MORRIENS Frans, Christian. Pseudonymes : SMIT August, ARTHUR (DBK)

Par José Gotovitch

Né le 21 mars 1901 à Anvers, mort au camp de concentration de Dora en mars 1945 ; ouvrier électro-mécanicien ; secrétaire national du PCB ; pratiquant au Comité exécutif de l’IC, puis au Profintern ; gestionnaire du Club des Marins de Batoum ; résistant.

Né dans une famille ouvrière, d’un père métallurgiste (tourneur) et d’une mère ménagère, Frans Morriens débuta à 15 ans, après l’école primaire et l’école technique, comme apprenti électricien. Il travailla ensuite en usine jusqu’en 1928. Il passa alors dans le cadre permanent du Parti. Il était affilié aux Jeunes Gardes socialistes depuis 1916. En 1923, après son service militaire, le syndicat socialiste des métallurgistes d’Anvers dont il était membre l’envoya suivre une session de l’École ouvrière supérieure, institut de formation socialiste des cadres politiques et sociaux. Les professeurs s’appelaient Émile Vandervelde et Louis de Brouckère.
En 1919, il créa le premier groupe des Jeunesses communistes à Anvers, et participa à la formation du PC de la ville. Lors de la création du PCB en 1921, il fut à la fois secrétaire national flamand des Jeunesses et membre du comité central du Parti. Il parlait flamand, français et allemand, ce qui l’aida dans les contacts internationaux qu’il assura. Il participa en effet au IIe congrès de l’ICJ à Moscou en juillet 1921 en même temps qu’au IIIe congrès de l’IC. Il fut présent au congrès du Parti communiste allemand d’Essen ainsi qu’aux Pays-Bas et il prit part aux deux congrès de la Ligue anti-impérialiste. Jusqu’en 1928, il occupa des fonctions dirigeantes dans les comités d’usines, notamment délégué d’usine de la grande entreprise de construction automobile Minerva à Anvers. Au niveau régional, il siégea dans la direction du syndicat socialiste des métallurgistes dont il fut exclu en 1928 comme communiste. Il collabora régulièrement au journal flamand du Parti, De Roode Vaan (Le Drapeau Rouge). Il avait été arrêté puis relâché dans le cadre du « Grand complot » de 1923.
Il s’était marié en 1922 avec Odile Suys et eut deux enfants (Valentine et Renée). Membre du Bureau politique (BP) depuis 1926, il participa activement à la Section syndicale centrale et comme tel assuma la responsabilité des activités au port d’Anvers, y compris le club des marins. Il siégea à la direction de l’Unité syndicale, une fraction unitaire mise sur pied entre 1926 et 1928. En 1928, il était membre du secrétariat du Parti, et secrétaire de sa Commission syndicale centrale. Il assura ainsi la responsabilité devant le BP de la grève des dockers d’Anvers en 1928 et organisa l’agitation dans les régions flamandes lors de la grande grève des ouvriers du textile du Nord en 1928-1929. Il était en relation constante avec le Profintern où on le considérait comme un bon agitateur. Entre 1928 et 1930, il participa à l’organisation des réunions clandestines de la direction du PCF en Belgique. Il fut un moment secrétaire fédéral à Liège, tout en jouant un rôle central dans l’élimination des vétérans Jacquemotte et Coenen du BP dans la période chaotique du bureau politique provisoire qui suivit la scission de 1928.
Au début de 1930 il fut choisi comme « pratiquant » à l’IC. Le 12 mars 1930, il présenta un rapport sur la situation générale en Belgique devant le Secrétariat latin. Au moment où l’IC se préoccupa de manière systématique de la question flamande en Belgique, Morriens fit entendre des accents très flamands et critiqua vivement le PCB pour sa politique nationale, faite de sous-estimation de la question flamande. Il concourut ainsi à l’argumentation critique de l’IC envers le parti belge sur cette question. Dans les questionnaires remplis en 1930 et 1932, il indiquait d’ailleurs comme nationalité « Flamand ». À partir de septembre 1930 il devint instructeur de la section d’organisation du Profintern. Comme tel il mena des missions clandestines, notamment en Yougoslavie, en Bulgarie, en Turquie. Il fut admis au Parti communiste soviétique en 1931. Mais en mars 1931, le Secrétariat latin posa « la question Morriens », sans que nous puissions en connaître la nature et proposa de l’utiliser en dehors de Moscou. En avril il fut envoyé comme responsable (instructeur) du Club international des marins de Batoumi où il travailla pendant un an. Au début de 1932, la direction du Profintern le « libéra de ce travail » et le rappela à Moscou où son cas fut confié à la Commission internationale de contrôle. Différents groupes d’ouvriers de Batoumi saluèrent son départ en mai 1932 par des témoignages de sympathie et de gratitude.
Rédigeant sa biographie en 1932, il signala les « plaintes déposées contre lui ». Et il « avoua » par la même occasion, avoir éprouvé « des doutes » trotskystes en 1927, mais avoir combattu fermement aux côtés de l’IC dans le parti belge au moment de la scission. La commission de contrôle, évoquant la désorganisation dans son travail, décida de ne plus lui confier de travail responsable et l’affecta au secteur édition de l’IC, décision entérinée par la commission politique le 9 août 1932.C’était donc vraisemblablement ces hésitations « trotskystes » qui entachaient son cas, comme il fut clairement explicité en 1936. De 1933 à 1935, il dirigea la section romane des Éditions littéraires en langues étrangères. Publiée entre 1932 et 1934, une brochure parut sous son nom au Bureau d’édition à Paris, relatant la vie d’un forgeron belge qui avait participé à la révolution d’Octobre et vivait en URSS. Une version allemande parut à Moscou en 1933. Par ailleurs, les archives recèlent un projet d’une importante brochure, écrite également à Moscou, sur les grèves belges de l’été 1932. Adressée à Fried, elle n’a pas vu le jour : est-ce parce qu’elle baignait dans le « social-fascisme » déjà dépassé au moment de sa conception ou pour d’autres raisons inconnues ? En 1936, il était rédacteur aux Éditions des travailleurs étrangers.
En URSS, Morriens rencontra et épousa en secondes noces Lisa Lvovna Dorfmann, née en 1908 à Odessa, fille d’un horloger d’origine juive, qu’elle avait rejoint en Belgique en 1925. Elle y était ouvrière diamantaire à Anvers et militante communiste jusqu’à son expulsion en 1930. Rédactrice au Krestintern en 1930, elle fut affectée à la direction de l’Intourist à Batoumi en 1931-1932. Elle revint ensuite à Moscou, où elle travailla successivement dans les éditions internationales et dans l’appareil du Comité exécutif de l’IC. À partir de 1935, elle fut définitivement affectée aux Éditions de la littérature en langues étrangères. Leur fille naquit en 1934.
Dès 1932, il fut question du retour en Belgique de Frans Morriens. Mais c’est en 1936 qu’il adressa sa demande à Jacquemotte présent à Moscou « puisque l’IC [avait] levé les sanctions contre [lui] ». En fait, le Parti communiste belge ne soulevant aucune objection, son départ lui fut accordé par les cadres de l’IC en septembre 1936. Mais le Comité exécutif lui reprochait de n’avoir pas fait mention, lors de l’épuration du Parti et de l’échange des documents de ses « doutes trotskystes », ce que contredisait pourtant l’autobiographie de 1932. L’IC transmettait donc son cas aux cadres belges.
Il rentra discrètement en Belgique, ayant laissé sa femme et sa fille en URSS. L’intention du PCB était de lui confier la direction des éditions. Mais le 12 décembre 1936, la décision fut suspendue sous réserve d’informations demandées « là où il faut ». En février 1937, à Moscou, la commission internationale des cadres examina son cas en présence du nouveau secrétaire national du PCB,Xavier Relecom, et du délégué de l’IC en Belgique, Andor Berei. Relecom expliqua que Morriens avait caché l’interdiction faite par l’IC de travailler dans l’édition et avait essayé d’y obtenir une fonction. Mais il releva surtout qu’il avait « caché à l’IC avoir voté pour les trotskystes en 1927 ». Cette fois, la Commission internationale des Cadres prit la résolution de charger la commission de contrôle politique du PCB de décider l’exclusion de Morriens du Parti. Mais, fait à souligner, en septembre, les Belges décidèrent une simple remise à la base et de plus, on retrouva Morriens entre 1939 et 1941 à l’Office belge littéraire et artistique, « OBLA », vitrine légale des Amis de l’URSS et, à peine camouflée, du Parti à Bruxelles.
En 1938, son cas avait été soulevé en même temps que celui de De Boeck* par la presse de droite, le présentant comme une victime du NKVD. Il intervint publiquement pour défendre le Parti et l’URSS. Cela lui fut porté favorablement en compte par « les services » pour lui accorder une autorisation de séjour temporaire à Moscou en mars 1941. Depuis 1939 en effet, sa femme avait formulé plusieurs demandes en ce sens. Éduquant seule sa fille avec un salaire mensuel de 300 roubles, et suivant encore des cours, elle devait faire appel à une aide-ménagère. Elle réclamait au minimum l’inscription de son enfant à l’école maternelle des Combattants de la Révolution. L’invasion de l’URSS bloqua tous les projets.
Après juin 1941, dans la clandestinité, il assura diverses responsabilités fédérales en Flandre, dans le Parti et pour le Front de l’Indépendance. Au moment de la grande rafle de la direction, en juillet 1943, il dirigeait l’appareil central de presse flamand sous le pseudonyme d’Arthur. Il assuma ensuite la direction nationale des Réfractaires, fonction semi-militaire. C’est en cette qualité qu’il fut arrêté par la SIPO-SD (Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst, police secrète SS) lors d’un rendez-vous, le 3 novembre 1943. Il connut successivement les camps de Breendonk, Gross-Strehlitz, Gross-Rosen, Dora et Mauthausen. Il fut présumé décédé en mars 1945.
Dans l’ignorance de son sort, sa fille, alors en 4e classe à Moscou, et sa femme eurent l’autorisation de s’adresser au PCB en juillet 1945. Dans une lettre émouvante, sa fille âgée alors de 11 ans, lui demandait de rentrer « au plus vite à la maison », car elle aurait aimé qu’il vive avec eux. Elles apprirent ainsi la disparition de celui qu’elles n’avaient plus vu, mais pas oublié, depuis neuf ans. Un document de 1956 précise que sa veuve travaillait comme correctrice aux Éditions du Ministère des Affaires Étrangères, que sa fille était en 5ème année et bénéficiait d’une subvention de la Croix Rouge, et qu’elles vivaient toujours au Lux !

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75848, notice MORRIENS Frans, Christian. Pseudonymes : SMIT August, ARTHUR (DBK) par José Gotovitch, version mise en ligne le 5 juillet 2010, dernière modification le 11 février 2018.

Par José Gotovitch

ŒUVRE : Frans Morriens, Frédéric Legrand…., préface de P. Semard*, Paris, Bureau d’Edition, sd. — « Trubka » erzählt. 15 Jahre als ausländischer Arbeiter in der USSR (erzählt von Frederic Legrand, niederschrieben von Frans Morriens), Moskau-Leningrad, Verlagsgenossenschaft ausländischerArbeiter in der UdSSR, 1933.

SOURCES : RGASPI, 495 193 493. — TsChIDK (Osobyi) Procureur du Roi, Bruxelles, 102/1/56. — CARCOB, microfilms IML, Profintern et ICJ. — AMSAB, Archives Morriens.

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