Par Robert Debant avec les apports de Jacques Fleury
Né le 20 juillet 1909 à Badens (Aude), mort le 16 novembre 1985 à Toulouse (Haute-Garonne) ; instituteur ; syndicaliste et militant socialiste SFIO de l’Aude ; conseiller général, député et sénateur de l’Aude ; secrétaire d’État (1956-1957).
Georges Guille naquit dans cette plaine viticole audoise dont la population n’a cessé de manifester depuis le milieu du XIXe siècle un attachement profond aux idées et aux sentiments « républicains ». Son père, très modeste propriétaire rural, qui avait milité dans les rangs socialistes et dans la Libre Pensée de son village, mourut en 1922, sept ans après sa femme, des suites des blessures reçues au cours de la Grande Guerre. Pupille de la Nation, il fit ses études à l’école primaire supérieure de Carcassonne (Aude) et entra à l’École normale d’instituteurs de Carcassonne (1925-1928). Marié exclusivement civilement avec une institutrice, la plus grande partie de sa carrière administrative se déroula jusqu’en 1939 à Thézan, dans les Corbières, dont il dirigeait l’école à la veille de la guerre. Membre du Syndicat national depuis 1929, il devint membre du conseil syndical de la section départementale du SN puis du SNI en 1934. Mais, il ne participa pas vraiment à la vie syndicale dans l’Aude en raison de ses responsabilités politiques. Il fit grève le 12 février 1934 et le 30 novembre 1938, milita au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes.
Georges Guille adhéra au Parti socialiste SFIO dès 1927, alors qu’il se trouvait à l’école normale, non sans avoir d’ailleurs hésité quelque temps entre le socialisme et le communisme. Il avait subi l’influence d’une des personnalités les plus remarquables de l’avant-garde audoise, son compatriote Léon Hudelle*, originaire de Peyriac-Minervois, rédacteur en chef du Midi socialiste. Dès 1930, secrétaire fédéral des Jeunesses socialistes puis délégué régional à la propagande, il s’imposa très vite, comme un remarquable orateur et comme le propagandiste le plus apte à combattre le radicalisme d’Albert Sarraut, alors omnipotent dans le département de l’Aude. Georges Lefranc*, qui fut alors le témoin de son prosélytisme au sein du monde viticole, évoquait la séduction qu’exerçait son éloquence à la fois chaude et incisive, dressée contre la prépondérance conformiste du Parti radical dans la majeure partie du département : « Je me souviens d’avoir, en mai 1932, à Sigean, entendu les assistants d’un meeting réclamer, après un discours de Léon Blum, une intervention du jeune Georges Guille, qui fut beaucoup plus applaudie » (Le Mouvement socialiste sous la Troisième République, op. cit.). En 1934, il adhéra aux thèses « Révolution constructive » et militait dans la Libre Pensée.
En 1935, le siège de conseiller général de Capendu étant devenu vacant, Georges Guille entra en lice sans illusion dans une circonscription où l’audience du radicalisme semblait à peu près souveraine ; Badens appartenait à ce canton. Il fut battu de deux voix par le candidat du Parti radical, Gabarrou, mais l’élection ayant été annulée par le Conseil d’État, un nouveau scrutin lui permit d’emporter, à la surprise de la plupart des observateurs, une franche victoire, avec 1 335 voix, contre 1 273 à Roger Gourgon. Georges Guille représenta par la suite ce canton de 1945 à 1976.
Lors des élections législatives de 1936, son parti jugea opportun d’opposer sa candidature, dans la circonscription de Lézignan, à celle de Léon Castel, radical-socialiste, député de l’Aude depuis 1919, maire et conseiller général de Lézignan, personnalité influente dans les milieux viticoles, tempérament très souple et apte à la bonne entente avec les grosses fortunes terriennes en dépit d’origines fort humbles, politicien modéré et nettement hostile au Front populaire. À l’issue d’une campagne des plus dynamiques, Georges Guille recueillit 4 976 voix, c’est-à-dire un peu plus de 40 % des suffrages exprimés, contre 6 447 au député sortant, qui fut réélu dès le premier tour. 812 voix s’étaient portées sur le représentant du Parti communiste, Achille Roussel. Ce résultat marquait un net progrès sur celui qu’avait obtenu le candidat socialiste aux élections de 1932, Eugène Montel, lequel s’était seulement assuré 34 % des suffrages exprimés.
Hostile à la non-intervention en Espagne, favorable puis hostile aux accords de Munich, Georges Guille, que l’autorité militaire avait exclu du corps des officiers de réserve en 1935, fut mobilisé en septembre 1939 comme simple soldat ; il figurait sur la liste des « propagandistes révolutionnaires ». À ce titre, il fut envoyé dès le début sur le front de la Sarre, comme brancardier. Après sa démobilisation, il reprit son poste. Devenu très tôt suspect aux yeux de l’administration de Vichy - sa révocation avait été envisagée en 1936 et ne lui avait été épargnée que par l’avènement du Front populaire - il fut « expulsé », selon ses propres termes, de l’Aude à la fin de 1940 et muté d’office dans le Gard où il participa très activement à la Résistance et le Parti socialiste clandestin. Rentré dans son département à la Libération, membre du Comité départemental de Libération, puis secrétaire fédéral du Parti socialiste SFIO, il devint alors le leader incontesté du socialisme dans son département.
Guille présida le conseil général de l’Aude de 1945 à 1948 et de 1951 à 1973, usant régulièrement de cette présidence comme d’une tribune politique pour défendre la viticulture, le Midi et la culture occitane, dénoncer le stalinisme, défendre la laïcité, combattre la politique du Général de Gaulle, les institutions de la Ve République, l’élection du Président au suffrage universel, etc…
Guille fut élu député en tête des listes socialistes SFIO aux Assemblées nationales constituantes de 1945 et de 1946, aux Assemblées de 1946, 1951 et 1956. Il siégea de façon continue dans la commission de l’agriculture, présida la commission des boissons à partir de 1947. Une partie de son activité parlementaire porta sur les questions viticoles. Il fut le promoteur de la loi établissant le label VDQS. À partir de 1954, il siégea aussi à la commission de l’Intérieur. Opposant régulier à la participation des socialistes à des gouvernements de coalition avec des formations de droite, il accepta pourtant d’entrer dans le gouvernement de Guy Mollet et devint secrétaire d’État à la présidence du Conseil, chargé des relations avec les assemblées et de l’énergie atomique du 1er février 1956 au 13 juin 1957. Il fut notamment à l’initiative de la création de l’Institut national des sciences et techniques nucléaires. Cette expérience ne fit que le renforcer dans son opposition de principe à la participation aux gouvernements.
En juin 1958, Guille se prononça contre l’investiture du général de Gaulle et les pleins pouvoirs à son gouvernement et demeura par la suite un opposant résolu au Général de Gaulle.
Aux élections législatives de 1958, candidat dans la première circonscription (Carcassonne) Guille obtint au premier tour 13 191 voix sur 56 116 inscrits, contre 8 421 au communiste Roquefort, 9 832 au MRP Raymond Clergue et 6386 au radical Fabre. Au second tour Guille n’obtenait que 16 729 voix, le candidat communiste qui s’était maintenu en obtenait 8 300, et Raymond-Clergue, bénéficiant du désistement du radical Fabre, fut élu avec 18 300 voix. Dans le département, le PCF profitait de l’occasion pour sanctionner celui qui avait toujours été un opposant résolu au « stalinisme », comme il le qualifiait. Pourtant Guille fut toujours favorable à la réunification de la gauche. Au lendemain de la guerre, il était partisan de « l’unité organique » et, dès 1962, il soutint la politique de rapprochement entre la SFIO et le PCF.
Georges Guille, élu sénateur, le 26 avril 1959, fut réélu le 23 septembre 1962, Il participa à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il se signala aussi par un important discours sur la laïcité, le 29 décembre 1959.
Toujours dans la première circonscription, Georges Guille l’emporta aux deuxièmes tours des élections législatives de 1967 (58 089 inscrits, 15 348 puis 27 601 voix) et de 1968 (57 858 inscrits, 13 213 puis 23 831 voix), comme candidat de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste-SFIO. Dans ces deux élections, la presse notait qu’il ne recueillait pas la totalité des voix du candidat communiste Roquefort* aux premiers tours.
Membre de la direction de la SFIO, lors du processus d’unification des membres de ce parti avec ceux qui hors de ce parti se réclamaient du socialisme, Georges Guille, favorable à la recherche de l’unité, fut, au sein de la SFIO, le porte-parole de ceux qui exigeaient que le futur parti unifié respecte les principes fondamentaux du socialisme définis dans la déclaration de principe de la SFIO et le fonctionnement démocratique, estimant que le nouveau parti devait être voué avant tout à la promotion du socialisme. Pendant une dizaine d’années, il se battit dans tous les congrès pour empêcher que le parti ne tombe aux mains de ceux qu’il appelait « les vagabonds de la politique », susceptibles de se plier aux institutions de la Cinquième République et de privilégier la victoire électorale sur la défense du socialisme. Il adhéra au parti socialiste fondé à Issy-les-Moulineaux, dirigé par Alain Savary*, dont il estimait qu’il regroupait des socialistes. Il obtint le plus de suffrages à l’élection du nouveau Comité Directeur. Mais, au lendemain du Congrès d’Épinoy, constatant que le non-respect des règles démocratiques avait conduit à offrir le nouveau parti à François Mitterrand et à une minorité dont le socialisme lui paraissait suspect, il refusa d’adhérer.
Georges Guille mit volontairement fin à sa carrière politique. Il ne se représenta pas à l’élection législative de 1973 ni à l’élection cantonale de 1976. Il se refusa dès lors à toute prise de position publique. De la même façon, toujours adhérent du SNI, il avait entretenu les meilleures relations avec la section départementale du SNI à direction « autonome ». Il décida de ne pas ré-adhérer en 1977.
Jusqu’au congrès d’Épinay, les socialistes de l’Aude avaient toujours marqué une profonde admiration - certains parlaient de vénération - à celui que chacun appelait affectueusement « le Gitan », en raison de son physique. Mais à compter de son refus d’adhérer au parti d’Épinay, les dirigeants socialistes de l’Aude le vouèrent à l’oubli. À sa mort, après son incinération, le Midi Libre titrait « Guille est mort, un monument du siècle ». La Dépêche du Midi, après avoir avancé que « s’il eut voulu, à l’époque, il eut pu devenir, nous n’avons pas peur de l’affirmer, le « patron » du socialisme français en lieu et place de François Mitterrand ! », évoquait ses qualités humaines en concluant : « Il n’aura jamais trahi personne. Mais il sera resté fidèle à lui-même […] De tels parcours l’histoire est avare ». Pourtant le Président socialiste du conseil général, contre toutes les habitudes, ne prononça pas son éloge. Seul le maire de Badens fit ériger, en 1989, une stèle à sa mémoire. En 2009, les socialistes audois ont célébré le centième anniversaire de sa naissance.
Par Robert Debant avec les apports de Jacques Fleury
ŒUVRE : Georges Guille, La Gauche la plus bête, Paris, 1970.
SOURCES : Arch. Dép. Aude, 2 et 5 M. — Sites Internet de l’Assemblée nationale et du Sénat. — Presse syndicale. — Notice DBMOF par Robert Debant. —Georges Lefranc, Essais sur les problèmes sociaux et syndicaux, op. cit.. — Le Mouvement social, janvier-mars 1966. — Le Monde, 20 novembre 1985. — Fleury Jacques, Georges Guille. Le socialisme au cœur, Paris, L’Encyclopédie du socialisme, Mémoire(s) du socialisme, 2009. — Renseignements fournis par G. Guille à Jacques Girault en 1977. — Notes de Jacques Girault.