WALLAS Graham

Par Arnaud Page (novembre 2013)

Né le 31 mai 1858 à Monkwearmouth (comté de Durham), mort le 9 août 1932 à Portloe (Cornouailles) ; enseignant et intellectuel fabien.

Fils d’un pasteur anglican (vicaire de Barnstaple puis recteur de Shobrooke, Devon), Graham Wallas, contrairement à la plupart des fabiens, suivit une formation classique à Shrewsbury, puis à Oxford (Corpus Christi), où il entra en 1877 et où il prit rapidement ses distances avec la foi dans laquelle il avait été élevé.

À sa sortie d’Oxford en 1881, Wallas devint professeur de lettres classiques puis démissionna en 1885, car il refusait de prier avec les élèves. À cette époque, grâce à son ami Sydney Olivier, lui aussi ancien membre de Corpus Christi, Wallas rencontra la plupart des autres membres de la Fabian Society, et en devint rapidement l’un des membres les plus influents, donnant des conférences à travers le pays et contribuant un chapitre (consacré à « La propriété en régime socialiste ») aux Fabian Essays de 1889.

En 1890, Wallas devint enseignant pour le mouvement de University Extension (cours du soir) à Londres, et fut élu en 1894 au London School Board. En 1895, Graham Wallas devint également enseignant de science politique à la London School of Economics, qui venait d’être créée par Sidney Webb. Wallas s’était même vu proposer la direction de l’École, qu’il avait refusée. Au sein de la Fabian Society, Wallas se concentra plus spécifiquement sur les problèmes d’éducation, et rédigea la plupart des publications de la société sur ce thème. Wallas considérait l’instruction publique comme le seul réel moyen de promouvoir des valeurs et des comportements éthiques et moraux, et ainsi de lutter contre l’amoralité du monde capitaliste.

En 1897, Wallas épousa Ada Radford, qui dirigea quelques temps le College for new Women à Bloomsbury. Plus tard, elle publia un ouvrage, Before the Bluestockings (1929), portant sur les premières femmes écrivains anglaises, à la fin du XVIIè siècle et au début du XVIIIè siècle. Ils eurent une fille, May, née en 1898, qui étudia à Newnham College, Cambridge (établissement réservé aux femmes fondé en 1871), puis obtint un doctorat de l’Université de Londres. Après la Première guerre mondiale, elle enseigna le français et l’italien à Morley College (établissement londonien pour adultes), la London School of Economics, puis Newnham. May contribua également à l’édition de plusieurs ouvrages de son père, notamment Social Judgment, 1934 et Men and Ideas, 1940.

Le premier ouvrage publié par Wallas, en 1898, fut une biographie de Francis Place (1771-1854), dans lequel il retraça le parcours de cet homme politique du début du XIXe siècle en proie au doute face aux difficultés et aux défauts de la démocratie, mais trouvant dans la philosophie utilitariste le remède à ces maux. Cet ouvrage permit à Wallas de projeter ses propres hésitations et craintes face au fonctionnement de la démocratie, tout en rejetant les conclusions des utilitaristes, qui reposaient selon lui sur une idée de départ fausse. Wallas ne pensait en effet pas qu’il soit possible de fonder une théorie politique uniquement sur la rationalité des individus. Des utilitaristes et de Francis Place en particulier, Wallas retenait néanmoins l’idée essentielle (à l’origine de sa rupture avec les fabiens) qu’il s’agissait bien de chercher la réponse aux problèmes sociaux avant tout dans les dispositions humaines et individuelles.

La rupture avec Sidney Webb intervint à l’occasion du vote de la loi sur l’éducation de 1902, élaborée par un gouvernement conservateur, mais largement influencée par les idées de Sidney Webb. Wallas s’opposait notamment au fait qu’un soutien financier aux écoles gérées par les églises anglicanes et catholiques fût inscrit dans cette loi. Wallas se rapprocha alors du parti Libéral et des cercles intellectuels gravitant autour de celui-ci, écrivant notamment pour l’organe principal des « nouveaux libéraux », The Nation. Sur le plan politique, il se consacra principalement aux questions éducatives au sein du London County Council à partir de 1904. Il continua néanmoins à enseigner à la LSE et devint le premier titulaire de la chaire de science politique de l’Université de Londres, qu’il occupa de 1914 à 1923.

C’est durant cette période que Wallas façonna son projet intellectuel et politique, qu’il exposa dans ses principaux ouvrages : Human Nature in Politics (1908), The Great Society (1914) et Our Social Heritage (1921). Dans ces ouvrages, Wallas dessina le projet d’une nouvelle science politique qui ne serait plus constituée uniquement par la philosophie politique et la description des formes de l’Etat, mais analyserait, grâce aux apports de la nouvelle science psychologique et de ses analyses quantitatives, les comportements politiques des individus. Il s’agissait ainsi pour lui de constituer un modèle scientifique de la « nature humaine » et d’en étudier les manifestations dans le domaine politique. Comme chez les Webb, la tentative de création d’une nouvelle science procédait d’une volonté pratique de rationalisation de la vie politique, mais elle était marquée chez Wallas non pas tant par l’importance de la formation d’une classe d’experts, que par l’élaboration puis la diffusion d’un savoir devant permettre à chaque individu de participer pleinement à la vie démocratique.

Les ouvrages de Wallas demeurèrent avant tout programmatiques et ne mirent jamais en œuvre ce grand programme de recherches en psychologie politique. Wallas ne créa pas de véritable courant scientifique autour de sa pensée en Grande-Bretagne et ses idées eurent sans doute un impact plus important aux Etats-Unis. Wallas fut ainsi influent avant tout dans le domaine éducatif, en tant qu’enseignant (il fut l’un des créateurs de l’étude moderne de l’administration publique) et administrateur (au sein du London School Board puis du London County Council). Graham Wallas mourut en Cornouailles en 1932.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75872, notice WALLAS Graham par Arnaud Page (novembre 2013), version mise en ligne le 11 janvier 2010, dernière modification le 19 août 2022.

Par Arnaud Page (novembre 2013)

OEUVRE : The Life of Francis Place, 1771-1854, 1898 ; Human Nature in Politics, 1908 ; The Great Society, 1914 ; The Art of Thought, 1926 ; Social Judgment, 1934 ; Men and Ideas, 1940.

SOURCES : Peter Clarke, Liberals and Social Democrats, Cambridge : Cambridge University Press, 1978 ; A.M. McBriar, Fabian Socialism and English Politics, 1884-1918, Londres : Cambridge University Press, 1962 ; Margaret Cole, The Story of Fabian Socialism, Londres : Heinemann, 1961 ; Eric Hobsbawm, “The Fabians Reconsidered”, pp. 250-71 in Eric Hobsbawm, Labouring Men, Londres : Weidenfeld & Nicolson, 1964 ; N. et J. Mackenzie, The First Fabians, Londres : Weidenfeld & Nicolson, 1977 ; T.H. Qualter, Graham Wallas and the Great Society, Londres : Macmillan 1980 ; M. J. Wiener, Between two worlds : the political thought of Graham Wallas, Oxford : Clarendon Press, 1971 ; Martin J. Wiener, ‘Wallas, Graham (1858–1932)’, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004 ; édition en ligne, 2007, consulté le 10 juillet 2013.

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