LEFEBVRE Raymond (version Komintern)

Par Nicole Racine

Né le 24 avril 1891 à Vire (Calvados), disparu en mer au large de Mourmansk à l’automne 1920 ; écrivain, journaliste ; membre du Parti socialiste SFIO (1916-1920) ; membre du comité directeur du mouvement Clarté (1919-1920) ; membre du Comité de la IIIe Internationale (1919-1920) ; créateur de l’ARAC.

Raymond Lefebvre naquit dans une famille protestante aisée. D’après son biographe Shaul Ginsburg, il aurait été influencé par l’aile libérale du protestantisme. Le pacifisme, l’internationalisme, le communisme auxquels Raymond Lefebvre se rallia par la suite, restèrent largement d’essence morale ou religieuse. Raymond Lefebvre se lia, à partir de la classe de seconde au lycée Janson-de-Sailly à Paris, avec le jeune Paul Vaillant-Couturier. À un moment, Raymond Lefebvre fut attiré par l’Action Française, son nationalisme et certaines de ses idées antibourgeoises.

Après avoir obtenu son baccalauréat (philo), Raymond Lefebvre prépara une licence d’histoire-géographie à la Sorbonne, le diplôme de l’École libre des sciences politiques, école qui fut pour lui une ouverture sur le monde contemporain. Il commença à fréquenter les milieux d’extrême gauche, s’abonna à La Vie ouvrière, et en 1913 assista aux réunions du groupe, 96, quai Jemmapes. À partir de 1912, il commença son service militaire dans le service auxiliaire et fut libéré deux mois avant la déclaration de la guerre.

Affecté en août 1914 comme auxiliaire infirmier à l’hôpital Saint-Martin, il prit parti dès cet instant contre la guerre, ne se privant pas de se livrer à une propagande pacifiste auprès des blessés dont il avait la charge. À l’automne 1914, Raymond Lefebvre participa aux réunions de La Vie ouvrière, où se retrouvaient des militants syndicalistes comme Alphonse Merrheim, Pierre Monatte, Alfred Rosmer. Sans rallier encore les thèses du pacifisme révolutionnaire, il prit conscience de l’insuffisance d’un pacifisme tolstoïen : « J’ai été contre la guerre et la Défense nationale dès le 2 août, mais j’étais cela pour des raisons plus sentimentales que doctrinales, et un soir à la Vie ouvrière, j’ai discuté quelques instants avec un Slave au ton cassant et pétillant d’esprit, qui, je crois, était Trotsky. Son marxisme implacable m’était alors resté hermétique » (Le Populaire, 15 juin 1920).

À la fin octobre 1914, Raymond Lefebvre, réformé pour faiblesse organique générale et bronchite ancienne, était de nouveau versé dans le service armé en mai 1915 ; il se porta volontaire au front et s’en expliqua plus tard au congrès du Parti socialiste à Strasbourg le 27 février 1920, en ces termes : « C’était pour, si j’en revenais, si j’en pouvais revenir, saboter la gloire avec toute l’autorité de celui qui aurait été là -bas ! » Affecté comme brancardier, il participa à la troisième bataille d’Artois. Il commença à écrire des contes pacifistes dont certains mettaient en scène des épisodes de révolte aux armées.
En mai 1916, ébranlé par une commotion cérébrale, il fut évacué à l’hôpital de Lyon. Ce fut aussi durant sa convalescence qu’il s’inscrivit à la 16e section du Parti socialiste à Paris, pour combattre les thèses majoritaires. En mai 1917, Raymond Lefebvre fut réformé définitivement. Durant toute la guerre, il resta plus proche de Jean Longuet et des minoritaires socialistes que des « zimmerwaldiens ». Il salua la Révolution russe, accueillit avec enthousiasme le programme wilsonien (auquel il devait rester fidèle jusqu’en 1919), mais surtout, depuis 1916, il songeait à des entreprises de nature à resserrer les liens entre les victimes de la guerre et à exprimer la haine de la guerre. Ainsi prirent naissance les projets auxquels il rallia Henri Barbusse et qui furent à l’origine de Clarté et de l’ARAC.

Raymond Lefebvre appuya la fondation du groupe Clarté ou Internationale de la pensée et collabora au journal Clarté où il fit partie de la tendance internationaliste acquise au communisme. Rassembler les victimes de guerre et les anciens combattants pour traduire de façon éclatante la haine de la guerre était également l’un des projets qui tenait le plus à cœur à Raymond Lefebvre. L’origine de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC) remonte en effet à l’année 1916, date à laquelle Raymond Lefebvre convertit à ses projets son ami Paul Vaillant-Couturier* et un ouvrier, Georges Bruyère. En novembre 1917, H. Barbusse, R. Lefebvre, Paul Vaillant-Couturier, Georges Bruyère fondèrent officiellement l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC). La maladie allait l’éloigner de la vie politique active jusqu’à l’été 1919, mais il n’en abandonna pas pour autant ses tâches de propagandiste.

En 1919, Raymond Lefebvre lança une brochure, L’Ancien Soldat, sorte de manifeste et de programme d’action : les anciens combattants ne pouvaient se satisfaire des revendications professionnelles, mais devaient prétendre à un rôle politique pour empêcher toute guerre. À l’automne 1919, il accepta d’être candidat du Parti socialiste aux élections législatives dans le premier secteur de la Seine. Au début de 1920, Raymond Lefebvre fit campagne pour la convocation d’un congrès international des anciens combattants.

Raymond Lefebvre adhéra en août 1919 au Comité de la IIIe Internationale et se lança dans la propagande en faveur de l’adhésion de la SFIO à la IIIe Internationale. En septembre 1919, il publia une brochure pour La Vie ouvrière, L’Internationale des Soviets, dans laquelle il opposait la doctrine de la IIe Internationale (la démocratie parlementaire) à celle de la IIIe (le « soviétisme ») qui seule était révolutionnaire, anti-guerrière, antiparlementaire. Après l’échec des grèves de mai-juin 1920, il critiqua le légalisme de la CGT et du PS. Il en tira la conclusion de l’impérieuse nécessité d’une doctrine, d’une tactique et d’une organisation révolutionnaires. L’absence d’une élite communiste que les grèves de mai révélèrent lui parut l’obstacle principal à une révolution en France. Cette vision pessimiste était tempérée par une vision héroïque de la Révolution russe et de l’expérience soviétique. Ce fut dans cet esprit que Lefebvre partit pour Moscou comme délégué du Comité de la IIIe Internationale pour assister au IIe congrès de l’Internationale communiste qui allait se tenir du 19 juillet au 7 août 1920. N’ayant pas obtenu de passeport du gouvernement français, il quitta clandestinement la France, le 7 ou 8 juillet, pour atteindre la Russie par la mer du Nord et la Baltique, en même temps que l’ouvrier métallurgiste Marcel Vergeat et l’ouvrier terrassier Jules Lepetit, délégués des syndicats minoritaires de la Seine. Lefebvre prit la parole à la tribune du congrès de l’Internationale communiste. Il brossa un tableau très critique du PS et de la CGT, mettant en garde contre l’admission dans l’Internationale communiste, sans épuration, ni rupture avec le réformisme et l’opportunisme. Dans la lettre qu’il envoya en septembre 1920 de Russie (publiée dans le Bulletin communiste du 7 octobre 1920 sous le titre « Je reviens d’un long voyage éblouissant »), Lefebvre réclamait la transformation du Parti socialiste en parti révolutionnaire. Le congrès de l’Internationale terminé, Lefebvre se rendit en Ukraine en compagnie de Lepetit et Jacques Sadoul. Les témoignages de Victor Serge et Henri Guilbeaux relèvent l’enthousiasme de Raymond Lefebvre à ce moment. En septembre 1920, Lefebvre, Lepetit et Vergeat se retrouvèrent à Pétrograd où Victor Serge les accompagna durant huit jours. Aux premiers jours d’octobre les « Trois » s’embarquèrent sur un bateau de pêche à Vaïda Gouba, sur les bords de l’océan Arctique afin de gagner la Norvège. Craignant d’être arrêtés à Vardoï, ils décidèrent de gagner Bergen en canot automobile. On ne devait plus les revoir. Le 20 décembre 1920, le secrétaire de l’Exécutif de l’IC publiait à Moscou la déclaration annonçant la disparition de Lefebvre, Jules Lepetit et Marcel Vergeat à la suite de la tempête qui avait éclaté après leur départ. Les conditions de la disparition de Raymond Lefebvre et de ses camarades ne furent jamais totalement éclaircies, non plus que n’est réellement connu l’état d’esprit qui était le leur à la fin de leur voyage. Des éléments sont fournis par les lettres de Lepetit publiées après sa mort, en décembre 1920, par le Libertaire, qui critiquaient l’insuffisance de la participation ouvrière en Russie soviétique. Rien n’atteste que Lefebvre partageait les réactions de l’anarcho-syndicaliste Lepetit. Dès que fut connu le drame de la disparition des trois Français, des polémiques éclatèrent : la grande presse se fit l’écho d’allégations imputant aux bolcheviques la responsabilité criminelle de la disparition des « Trois ». L’ouverture des archives de Moscou n’a pas bouleversé, pour le moment, la connaissance de la question de la disparition de Lefebvre, Lepetit et Vergeat qui avait été établie par Annie Kriegel dans le second tome d’Aux origines du communisme français, 1914-1920 (p. 772-787).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75628, notice LEFEBVRE Raymond (version Komintern) par Nicole Racine, version mise en ligne le 17 mai 2021, dernière modification le 1er mai 2022.

Par Nicole Racine

SOURCES : Notice DBMOF par Nicole Racine.

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