HARNEY Julian [HARNEY George Julian]

Né le 17 février 1817 à Deptford, Kent ; mort le 9 décembre 1897 à Richmond, Surrey ; dirigeant chartiste.

George Julian Harney photographié à Jersey au printemps 1863
George Julian Harney photographié à Jersey au printemps 1863
Photographie accompagnée de la dédicace suivante : « To the illustrations Poet, Patriot and Proscrit / Victor Hugo / From G. Julian Harnay / Jersey, April 21, 1863. »
(Source : Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Photographie MVHP PH 3595)

Le père de Harney, un vétéran des guerres navales contre Napoléon, étant mort quand son fils était encore en bas âge, l’orphelin est admis comme pensionnaire à l’école navale royale de Greenwich ; à quatorze ans, il s’embarque pour un premier voyage de quelques mois avec escales au Portugal et au Brésil ; mais sa santé trop fragile l’oblige à renoncer au métier de marin. Devenu employé de magasin en 1833 il rencontre Henry Hetherington*, le patron du Poor Man’s Guardian (Le Défenseur du Pauvre), alors engagé dans la campagne en faveur de la liberté de la presse. Rempli d’admiration pour Bronterre O’Brien*, le rédacteur en chef du journal, Harney partage le même enthousiasme pour la Révolution française et les Jacobins. En ce temps, l’on vendait les journaux radicaux sans acquitter le droit de timbre et ceux qui les diffusaient étaient fréquemment interpellés par la police. Comme justement Hetherington refusait d’acquitter le droit, Harney fut par deux fois emprisonné pour avoir vendu le Poor Man’s Guardian, d’abord à Londres puis à Derby. Relâché en 1836, il revient à Londres, amer et la santé affaiblie. Il collabore de nouveau avec O’Brien qui s’efforce de lancer d’autres journaux.

Au début de 1837, en commun avec des radicaux avancés — dont certains vétérans des luttes politiques du début du siècle — Harney fonde l’Association démocratique de l’Est de Londres qui, avec la Central National Association de Feargus O’Connor*, regroupe les partisans de l’extrême gauche radicale. La East London Democratic Association est aussi affiliée à l’Association des travailleurs londoniens (London Working Men’s Association) de William Lovett*, mais la collaboration s’avère si malaisée entre les deux organismes que Harney et ses amis sont bientôt exclus de la LWMA. En avril 1838, l’Association démocratique de l’Est de Londres devient la London Democratic Association, avec Harney pour secrétaire : le programme est de tonalité révolutionnaire et l’association, à la différence de la LWMA, vise à recruter massivement les travailleurs les plus pauvres de la capitale. On est alors en pleine agitation chartiste. Avec sa fougue coutumière et ses convictions extrémistes, Harney est le délégué, à la première Convention nationale, de trois villes de province, Derby, Norwich et Newcastle, où les chartistes intransigeants étaient majoritaires. Dans les débats de la Convention au printemps 1839, il joue un rôle très important, en combattant farouchement les positions de Lovett et des autres modérés. En même temps, il crée le London Democrat afin de propager sa flamme révolutionnaire.

Le 10 mai 1839, deux jours après la clôture de la session londonienne de la Convention, et avant que celle-ci ne reprenne à Birmingham, la police fait irruption dans les locaux de la LDA ; le 13 mai, un mandat d’arrêt est lancé contre Harney à la suite d’un discours incendiaire prononcé à Birmingham, mais Harney échappe aux recherches et gagne la région de Newcastle où il prend la parole au cours de plusieurs grands rassemblements de mineurs. Il finit par être arrêté au début de juillet mais est presque aussitôt libéré sous caution.

A la fin de l’année, le mouvement chartiste se trouve en plein reflux, par suite des arrestations opérées parmi les dirigeants, de l’enlisement et de l’impuissance des débats de la Convention et de la pénétration du mouvement par des agents de la police.

Aussi les dirigeants les plus en pointe, Harney le premier, ont-ils conscience que la perspective d’une révolution a reculé et qu’avant de se lancer à la conquête du pouvoir, il convient de restructurer le chartisme. Pour cela, Harney suggère de prendre exemple sur l’organisation du mouvement en Ecosse — où il se trouve alors — en l’étendant à l’Angleterre et en la rendant plus efficace.

Le procès d’Harney s’ouvre le 1er avril 1840 à Birmingham : accusé de propos séditieux, il est acquitté. Verdict de clémence qui relance les rumeurs persistantes selon lesquelles il serait un agent provocateur. Aujourd’hui on a la preuve de l’inconsistance de ces accusations, mais il est indéniable qu’à l’époque l’élan militant de Harney et son image auprès des ouvriers en ont souffert. D’autant qu’à cette date, à l’exception de Harney et des dirigeants écossais, presque tous les chefs chartistes sont en prison.

À l’issue de son procès, Harney retourne en Ecosse où il fait de la propagande itinérante ; il se marie alors avec Mary Cameron — l’union semble avoir été heureuse. Il retourne en Angleterre en avril 1841 pour devenir organisateur rémunéré du mouvement chartiste dans le West Riding et il s’installe à Sheffield, où il est correspondant régional du Northern Star. En 1841, il prend part activement à la campagne des élections législatives et au cours de l’été 1842 il s’efforce de déclencher des grèves de solidarité pour soutenir les travailleurs du Lancashire (c’est l’épisode dit des Plug riots ou « complot des chevilles »). Son radicalisme l’amène à la fin de la même année à s’opposer au mouvement pour le suffrage complet (Complete Suffrage Movement), ce qui le fait entrer en conflit à la fois avec O’Brien et avec Lovett. Arrêté le 29 octobre 1842 pour complicité dans le « complot des chevilles », il est jugé au mois de mars 1843 et condamné à la prison, mais le verdict est annulé en appel. Harney est alors élu à l’exécutif de l’Association nationale de la charte (National Chartist Association) entièrement dominée par O’Connor, et en même temps, il devient le rédacteur en chef adjoint du Northern Star ; en réalité c’est lui qui, jusqu’en 1850, assure la direction du journal et sa position durant plusieurs années est étroitement liée à celle d’O’Connor.

Par ailleurs, Harney s’intéresse de plus en plus aux dimensions internationales du mouvement démocratique et il prend contact avec les nombreux exilés politiques réfugiés en Angleterre. Au lendemain d’un banquet qui s’était tenu à Londres pour commémorer la Constitution de 1793, Harney crée la Société des démocrates fraternels (Society of Fraternal Democrats), organisation qui annonce la Ire Internationale. Malgré l’indifférence d’O’Connor en matière d’internationalisme (à l’exception de la question irlandaise) Harney fait campagne, dans les colonnes du Northern Star, pour une prise de conscience internationale parmi les ouvriers. En 1843, Harney avait fait la connaissance d’Engels et les deux hommes ont exercé une réelle influence l’un sur l’autre. On peut citer un exemple de l’engagement de Harney en politique étrangère : au cours de la campagne électorale de 1847, il se rend à Tiverton, dans le Devonshire, pour porter la contradiction à Palmerston et dénoncer sa diplomatie. À la fin de cette année-là, Harney, sans doute en compagnie d’Ernest Jones*, rencontre Marx venu à Londres pour assister à un congrès de la Ligue communiste.

Lors de la poussée chartiste de 1848, Harney, très exalté par les révolutions en chaîne du continent européen, reprend son nom de plume d’autrefois — « L’Ami du Peuple » — qui témoignait de son admiration pour Marat, afin de commenter les événements dans le Northern Star et d’encourager les ouvriers britanniques à imiter leurs camarades européens. Accaparé par ses tâches de journaliste, Harney ne peut prendre part aux manifestations chartistes, ce qui lui vaut d’échapper aux arrestations déclenchées au cours de l’été 1848.

En 1849-1850, tandis que la plupart des dirigeants chartistes sont en prison, Harney décide de consacrer son activité à élaborer un nouveau programme allant bien au-delà des six Points de la Charte. Abandonnant le Northern Star et préconisant une réforme de fond en comble de l’économie et de la société, il lance le Democratie Review of British Politics, History and Literature (1849-1850), revue mensuelle qui est remplacée en 1850 par le Red Republican. Dans ces deux périodiques figurent les meilleurs articles révolutionnaires de la période chartiste.

Lorsque Ernest Jones sort de prison en juillet 1850, Harney et lui s’efforcent de relancer le chartisme en rassemblant les ouvriers autour du slogan : « La Charte, mais pas seulement la Charte. » Désormais la revendication sociale prend le pas sur la révolution politique et le programme adopté par la petite Convention chartiste réunie en 1851 est le plus avancé et le plus démocratique de tout le mouvement chartiste. Mais celui-ci est sorti très affaibli numériquement de l’épisode de 1848 et les efforts désespérés de Harney et de Jones ne parviennent pas à freiner son déclin. De surcroît, vers le milieu de 1852, des dissensions les opposent et les deux hommes se séparent. C’est Jones qui prend la tête du mouvement après la rupture avec Harney. Ce dernier, découragé, s’écarte des luttes politiques tout en poursuivant son activité de journaliste et en 1855 il s’installe à Jersey où il rencontre Victor Hugo et le petit groupe des républicains français émigrés. Il édite le journal Independent dont il fait une feuille militante. Il y soutient, lors de la guerre de Sécession, la cause des Nordistes, ce qui amène le propriétaire du périodique à exiger sa démission. Il s’embarque alors pour les États-Unis, en mai 1863.

Fixé en Nouvelle-Angleterre, Harney gagne sa vie comme employé de la Massachussets State House de Boston. Là il n’a guère d’activités politiques, à l’exception de sa collaboration au Newcastle Weekly Chronicle, important journal radical du Nord-Est de l’Angleterre, dont il est le correspondant. En 1879, Harney fait un bref séjour en Angleterre et il y revient définitivement dix ans plus tard pour terminer ses jours à Londres (1888-1897). Il renoue avec Engels et avec les chartistes de sa génération encore en vie. Il continue d’écrire des articles pour le Newcastle Weekly Chronicle.

Grande figure du chartisme, personnalité courageuse, sincère, passionnée, sachant dominer ses constants ennuis de santé, Harney a été durant toute son existence militante le partisan d’une révolution démocratique et sociale. Ce fut, avant et avec Ernest Jones, le plus internationaliste des dirigeants chartistes. Ses articles constituent des morceaux de choix de la littérature du mouvement ouvrier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75488, notice HARNEY Julian [HARNEY George Julian], version mise en ligne le 15 décembre 2009, dernière modification le 9 janvier 2021.
George Julian Harney photographié à Jersey au printemps 1863
George Julian Harney photographié à Jersey au printemps 1863
Photographie accompagnée de la dédicace suivante : « To the illustrations Poet, Patriot and Proscrit / Victor Hugo / From G. Julian Harnay / Jersey, April 21, 1863. »
(Source : Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Photographie MVHP PH 3595)

BIBLIOGRAPHIE : Maison de Victor Hugo - Hauteville House à Guernesey, Photographie MVHP PH 3595. — R.G. Gammage, History of the Chartist Movement, Newcastle, 1894. — E. Dolléans, Le Chartisme, Paris, 1912, 2e éd. 1949. — M. Hovell, The Chartist Movement, Manchester, 1918. — G.D.H. Cole, Chartist Portraits, Londres, 1941. — J. Saville, Ernest Jones : Chartist, Londres, 1952. — D. Read & E. Glasgow, Feargus O’Connor, Londres, 1961. — F.G. & R.M. Black, The Harney Papers, Assen, 1969. — A. Plummer, Bronterre,Londres, 1971. — J.T. Ward, Chartism, Londres, 1973. — D. Jones, Chartism and the Chartists, Londres 1975. — J. Epstein, The Lion of Freedom : Feargus O’Connor and the Chartist Movement, 1832-1842, Londres, 1982. — D. Goodway, London Chartism, 1838-1848, Cambridge, 1982. — J. Droz (éd.), Histoire générale du socialisme, t. 1 : Des origines à 1875. — Philippe Faure, Journal d’un combattant de Février, Saint-Hélier, C. Lefeuve, 1859. — Notes de Gauthier Langlois.

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