Né le 8 mars 1805 à Edimbourg ; mort le 18 février 1879 à Stalybridge, Cheshire ; prédicateur méthodiste, réformateur social.
Fils d’un prédicateur wesleyen, Joseph Stephens est exclu de l’Église méthodiste à l’âge de vingt-neuf ans pour avoir préconisé la séparation de l’Église anglicane et de l’État. La même année, en 1834, il s’installe dans le comté industriel du Lancashire et se lance aussitôt dans le factory movement ou campagne pour la législation du travail (en particulier la limitation de la durée du travail pour les femmes et les enfants dans les usines textiles). Il associe ses efforts à ceux du patron tory Richard Oastler* et met ses dons exceptionnels d’orateur au service du mouvement, dont il devient un des meneurs les plus connus.
Dès 1836, lorsque la Nouvelle loi des pauvres (votée en 1834) commence à être appliquée dans les zones industrielles du Yorkshire et du Lancashire, Stephens compte parmi ses plus farouches opposants. D’ailleurs cette réforme brutale de l’assistance publique est immédiatement détestée dans les classes populaires. Stephens dénonce l’inhumanité de la nouvelle Poor Law avec une violence extrême. Citons par exemple une de ses prédications enflammées, prononcée à Londres en mai 1839 :
« Je n’ai jamais admis l’autorité de la Nouvelle loi des pauvres et Dieu me préserve de l’admettre jamais. On peut saisir mes meubles, ma chaise, ma table, mon lit ; on peut démolir ma maison et nous obliger ma femme, mon enfant et moi-même, à devenir des vagabonds errant à travers les landes et les collines ; on peut tout me prendre, sauf ma femme, mon enfant ou ma vie, mais je ne verserai jamais un sou pour la nouvelle taxe. Si l’on ose user de la contrainte, et s’il me faut répondre à la force par la force, je saurai trouver un couteau, une pique, une balle et je vendrai cher ma vie. Que tous, vous qui m’écoutez et les autres, fassent de même. Je ne reculerai pas et vous encourage à faire ce que je suis moi-même prêt à faire. J’affirme que si l’on essaie de mettre en application cette loi inique et démoniaque, je me battrai. Je troquerai l’habit noir de ministre du culte contre la veste rouge de soldat, je prendrai la Bible d’une main et l’épée de l’autre (une épée d’acier et non de papier) et je lutterai jusqu’à la mort plutôt que de me taire ou de consentir à la mise en application de la loi sur moi ou sur d’autres. »
Stephens a joué un rôle important, quoique indirect, dans le chartisme. S’il a toujours refusé de se déclarer chartiste, son hostilité passionnée à la loi des pauvres a été un facteur essentiel dans la prise de conscience des chartistes et dans l’agitation qui s’ensuivit. Comme son ami Oastler, Stephens est essentiellement un « tory radical » : combinaison politique inattendue, mais caractéristique de la société britannique entre la fin des guerres napoléoniennes et le milieu du XIXe siècle.
Arrêté en août 1839, Stephens est condamné à une peine légère et sort de prison dès 1840. Il s’installe alors à Ashton-under-Lyne, Lancashire, comme pasteur d’une chapelle nonconformiste que lui procurent ses partisans. Il publie un mensuel auquel il donne son nom : Stephens’ Monthly Magazine et dans lequel il continue de dénoncer les brutalités de la Poor Law et de réclamer une législation sur la durée du travail dans les fabriques. Cependant il n’intervient plus jamais directement sur la scène politique et ses prises de position, écrites ou orales, n’ont plus la virulence d’avant son incarcération.
Le Stephens’ Monthly Magazine ne paraît que quelques mois et en 1848 Stephens lance le Ashton Chronicle, qui change de titre en 1850, devient le Champion et se maintient jusqu’à la fin de 1851. L’année suivante Stephens s’établit à Stalybridge où il a sa propre chapelle et où il prêche jusqu’en 1875. Il ne renonce pas à ses idées et continue de soutenir les causes avancées, telles que le développement du syndicalisme dans les années 1860 et de l’école primaire après 1870.
ŒUVRE : Les discours et sermons de J. Stephens ont été publiés sous forme de brochures.
BIBLIOGRAPHIE : G.J. Holyoake, Life of Joseph Rayner Stephens : Preacher and Political Orator, Londres, 1881. — R.G. Gammage, History of the Chartist Movement, Newcastle, 1894. — M. Howell, The Chartist Movement, Manchester, 1918. — A.R. Schoyen, The Chartist Challenge, Londres, 1958. — J.T. Ward, « Revolutionary Tory : The Life of Joseph Rayner Stephens of Ashton-under-Lyne », Transactions of the Lancashire and Cheshire Antiquarian Society, vol. 68, 1958. — N.C. Edsall, The Anti-Poor Law Movement 1834-1844, Manchester, 1971. — T.M. Kemnitz et F. Jacques, « J.R. Stephens and the Chartist Movement », International Review of Social History, vol. 19, 2, 1974. — J. Epstein, The Lion of Freedom : Feargus O’Connor and the Chartist Movement 1832-1842, Londres, 1982.