Par Julien Chuzeville, Michel Dreyfus
Né le 26 juillet 1896 à Bucarest (Roumanie), mort le 9 avril 1993 à Bordeaux (Gironde) ; correcteur, traducteur ; militant des Jeunesses socialistes, des Étudiants socialistes révolutionnaires et du Comité de la Troisième Internationale, fondateur des Étudiants communistes et des Jeunesses communistes, puis collaborateur de l’Internationale communiste ; membre du PC, puis communiste dissident ; syndiqué à la CGT.
Né dans une famille juive de Roumanie, Aron Alphonse Robert Goldenberg, orphelin de père quelques mois après sa naissance, vécut à partir de 1900 avec sa mère ouvrière modéliste à Paris. Après avoir obtenu le baccalauréat en juillet 1914, il s’engagea en août 1914 au sein du 2e Régiment étranger et fut envoyé au front d’où il suivit les débats au sein du Parti socialiste, eut des échos des débats tenus à la Société d’études documentaires et critiques sur la guerre ainsi que de l’action du Comité pour la reprise des relations internationales. Au front, il fut légèrement blessé par un éclat d’obus. Il demanda en vain sa naturalisation en janvier 1916. À la suite de l’entrée en guerre de la Roumanie (août 1916), il refusa sa mobilisation dans ce pays.
Après sa démobilisation de l’armée française, il travailla comme « pion », reprit ses études et adhéra à la 5e section du Parti socialiste ainsi qu’aux Étudiants socialistes révolutionnaires. En mars 1919, il était secrétaire par intérim des Étudiants socialistes révolutionnaires de Paris. Le 13 juillet 1919, L’Humanité signalait que la correspondance concernant la Fédération nationale des étudiants socialistes révolutionnaires devait lui être adressée ; il habitait alors au 6 rue Gay-Lussac. Il fut également membre des Amis du Populaire (dont il était trésorier-secrétaire pour les 5e et 6e arrondissements de septembre 1918 à 1919), puis du Comité de la Troisième Internationale dirigé par Fernand Loriot. Pour payer ses études, il travailla un temps chez Renault puis à l’agence Havas. Il obtint une licence de droit en octobre 1919.
Fin 1919, à l’instigation de Boris Souvarine, Aron Goldenberg rédigea, sous le nom de Robert Thal (le nom de jeune fille de sa mère), une brochure intitulée Deuxième ou troisième internationale. Il appelait à l’adhésion sans réserve à la nouvelle Internationale qui puisait selon lui ses origines dans la conférence de Zimmerwald (5-8 septembre 1915). Il avait déjà employé le même pseudonyme pour signer un article dans La Vie ouvrière du 13 août 1919. À la suite du congrès international des Étudiants socialistes et communistes, qui se tint en décembre 1919 à Genève (Suisse) auquel il assista, et dont il rendit compte dans Le Journal du Peuple, les partisans de l’adhésion firent scission : Goldenberg participa donc en 1920 au processus de création de la Fédération des Étudiants communistes. Lorsque Charles Rappoport lança en mars 1920 La Revue communiste, Aron Goldenberg fut chargé du secrétariat. Il annonça dans le premier numéro la création du Groupe des étudiants communistes de Paris, dont il était le secrétaire.
Membre du Comité pour l’autonomie des Jeunesses socialistes et leur adhésion à la 3e Internationale, il fut, avec Maurice Laporte, délégué à la conférence des Jeunesses socialistes occidentales convoquée à Milan le 21 mai. Tous deux furent interpellés à Menton dans la nuit du 22 au 23 alors qu’ils tentaient de franchir la frontière illégalement, les autorités ayant préalablement refusé de leur fournir des passeports. A. Goldenberg resta quatre semaines en prison. Il était porteur d’un carnet d’adresses de La Revue communiste ainsi que d’une note de Rappoport à destination du socialiste italien Giacinto Serrati. Un arrêté d’expulsion du territoire fut émis à son encontre le 2 juin : il fut sorti de prison pour être expulsé vers l’Italie, qui le refoula. Il fut finalement expulsé le 27 juin vers l’Allemagne. Il partit alors en Russie et fut délégué comme représentant de la gauche des Jeunesses socialistes au 2e congrès de l’Internationale communiste. Il était absent lors de la fondation de la Fédération nationale des étudiants communistes de France ; en Union soviétique il fit la connaissance des membres du Groupe communiste français, Marcel Body, Jacques Sadoul, Victor Serge et Robert Petit. Grâce à Alfred Rosmer, il fut admis au congrès avec voix délibérative et put prendre la parole pour critiquer Marcel Cachin et L.-O. Frossard, ces « contre-révolutionnaires avérés [qui] ne peuvent pas, en l’espace de quelques semaines, devenir des communistes ». Il semble que, avec les autres Français présents à ce congrès, notamment Henri Guilbeaux et Alfred Rosmer, Goldenberg fut de ceux qui eurent une position particulièrement intransigeante à l’égard de Cachin et de Frossard, ce qui devait peser ultérieurement dans la constitution du PC de France.
Après le congrès, Aron Goldenberg effectua un voyage dans un train de propagande jusqu’à Odessa. À l’automne, sur l’initiative de Henri Guilbeaux, il rencontra Lénine, puis fit un nouveau voyage, en Ukraine avant de quitter la Russie fin décembre 1920.
En 1921, A. Goldenberg fut arrêté en Allemagne, emprisonné plusieurs semaines et mit à profit ce séjour forcé pour étudier les écrits de Rosa Luxemburg. Il commença alors à utiliser le pseudonyme de Marcel Ollivier qui allait devenir le nom sous lequel il serait connu. Il écrivit à cette période des articles dans L’Avant-garde ouvrière et communiste (journal des Jeunesses communistes), le Bulletin communiste, La Vie ouvrière, Clarté, Le Journal du peuple et La Correspondance internationale.
Revenu à Moscou en 1922, il travailla comme traducteur-interprète lors du IVe congrès de l’Internationale communiste. Il publia en 1923 une série d’articles dans La Vie ouvrière, qui contredisait les thèses officielles de l’Internationale communiste sur la situation du capitalisme. Courant 1923, de retour à Paris illégalement, il polémiqua avec Albert Treint sur les réparations exigées à l’Allemagne, mais ce fut surtout sur les questions d’organisation qu’il s’engagea. Informé par Paul Marion que s’organisait un mouvement prônant le retour à la démocratie dans le Parti, il rejoignit l’opposition groupée autour de Daniel Renoult (cf. la lettre de J. Humbert-Droz à Zinoviev, 20 septembre 1923). « La direction du Parti, déjà mise en échec au congrès fédéral de la Seine et menacée de l’être au congrès national qui devait se tenir à Lyon quelques semaines plus tard, sollicita l’appui de l’IC », écrivit-il plus tard. Il critiqua l’excessive centralisation du Parti communiste : « On a exagéré le rôle des organismes centraux et surtout du bureau politique, qui a usurpé les tâches du comité directeur réduit au rôle d’une simple ébauche d’enregistrement. Sous prétexte de discipline, on a éliminé toute discussion, toute critique au sein du Parti, toute initiative venant de la base… » (l’Humanité, 10 janvier 1924). Ensuite, il refusa de prendre position dans la polémique engagée contre L. Trotsky. Par courriers des 25 juillet et 22 novembre 1924 au ministre de l’Intérieur Camille Chautemps, Léon Blum intervint en sa faveur afin qu’il puisse revenir s’installer légalement en France. Marcel Ollivier vivait alors entre Paris, Vienne, Berlin et Moscou. Les dossiers de police de Marcel Ollivier contiennent également des interventions en sa faveur de la part de l’Association des volontaires Juifs et de la Ligue des droits de l’Homme.
De nouveau à Moscou en 1924, il travailla comme traducteur au cours du Ve congrès de l’IC (juillet-août). Puis, toujours traducteur aux éditions du Komintern, il donna des cours d’économie politique à l’Université des peuples d’Orient. Fin 1925, Marcel Ollivier condamna l’attitude oppositionnelle de Boris Souvarine et la parution du Bulletin communiste reprise par ce dernier. Il l’accusait de vouloir « constituer un front unique de tous les adversaires de la direction actuelle du Parti » (« Souvarine ou le Messie sans peuple », la Correspondance internationale, 28 novembre 1925). Sans doute s’agit-il là de sa dernière prise de position officielle dans les débats qui secouaient l’IC. De Russie, Marcel Ollivier alimentait les Cahiers du bolchevisme en articles doctrinaux et était l’auteur de la quasi-totalité de leurs notices bibliographiques. En 1926, il publia la traduction d’un ouvrage de Max Beer, Karl Marx, sa vie, son œuvre (Librairie de l’Humanité) qui fut suivie, en 1928, de celle du 18 Brumaire de Louis Bonaparte de K. Marx aux Éditions sociales internationales, puis de textes de Friedrich Engels (notamment Principes du communisme et La Guerre des paysans en Allemagne). Étant oppositionnel, les éditions liées au PC supprimèrent fréquemment son nom des ouvrages qu’il avait traduit. En décembre 1926, il travaillait encore comme traducteur pour La Correspondance internationale. Il signala dans ses souvenirs qu’en décembre 1927, il « se tenait déjà en marge » et qu’il avait refusé d’adhérer au Parti russe. Cette affirmation reste à vérifier mais, toujours selon Pierre Naville qui le rencontra à Moscou en 1927, « il était peu actif dans les querelles, les conflits politiques dans le parti russe de l’époque ». De 1923 à 1928, il fut collaborateur de l’Institut Marx-Engels dirigé par David Riazanov.
Revenu en France courant 1928, il quitta peu après le PC sur la pointe des pieds. D’avril à juin 1928, il publia un article en trois parties sur « La question agraire en Russie » dans la revue oppositionnelle La Lutte de classes, dirigée par Pierre Naville. D’après un rapport de police, il correspondait à cette période avec Julian Borchardt. Selon la même source, il aurait utilisé vers cette période le pseudonyme « Beaufils ».
En 1930, il traduisit et préfaça Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande de F. Engels. Signe de son évolution idéologique, il rencontra Nestor Makhno grâce à un ami anarchiste. Ces années furent également celles d’un approfondissement de sa relation intellectuelle avec la pensée de Rosa Luxemburg. En 1933, Marcel Ollivier s’associa à la campagne en faveur de Victor Serge, qui était détenu en URSS : « Je suis indigné au plus haut point du traitement qu’on lui fait subir », écrivit-il à Maurice Dommanget.
En 1934, il commença à travailler comme correcteur et obtint son adhésion au Syndicat CGT des correcteurs. Il a d’abord travaillé chez Pigelet puis à Néogravure-Desfossés, Paris-Soir, au Journal officiel. En 1935, il écrivit dans la revue luxemburgiste Spartacus, dirigée par René Lefeuvre.
En 1936, Marcel Ollivier se rendit en Espagne, se mit au service du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) et travailla à son journal La Batalla. Il côtoya Kurt Landau et sa compagne Katia. Lors des événements de mai 1937, la GPU se présenta chez sa logeuse pour « l’interroger ». Marcel Ollivier échappa à l’enlèvement, contrairement à Kurt Landau qui disparut à jamais. Marcel Ollivier dénonça immédiatement les assassinats perpétrés par les services soviétiques dans une brochure intitulée Les Journées sanglantes de Barcelone. De retour en France, il donna une nouvelle traduction de La Révolution russe de R. Luxemburg pour les éditions Spartacus de René Lefeuvre (Cahier n° 4, janvier 1937).
Dans les années suivantes, Marcel Ollivier semble s’être consacré essentiellement à ses activités professionnelles. Il écrivit des pièces qui furent jouées au théâtre et à la radio, notamment une adaptation de son livre Spartacus sur la révolte des esclaves.
Au déclenchement de la guerre, il fut détenu plusieurs mois à Nîmes. Il était alors apatride. Il travailla un temps, pendant l’Occupation, à la coopérative marseillaise « Le Croque fruit ». Après la Seconde Guerre mondiale, il reprit son travail de correcteur, notamment à Libération. Il fut membre du syndicat des correcteurs d’octobre 1945 à octobre 1947, puis à partir de novembre 1954. Il traduisit des textes de l’espagnol sous le pseudonyme de Jean Talbot, notamment un ouvrage du dirigeant du POUM Julian Gorkin. Il traduisit également de l’allemand, notamment des textes de Rudolf Hilferding et de Karl Liebknecht.
Touché par la cécité en 1978, il mourut en avril 1993 sans avoir obtenu la nationalité française.
Par Julien Chuzeville, Michel Dreyfus
ŒUVRE : Deuxième ou Troisième internationale (préf. de B. Souvarine). — Spartacus, 1929 (traduit en allemand en 1932, réédité en 2001 sous le titre Spartacus : la liberté ou la mort !). — Marx et Engels, poètes, 1933 (réédition augmentée chez Spartacus, 2014, sous le titre Marx et Engels poètes romantiques). — Les Journées sanglantes de Barcelone (3 au 9 mai 1937), n° spécial d’Essais et Combats, juin 1937 (repris en Cahiers Spartacus, nouvelle série, n° 7, réédité en 1970 par les éditions Spartacus sous le titre Le Guépéou en Espagne, les journées sanglantes de Barcelone, du 3 au 9 mai 1937, puis en 2006). — Un bolchevik dangereux (souvenirs inédits, des extraits sont présentés par Jean-Louis Panné dans la revue Communisme, n° 55-56, 1998 ; un passage est par ailleurs publié sous le titre « La situation des Étudiants socialistes en 1919 » dans les Cahiers du mouvement ouvrier n° 7, septembre 1999). — Un espion nommé Staline, France-Empire, 1974. — Traduction de Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital, 1ere partie publiée à la Librairie du travail (maison d’édition créée par Marcel Hasfeld), 1935, 192 p.
SOURCES : Arch. Nat. 19940448/269 et BB/18/2632 (dossier 1193A20). — Arch. PPo 1W9 (dossier n° 54366). — RGASPI, Moscou, 495/78/17. — Archives du syndicat CGT des correcteurs, IISG Amsterdam, carton 131. — IIe Congrès de la IIIe Internationale communiste, compte-rendu sténographique, éditions de l’IC, 1920 : les interventions de Marcel Ollivier se trouvent pages 269-274, 389-391, 455 et 601. — Le Populaire, 25 mai 1920. — Patrice Ville, Les Groupes communistes français dans la Russie révolutionnaire et la naissance de l’idéologie communiste en France (1916-1921), Thèse soutenue à l’Université de Nanterre, 1999. — Marcel Cachin, Carnets, tome 2. — Témoignage de Pierre Naville, 22 février 1979, in Boris Souvarine et la Critique sociale, sous la dir. d’Anne Roche, Paris, La Découverte, 1990. — Préface d’Odette Bagno à Spartacus : la liberté ou la mort !, Paris, Spartacus, 2001, p. 5-9. — Archives de Jules Humbert-Droz, tome 1, 1970. — Julien Chuzeville, Un court moment révolutionnaire, la création du Parti communiste en France, Libertalia, 2017. — Le Journal du Peuple des 18 mai, 24 mai, 3 juin et 21 juin 1920. — Notes de Marie-Cécile Bouju et de Jean-Michel Kay. — Fichier des décès de l’INSEE. — Notice in DBMOF par Jean-Louis Panné.