PASCAL Pierre. Pseudonymes : VEYRIERES P., à Moscou, KARLOVITCH Piotr, KIEVLANINE, LÉONIDE, IGOR (version DBK)

Par Michel Dreyfus

Né le 22 juillet 1890 à Issoire (Puy-de-Dôme), mort le 1er juillet 1983 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) ; secrétaire du Groupe communiste français à Moscou ; participe aux Ier, IIe et IIIe congrès de l’IC ; employé au ministère soviétique des Affaires étrangères puis à l’Institut Marx-Engels (1919-1933) ; professeur à la Sorbonne. 

Fils de Charles Pascal, professeur agrégé de grammaire qui compta beaucoup pour lui, aîné de quatre enfants, Pierre Pascal fut initié au monde russe « par un pur hasard, l’ouverture, au lycée Jeanson de Sailly où il faisait ses études, d’un cours de russe. » Assez vite, l’adolescent se rendit compte de la condescendance méprisante que sa mère avait pour la famille de son mari qu’elle jugeait « d’origine bien trop modeste ». En automne 1919, Madame Pascal aurait d’ailleurs confié à Yvonne Sadoul la honte qu’elle avait de savoir son fils dans les rangs des bolcheviks ; son père se montra au contraire alors beaucoup plus compréhensif. Cette attitude maternelle favorisa la prise de conscience par Pierre Pascal de la question sociale. Tout en poursuivant ses études — il entra en 1910 à l’École normale supérieure préparée au lycée Louis le Grand — , il subit alors l’influence du Sillon, par l’intermédiaire de sa rencontre avec le lazariste Fernand Portal qui fut pour lui décisive. Durant l’été 1911, Pierre Pascal alla en Russie pour préparer un mémoire d’études supérieures consacré à « Joseph de Maistre et la Russie ». Il y revint plus longuement en 1913 puis prépara l’agrégation l’année suivante.

Mobilisé en 1914 comme sous-lieutenant au 92e régiment d’infanterie, grièvement touché lors de combats en Argonne début septembre 1914, il fut à nouveau blessé aux Dardanelles où il avait demandé à être envoyé. Le 21 janvier 1916, il fut détaché au Grand quartier général de Chantilly où « il apprit le décryptement, le chiffrement et le déchiffrement » du russe et du bulgare et où il trouva cette vie « austère » ; il y fit la connaissance de Robert Petit* qu’il devait retrouver au sein du Groupe communiste français de Moscou. Puis le 21 avril 1916, il fut détaché en Russie à la Mission militaire française (MMF) pour travailler à la propagande française. Arrivé à Saint-Pétersbourg le 11 mai 1916, il fut affecté auprès de l’état-major russe. Il ne savait pas qu’il allait rester dix-sept ans en Russie. Contrairement à la majorité des membres de la MMF qui considéraient la Russie avec hauteur, Pascal, devenu sous-lieutenant en août 1916, se montra beaucoup plus proche du peuple russe ; peu à peu, il établit une distinction entre ce dernier et ses élites. Une mission en Roumanie en juin 1916 le renforça dans ses convictions et cette évolution se poursuivit après son retour à Pétrograd en juillet 1916, comme le montre sa correspondance avec le Père Portal avec qui il était resté en relations.

Aussi, en février 1917, son amour du peuple russe lui fit-il considérer très vite de façon favorable la révolution et le gouvernement de Kerensky.

Toutefois, Pascal, qui se sentait de plus en plus isolé au sein de la MMF restait en juillet 1917 étranger au bolchevisme. Mais peu à peu il abandonna les espoirs qu’il avait mis en Kerensky et analysa la Révolution d’Octobre dans un « sens profondément religieux ». Il devait s’exprimer sur ce point à maintes reprises : Octobre « se fit, du moins, je le crus alors, moins par foi dans le bolchevisme que par perte de toute confiance en Kerensky pour opérer la révolution sociale. Elle fut l’œuvre active d’une minorité avec le consentement tacite de la majorité » (cité par P. Ville, op. cit, p. 167). Beaucoup plus tard, il affirma que « la révolution de 1917 a été, de la part des soldats et des paysans qui l’ont faite, un mouvement d’indignation chrétienne contre l’État (cité par P. Ville, op. cit. p. 190) ». Ainsi, ce « bolchevik chrétien », selon l’expression de Georges Nivat, conserva sa foi, tout en adhérant au communisme.

En mars 1918, il était encore éloigné du communisme international mais ce qu’il vit, les expériences auxquelles il fut mêlé dans la Russie révolutionnaire le firent évoluer, de plus en plus rapidement à partir de l’été 1918. À l’issue d’une entrevue orageuse qui eut lieu le 23 ou 24 octobre 1918 avec le chef de ce qui restait de la MMF, P. Pascal prit la décision de rester en Russie. Le même jour, il adhéra au Groupe communiste français de Moscou, en compagnie de Marcel Body, Henri Deymes et Jacques Sadoul. Au nom du Groupe communiste français, P. Pascal publia plusieurs articles sous le pseudonyme de P. Veyrières, utilisant ici le nom de sa mère par dérision. Il se lia d’amitié avec Jacques Sadoul avant que ses « préjugés religieux », selon le mot de Sadoul, n’entraînent une rupture avec ce dernier, fin juillet 1919. Durant toute l’année 1919, Pascal fut le secrétaire du GCF et l’un de ses principaux animateurs. Voulant défendre le bien-fondé de la Révolution russe le GCF décida de publier une série de brochures qui se voulaient -ildidactiques sur l’État soviétique et dont P. Pascal assura la réalisation en 1920 et 1921.

Après mars 1919 et la liquidation de ce qui restait de la MMF, le GCF proposa ses services à la Tchéka ; cette dernière lui demanda de suivre l’état d’esprit de la colonie française à Moscou. Puis en juillet 1919, le GCF chercha à mettre sur pied sa propre Tchéka. Mais bientôt des dissensions apparurent entre les principaux animateurs du GCF, et notamment Henri Guilbeaux, Pierre Pascal et Jacques Sadoul. Ces divergences s’exacerbèrent lors de « l’affaire du trésor de l’ambassade » auquel fut mêlé Robert Petit* et qui empoisonnèrent au sein du Groupe une atmosphère déjà très tendue. Aussi, partir de mars 1920, le GCF n’eut-il plus qu’une existence réduite.

Avec Sadoul*, Pascal assista à la conférence de fondation de la IIIe Internationale (mars 1919) où il eut voix consultative. Plusieurs de ses articles, publiés dans le Bulletin communiste, contribuèrent à diffuser les idées bolcheviques en France. P. Pascal y fit notamment un historique du GCF où il liait le sort du GCF à « celle d’un hypothétique futur Parti communiste français ». Tout comme J. Sadoul* mais de façon moins vive, il fut l’objet d’attaques par la presse française.

Vivant en Russie sous le nom de Piotr Karlovitch, il travailla, à partir de 1919, au Commissariat des Affaires étrangères. Victor Serge qui devait devenir son beau-frère (ils avaient épousé les sœurs Roussakova dont l’une, Eugénie sera sa compagne à partir de 1921) décrivit ultérieurement « l’homme exemplaire du Groupe communiste français de Moscou » dans ces termes : « Je l’avais connu en 1919, la tête rasée, une grosse moustache de cosaque, de bons yeux toujours souriants, habillé d’une blouse de paysans et s’en allant nu-pieds par la ville vers le Commissariat des Affaires étrangères où il rédigeait certains messages de Tchitchérine. Catholique ferme et discret, il justifiait par la Somme de saint Thomas son adhésion au bolchevisme et son approbation de la terreur même. » En effet, Pascal était alors un « sectaire, un véritable bolchevik endurci » ; devenu un bolchevik irréductible, il s’impatientait de la lenteur avec laquelle se construisait le communisme, tout en vantant les mérites des dirigeants bolcheviks. Dans sa recherche de pureté, il justifiait ce qui faisait alors en Russie, en se faisant notamment le défenseur de la répression et de la Tcheka.

Avec Jacques Sadoul et Yvonne Sadoul, Pascal reçut Marcel Cachin et L.-O. Frossard à leur arrivée à Moscou, le 15 juin 1920. Il travaillait alors à la propagande et rédigeait les radios à destination de la France. Sadoul* le traitait alors de « mystique catholique et papiste pratiquant. Il rêve de réunir l’orthodoxie grecque et l’Église romaine sous l’égide du communisme. Depuis que Lénine* est au courant de ces faits, on a réduit le rôle de Pascal qui n’a plus qu’une besogne, traduire en français les télégrammes et radiotélégraphies en France » (Carnets, Cachin, tome 2, p. 441). Toutefois, jusqu’à la fin de l’année 1922, Pascal fut un des collaborateurs les plus proches du ministre des Affaires étrangères, Tchitchérine. Il appartint en tant que traducteur aux délégations soviétiques qui participèrent aux conférences d’après-guerre à Gênes, La Haye et Rapallo (1922) ; lors de cette dernière conférence, Pascal fit une traduction du traité en français.

De façon paradoxale, ce fut à l’heure où la NEP améliora la situation du peuple russe (mars 1921) que Pascal commença à prendre ses distances avec le régime. La Nouvelle politique économique permettait de mieux vivre mais, selon Pascal, elle « écartait » l’URSS du socialisme. L’évolution de Pascal fut lente et discrète. Tout d’abord, il continua de travailler pour le régime soviétique au ministère des Affaires étrangères ; il servit de guide et d’interprète pour les premières délégations communistes françaises se rendant à Moscou. Il écrivit également dans La Correspondance internationale, où, tout en étant en désaccord avec la NEP, il se fit le défenseur des grandes orientations politiques du régime.

Mais son état d’esprit avait changé : jusqu’en 1921, la politique avait relevé pour lui d’un engagement total, d’un sacrifice de soi à chaque instant de sa vie. Ce ne fut plus le cas à partir de 1922 : selon son propre terme, Pascal eut dès lors une attitude de « neutralité ». Selon un rapport « strictement confidentiel » sur Pascal rédigé par A. Marty en 1940 (cité par P. Ville, op. cit. p. 724), ce dernier aurait rencontré P. Pascal à Moscou en novembre 1924. À cette date, « il avait cessé de fréquenter les réunions du Parti depuis un an au moins (ce fut vraisemblablement en 1922) ». Mais cette version des faits est certainement inexacte : selon Robert Petit*, l’« opposition toute sentimentale » de P. Pascal aurait commencé seulement en 1924, date où il ne reprit pas sa carte du Parti. Son désenchantement grandissait et il se rapprocha des anarchistes ; il se lia à des syndicalistes, des anarchistes, tel Nicolas Lazarevitch, et des émigrés italiens qui avaient fui le fascisme et avec qui il vécut dans une sorte de commune agricole à Yalta au printemps 1924.

À la suite de cet épisode, Pierre Pascal travailla au cabinet français de l’Institut Marx-Engels, à la demande de Riazanov, son directeur. À partir de 1925, il fut chargé par Riazanov de traduire en français les œuvres de Lénine. De 1926 à 1929 parurent trois tomes d’une anthologie des œuvres de Lénine*, traduite et présentée par Pascal. Puis cette édition fut interrompue. À cette date, Pascal n’était plus en odeur de sainteté chez les communistes français et russes. Il avait suivi avec attention les luttes internes au sein du Parti communiste russe qui aboutirent à la défaite de Trotsky* et de l’Opposition de gauche en 1927. Par l’intermédiaire d’Eugène Lanti, animateur du mouvement espérantiste, il était resté en contact avec Boris Souvarine* qu’il avait rencontré au IIIe congrès de l’IC et avec qui il s’était lié, ainsi que de Pierre Monatte ; il avait pu ainsi leur transmettre plusieurs articles qui furent publiés sous divers pseudonymes (Kievlanine, Léonide, Igor) dans le Bulletin communiste et de façon anonyme dans La Révolution prolétarienne. Toutefois, si Pascal fut certainement surveillé, il ne fut jamais inquiété, même à partir de 1928 lorsqu’il aida son beau-frère, Victor Serge* exclu du Parti puis arrêté. Faut-il expliquer cette immunité par le fait que son nom aurait figuré « sur une liste d’intouchables dressée par Lénine peu avant sa mort ? ». Bien que cette explication ne soit pas entièrement satisfaisante, il faut s’en contenter pour l’instant. Quoi qu’il en soit, jusqu’en 1933, Pascal, qui continua de travailler à l’Institut Marx-Engels se fit complètement oublier ; il put même entreprendre une étude sur l’archiprêtre Avvakum qui avait été à l’origine d’un schisme au sein de l’orthodoxie russe, le « Raskol » ou Mouvement des vieux croyants. Grâce à la complaisance de Riazanov, Pascal put s’engager dans ce travail sur un sujet qui n’avait rien de marxiste.

Au début des années 1930, il envisagea de revenir en France ; après avoir obtenu les visas nécessaires, lui et son épouse arrivèrent à Paris le 8 mars 1933, jour de la nouvelle arrestation de Victor Serge* en URSS. Pierre Pascal s’associa à la campagne en sa faveur. Boursier de la Caisse nationale des sciences de 1934 à 1936, il soutint un thèse de doctorat d’État en 1935 sous le titre L’archiprêtre Avvakum et les débuts du raskol. Chargé d’enseignement puis maître de conférences de langue et littérature russe à la faculté des lettres de Lille en 1936-1937, il devint professeur à l’École nationale des langues orientales vivantes en 1937 et y enseigna jusqu’en 1950. Il fut alors nommé professeur à la Sorbonne et y enseigna jusqu’à sa retraite en 1960. Devenu un savant de réputation internationale sur les études russes, il conserva longuement un mutisme profond sur ces années en Russie. Son engagement communiste n’avait jamais remis sa foi en cause : on comprend mieux dans ces conditions pourquoi ce fut la NEP qui contribua à remettre en question l’idéal qu’il se faisait du communisme. Contrairement à ce qu’a affirmé François Furet dans Le Passé d’une illusion, ce ne pas la répression de Cronstadt en 1921 qui ébranla sa foi communiste, mais bien davantage la NEP. L’intransigeance, l’impatience avec lesquelles Pierre Pascal voulait construire le communisme firent pour lui de la NEP un tournant décisif et irréversible.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75909, notice PASCAL Pierre. Pseudonymes : VEYRIERES P., à Moscou, KARLOVITCH Piotr, KIEVLANINE, LÉONIDE, IGOR (version DBK) par Michel Dreyfus, version mise en ligne le 12 janvier 2010, dernière modification le 17 novembre 2021.

Par Michel Dreyfus

ŒUVRE : Bibliographie complète in « Mélanges Pierre Pascal », Revue des études slaves, 1982.

SOURCES : Arch. Nat., F17/ 27756. — RGASPI, 495/270/6147, dossier Pascal, lettre de André Marty. — Patrice Ville, Les Groupes communistes français dans la Russie révolutionnaire et la naissance de l’idéologie communiste en France (1916-1921), thèse, op. cit., notamment pages 167, 190, 192, 522, 435, 437, 438, 583, 599, 600, 603, 606, 696, 714-717, 721-735. — Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire, Paris, Seuil, 1951, p. 153 — Notice par J.L. Panné, DBMOF. — Marcel Cachin, Carnets, 1917-1920, notamment tomes 2 et 3. — Notes de Jacques Girault.

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