Par Notice revue et augmentée par Laurent Colantonio (septembre 2011)
Né le 17 mars 1811 à Bandon, comté de Cork, Irlande ; mort le 22 mai 1886 à Londres ; owenien, syndicaliste et réformateur social.
Son père, un coupeur de futaine d’origine galloise, participa à la grande insurrection séparatiste irlandaise de 1798. En témoignage de son engagement nationaliste, il se convertit ensuite au catholicisme et éduque son fils dans la perspective de la prêtrise. Mais le jeune Patrick perd la foi à l’adolescence ; il la retrouvera bien plus tard, cette fois hors de l’Eglise catholique, devenant pasteur non-conformiste au début des années 1840. Pour l’heure, désavoué par son père, il déménage à Dublin en 1825 où il travaille à son tour comme coupeur de futaine.
En prise à des difficultés financières, il est contraint d’émigrer vers l’Angleterre en 1827. Il effectue un bref séjour à Liverpool, puis s’installe à Salford, dans la banlieue de Manchester. Il devient un membre actif du syndicat des coupeurs de futaine, se familiarise avec les écrits de Robert Owen, rencontre Edward Thomas Craig qui le convainc, en 1829, d’adhérer à la Société coopératiste de Salford (Salford Co-operative Society). Sa vie durant, il n’aura de cesse d’œuvre au rapprochement entre mouvement syndical et mouvement coopératiste.
Jones se fait rapidement un nom en tant qu’orateur populaire. En 1831, il s’implique dans l’organisation de cours du soir, où il rencontre Mary Dring (1816/17-1886), qu’il épouse en 1837. De cette union naîtront deux filles et trois garçons. En 1837 toujours, afin de marquer ses distances avec le catholicisme de son père, il abandonne son prénom et se fait appeler Lloyd Jones.
Jusqu’à la fin des années 1840, au sein du chartisme, Jones demeure proche du courant de « la force morale » (qui s’oppose à l’usage de la violence pour imposer la Charte) et, surtout, il continue de se faire l’ardent propagandiste du système coopératiste owenien. Sa réputation comme animateur de la « mission sociale » (social missionary) orchestrée par l’Association of All Classes of all Nations – dont il est membre –, gagne tout le nord de l’Angleterre, l’Écosse et Londres. Lorsque ce programme s’achève en 1845, Jones s’investit au sein de la Leeds Redemption Society, puis participe en 1848 à la création de la Ligue owenienne pour le progrès social (Owenite League of Social Progress) et au lancement du journal coopératiste Spirit of the Age (L’Esprit du temps). En 1849, après avoir contribué à l’éphémère Ligue nationale chartiste-radicale pour la réforme (Chartist-Radical National Reform League) aux côtés de Bronterre O’Brien et George Reynolds, Jones se rapproche des socialistes chrétiens, en particulier de Frederick D. Maurice et de John M. Ludlow (ce dernier devient son ami) et il œuvre activement à la propagation de leurs idées. En 1850, on lui confie la gestion du magasin coopératif des socialistes chrétiens à Londres ; il entreprend la même année, en compagnie de Thomas Hughes et E. Vansittart Neale une tournée de conférences dans le Lancashire. En 1854, alors que le mouvement chrétien socialiste s’étiole, Lloyd Jones consacre une large part de son activité au développement de l’éducation ouvrière. C’est en défense de cette cause qu’il participe, comme enseignant, à la fondation du London Working Men’s College (collège ouvrier dirigé par F. D. Maurice) et qu’il prend en charge l’Institut des arts et métiers de Leeds (Leeds Mechanics’ Institute, 1855-56).
En parallèle, Jones poursuit sa prolifique activité journalistique. Il prête sa plume à un grand nombre de périodiques : le Spirit of the Times (sous le pseudonyme de ‘Cromwell’, 1849), le Weekly Tribune (1849–50), le North British Daily Mail (1865–9), l’Industrial Partnerships Record (1867-69), le Newcastle Daily and Weekly Chronicle (1876–86), etc. Jones collabore aussi fréquemment au Bee-Hive and Industrial Review, le périodique syndical le plus influent de la décennie 1870-1880, dans lequel il rédige des éditoriaux restés fameux.
À partir de 1870 et jusqu’à sa mort, il représente fréquemment les syndicats dans les procédures d’arbitrage, notamment dans les districts miniers. À soixante-quatorze ans, il accepte de se présente aux élections générales de 1885 comme candidat indépendant des mineurs à Chester-le-Street (Durham). Son échec (il est battu par le candidat libéral) est pour lui une grande déception. Il meurt des suites d’un cancer l’année suivante, à son domicile londonien.
On peut voir en Lloyd Jones un représentant typique des militants ouvriers radicaux du milieu du XIXe siècle. Excellent orateur, il était un chaud partisan de la coopération et de l’éducation populaire, comme en témoigne ses deux principaux ouvrages : The Progress of the Working Classes 1832–1867, co-écrit avec Ludlow et publié 1867, et sa biographie de Robert Owen, qui paraît à titre posthume en 1889. Vers la fin du siècle, Ludlow a pu dire de lui : « Je n’ai connu personne qui fût animé d’un plus grand idéal que Jones et d’un enthousiasme plus sincère pour le bien commun. »
Par Notice revue et augmentée par Laurent Colantonio (septembre 2011)
ŒUVRE : The Progress of the Working Class, 1832-1867 (Le développement de la classe ouvrière), en collaboration avec J.M. Ludlow, Londres, 1867. — The Life, Times and Labours of Robert Owen (Robert Owen et son temps, sa vie, son œuvre), Londres, 1889.
BIBLIOGRAPHIE : B. Jones, Co-operative Production, 2 vol., Oxford, 1894. — S. & B. Webb, A History of Trade Unionism, Londres, 1894. — J. McCabe, Life and Letters of George Jacob Holyoake, 2 vol., Londres, 1908. — C.E. Raven, Christian Socialism, 1848-1854, Londres, 1920. — G.D.H. Cole, A Century of Co-operation, Manchester, [1945]. — T. Christensen, Origin and History of Christian Socialism, 1848-1854, Copenhague, 1962. — J.D. Osburn, « The Full Name of Lloyd Jones : Reflexions on Nineteenth Century Working Class Religion and Politics », Bulletin of the Institute of Historical Research, vol. 46 (1973). — B. Colloms, Victorian Visionaries, Londres, 1982. — Joyce Bellamy et John Saville (ed.), Dictionary of Labour Biography, t. I. — Matthew Lee, ‘Jones, (Patrick) Lloyd (1811–1886)’, in Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004, online edn, 2009. — Frances Clarke, ‘(Patrick) Lloyd Jones’, in J. McGuire et J. Quinn (eds), Dictionary of Irish Biography, Cambridge, Cambridge University Press/Royal Irish Academy, 2009, vol. 4.