GUILBERT Louis, Joseph

Par Alain Dalançon, Pierre Petremann

Né le 23 avril 1912 à Dohem (Pas-de-Calais), mort le 31 mai 1977 à Deauville (Calvados) ; professeur de lycée puis d’université ; militant syndicaliste de la FEN, du SNES, secrétaire de la section académique de Paris (1945-1947), membre du bureau national (1946-1961), tête de liste du courant B ; militant du SNESup à Rouen ; militant communiste.

Louis Guilbert
Louis Guilbert
Manifestation du SERP du 27 juin 1946 place de l’Opéra à Paris. L. Guilbert au centre de la photo, encadré à gauche par Robert Guitton, M. Bonin, et à droite par A. Grange et A. Lavergne

Louis Guilbert était le second fils d’une famille de cultivateurs. Il ne connut pas son père, mort jeune un mois avant sa naissance, si bien que sa mère, née Lima, Léonie Ledoux, lui fit donner les deux prénoms de son père, Louis, Joseph.

Il effectua de bonnes études littéraires et commença à militer au temps du Front populaire à la section des professeurs de la Fédération unitaire de la CGTU, peu de temps avant la fusion de la FUE et de la FGE en 1935.

Louis Guilbert se maria au lendemain de sa réussite à l’agrégation de grammaire, le 25 septembre 1937 à Paris (Ve arr.) avec Madeleine Gazut, fille d’instituteurs de l’Allier, future sociologue du travail (voir Madeleine Guilbert).

D’abord nommé professeur au lycée de garçons de Toulon (Var) en 1937-1938, il enseigna ensuite au lycée Thiers de Marseille (Bouches-du-Rhône). Mobilisé dans l’aviation en 1939, il revint à la vie civile après la débâcle, et commença à participer à la Résistance à Marseille. Puis, muté au lycée Marcellin Berthelot de Saint-Maur-des-Fossés durant la guerre, il milita au Front national universitaire à Paris sous le nom de code « Dumont, et en devint membre du comité directeur pour le second degré en 1945. Il avait adhéré au Parti communiste français en 1943.

À la Libération, muté au lycée Buffon de Paris, il fut détaché jusqu’en février 1948 pour participer aux activités du Conseil supérieur d’enquête. Il habitait alors avec son épouse au 8, rue Paulin Enfant dans le XIIIe arrondissement de Paris.

Louis Guilbert fut un des principaux militants communistes du nouveau Syndicat national de l’enseignement secondaire et de la Fédération de l’Education nationale de 1944 à 1961. Il fut élu à l’unanimité en 1945 secrétaire de la section académique (S2) du SNES de Paris, qui correspondait alors à la grande académie de Paris s’étendant sur 8 départements, tandis que son camarade Marcel Bonin était élu secrétaire du Syndicat de l’enseignement de la Région parisienne (section de la Fédération générale de l’enseignement puis de la FEN). Ce tandem de militants communistes joua un rôle très important dans le syndicalisme du second degré, travaillant en liaison avec l’instituteur Paul Delanoue. En mars 1946, il participa avec ce dernier à une réunion du bureau politique du PCF consacrée aux luttes des fonctionnaires. Le secrétariat du parti, avant les congrès nationaux des syndicats nationaux, consultait les principaux dirigeants communistes à propos des actions revendicatives et Guilbert y était le porte parole des syndicats de l’enseignement secondaire.

Au congrès du SNES de 1946, il devint membre de la commission exécutive et du bureau national du SNES, secrétaire corporatif adjoint, secrétaire de la catégorie des agrégés, membre de la commission de la presse, secrétaire adjoint puis secrétaire aux Affaires internationales l’année suivante. Il exerça des fonctions identiques à l’Union des syndicats du second degré et fut un des rédacteurs des statuts de cette union, mise sur pied dans la perspective de l’unification de tous les syndicats du second degré de la FEN.

En 1946, Louis Guilbert défendit le Statut de la Fonction publique, prit une part importante à l’étude de son adaptation au statut de l’enseignement et fit adopter son rapport au congrès du SNES de 1947. En novembre 1947, il développa dans L’Université syndicaliste une vigoureuse argumentation en faveur du Plan Langevin-Wallon. Quelque temps plus tard, il engagea le S2 de Paris dans le soutien à la grève des instituteurs de la Région parisienne et appela à la grève comme le SERP l’avait fait, alors qu’une majorité de syndiqués, consultés au même moment par référendum, ne souhaitait pas entrer en grève immédiatement. Il fut alors très vivement pris à partie par ses camarades non-communistes du S2 et du bureau national. Les oppositions se liguèrent contre lui et il fut contraint d’abandonner la direction du S2 qui revint au début de l’année 1948 à Paul Ruff, partisan de l’adhésion à la CGT-FO.

Dans le débat sur le choix de l’affiliation du SNES et de la FEN, après la scission de la CGT, Louis Guilbert milita pour le maintien à la CGT en signant notamment dans L’Université Syndicaliste un appel, « Restons unis avec les travailleurs au sein de la CGT » mais il se rallia à l’autonomie et la double affiliation.

L’application de la règle de l’homogénéité des exécutifs le privait désormais de toute responsabilité. Il demeura cependant membre du bureau national du SNES et de la commission administrative nationale de la FEN de 1948 à 1959, puis élu seulement suppléant en 1961. Il fut désigné membre des commissions corporatives, internationales pendant toute la période, laïque (1948), pédagogique (1948-1950), éducation sociale à partir de 1953. Dans ces instances, il intervint comme l’un des principaux porte-parole de la minorité du courant « unitaire » et, de 1948 à 1953, un des principaux animateurs de la FEN-CGT, travaillant de concert avec la secrétaire générale Jacqueline Marchand.

Autant par idéologie que par réalisme, Louis Guilbert fut un des principaux militants communistes à fustiger le système des tendances et des exécutifs homogènes, au nom de l’efficacité du syndicat. Il se montra un ardent défenseur de l’unité de la profession et du syndicat et appela à de nombreuses reprises ses camarades à militer dans les syndicats autonomes.

Très compétent dans tous les domaines syndicaux, clair et précis dans ses articles, orateur et débatteur, il était partisan des débats ouverts. Il déposait des contributions plutôt que des motions dans les congrès fédéraux ; il recherchait le travail commun avec la direction « autonome » du SNES, notamment quand elle était en opposition avec celle du SNI et de la FEN, comme ce fut le cas en 1951-1952 au moment du Comité d’Action Universitaire.

À partir de 1952, il était membre de la Société des agrégés qui travaillait de concert avec la direction du SNES ; il cherchait à promouvoir aux responsabilités des adhérents de la FEN-CGT non-communistes (comme Georges Delboy, André Drubay et dès 1951, il ouvrit la liste des ex-cégétistes (liste B) aux élections à la CA nationale du SNES à des non-cégétistes (Pierre Duthu, Pierre Paraire, puis Gilbert Tessier, plus tard Jean Petite).

En 1953, Louis Guilbert se brouilla avec Jacqueline Marchand sur la question de la continuation de la FEN-CGT, estimant qu’il valait mieux mettre un terme à la double affiliation individuelle et militer exclusivement dans le syndicat autonome, comme le bureau politique du PCF le demanda aux instituteurs communistes en janvier 1954. En 1955, tirant les conséquences de la fin de la double affiliation, il alla jusqu’au bout de sa démarche en demandant avec Marcel Bonin à être admis sur la liste autonome aux élections à la CA nationale du SNES. Le refus des autonomes et l’incompréhension d’un certain nombre d’unitaires limitèrent dès lors son poids et il dut partager la conduite de la liste B en 1955 et en 1958 avec Camille Canonge et Gilbert Tessier, puis ne fut plus tête de liste en 1960. Cette situation ne tenait par ailleurs pas qu’aux positions de Guilbert mais aussi à l’évolution du courant B, où se manifestaient de plus en plus les tiraillements entre communistes, où les non-communistes étaient de plus en plus nombreux, et à l’éloignement des perspectives de réunification syndicale.

Tout au long de son activité militante au SNES et à la FEN, Louis Guilbert porta un grand intérêt aux affaires et organisations internationales d’enseignants. Après la scission intervenue dans ce domaine en 1948, il soutint les efforts d’Émile Hombourger pour la création et le développement du Comité d’Entente mais s’opposa à lui en 1951 pour l’adhésion du SNES à la Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante. Il combattit constamment une conception de l’autonomie syndicale apolitique.

Dès 1946, il fit adopter par le congrès du S2 de Paris une motion protestant contre la politique suivie en Indochine, aboutissant à une « véritable guerre de conquête » ; par la suite, il ne cessa de dénoncer la guerre coloniale, s’opposant à Hombourger qui estimait en 1950 que le SNES ne pouvait choisir entre Hô Chi Minh et Bao Daï. Au congrès de 1954, il fit voter une motion demandant au gouvernement français de répondre à l’appel au cessez-le-feu du président Nehru et d’entrer en contact avec Hô Chi Minh en vue d’un armistice.

Il prit aussi parti contre le traité de la Communauté européenne de défense et fit adopter par le congrès du SNES de 1955 une motion contre la renaissance du militarisme allemand et une autre contre l’emploi des armes thermonucléaires. En 1956, il prit position pour la nationalisation du canal de Suez qu’il considéra comme un acte d’émancipation des peuples du Tiers monde, face au secrétaire général du SNI, Denis Forestier, qui y voyait un acte de nationalisme de la part de Nasser. Il s’opposa à Forestier sur d’autres questions, notamment au projet de PUMSUD. Lors du congrès fédéral de novembre 1956, il fit une intervention remarquée sur la crise hongroise en la replaçant dans le contexte de la guerre froide, en se distinguant cependant de la position de Georges Fournial qui justifia l’intervention soviétique.

Il combattit la guerre en Algérie ; sa motion de mars 1956 « sur le rétablissement de la paix sur la base du fait national algérien » fut la première à être soumise au vote des syndiqués du SNES et recueillit 44% des suffrages, contre 24% et 32% d’abstentions ; en 1957, la motion Guilbert-Petite condamnait la « pacification » et demandait la négociation « avec ceux qui se battent pour aboutir à l’indépendance », s’opposant ainsi à la motion des majoritaires défendue par Pierre Broué demandant cessez-le feu, élections libres et négociation des rapports franco-algériens en s’en tenant à la revendication d’une « Conférence de la Table ronde ».

Divorcé, Louis Guilbert se remaria avec Eugénie Valmorin, artiste, avec laquelle il eut deux enfants : Philippe, né en 1960 et Brigitte, née en 1965. En même temps, tout en restant membre des CA du SNES et de la FEN, il prit peu à peu ses distances, se consacrant de plus en plus à ses recherches, puis passa dans l’enseignement supérieur en 1962. Docteur ès lettres, spécialiste de sémantique et de lexicologie, auteur d’une thèse sur le vocabulaire en aviation, il fut attaché de recherches au CNRS, puis enseigna comme maître de conférences à la faculté des lettres de Rouen où il assura le secrétariat de la section du Syndicat national de l’enseignement supérieur.

Au printemps 1968, il renoua avec une intense activité syndicale. Dès avril, il avait pris contact avec la section lettres d’Aix du SNESup pour constituer et soutenir un réseau syndical national alternatif à l’orientation dite « révolutionnaire » du bureau national dirigée par Alain Geismar. Le 7 mai 1968, il présida à Rouen un meeting unitaire de soutien aux étudiants. Si bien que la majorité de la section lettres du SNESup, puis celle de la section sciences basculèrent dans l’opposition à la direction nationale, en soutenant l’opposition alternative qui allait devenir majoritaire au congrès national de 1969. Mais Louis Guilbert ne prit pas de responsabilités dans cette nouvelle direction qui allait être confortée au cours de la décennie suivante.

Dans les années 1970, devenu professeur à l’université de Nanterre et habitant à Sceaux (Hauts-de-Seine), il s’affirma comme un des plus éminents spécialistes de lexicologie, de terminologie scientifique et technique. Il écrivit de nombreux articles et livres et co-dirigea l’édition du Grand Larousse de la langue française. Pour ses propres recherches et celles qu’il impulsait, il avait le souci de mettre en rapport la création lexicale et l’évolution du vocabulaire avec les inventions techniques. Il animait notamment un groupe de chercheurs sur la néologie qui se réunissait régulièrement à l’annexe universitaire de Clichy. Il militait notamment « pour que la socio-linguistique puisse mieux faire comprendre l’histoire humaine » et participait aux travaux en linguistique du Centre d’études et de recherches marxistes. Il n’avait en effet rien perdu de ses convictions politiques.

Louis Guilbert décéda brutalement en Normandie.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75506, notice GUILBERT Louis, Joseph par Alain Dalançon, Pierre Petremann, version mise en ligne le 19 décembre 2009, dernière modification le 3 mai 2022.

Par Alain Dalançon, Pierre Petremann

Robert Guitton, M. Bonin, et à droite par A. Grange et A. Lavergne "> Louis Guilbert
Louis Guilbert
Manifestation du SERP du 27 juin 1946 place de l’Opéra à Paris. L. Guilbert au centre de la photo, encadré à gauche par Robert Guitton, M. Bonin, et à droite par A. Grange et A. Lavergne
Congrès du SNES 1952
Conférence de presse de la FEN à Rouen en 1967. De gauche à droite : Guilbert, F. Malcourant, A. Guillemont

ŒUVRE : La formation du vocabulaire de l’aviation, Larousse, 1965. — Le vocabulaire de l’astronautique. Enquête linguistique à travers la presse d’information à l’occasion de cinq exploits de cosmonautes, Presses universitaires de Rouen, 1967. — « Le lexique », Langue française, mai 1969, numéro dirigé par Louis Guilbert. — La néologie lexicale, Larousse, 1975. — La Créativité lexicale, Larousse, 1975. — Grand Larousse de la langue française (sd. Louis Guilbert, René Lagane, Georges Niobey) 1971-1978.

SOURCES : Arch. Nat., F/17 17820, 28421 (dossier Bonnin). — Arch. Dép. Pas-de-Calais, état civil en ligne cote 3 E 271/17, vue 56. — Arch. IRHSES (fonds Guilbert, Bonin, J. Marchand). — Témoignages d’André Drubay ; de Claude Mazauric sur mai-juin 1968 à Rouen. — Article nécrologique par E. Camy-Peyret, L’Université syndicaliste du 22 juin 1977. — Biographie de Madeleine Guilbert par Marie-Madeleine Zylberberg-Hocquart, Clio, n°27, 2007. — Alain Dalançon, Histoire du SNES, t. 1, Plus d’un siècle de mûrissement, des années 1840 à 1966/67, IRHSES, 2003. — Laurent Frajerman, L’interaction entre la Fédération de l’éducation nationale et sa principale minorité, le courant « unitaire », 1944-1959, thèse de doctorat, Paris I, 2003. — Notes de Jean Dubois, de Jacques Girault, de Christiane et Jean-Baptiste Marcellesi.

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