SERRA Antoine

Par Jean-Claude Lahaxe, Robert Mencherini

Né le 6 mars 1908 sur l’île de La Maddalena (Sardaigne, Italie), mort le 6 mai 1995 à Mouriès (Bouches-du-Rhône) ; artiste peintre ; militant communiste, FTPF.

Autoportrait d’Antoine Serra, 1947
Autoportrait d’Antoine Serra, 1947
Collection Jacqueline Serra

Antoine Serra arriva à Marseille en juin 1914, à l’âge de six ans. Sa mère, Maria, veuve, avait décidé de quitter la Sardaigne, avec son fils et ses trois filles pour rejoindre sa sœur dans la cité phocéenne. La famille habita le quartier populaire de la Belle-de-Mai et vécut de travaux divers. Antoine Serra eut du mal à s’adapter à l’école et courut les quais. Arrêté à deux reprises pour de menus chapardages au détriment de la base américaine, il fut traduit en justice et envoyé, en février 1919, en maison d’éducation surveillée. Il s’en échappa, regagna le domicile familial, et entra en apprentissage. Il fut, en particulier, employé sur les quais, comme porte-romaine, c’est-à-dire porteur de la balance utilisée par les peseurs-jurés. Fasciné par la toile du Vieux-Port qu’un paysagiste brossait, le jeune Antoine eut la révélation de sa vocation picturale. Il multiplia dès lors les démarches pour la réaliser. Il trouva peu après une place d’apprenti chez un peintre en bâtiment du quartier Saint-Lazare puis, au bout de trois mois, réussit à se faire embaucher chez Maïna, un décorateur connu de Marseille. L’aide du maire de Marseille, Siméon Flaissières, lui permit de s’inscrire à l’école des Beaux-Arts afin d’y suivre les cours après son travail. Son talent fut très vite reconnu par plusieurs premiers prix de l’école.

L’activité artistique dont Antoine Serra voulait faire sa vie se conjugua rapidement avec l’engagement politique. Révolté par l’injustice et la misère, il fréquenta le groupe d’études sociales de Marseille, qui, dans les années 1920, regroupait des anarchistes, syndicalistes révolutionnaires et des socialistes et, en 1926, il adhéra aux Jeunesses communistes. Il participa au groupe théâtral « La muse prolétarienne » qui interprétait des pièces de Paul Vaillant-Couturier. Antoine Serra obtint la nationalité française en janvier 1930.

Du 15 au 30 mars 1928, il exposa plusieurs toiles à la galerie-librairie Guibert de Marseille, avec des condisciples des Beaux-Arts de son âge, Simon Auguste, Antoine Ferrari et Louis Toncini, sous l’étiquette « Jeunes peintres ». Sans doute sous l’influence de Serra, plusieurs d’entre eux, au début des années 1930, formèrent le groupe des « Peintres prolétariens ». C’est sous ce nom qu’ils présentèrent, en 1934, dans l’une des principales galeries marseillaises, la galerie Detaille, des « paysages simples, sans éclat, où des hommes travaillent », appréciés, pour leur qualité artistique, par le critique des Cahiers du Sud, Abel Valabrègue. Parallèlement, Antoine Serra adhéra à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) dont il devint, à Marseille, le responsable pour les Arts plastiques. Il joua, à ce titre, un rôle essentiel dans la création, dans la cité phocéenne, de la deuxième maison de la culture en France, après celle de Paris. Celle-ci, située 68 rue Sainte, à proximité des ateliers d’artistes du Vieux-Port, fut inaugurée, les 28 et 29 mars 1936, par deux conférences de Louis Aragon. Antoine Serra en dirigea la section des Arts plastiques, organisa des expositions de peinture et écrivit, à ce propos, plusieurs articles dans Peuple et culture, la revue de la maison de la culture. Il exposa lui-même ses œuvres, à la galerie Detaille, en février 1936, en compagnie des ses amis « Peintres prolétariens », devenus, au temps du Front populaire, « Peintres du Peuple ». Il fut, en même temps très engagé dans le soutien à l’Espagne républicaine et peignit une grande toile dénonçant le massacre de Guernica, intitulée La Non Intervention, puis Civilisation.

Mobilisé à Digne (Basses-Alpes) pendant la Drôle de guerre, il fut rendu à la vie civile après l’armistice de juin 1940. De retour à Marseille, il participa aux activités clandestines du PCF, tout en travaillant dans le bâtiment. Il échappa de justesse à l’arrestation, sur l’un de ses chantiers, le 31 août 1941, passa dans la clandestinité, et se cacha, pendant près d’un an dans un cabanon d’Allauch, dans la banlieue marseillaise. Le 11 février 1942, il fut condamné pour activités communistes, par le tribunal militaire de la XVe région, aux travaux forcés à perpétuité. Il continua ses activités politiques, confectionna et diffusa tracts et affiches, par exemple, à l’occasion du Premier Mai ou du 14 juillet 1942. Mais il ne tarda pas, comme plusieurs de ses camarades regroupés autour de Joseph Pastor*, dirigeant connu du PCF, à critiquer la direction clandestine régionale pour son peu d’activité. Il la soupçonnait également - à juste titre - d’être infiltrée par la police. Il essaya, à plusieurs reprises, de faire parvenir des rapports, à ce propos, au Comité central. En 1942-1943, il fut dénoncé, ainsi que les autres membres du « groupe Pastor », comme « agent provocateur », dans les listes noires du PCF. En juin 1944, il rejoignit un maquis dans le nord des Bouches-du-Rhône, près de Charleval (Bouches-du-Rhône). Il réussit à échapper au massacre perpétré par les troupes allemandes et participa à un nouveau maquis dans le Lubéron, près de Cabrières d’Aigues.

A la Libération, Antoine Serra retrouva Marseille et « réhabilité » par la direction du PCF reprit son activité dans ses rangs et au sein de l’Union nationale des intellectuels (UNI). Il fut membre, également, de la plupart des associations gravitant autour du PCF, anciens FTP, France-URSS, Combattants de la Paix, etc. Mais, il éprouva le besoin de se ressourcer et de se consacrer à son œuvre picturale. En 1946, il s’installa dans les Alpilles, à proximité des Baux, dans un mas à moitié en ruines, le Mas du Diable. Il se partagea dès lors entre son nouveau domicile et son atelier marseillais du quai de Rive-Neuve. La Provence intérieure et les activités agricoles lui inspirèrent de nombreuses toiles qu’il exposa à Marseille et à Paris. C’est pourtant au tournant de la décennie 1940, qu’il produisit ses œuvres les plus directement engagées. En 1949, il participa, par quatre illustrations, à l’ouvrage offert à Staline pour son anniversaire. Il donna, en 1950, pour l’exposition « Au service de la Paix », une grande toile dénonçant la guerre d’Indochine. En 1951-1952, il passa contrat avec la fédération du PCF pour un ensemble d’œuvres sur le travail du port. Plusieurs dessins sur ce thème furent reproduits dans le quotidien communiste La Marseillaise. Il réalisa également plusieurs grandes toiles comme La descente des cercueils du Pasteur (le navire qui faisait la liaison avec l’Indochine), Le Centre d’embauche et La Grève des dockers. Cette dernière œuvre représentant une charge de manifestants repoussant les CRS sur la place de la Joliette ne fut finalement pas acceptée par la fédération communiste qui la trouva trop violente.

Pendant cette période, Antoine Serra fut loin de se conformer aux canons du nouveau réalisme socialiste tels qu’ils étaient désormais définis par André Fougeron. Mieux, il s’accrocha vigoureusement avec lui, à l’occasion du Salon d’automne de 1951, à Paris, à propos de la toile La messe de minuit aux Baux que Serra voulait y exposer. Ce qu’il réussit à obtenir, finalement, grâce à l’intervention de son ami Moïse Kisling. Ces désaccords artistiques se combinèrent aux désillusions nées des révélations sur les pratiques staliniennes. Début 1954, il écrivit à André Marty pour lui dire qu’il ne croyait rien des accusations de la direction contre Marty et Tillon. Antoine Serra s’éloigna définitivement du parti en 1953, particulièrement choqué par les informations données par les Soviétiques sur le faux « complot des blouses blanches ».

Désormais, l’essentiel de la carrière d’Antoine Serra eut comme base les Baux, où il avait aménagé un atelier troglodyte. Il participa, dans ce village, à la fondation et à l’animation du « groupe Provence » avec les maîtres Auguste Chabaud et René Seyssaud. Il entra en contact avec l’écrivaine provençaliste Marie Mauron avec laquelle, par la suite, il édita plusieurs ouvrages sur la Provence et milita pour la défense des Alpilles. À partir de 1956, il effectua une sorte de retour aux sources lors de plusieurs séjours en Sardaigne, dont l’un en compagnie de son ami d’enfance Paul Ricard (l’homme du pastis). Il y effectua de nombreuses toiles et dessins qui, au delà de l’expression artistique, constituent de véritables documents ethnographiques.

L’œuvre d’Antoine Serra, dont la notoriété allait croissant, donna lieu à de nombreuses expositions, en France et à l’étranger. Depuis la Libération, Serra ne vivait que de ses activités artistiques. À partir de 1962, il fut assuré d’un revenu minimum par la fondation d’un groupe des Amis de Serra pour lequel il s’engagea à produire tous les ans.

Bien que critique par rapport au Parti communiste, Antoine Serra resta profondément engagé à gauche. Il entra en maçonnerie en 1961, à la Grande Loge de France, apprenti en octobre 1961, compagnon un an plus tard, maître enfin en octobre 1963. Élu conseiller municipal aux Baux, en 1971, sur une liste d’intérêt local, il abandonna son mandat deux ans plus tard.

Dans les années 1970, victime d’une alerte cardiaque, il quitta les Baux pour le village proche de Mouriès (Bouches-du-Rhône), moins isolé, où il établit son atelier. Il accepta tout de même, en 1981, une invitation pour les États-Unis dont il ramena une vingtaine de toiles. Il était désormais reconnu, surtout pour ses œuvres de maturité, et une grande rétrospective lui fut dédiée à la Vieille Charité de Marseille en 1983-1984. Il continua à peindre des portraits, la Provence, Les Baux, la Camargue, la Crau, et la France, à l’occasion de plusieurs voyages. Le 6 mai 1995, il décéda à Mouriès où il fut enterré.

Depuis son décès, des expositions ont été consacrées à Antoine Serra, comme celles des Baux en 1996 (« Antoine Serra, peintre des Baux »), de l’Institut culturel italien de Marseille en 2006 (« Antoine Serra et la Sardaigne »), du musée d’histoire de Marseille en 2006-2007 (« Les couleurs de l’engagement, 1920-1950. Autour d’Antoine Serra »), ou du musée Jean Aicard de la Garde (Var), en 2011 (« La Provence d’Antoine Serra »). De nombreuses toiles d’Antoine Serra ont été exposées lors de manifestations picturales collectives à Aix, Fontvieille, Gardanne, Marseille, Martigues, Port-de-Bouc, Port-Saint-Louis, Saint-Rémy, Vitrolles. Plusieurs de ses toiles sont conservées au Musée d’histoire de Marseille.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75856, notice SERRA Antoine par Jean-Claude Lahaxe, Robert Mencherini, version mise en ligne le 11 janvier 2010, dernière modification le 9 juillet 2019.

Par Jean-Claude Lahaxe, Robert Mencherini

Autoportrait d'Antoine Serra, 1947
Autoportrait d’Antoine Serra, 1947
Collection Jacqueline Serra
Pas un homme. Pas une arme pour l’Indochine

SOURCES : Archives départementales des Bouches-du-Rhône, dossier 148 W 291, note des RG du 6 mars 1952. — Dépôt central des archives de la justice militaire (Le Blanc), dossier Serra. — Archives de Jacqueline Serra. — Le Cri de Marseille, 1928 - 1936. — Les Cahiers du Sud, 1934 -1936. — Rouge-Midi, 1936. — Peuple et culture, journal de la maison de la culture de Marseille, 1936-1937. — La Marseillaise, 15 février, 4 mai, 25 décembre 1949, 12 février 1951, 9 mai, 18 juillet 1952, 28 février, 13 avril 1954, 8 décembre 1976. — Midi-Soir, 7 et 9 mars 1950. — Marie Mauron, Antoine Serra, chez l’auteur, slnd (1983) . — Christelle Fieschi, Parcours d’Antoine Serra : du peintre engagé au peintre de la Provence, 1908-1995, dir. Jean Domenichino, Jean-Marie Guillon, Université de Provence, Aix-en-Provence, 2002. — Jean Arrouye, Jean Domenichino, Jean-Marie Guillon, Antoine Serra, Marseille, Jeanne Laffitte, 2005. — Robert Mencherini, « Des jeunes peintres aux peintres du Peuple. Itinéraires et engagements dans le Marseille de l’entre-deux-guerres », Bulletin de PROMEMO (Provence, Mémoire, Monde Ouvrier), n° 11, février 2010, p. 31-40. — Robert Mencherini, Midi rouge, Ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930–1950, 4 volumes, 2004-2014. — Robert Mencherini, « Antoine Serra, peintre prolétarien marseillais », Aden, n° 10, octobre 2011, p. 81-95.

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