PIATNITSKI Ossip, né TARSCHISSE Iossif Aronovitch. Pseudonymes : PIATNITSA, FREITAG, (avant 1917) ; MIKHAIL, SONNTAG (après 1921) (DBK)

Par Mikhaïl Narinski, Serge Wolikow

Né le 17 janvier 1882 à Villekomire, région de Kovno, dans l’Empire Russe, aujourd’hui en Lituanie, fusillé le 29 juillet 1938 à Moscou ; d’origine juive ; tailleur, électricien, puis fonctionnaire du Komintern et du PCR (b) ; trésorier du Komintern de 1921 à 1935, secrétaire du Comité exécutif de l’Internationale communiste (CEIC) de 1922 à 1935, membre du CEIC de 1924 à 1935, membre du secrétariat politique du CEIC de 1926 à 1935, membre du Présidium du CEIC de 1928-1935.

Publication française du discours prononcé à la XIIIe Assemblée plénière du CE de l’IC (décembre 1933), bureau d’édition, Paris, 1934

Fils d’un ouvrier menuisier, Ossip Piatniski dut quitter l’école après la mort de son père en 1895 et devint apprenti tailleur. Il travailla comme tailleur à Kovno et Vilno en 1897-1902 et adhéra à un cercle social-démocrate en 1898. Il prit contact avec le comité de rédaction du journal illégal l’Iskra (l’Étincelle) et devint l’un des diffuseurs du journal en 1901. Arrêté en 1902, il s’évada de la prison de Kiev, puis émigra en Allemagne. Il adhéra au bolchevisme dès 1902.

Piatnitski revint en Russie en 1905 et fut l’un des organisateurs de la lutte révolutionnaire à Odessa et membre du comité bolchevique de la ville.

Arrêté en janvier 1906, il rejoignit Moscou après sa libération de prison. Il fut l’un des organisateurs de l’appareil clandestin du Parti et de son activité illégale. Arrêté en janvier 1908, puis emprisonné jusqu’à la fin de l’année, il fut libéré et émigra à Genève puis à Leipzig. Il devint l’organisateur principal de la diffusion des publications bolcheviques de l’étranger vers la Russie. Piatnitski, également affecté à l’organisation du Parti, fut délégué à la 6e conférence du Parti social-démocrate ouvrier russe à Prague (janvier 1912). Il séjourna à Paris en 1912 et y fit des études dans une école technique.

Piatnitski revint en Russie en automne 1912 et travailla les années suivantes comme électricien tout en organisant l’activité illégale bolchevique à Volsk et à Samara (région de la Volga). Arrêté en juin 1914, il fut exilé en Sibérie de mars 1915 à mars 1917.
Après la Révolution de février 1917, de retour à Moscou, Piatnitski devint membre du comité du Parti bolchevique de la ville et de sa commission exécutive. Il fut l’un des animateurs de l’insurrection armée à Moscou en octobre 1917. Devenu l’un des leaders du syndicat des cheminots en 1917-1920, il gravit ensuite les échelons de l’organisation du Parti communiste russe comme suppléant du comité central (CC) en 1920-1921 puis membre de la commission centrale du comité du Parti en 1924-1927 et enfin membre titulaire du CC en 1927-1937.

Piatnitski commença son activité au Komintern au début de l’année 1921. Responsable du département des liaisons internationales (OMS) du CEIC de juillet 1921 à décembre 1922, il installa des centres clandestins dans différents pays et structura le transport illégal des fonctionnaires et des militants de l’IC. Il effectua pour ce faire des voyages dans de nombreux pays (Pologne, Lituanie, Autriche, Allemagne, Italie, Tchécoslovaquie). En tant que responsable de l’OMS, il supervisa la fabrication des faux papiers comme des publications : il avait ainsi en charge les communications entre la direction moscovite de l’IC et ses sections nationales. Les centres clandestins chargés de ces liaisons étaient dirigées par l’OMS et restaient en dehors des partis communistes. En juillet 1921, il devint membre de la Commission sur le budget et le 1er août fut élu trésorier du CEIC, fonctions qu’il assuma jusqu’à la fin de son activité au sein du Komintern en 1935. À ce titre il avait des contacts sur les questions financières avec les dirigeants du Parti et du gouvernement soviétique. Piatnitski joua un grand rôle dans la distribution des subsides de Moscou aux partis communistes.
Après le IVe congrès de l’IC, Piatnitski fut élu membre du secrétariat du CEIC et membre du Bureau d’organisation (Orgbureau) en décembre 1922. Il devint aussi membre de la commission permanente du CEIC chargée de l’activité illégale. Dans ces fonctions il continua d’être responsable du budget du Komintern et de l’activité de l’OMS. Au Ve congrès de l’IC (juin-juillet 1924) Ossip Piatnitski fut élu membre suppléant du CEIC, membre du Bureau d’organisation et membre du Secrétariat.

Le Bureau d’organisation de l’Internationale, sous sa direction de fait, joua alors un rôle décisif pour impulser les transformations qui secouèrent la plupart des partis en 1924-1925. De juillet 1924 à mars 1925, la section d’organisation de l’IC qu’il animait tint vingt-cinq séances consacrées à la réorganisation des différentes sections nationales. À ce titre Piatnitski fut envoyé en Allemagne par le Komintern en février 1924 pour effectuer la « bolchevisation » du KPD et le changement des dirigeants du Parti.

À la veille du 5e plénum du CE de l’IC, au printemps 1925, se tint la première conférence d’organisation. Son objectif, selon Piatnitski, était « d’examiner les bonnes et mauvaises expériences des divers partis et de les corriger ». Cette conférence prétendait confronter les expériences diverses accumulées par les partis qui s’étaient engagés dans une réorganisation encore inachevée. Cette première conférence supervisée par Piatnitski était le moyen pour l’IC d’obtenir des informations qui ne remontaient qu’irrégulièrement. Les problèmes posés par la réorganisation de l’appareil central des partis et le fonctionnement des nouvelles directions étaient loin d’être résolus. Beaucoup d’interrogations demeuraient à propos des cellules : les cellules d’entreprises devaient-elles rester les seules organisations de base ou bien fallait-il donner une plus grande place aux cellules de rues ? Comment organiser leur activité politique régulière ?
La tonalité du rapport général de Piatnitski, différait quelque peu de celui du Ve congrès. Un certain souci de réalisme s’alliait à la préoccupation de voir les partis communistes conserver ou conquérir une influence de masse. Mais il s’agissait surtout pour l’Internationale d’arriver à mettre en place des structures nouvelles de direction et de fonctionnement, identiques dans leurs principes pour tous les partis. Les différents textes adoptés par la conférence, puis le 5e plénum constituèrent ensuite des références impératives pour chaque parti. Piatnitski mit en garde les communistes français contre certaines exagérations, comme la suppression des cellules locales dites « de rue » au profit exclusif des cellules d’entreprises ce qui avait provoqué une crise des effectifs : « Le Parti français dit que les cellules de rues sont superflues ; d’autres partis disent le contraire. Je ne veux pas défendre les cellules de rues. Si les conditions sont telles qu’on peut s’en passer, alors, je serai le premier à les combattre… Je ne dis pas que le Parti français doive immédiatement créer des cellules de rues ; mais le Parti français et la Jeunesse qui sont tout à fait opposés aux cellules de rues ont entrepris la création de groupes de travail au lieu du domicile. Cela prouve que l’on ne peut se passer d’organisations comme celles des cellules de rues. » Son attitude prudente trahissait une réflexion critique qu’il livra un an plus tard lors de la 2e conférence d’organisation de l’IC en mars 1926, n’hésitant pas, cas rare dans l’histoire de l’IC, à reconnaître certaines de ses propres erreurs notamment celle qui consistait à transposer en Europe occidentale l’expérience russe : « Le camarade Thorez* a déclaré ici qu’au Ve congrès mondial, la cellule de rues a été considérée comme un simple phénomène transitoire et que j’aurais dit la même chose l’année passée à la conférence d’organisation. C’est exact. Mais l’année passée, j’ai cédé sur quelques points. Nous n’avions nulle part de cellules de rues. Nous n’avions aucune expérience dans ce domaine, parce que les cellules de rues n’existaient pas en Russie. Lorsque fut soulevée la question de l’utilisation des expériences russes à l’étranger, nous nous vîmes en face de difficultés. Il fallait faire la réorganisation de sorte que le travail pût être fait partout. En Russie, les ouvriers habitaient, avant la Révolution, très souvent dans la proximité de leur entreprise. Pour l’Europe occidentale nous nous sommes demandés comment employer, sur le lieu de l’habitation, les camarades après le retour de l’usine. Nous avons trouvé la cellule de rue comme solution, sans que des expériences quelconques eussent été à notre disposition à cet égard. »
Piatnitski dirigeait tout l’appareil clandestin du Komintern et ses affaires financières. Comme responsable principal de l’activité clandestine il avait des contacts suivis avec les dirigeants des services de renseignement soviétiques.

Après la réorganisation des organes du Komintern en mars 1926, Piatnitski présida le bureau d’organisation, et fut membre du Secrétariat du CEIC. Il fut aussi membre et secrétaire de l’influente délégation du VKP (b) au Komintern, constituée en janvier 1926, aux côtés notamment de Staline et Boukharine. Cette délégation russe, lors des sessions plénières du CE, définissait les orientations stratégiques du Komintern et tranchait les questions les plus importantes concernant les cadres. Il soutint Staline contre Zinoviev* puis contre Boukharine et devint l’un des dirigeants de fait de l’IC à la fin des années 1920.

Ossip Piatnitski fut ainsi l’initiateur de la réorganisation des structures de direction du Komintern après l’élimination de Zinoviev* et la suppression du poste de président de l’IC. Sur sa proposition le secrétariat politique du CEIC fut créé en décembre 1926. Il fut élu membre du secrétariat politique et chef de la « commission étroite », chargé de l’activité illégale. Après la création des « landersecretariats » (secrétariat de pays), il devint membre de ceux de l’Europe centrale et des pays balkaniques.
Au VIe congrès du Komintern (17 juillet-1er septembre 1928), Piatnitski présenta le rapport sur l’organisation des partis communistes. Il exposa et défendit la ligne de centralisation renforcée du Komintern. Il fût élu membre du CEIC, membre du Secrétariat politique, puis, en août 1929, membre suppléant de la commission politique du Secrétariat politique.

Piatnitski continua son travail d’organisation au Komintern durant la première moitié des années 1930. Lors du 12e plénum il intervint longuement sur la situation du PCF. Ne ménageant pas ses critiques il déplora les faiblesses de la direction et la mauvaise qualité de son organisation : « Le PCF pourrait conquérir les masses les plus larges s’il possédait de solides organisations locales, s’il existait des cellules et des comités de rayon d’initiative, s’il y avait de bons comités régionaux, s’il existait un bureau politique énergique et uni qui dirigerait le Parti réellement. Peut-on arriver à cela ? » Ne se payant pas de mot il était ouvertement pessimiste à l’égard des engagements du PCF : la non application des décisions antérieures concernant l’activité du Parti nourrissait ses doutes : « Et si tout cela avait été réalisé, je n’aurais pas à parler aujourd’hui du PCF. Toutes ces promesses de la délégation française de même que beaucoup d’autres décisions des organes du CE de l’IC et de l’Internationale syndicale rouge, du CC du PCF sont restées sur le papier. »
Dans son discours prononcé à la XIIIe Assemblée plénière du CE de l’IC (décembre 1933), et publié au bureau d’édition, à Paris, en 1934, il accusait le CC du PCF d’avoir "commis de graves erreurs opportunistes à la fin de 1932 et au début de 1933, dans l’application du front unique". (p. 23).

Lorsque l’IC, à l’instigation de Manouilski*, incita certains partis affaiblis par le sectarisme à opérer des rectifications allant dans le sens d’une reprise des contacts avec les socialistes et un retour à une politique d’alliance Piatnitski manifesta des réserves. Il fut un de ceux qui, au secrétariat de l’IC, s’éleva avec le plus de vivacité contre les discussions engagées par le PCF avec la SFIO : « J’ai l’impression que le camarade Thorez* ne comprend pas pourquoi les pourparlers avec les socialistes sur l’organisation de la discussion étaient dangereux : quand les travailleurs commencent à comprendre que les socialistes trahissent leurs intérêts, les réformistes développent la propagande sur l’unité d’action, les pourparlers peuvent semer les illusions que les divergences entre les partis ne sont pas graves. Nous pouvons mener la discussion seulement pour démasquer nos ennemis socialistes » (RGASPI 495 3 356).

Il fut membre de la commission préparatoire du rapport du VIIe congrès. Mais à la veille du congrès, Dimitrov* et Manouilski*, inspirés par Staline , évoquèrent l’impossibilité de travailler avec Piatnitski dans les organes dirigeants du Komintern. Le 10 août 1935, le Politbureau du CC du VKP (b) prit la décision de remplacer Piatnitski. Il fut ainsi éliminé de tous les organes dirigeants du Komintern et nommé directeur du département politico-administratif du CC du VKP (b). Le 24 juin 1937, il fit une intervention contre les répressions de Staline et contre les méthodes du commissaire des affaires intérieures N. Ejov, lors du plénum du CC du Parti. Arrêté le 7 juillet 1937 il fut condamné à mort et fusillé le 29 juillet 1938.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article75936, notice PIATNITSKI Ossip, né TARSCHISSE Iossif Aronovitch. Pseudonymes : PIATNITSA, FREITAG, (avant 1917) ; MIKHAIL, SONNTAG (après 1921) (DBK) par Mikhaïl Narinski, Serge Wolikow, version mise en ligne le 17 janvier 2010, dernière modification le 2 novembre 2022.

Par Mikhaïl Narinski, Serge Wolikow

Publication française du discours prononcé à la XIIIe Assemblée plénière du CE de l’IC (décembre 1933), bureau d’édition, Paris, 1934

SOURCES : RGASPI 124 l 1582.- 495 3 356 ; O. Piatnitski, Notes d’un bolchevik. Leningrad, 1925 (en russe). ; S. Wolikow. Le PCF et l’Internationale communiste, op. cit. ; G. Adibekov, E. Schachnazarova, K. Schirinia. La structure d’organisation du Komintern 1919-1943, Moscou, 1997 (en russe).

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