THOMAS James Henry

Né le 3 octobre 1874 à Newport, Monmouthshire, aujourd’hui Gwent ; mort le 21 janvier 1947 à Londres ; dirigeant syndicaliste et travailliste.

« Jimmy » Thomas était le fils d’une domestique, Elizabeth Mary Thomas, et d’un ouvrier agricole qui meurt peu après la naissance de l’enfant. Celui-ci est d’abord confié à sa grand-mère, puis, à l’âge de neuf ans, il est mis au travail — il fait le garçon de courses en dehors des heures de classe et à douze ans, il quitte définitivement l’école pour entrer au service de la compagnie de chemins de fer de l’Ouest (Great Western Railway) en tant que laveur de locomotives. Au bout de quelques années, en 1898, il s’installe dans l’important centre ferroviaire de Swindon. C’est là que commence pour de bon son activité syndicale et politique. Membre du syndicat des cheminots, l’Amalgamated Society of Railway Servants (ASRS), il accède rapidement à des responsabilités nationales : président du syndicat de 1904 à 1906, il est nommé secrétaire à l’organisation de 1906 à 1910, puis secrétaire général adjoint de 1910 à 1916.

Depuis l’apparition des chemins de fer, les travailleurs du rail avaient toujours été traités en « domestiques » par les compagnies, (cf. leur nom officiel de « servants ») soumis à une discipline stricte, avec des conditions de travail pénibles et des accidents fréquents. Nombreux étaient à la Chambre des Communes et à la Chambre des Lords les administrateurs de compagnies et ils faisaient obstacle à toute législation favorable aux salariés. Sur les lieux de travail, le syndicalisme était très mal vu et les militants victimes de représailles et de pressions de toute sorte. Toutefois les cheminots, profitant de la prospérité du début des années 1870 et soutenus par quelques bourgeois sympathisants, avaient réussi à créer l’ASRS, dont le premier congrès s’était tenu à Londres en 1872. Le syndicat avait connu des hauts et des bas : tandis qu’à la fin de l’année 1872, l’on comptait 17 247 adhérents, dix ans plus tard, il n’y en avait plus que 6 321. Deux autres syndicats, fort modestes, étaient apparus à peu près au même moment, regroupant les mécaniciens et les chauffeurs de locomotives. Cependant, c’est seulement avec le développement du « nouvel unionisme » que le syndicalisme des cheminots avait pris un réel essor. Pour l’ASRS qui jusque-là avait surtout joué un rôle d’amicale et prôné la méthode de conciliation (jamais elle n’avait recouru à la grève), tout change à partir de 1890. L’arbitrage se trouve discrédité et le syndicat adopte une attitude plus dure, basée sur la négociation collective. On assiste donc à une mobilisation grandissante des cheminots et en sens inverse à une résistance tenace des compagnies. Sur le plan politique aussi les choses évoluent, au lieu de la vieille alliance du syndicat avec le parti libéral, le socialisme s’installe et prend de la vigueur, en particulier à partir de la naissance du parti indépendant du travail, l’Independent Labour Party (ILP). De surcroît plusieurs décisions de justice menacent directement les droits des trade-unions tels qu’ils avaient été définis par la législation. C’est le cas par exemple des piquets de grève que plusieurs arrêts de tribunaux rendent virtuellement impossibles. Aussi c’est un syndicaliste du rail, James Holmes (responsable de l’ASRS pour la Galles du Sud, il appartenait à l’ILP et on le considérait comme le meilleur porte-parole des cheminots) qui, au congrès annuel du TUC, en septembre 1899, propose la résolution qui va donner naissance en février 1900 au Labour Representation Committee (LRC) : un motion réclamant la « coopération de toutes les organisations ouvrières, socialistes, coopératives, syndicalistes, etc. » en vue de favoriser « l’entrée au Parlement d’un nombre important de députés ouvriers ».

A vrai dire si les cheminots avaient été à l’avant-garde pour la constitution du LRC, d’autres trade-unions importants étaient restés à l’écart, notamment les syndicats des mines et du textile et c’est seulement une nouvelle décision d’un tribunal, le fameux « arrêt Taff Vale », qui, en 1901, ébranle suffisamment le mouvement syndical pour lui faire admettre la nécessité d’une représentation ouvrière indépendante au Parlement. A l’origine il y avait une grève lancée en août 1900 par les salariés de la compagnie galloise du chemin de fer de Taff Vale, en protestation contre l’appel à des « jaunes » organisés au sein de l’Association des travailleurs libres. A la suite d’une série de batailles juridiques, l’affaire était venue en appel en juillet 1901 devant la Chambre des Lords, et celle-ci avait rendu un arrêt créant une jurisprudence très défavorable aux trade-unions. Désormais un syndicat pouvait être poursuivi en justice et condamné à payer des dommages et intérêts pour une grève déclenchée par ses adhérents. De fait, la compagnie de Taff Vale s’était empressée de réclamer des dommages à l’ASRS et avait obtenu une indemnité de £ 23 000. Le résultat, c’est que les syndicats se sentent gravement menacés, et du coup, serrant les rangs, se fixent comme objectif le vote par le Parlement d’une législation qui redresse la situation en leur faveur. Aussi s’affilient-ils en nombre au LRC, et en 1906 les élections amènent pour la première fois au Parlement vingt-neuf députés ouvriers membres du LRC. C’est un succès considérable, qui marque la naissance officielle du Labour Party. Telle est la toile de fond sur laquelle se déroule l’action militante de Jimmy Thomas. Permanent depuis 1904, il est devenu l’un des leaders de l’ASRS. Quand le très prudent secrétaire général, Richard Bell* (qui était très lié au parti libéral) cède la place, en 1909, à J.E. Williams, Thomas est nommé secrétaire général adjoint. Bell renonçant également à sa charge de député de Derby — un important centre ferroviaire — Thomas est élu à ce siège en janvier 1910, et il représentera cette circonscription jusqu’en 1936.

De 1910 à 1914, l’agitation dans le monde du travail va croissant. C’est une période faste pour les regroupements syndicaux, et les cheminots se montrent favorables à ces fusions, en particulier au cours de la grève de 1911. Ainsi est fondé en février 1913 la National Union of Railwaymen qui réunit l’ASRS et deux unions plus petites (en revanche, restent en dehors de la fédération, l’Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen et la Railway Clerks’ Association qui aujourd’hui encore demeurent autonomes).

Lorsque éclate la guerre de 1914, Thomas se range du côté des patriotes ; socialiste modéré, il adopte peu à peu une ligne assez conservatrice. S’il refuse de faire partie du gouvernement d’union nationale de Lloyd George, il accompagne la mission Balfour aux États-Unis.

Au lendemain de la guerre, période pendant laquelle les cheminots avaient considérablement amélioré leur statut et leur pouvoir syndical, éclate une grande grève en septembre 1919. Il s’agit de s’opposer aux réductions de salaires envisagées et le succès du mouvement est largement dû à la publicité faite aux cheminots par le Labour Research Department animé par R. Page Arnot*, William Mellor* et Will Dyson*. Cependant Thomas et les autres leaders des cheminots, loin de faire appel à la « Triple Alliance » (mineurs, cheminots, ouvriers des transports) constituée dès avant la guerre, adoptent une attitude modérée et prennent leurs distances avec la base militante. C’est d’ailleurs bientôt la fin de la Triple Alliance, qui ne résiste pas au « vendredi noir » (15 avril 1921) au cours duquel les mineurs en grève sont lâchés par les cheminots et les ouvriers des transports. Parmi les syndicalistes qui ont joué un rôle décisif dans ce lâchage (que beaucoup considèrent comme une trahison) Thomas se situe au premier rang, ce qui ne l’empêche pas de garder la confiance de la majorité des cheminots, tout en soutenant par ailleurs la campagne contre l’intervention en Russie en 1920 (Hands off Russia).

Dans le premier gouvernement travailliste (1924), Thomas, un des plus anciens du groupe parlementaire du parti, reçoit le portefeuille des Colonies. Très connu dans le pays, il est le leader travailliste auquel la presse conservatrice se plaît à rendre hommage tant est visible son plaisir à fréquenter l’Establishment. Très hostile à la grève générale en 1926, Thomas pèse de tout son poids pour la faire cesser au plus vite. Peu de temps après la fin de la grève, il écrit : « je n’ai point changé d’opinion et je reste convaincu que la grève générale, loin de résoudre les problèmes du monde du travail, n’a fait qu’aboutir à une catastrophe ». A cette époque, Thomas est l’un des membres les plus en vue du mouvement travailliste ; dans le petit groupe des dirigeants il se range aux côtés de Ramsay MacDonald* et Philip Snowden* parmi les modérés qui dominent largement le parti, tandis que l’aile gauche, en dépit de ses déclarations fracassantes, piétine.

Dans le deuxième gouvernement travailliste en 1929, Thomas est nommé Lord du sceau privé et chargé du difficile dossier du chômage. A ce poste il est assisté de trois adjoints : George Lansbury*, Thomas Johnston*, sous-secrétaire d’État pour l’Ecosse et Oswald Mosley*, chargé du duché du Lancastre (et futur leader fasciste). Comme malheureusement la situation s’aggrave très vite à la suite du krach de Wall Street, à l’automne 1929, Thomas qui avait commencé par prendre quelques mesures énergiques, se trouve totalement dépassé et s’aligne sur les vues conservatrices des hauts fonctionnaires de la Trésorerie et le manque d’imagination de Snowden, le chancelier de l’Échiquier. Le trio Mosley, Lansbury et Johnston a beau proposer au Cabinet en février 1930 un projet de relance, le « Mosley Memorandum », le Cabinet le rejette en bloc, car ce programme audacieux, qui vise à réduire le chômage, porte atteinte au libre-échange et au système bancaire en vigueur. Devant l’échec de sa politique sociale, Thomas est transféré au ministère des Dominions en juin 1930. Un an plus tard, au cours de la grande crise d’août 1931, il suit MacDonald et accepte de faire partie du nouveau gouvernement d’union nationale que celui-ci constitue. Mais du coup, c’est la rupture avec son syndicat : la NUR prend position contre Thomas qui doit abandonner son poste de secrétaire général, et qui se trouve violemment attaqué par Jim Campbell (futur secrétaire général du syndicat). Campbell, tout en reconnaissant les grands services passés de Thomas, déclare qu’en entrant dans le nouveau Cabinet d’union nationale, Thomas « a abandonné la classe ouvrière aux mains d’un gouvernement réactionnaire » et renié son action d’antan.

Lors des élections législatives de 1931, Thomas, bien que rejeté par la section travailliste de Derby, est réélu député et il reprend le portefeuille des Dominions. En 1935, de nouveau réélu avec l’étiquette « National Labour », il est nommé ministre des Colonies dans le gouvernement Baldwin. Mais l’année suivante, il est contraint de se retirer définitivement de la vie publique à la suite d’un scandale (il est à l’origine, avant la présentation du budget, d’une fuite qui profite financièrement à deux de ses amis et bien que le tribunal reconnaisse, à l’issue de l’enquête, qu’il n’a pas tiré le moindre avantage personnel de cette révélation, il doit démissionner et renoncer à son siège de député).

Thomas a été un grand leader du mouvement ouvrier. En plus de ses responsabilités à la NUR, il a fait partie, pendant de nombreuses années, de l’exécutif du TUC et il a présidé de 1920 à 1924 la Fédération syndicaliste internationale. Personnalité brillante douée de qualités exceptionnelles de négociateur, cet homme plein d’esprit et d’humour qui se complaisait dans la société des nantis, a été peu à peu gagné par l’embourgeoisement. Et sa position en 1931 lui a valu d’être considéré comme un renégat par le mouvement ouvrier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75862, notice THOMAS James Henry, version mise en ligne le 11 janvier 2010, dernière modification le 11 janvier 2010.

ŒUVRE : My Story (Mon histoire), Londres, 1937.

BIBLIOGRAPHIE : H.R.S. Phillpott, Rt. Hon. J.H. Thomas, Londres, [1932]. — P. Bagwell, The Railwaymen, Londres, 1963. — G. Blaxland, J.H. Thomas : A Life fort Unity, Londres, 1964. — R. Skidelsky, Politicians and the Slump, Londres, 1967. — Dictionary of National Biography, 1941-1950.

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