WEBB Sidney James

Par Arnaud Page (janvier 2015)

Né le 13 juillet 1859 à Londres ; mort le 13 octobre 1947 à Passfield Corner, Liphook, Hampshire. Socialiste fabien. Historien, ministre travailliste.

Sidney Webb
Sidney Webb

Sidney Webb naquit le 13 juillet 1859 à Londres, dans une famille issue de la petite bourgeoisie, son père étant agent-comptable et sa mère tenant un salon de coiffure. A l’âge de 12 ans, il fut envoyé avec son frère étudier en Suisse et en Allemagne. Il en revint quatre ans plus tard, parlant couramment le français et l’allemand. Il travailla quelque temps chez un courtier spécialisé dans les investissements coloniaux, puis entra en 1878 dans l’administration publique, notamment au bureau des Colonies. Sans formation universitaire, le développement intellectuel de Sidney Webb fut marqué par une intense activité de lecture, complétée par la fréquentation de cours du soir dans de nombreuses institutions londoniennes. C’est à cette période qu’il fit la connaissance de George Bernard Shaw, et qu’il rejoignit, grâce à ce dernier, la Fabian Society en 1885. Il devint dès lors l’un des principaux acteurs de la Société et participa à l’élaboration d’une théorie politique propre à celle-ci. Ce travail doctrinal intervint notamment au cours des années 1887 et 1888, lorsque la Société prit plus nettement ses distances avec la Social Democratic Federation et, plus généralement, avec les mouvements socialistes plus radicaux. La Société exposa au public ses idées dans les Fabian Essays in Socialism (1889), qui rencontrèrent un succès important (25 000 exemplaires furent vendus l’année de leur publication). Cet ouvrage, que G. D. H. Cole considéra plus tard comme la meilleure présentation des idées portées par le « socialisme anglais », développait une conception gradualiste du socialisme, qui ne devait être ni une utopie ni l’aboutissement d’un mouvement révolutionnaire, mais dont l’avènement serait au contraire caractérisé par une évolution progressive. La contribution de Webb, intitulée « The Historic Basis of Socialism », développait l’idée que la société britannique était d’ores et déjà avancée dans la voie du collectivisme, celui-ci se manifestant notamment par une régulation plus importante des activités économiques et industrielles, l’élargissement du droite de vote, la mise en place de services publics municipaux et, plus généralement, l’extension de la sphère d’intervention des autorités locales et nationales Webb identifiait donc un mouvement historique marqué par ledéclin du libéralisme individualiste et la nécessité d’une régulation politique accrue, mouvement qu’il appartenait au législateur et à l’intellectuel d’accompagner et de renforcer.

Sidney Webb rencontra Beatrice Potter en 1890 et l’épousa en 1892. En guise de lune de miel, le couple se rendit au congrès du Trades Union Congress à Glasgow et en Irlande pour y analyser des archives du mouvement syndical. Le mariage ayant été précédé de peu par la mort du père de Beatrice, l’héritage perçu par celle-ci permit à Sidney de quitter ses fonctions dans l’administration publique et de se consacrer à son travail intellectuel et politique. En 1892, Webb se présenta ainsi avec succès aux élections du London County Council (LCC), dans une circonscription ouvrière du Sud-Est de Londres (Deptford) sous l’étiquette des « Progressistes » (parti majoritaire au LCC, allié au niveau national avec le Parti libéral).

A cette époque, les fabiens espéraient ainsi beaucoup du Parti libéral, considérant que le programme électoral du Parti (Newcastle Programme, 1891) contenait de nombreux points communs avec leurs idées. Mais le nouveau gouvernement de Gladstone se révéla décevant pour les radicaux, tandis que la mise en place de l’Independent Labour Party en 1893 semblait plus prometteuse que les Webb ne l’avaient pensé. Ceci les conduisit à partiellement modifier leur position stratégique, et ils en vinrent notamment à s’intéresser de façon plus approfondie au mouvement ouvrier, que Webb avait un peu négligé lors de la publication des Fabian Essays. Ils publièrent ainsi un livre extrêmement documenté sur l’histoire du syndicalisme en Angleterre, The History of Trade Unionism (1894), qui fut complété en 1897 par la publication d’un ouvrage plus théorique sur le rôle des syndicats dans une démocratie collectiviste, Industrial Democracy.

Le rapprochement avec les organisations syndicales fut cependant de courte durée et les Webb se consacrèrent avant tout, dans les années 1890, à la modernisation du système éducatif anglais, qu’ils jugeaient archaïque, notamment par rapport au système allemand. Sidney agit principalement au sein du LCC, où il devint président du Comité pour l’enseignement technique, utilisant notamment les nouvelles taxes sur l’alcool pour développer l’enseignement technique dans la capitale. Webb se consacra également à la création d’une école de sciences politiques et sociales à Londres, la London School of Economics and Political Science (1895), grâce au legs de Henry Hutchinson, un riche membre de la Fabian Society. Si Webb insista dans un premier temps sur l’accumulation de savoirs économiques, sociaux et administratifs comme préalable nécessaire à la mise en place d’un système collectiviste ambitieux et efficace, l’Ecole se détacha en réalité rapidement de ses attaches fabiennes, ses deux premiers directeurs (W. A. S. Hewins et Halford Mackinder) étant proches du Parti libéral unioniste, et le rattachement de l’Ecole à la nouvelle Université de Londres lui interdisant d’entretenir des relations trop étroites avec le mouvement socialiste. Dans le domaine de l’éducation, les Webb furent également les alliés ponctuels d’Arthur Balfour, lors du passage de la loi sur l’éducation de 1902. Cette loi, qui remplaça les conseils des écoles (school boards) mis en place en 1870 par un système plus centralisé, permettait également aux écoles privées (principalement gérées par les Églises anglicane et catholique) de recevoir un soutien financier de la part des autorités locales, ce qui scandalisa les milieux non-conformistes et les mouvements libéraux et radicaux. Surtout intéressés par la mouvance pour « l’Efficacité nationale », les Webb se tinrent ainsi à distance des cercles progressistes durant les années 1900. Ils ne participèrent pas à la mise en place du nouveau Parti travailliste nouvellement formé et adoptèrent des positions qui leur attirèrent souvent les foudres des autres cercles radicaux sur la plupart des questions impériales, comme lors de la Guerre des Boers, lors de laquelle ils apportèrent leur soutien au gouvernement.

Après l’échec de leur tentative de réforme de la Loi sur les Pauvres peu avant 1910 (cf. biographie Beatrice Webb) et leur retour en 1911 d’un long voyage en Inde, en Chine, en Corée et au Japon, les Webb se rendirent néanmoins compte de leur isolement politique et intellectuel. Après avoir privilégié la stratégie d’infiltration (permeation), fondée sur la conviction que toutes les formations politiques étaient susceptibles d’être influencées ponctuellement par leurs idées, les Webb amorcèrent alors une certaine réorientation de leur projet. Sur le plan théorique, ils devinrent de plus en plus convaincus qu’il existait un certain nombre de problèmes structurels, contre lesquels une simple accumulation de mesures sociales et la rationalisation des procédures ne sauraient suffire. Sur le plan stratégique, les Webb amorcèrent un revirement destiné à leur donner un ancrage plus solide dans le camp radical. En 1913, ils lancèrent ainsi le Bureau de recherches fabiennes et le New Statesman, hebdomadaire politique destiné à toucher un plus large public que leurs précédents travaux. Sidney se rapprocha surtout du Parti travailliste qu’il avait jusque-là plutôt ignoré, et devint en 1915 l’un des membres du comité exécutif national du Parti. Il fut ensuite, avec Arthur Henderson, l’un des artisans de la refondation du Parti comme structure nationale plutôt que fédérale et fut à l’origine de la rédaction de l’article 4 (« clause 4 ») de la constitution du Parti, qui donnait à ce dernier comme objectif la « propriété collective des moyens de production », ainsi que du manifeste de 1918 du Parti, « Labour and the New Social Order », qui prônait, entre autres mesures, la mise en place d’un salaire minimum, une politique de grands travaux, la nationalisation des terres agricoles, du chemin de fer et de l’industrie minière, ainsi qu’un système d’imposition beaucoup plus progressif.

Ce programme politique plus radical ne les rendait néanmoins nullement favorables aux idées des socialistes de guilde ou des bolchéviques, les Webb considérant ainsi que c’était des structures politiques traditionnelles (partis, parlement) que viendrait la réforme sociale qui accompagnerait la « décadence de la civilisation capitaliste » (d’après le titre d’un de leurs ouvrages, publié en 1923, The Decay of Capitalist Civilization). Sidney Webb, qui avait été membre de la commission Sankey d’enquête sur les mines, fut élu en 1922 comme député travailliste pour représenter la circonscription minière de Seaham, près de Durham, dans le nord-est de l’Angleterre, contre l’avis du principal syndicat des mineurs qui souhaitait que le candidat fût un de leurs membres. Il fut également membre des deux gouvernements travaillistes comme ministre du Commerce en 1924, puis comme secrétaire d’Etat aux Colonies de 1929 à 1931. C’est à l’occasion de ce second passage au gouvernement que Webb fut anobli et devint Lord Passfield, afin de respecter la convention selon laquelle deux membres du gouvernement devaient appartenir à la Chambre des Lords. En tant que secrétaire d’État aux colonies, Webb défendait la nécessité d’un maintien sous tutelle (trusteeship) des populations colonisées pour des raisons paternalistes, mais il échoua notamment dans ses tentatives de défendre les intérêts des populations noires en Afrique de l’Est et arabes en Palestine.

En 1932, les Webb se rendirent en Union Soviétique, et Sydney y retourna en 1934. Après leurs deux voyages, ils publièrent l’ouvrage Soviet Communism : A New Civilization ? (1935), qui décrivait l’organisation soviétique comme la solution aux problèmes qu’ils avaient essayé de résoudre depuis les années 1880. Ils y relataient ainsi avec enthousiasme l’abandon des distinctions de classe, mais surtout une organisation où chaque individu, chaque association défendait le bien commun plutôt que des intérêts particuliers ou sectoriels. Le point d’interrogation à la fin du titre disparut d’ailleurs lors de la réédition de l’ouvrage en 1937. Hormis cette promotion de l’Union soviétique dans les années 1930, les Webb se retirèrent progressivement de la vie publique. Sidney Webb mourut le 13 octobre 1947 à Passfield Corner, dans le Hampshire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75880, notice WEBB Sidney James par Arnaud Page (janvier 2015), version mise en ligne le 29 janvier 2015, dernière modification le 29 janvier 2015.

Par Arnaud Page (janvier 2015)

Sidney Webb
Sidney Webb

ŒUVRE :
de Sidney Webb : Fabian Essays in Socialism (1889) ; Problems of Modern Industry (1898) ; London Education (1904).
Beatrice & Sidney Webb (sélection) : A History of Trade Unionism (1894) ; Industrial Democracy (1897) ; English Local Government (10 vols., 1906-1929) ; The Break-Up of the Poor Law (1909) ; The Decay of Capitalist Civilization (1923) ; Soviet Communism : A New Civilization ? (1935).

BIBLIOGRAPHIE :
Sur les Webb et la Fabian Society : John Davis, “Webb [née Potter], (Martha) Beatrice (1858-1943), and Sidney James Webb, Baron Passfield (1859-1947)”, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004 [http://www.oxforddnb.com/view/article/36799, consulté le 10 décembre 2014] ; édition en ligne, mai 2008 ; Mark Bevir, “Sidney Webb : Utilitarianism, Positivism and Social Democracy”, Journal of Modern History, vol. 74, n° 2, juin 2002, pp. 217-252 ; Mark Bevir, The Making of British Socialism, Princeton, NJ : Princeton University Press, 2011 ; G. D. H. Cole, Early Pamphlets and Assessment, Londres : Routledge, 2011 ; Margaret Cole, The Story of Fabian Socialism, Londres : Mercury Books, 1961 ; Mary Agnes Hamilton, Sidney & Beatrice Webb, Boston : Houghton Mifflin Compagny, 1933 ; José Harris, “The Webbs, the Charity Organisation Society and the Ratan Tata Foundation : Social Policy from the Perspective of 1912”, pp. 27-63 in Martin Bulmer et. al., The Goals of Social Policy, Londres : Unwin Hyman, 1989 ; Royden Harrison, The Life & Times of Sidney & Beatrice Webb, 1852-1905, Basingstoke : Palgrave, 2001 ; Eric Hobsbawm, “The Fabians Reconsidered”, pp. 250-71 in Eric Hobsbawm, Labouring Men, Londres : Weidenfeld & Nicolson, 1964 ; A. M. McBriar, Fabian Socialism and English Politics, 1884-1918, Londres : Cambridge University Press, 1962 ; A. M. McBriar, An Edwardian Mixed Doubles : the Bosanquets versus the Webbs : a Study in British Social Policy, 1890-1929, Oxford : Clarendon Press, 1987 ; Norman & Jeanne Mackenzie, The First Fabians, Londres : Weidenfeld & Nicolson, 1977 ; Norman Mackenzie (ed.), The Letters of Sidney and Beatrice Webb, 3 volumes, Cambridge : Cambridge University Press, 1978 ; Norman & Jeanne Mackenzie (eds.), The Diary of Beatrice Webb, 4 volumes, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 1982-1985.

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