Né le 11 septembre 1860 à Easton, Bristol ; mort le 27 janvier 1943 à Londres ; dirigeant syndicaliste, député travailliste.
Huitième enfant d’un manœuvre des chemins de fer, « Ben » Tillett, après avoir perdu sa mère très jeune, s’était enfui à l’âge de huit ans de la maison paternelle. A treize ans, il s’engage dans la Royal Navy mais son état de santé le contraint à abandonner la marine lorsqu’il atteint sa majorité et il est alors embauché comme transporteur de caisses de thé sur les docks de Londres. A cette époque les quais de la Tamise servaient de refuge à tous les sans-travail de la capitale et le syndicalisme y était pratiquement inconnu (Béatrice Webb* a calculé qu’au milieu des années 1880 un tiers seulement des hommes qui se présentaient le matin aux portes des docks réussissaient à être pris).
En 1887, Ben Tillett parvient à mettre sur pied une Association des transporteurs de thé et des manœuvres (Tea Operatives’ and General Labourers’ Association) dont il assume le secrétariat. Deux ans plus tard, profitant d’une période de boom des affaires et du plein-emploi, les dockers de Londres cessent le travail au cours de l’été 1889. La grève est conduite par Ben Tillett et deux jeunes leaders socialistes qui l’ont rejoint — Tom Mann* et John Burns* — deux mécanos dynamiques et entreprenants. Pendant cinq semaines le port de Londres est complètement paralysé, et la grève se termine par l’une des plus éclatantes victoires de l’histoire du mouvement ouvrier britannique, les grévistes obtenant satisfaction sur presque toute la ligne. Succès dû à la fois à la direction exemplaire des leaders, à la discipline des dockers et au soutien des dockers australiens qui font parvenir à leurs camarades de Londres trente mille livres.
L’événement ouvre la voie au « nouvel unionisme », c’est-à-dire à la constitution, sur une grande échelle, de syndicats de manœuvres et autres ouvriers non qualifiés. Le syndicat de Ben Tillett, baptisé Dock, Wharf, Riverside and General Workers’ Union, mais plus connu sous le nom de « syndicat des dockers », va devenir l’un des plus puissants des nouveaux syndicats. Dès sa fondation, des sections sont créées dans la plupart des ports britanniques. Malgré la fragilité du mouvement (comme le montre la chute des effectifs après 1892, à la suite des contre-attaques patronales), le syndicat tient le coup et vers 1900 il retrouve son effectif de départ.
Tillett, ainsi que les autres leaders du « nouvel unionisme », conscients des difficultés inhérentes à l’existence d’une base non qualifiée, fluctuante et sans formation syndicale, orientent le mouvement dans deux directions : d’abord en liant combativité syndicale et action politique, y compris par le recours à l’État, à la différence du « vieil unionisme » plus traditionnel et implanté dans les seuls métiers qualifiés ; ensuite en élargissant la base professionnelle des trade-unions.
Dans la première direction, dès le lendemain de la grève des dockers, Tillett se lance dans la politique. En 1892, d’une part il entre en qualité d’échevin au conseil municipal de Londres (London County Council), d’autre part il fait partie de la très importante commission parlementaire du TUC (1892-1894). Lui-même s’inscrit pendant quelque temps à la Social Démocratic Federation. On le trouve également parmi les membres fondateurs de l’Independant Labour Party en 1893. A quatre reprises il tente, mais en vain, d’entrer au Parlement (à Bradford en 1892 et 1895, à Eccles en 1906 et à Swansea en janvier 1910). Tillett s’intéresse aussi au syndicalisme international et il contribue à la création, peu de temps avant la Première Guerre mondiale, de la Fédération internationale des dockers. Venu soutenir les dockers en grève d’Anvers et de Hambourg, il est expulsé d’abord de Belgique puis d’Allemagne.
Sur le plan du trade-unionisme britannique, Tillett poursuit l’idée d’un grand syndicat qui grouperait l’ensemble des travailleurs des transports. En 1910, le comité exécutif du syndicat des dockers convoque à Londres les délégués des autres comités exécutifs, et de cette rencontre naît la Fédération nationale des transports (National Transport Workers’ Federation) dont le président est Harry Gosling*, jusqu’alors secrétaire général du modeste mais puissant syndicat des bateliers de la Tamise (Amalgamated Society of Watermen, Lightermen and Bargemen). L’année suivante, une vague de grèves déferle à travers les ports du Royaume-Uni. Grèves exceptionnelles par la combativité et l’esprit de solidarité dont font preuve les travailleurs portuaires, dont pourtant la moitié seulement est syndiquée. Grèves spectaculaires également par le déploiement massif des forces de police et de l’armée contre les grévistes. Le mouvement reprend en 1912, et jusqu’à la déclaration de la guerre, on trouve toujours Tillett à la tête de l’intense agitation sociale qui affecte de larges secteurs ouvriers (c’est l’époque du great unrest).
Au cours des années 1890, Tillett s’était rendu en Australie et il y était retourné en 1908. Gagné à la méthode australienne de l’arbitrage obligatoire comme mode de règlement des conflits du travail, il s’efforce, de retour en Angleterre, de convaincre les autres dirigeants des trade-unions de l’intérêt de cette expérience, mais sans y parvenir.
En 1914, Tillett se range parmi les trade-unionistes partisans de la guerre contre l’Allemagne et il collabore dans toute la mesure du possible avec le gouvernement pour soutenir l’effort de guerre. En 1917, il entre enfin au Parlement comme député de l’agglomération de Manchester et conserve son siège jusqu’à l’échec du gouvernement travailliste de 1924 ; il sera réélu en 1929 et se retirera deux ans plus tard.
Tillett est admis au conseil général du TUC au lendemain de la guerre et il le préside de 1928 à 1929. Son syndicat, le syndicat des dockers, fusionne avec d’autres unions pour former en 1922 le puissant syndicat Transport and General Workers’ Union, dont Ernet Bevin* est le secrétaire général. Tillett, quant à lui, se maintient jusqu’en 1931 (date de son départ en retraite) au poste de secrétaire des affaires politiques et internationales.
Bien que Tillett soit à ranger à la gauche du mouvement socialiste du fait de son association avec la SDF et l’ILP et que sa réputation soit celle d’un syndicaliste révolutionnaire, voire d’un boutefeu, en réalité il ressemblait en bien des points à la plupart des dirigeants des trade-unions britanniques. Fondamentalement, il partageait leur pragmatisme, leur bon sens, leur capacité d’organisation. D’une éloquence aisée et convaincante, prompt à s’indigner chaque fois qu’il rencontrait l’injustice, ce leader prestigieux se plaisait à dire qu’il détestait les grèves, causes de trop de souffrances et de privations pour les familles ouvrières. De là son ralliement à l’idée de l’arbitrage obligatoire.
ŒUVRE : Is the Parliamentary Labour Party a Failure ? (Le travaillisme parlementaire a-t-il échoué ?), Londres, 1908. — A Brief History of the Dockers’ Union (Histoire du syndicat des dockers), Londres, 1910. — History of the London Workers’ Strike (Histoire de la grève des ouvriers londoniens), Londres, 1911. — Memories and Reflexions (Souvenirs et Pensées), Londres, 1931.
BIBLIOGRAPHIE : H.L. Smith & V. Nash, The Story ofthe Dockers’ Strike, Londres, 1889. — S. & B. Webb, History of Trade Unionism, Londres, 1920. — H.A. Clegg et al., A History of British Trade Unions since 1889, vol. 1, 1889-1910, Oxford, 1964. — H. Pelling, The Origins of the Labour Party, Oxford, 1965. — J. Schneer, Ben Tillett : Portrait of a Labour Leader, Londres, 1982. — Joyce Bellamy, John Saville (éd.), Dictionary of Labour Biography, t. IV.