RAKOVSKY Khristian Georgiévitch [parfois RAKOVSKI Christian] (DBK)

Par Pierre Broué

Né le 1er août 1873 à Kotel (Bulgarie), exécuté le 11 septembre 1941 à Orel (URSS) ; propriétaire foncier et médecin, membre de plusieurs partis socialistes européens (Bulgarie, Roumanie, Suisse, Russie) et en France où il fut médecin ; militant dans les rangs guesdistes ; organisateur d’un congrès mondial d’Étudiants socialistes ; dirigeant du PS roumain, membre du Bureausocialiste international de la IIe Internationale, puis à l’origine des conférences de Zimmerwald, Kienthal et de la Fédération socialiste des Balkans ; chef du gouvernement soviétique ukrainien ; auteur de la résolution de fondation de la IIIe Internationale ; responsable politique de l’Armée rouge ; ambassadeur à Londres puis Paris ; dirigeant de l’Opposition de gauche ; exclu en 1927, arrêté en URSS en 1928 ; condamné au 3e procès de Moscou ; exécuté peu après le début de la Seconde Guerre mondiale.

Kh. G. Rakovsky était né Krystiu Gheorgiev Stanchev. D’abord bulgare, il devint roumain après les guerres balkaniques et la modification des frontières. Son père était un riche propriétaire foncier, sa mère appartenait à une famille de héros nationaux, et ils prirent le nom de l’un d’eux, Savva Rakovski, en changeant de nationalité. Lycéen rebelle exclu, il alla étudier la médecine à Genève, Berlin, Nancy et Montpellier où il obtint le grade de docteur en médecine en 1897. Organisateur du 2e congrès des Étudiants socialistes, il était à vingt ans déjà lié à Plékhanov, Engels, Lafargue, Wilhelm Liebknecht et son fils Karl, Rosa Luxemburg et Jean Jaurès.

Après un séjour en Russie avec sa femme Ryabova, amie de Véra Zassoulitch et son service militaire en Roumanie, il fit un nouveau séjour en Russie d’où il fut expulsé, après avoir pris contact avec Lénine , collaboré et financé l’Iskra. Veuf, il regagna la France, où il avait déjà vécu plusieurs années, à Nancy, puis Montpellier ; en 1902, il exerçait la médecine à Beaulieu-sur-Loire, milita activement au sein du Parti ouvrier français (POF) guesdiste, et commença à Paris des études de droit, se liant à des socialistes, syndicalistes et radicaux de sa génération. Il n’obtint pas la naturalisation française, du fait de son dossier chargé à la police. La mort de son père et sa décision d’assumer son héritage utile à la cause le ramenèrent en Roumanie.
Il fonda et dirigea le Parti social-démocrate de Roumanie. Deux épisodes marquèrent cette période : son rôle dans l’aide aux marins mutinés du Potemkine et son expulsion de Roumanie suivie d’un combat de quatre ans pour retrouver sa nationalité. Il continua à parcourir l’Europe, revenant très souvent à Paris, où il continuait de militer au POF, créa la Fédération balkanique, fut élu au Bureau socialiste international. En 1913, chez lui, à Mangalia, il se lia d’amitié avec le correspondant de guerre Trotsky , qu’il connaissait déjà .
D’abord partisan de la neutralité en 1914, il fut vite convaincu par Trotsky d’aller plus loin. Il fut le pèlerin qui milita de pays en pays pour la conférence de Zimmerwald et devint l’un des animateurs du mouvement de la Gauche, se prononçant publiquement à Berne en 1916 pour une nouvelle Internationale. Dénoncé comme « agent de l’Allemagne » par l’Entente, objet d’une campagne de haine, il fut arrêté le 23 septembre 1916 et chemina de prison en prison. Les soldats russes en révolution le libérèrent de celle d’Iasi le 1er mai 1917.
Il continua de lutter sur le « front » roumain où il revint en 1918, ce qui lui valut une condamnation à mort en Roumanie. Mais il fut aspiré par la Révolution russe, une mission à Stockholm, puis, après son adhésion au Parti bolchevique (avec une ancienneté maximale) par d’autres missions diplomatiques. Il fut élu au CC du Parti. En janvier 1919, Lénine l’envoya à la tête du gouvernement de la république rouge indépendante d’Ukraine. Chassé par les Blancs en octobre 1919, revenu avec l’Armée rouge en mars 1920, il combattit les erreurs sectaires, fit respecter l’originalité nationale ukrainienne, s’appuya sur les paysans pauvres et pacifia le pays. Dans l’intervalle, il avait organisé et dirigé l’administration politique de l’Armée rouge, l’armature des commissaires politiques, et présenté à la conférence de Moscou de mars 1919 la résolution de fondation de la IIIe Internationale.

Diplomate de charme à la conférence de Gênes, architecte de l’accord germano-soviétique à Rapallo, il s’engagea dans la lutte sur la question nationale, contre la politique « grand-russe » de Staline et convainquit Lénine à travers la question géorgienne. L’organisation par lui du débat en Ukraine sur les derniers articles de Lénine , son intervention au 12e congrès et sa brochure Une nouvelle étape du développement communiste constituent un véritable manifeste d’opposition communiste à Staline , qui se débarrassa de lui en le nommant ambassadeur à Londres, puis Paris.
Il obtint un grand succès avec le traité anglosoviétique. En août 1926, en cure à l’hôtel Régina à Royat (Puy-de-Dôme) avec son épouse et sa fille, il ne dut qu’à la mauvaise volonté de la droite française de ne pas régler la question des « emprunts russes ». Il se lia aux amis de Trotsky et à des cadres du PC et contribua à la naissance en Russie d’une école d’historiens de la Révolution française. Haï par la droite, il fut déclaré persona non grata à la suite d’une campagne de presse particulièrement écœurante.

Revenu en URSS, il prit part à la bataille préparatoire du 15e congrès, allant d’assemblée en réunion et obtenant parfois le soutien d’organisations des Jeunesses. Sa tournée en Ukraine, après un demi-succès à Kharkov, provoqua la fureur de Staline qui déchaîna contre lui des violences physiques. Il fut le porte-parole de l’opposition au plénum du CC puis au congrès lui-même. Exclu, il négocia avec les autorités les lieux d’exil avant d’être exilé lui-même à Astrakhan.

Fidèle lieutenant de Trotsky en exil, auteur de la première analyse de la bureaucratie stalinienne, il réussit seulement à limiter la débandade de 1928. Ses « déclarations de l’Opposition » lui valurent, après Saratov, l’exil le plus dur à Barnaoul. Il « capitula » en 1934 et « avoua » en 1938 au procès de Moscou après une longue « préparation ». Mais rien n’est simple : il semble bien qu’il ait accepté de faire une déclaration de repentir en échange de la vie des camarades qui avaient assuré ses communications à Barnaoul, et ses aveux furent une tentative de résistance que Souvarine* fut seul à voir.
Condamné à la prison, il dénonça les staliniens comme des « tueurs ». Il fut exécuté, bâillonné. Son cadavre, dénudé, fut dépecé et jeté aux loups.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76002, notice RAKOVSKY Khristian Georgiévitch [parfois RAKOVSKI Christian] (DBK) par Pierre Broué, version mise en ligne le 26 mars 2021, dernière modification le 20 septembre 2022.

Par Pierre Broué

Christian Rakovsky et Léon Trotsky

ŒUVRE : Scrieri socio-politice, Sofia, 1977. — Selected Writings on Opposition in the USSR 1923-1930, éd. & notes de Gus Fagan, Londres, 1980.

SOURCES : Pierre Broué, Rakovsky ou la Révolution dans tous les pays, Paris, 1996. — Francis Conte, Christian Racovski (1873-1941), Lille/Paris, 2 vol. 1975. — Tcherniavsky G.I. & Stanchev MG., Kh.G. Rakovskij i bor’be protiv samovlasti, Kharkov, 1993. — Autobiographie dans l’Encyclopédie Granat, Entsiklopeditcheskii slovarRousskovo bibliografitcheskovo Institout Granat, Moscou, 1927-29. — G. Haupt et J.-J. Marie, Les Bolcheviks par eux-mêmes, Paris, 1969. — Arch. Nat. 15999/2. — Archi. dép. du Puy-de-Dôme : M 3836.

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