, à la suite d’une attaque cardiaque, il doit renoncer à diriger Gollancz Ltd. Sa fille Livia prend sa place à la tête de l’entreprise. Il meurt en 1967.
Par Elen Cocaign (octobre 2011)
Livres publiés :
The Making of Women, Oxford Essays in Feminism , 1918 - Industrial Ideals, 1920 - Is Mr Chamberlain Saving Peace ? , 1939 - Betrayal of the Left : an Examination & Refutation of Communist Policy from October 1939 to January 1941 : with Suggestions for an Alternative and an Epilogue on Political Morality, 1941 - "Let My People Go". Some Practical Proposals for Dealing with Hitler’s Massacre of the Jews and an Appeal to the British Public, 1943 - Leaving Them to Their Fate : the Ethics of Starvation, 1946 - Our threatened Values, 1946 - In Darkest Germany, 1947 - Capital Punishment : the Heart of the Matter, 1955 - Devil’s Repertoire : or, Nuclear Bombing and the Life of Man, 1959 - Case of Adolf Eichmann, 1961 - Journey Towards music : a Memoir, 1964
Sources :
R. D. Edwards, Victor Gollancz : A Biography, Londres, Gollancz, 1987 - S. Hodges, Gollancz : The Story of a Publishing House, Londres, Gollancz, 1978 - S. Hodges, ‘Gollancz, Sir Victor (1893–1967)’, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004
Archives :
University of Warwick, Modern Records Centre, correspondance et archives de Victor Gollancz Ltd