ROBINSON Henri. Pseudonymes : HARRY Léon, DOYEN Alfred, GLACOMO (DBK)

Par Jean-Pierre Ravery

Né le 8 mai 1897 à Saint-Gilles (Belgique) ; membre fondateur de l’Internationale communiste des Jeunes en 1919 ; représentant de la Jeunesse communiste française au Komintern en 1922 ; cadre dans divers appareils « politico-militaires » pour l’Europe occidentale et centrale entre 1923 et1939 ; responsable d’un appareil de renseignement en France ; arrêté par un commando spécial allemand le 21 décembre 1942 à Paris ; torturé puis exécuté, vraisemblablement en 1944 en Allemagne.

Le père d’Henri, David Rabinsohn, originaire de Vilnius (Lituanie), émigra à Londres où il rencontra sa future épouse. Ils s’y marièrent en « anglicisant » leur nom de famille qui devint Robinson, avant de repartir quelque temps plus tard s’installer dans la banlieue de Bruxelles, à Saint-Gilles, où naquit leur fils Henri le 8 mai 1897. Le père déclara à l’époque y exercer la profession de colporteur.

Quelques années plus tard, la famille s’exila de nouveau, cette fois vers l’Allemagne. À la veille de la Première Guerre mondiale, Henri avait entamé des études de lettres à Heidelberg.

Selon les recherches de Guillaume Bourgeois, le père avait procuré à sa famille de faux papiers d’identité français pour tenter de la mettre à l’abride nouvelles persécutions. À la déclaration de guerre, ils valurent à David Robinson et à ses deux fils aînés, Henri et Maurice, d’être arrêtés en tant que « ressortissants d’une puissance ennemie en état de porter les armes » et d’être internés à Holzminden. En 1916, Henri fut envoyé travailler dans une mine de sel où il contracta une tuberculose. L’année suivante, il fut dirigé vers le sanatorium de Davos en Suisse. Selon Guillaume Bourgeois, il y aurait peut-être rencontré un compagnon d’arme de Lénine appelé à devenir son supérieur, une douzaine d’années plus tard, et que la postérité ne connaît toujours à ce jour que sous le pseudonyme de « général Muraille ». Il y aurait aussi fait la connaissance d’une jeune femme de chambre du canton de Berne, Olga Israël, dont les convictions et les fréquentations valurent à Henri d’être fiché par la police française le 18 juillet 1918 comme « prisonnier civil, dont la femme prêche des opinions pacifistes ».

À l’issue de la guerre, la famille Robinson s’installa à Strasbourg tandis qu’Henry était démobilisé en tant que prisonnier de guerre le 18 septembre 1919 par une commission spéciale siégeant à l’hôpital d’Annecy, ce qui lui conférait un commencement d’existence légale. Du 20 au 26 novembre de la même année, il participait au congrès illégal de Berlin au cours duquel fut créée l’Internationale communiste des jeunes (ICJ), puis le 27 décembre, à la conférence de Zurich fondant une Fédération internationale des Jeunesses communistes. En 1920, Henri rejoignit le Comité exécutif de l’ICJ à Berlin. Il y rencontra bientôt Klara Schabbel, sténo aux éditions « Jugendinternationale », qui allait mettre au monde leur fils Léo le 17 octobre 1922.

En juin et juillet 1921, Henri prit part à Moscou au IIe congrès de l’ICJ puis au IIIe congrès du Komintern. Il serait resté un temps en Russie en qualité de représentant des JC françaises avant que lui soit confiée en 1923 la responsabilité de l’appareil antimilitariste de l’IC en Europe occidentale. En France, des militants comme Pierre Provost*, Maurice Honel* et Rosa Michel* le secondèrent dans ce travail. C’est à cette époque qu’il adopta le pseudonyme de Harry sous lequel il anima la campagne contre l’occupation militaire française de la Ruhr. Lors de ses séjours à Moscou, il vivait à l’hôtel Lux avec Klara qui avait été affectée à l’ICJ. Dans un document de la direction du Komintern datant de cette époque, cité par Guillaume Bourgeois, Henri était mentionné dans une liste d’instructeurs kominterniens de haut vol comprenant entre autres Fried, Ulbricht, Hofmaier entre autres. Il y était présenté comme militant de nationalité française, adhérent depuis 1918 et parlant allemand, français, italien, anglais, néerlandais et espagnol (il faut bien sûr y ajouter le russe).

Le 16 avril 1926, la direction du Komintern proposait que « le camarade Harry soit exempté de tout travail au sein de la section d’organisation afin qu’il ait la possibilité de rejoindre le PC français » (RGASPI 495 6 1). Mais en septembre de cette même année, après une brève étape parisienne, ce fut à Berlin — où siégeait le bureau de l’IC pour l’Europe occidentale — que s’installa la famille Robinson. Au cours des mois et des années qui suivirent, Henri allait effectuer de fréquents séjours à Paris, mais aussi en Suisse, en Autriche et en Italie, pour autant qu’il soit possible d’établir les véritables itinéraires et destinations d’un cadre supérieur du Komintern devenu expert dans l’usage des techniques conspiratives. Selon les archives de la police politique allemande, Henri Robinson aurait été à cette époque « responsable technique de l’appareil politico-militaire pour l’Europe occidentale et centrale ». De même source, il aurait ensuite, à partir de 1929, secondé le « général Muraille » à la tête d’un appareil de collecte d’informations militaires en France. Le fait que Rosa Michel* ait quitté cette année-là la direction des JC françaises pour le rejoindre à Berlin et devenir son assistante pourrait en effet accréditer cette hypothèse. Mais la première édition imprimée du Maitron signalait un « Léon Harry » comme étant, dés 1927, un dirigeant du 35e rayon communiste de la région parisienne chargé de « l’implantation dans les entreprises » ; ce qui pourrait signifier qu’il opérait déjà en France avant 1929.

Selon le témoignage de Roger Kahn, rapporté par Guillaume Bourgeois, quand Harry « [était] à Paris, il [venait] souvent à la maison [celle de Roger Kahn], travaill[ait] dans [leur] salle à manger, quelques fois avec des camarades. La maison lui ser[vait] de boîte aux lettres aux noms de Doyen ou de Giacomo, selon que les courriers v[enaient] d’URSS ou de Suisse ».

Le « général Muraille » ayant été arrêté le 23 avril 1931 puis expulsé, Henri Robinson lui aurait succédé, selon Guillaume Bourgeois, à la tête d’une organisation de renseignement militaire soviétique en France. Pour les cadres communistes de l’époque, cette sorte de tâche ne posait pas de difficulté particulière, ainsi que l’expliqua un ancien secrétaire général adjoint du PCF, Jean Cremet*, dans les colonnes de l’Humanité du 14 mai 1927 : « Chaque ouvrier (et non seulement chaque communiste) est un ennemi du capital et “espionne” — allons-y pour le mot, je l’accepte dans ce sens — et “espionne” dans sa sphère de travail et d’action. Il n’espionne pas pour de l’argent mais pour la révolution qu’il doit préparer, mettre tous les perfectionnements de l’industrie du capital à la disposition de sa classe pour écraser dans la lutte révolutionnaire les forces bourgeoises ! Ce n’est pas là une question de goût mais une nécessité de classe, un devoir de classe, une probité de classe » (cité par R. Faligot et R. Kauffer dans leur livre As-tu vu Cremet ?).

Recherché en Allemagne de façon attestée à partir de 1930, Henri Robinson se légalisait cette même année en France sous l’identité d’Alfred Doyen, citoyen belge censé avoir d’abord vécu à Roubaix en tant que travailleur frontalier avant de s’installer à Paris où il occupait officiellement un emploi à temps partiel chez André Colin, un graveur ancien premier secrétaire de la section communiste de Courbevoie en 1921.

Selon un rapport à Moscou rendant compte de la réorganisation de la direction du PCF en 1932, Henri Robinson était devenu, dans l’organigramme officiel, responsable de la Main-d’œuvre immigrée (MOI), ce qui ne signifie pas que ses tâches principales aient nécessairement changé de nature, comme l’indiquent les souvenirs de Roger Kahn fils : « J’ai su plus tard que Harry avait recommandé à mon père, qui était lui aussi un rebelle, un révolutionnaire et un communiste, de ne pas militer ouvertement, de rester dans l’ombre, de devenir un porteur de valises, comme on dit maintenant [...]. Toute mon enfance, j’ai vu des gens passer, fugacement [...]. Les visites de Harry étaient irrégulières : il pouvait venir toutes les semaines, parfois deux ou trois fois dans la semaine, et ensuite ne plus venir pendant deux ou trois mois. »
À la suite de l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne, au début de l’année 1933, Henri Robinson participa activement au transfert de certains appareils de l’IC en Suisse, puis en France. Selon les archives allemandes, il aurait collaboré, après le déclenchement de l’agression des fascismes coalisés contre la République espagnole, avec les attachés militaires de l’Ambassade soviétique à Paris, à l’organisation des livraisons d’armes et des envois de volontaires pour les Brigades internationales. Selon les Mémoires parfois approximatifs de Pavel Soudoplatov, ancien officier supérieur du NKVD, « un autre de nos agents dont le nom de code était “Harry” [...] avait été la cheville ouvrière du vol de l’organisation trotskyste européenne » commis dans la nuit du 6 au 7 novembre 1936 dans une annexe de l’Institut international d’histoire sociale, 7 rue Michelet. Toujours selon Soudoplatov, « Harry » put « [leur] procurer d’authentiques tampons de la police française pour les faux passeports et les permis de séjours de [leurs] agents en France » [...] grâce aux « utiles relations » qu’il possédait « au commissariat de police du VIIe arrondissement de Paris ».

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, à une époque où Staline redoutait un rapprochement anglo-allemand dirigé contre l’URSS, Henri Robinson aurait effectué des voyages à Londres, selon Victor Alexandrov. Affirmation confirmée par Georges Suzanne, ouvrier chez Amiot en 1939, qui allait s’impliquer à cette époque dans les activités d’Harry : « Il nous parle beaucoup de l’Angleterre où il se rend souvent [...] Nous sommes fascinés par ses récits sur cet étrange pays où il nous dit aussi qu’on s’y méfie beaucoup des espions et qu’il y fait très attention à son langage » (cité par
G. Bourgeois). Selon les sources policières allemandes, Henri
serait devenu en 1940 le chef des appareils illégaux pour l’Europe occidentale — OMS et « travail antimilitariste » — dont le siège était désormais situé à
Paris. C’est à cette époque qu’il aurait été mis en contact par le Centre avec Léopold Trepper. Selon ce dernier, Robinson avait « rompu les liaisons [...] depuis l’épuration des services de renseignements soviétiques », lui déclarant qu’il « était à Moscou en 1938, [qu’il avait] vu liquider les meilleurs et [qu’il n’était] plus d’accord ». Toujours selon Trepper, Robinson lui aurait déclaré être « en relation avec des représentants du général de Gaulle » et savoir que « le Centre interdit ces contacts ». En réalité, le décryptage des messages-radios de Robinson par les services britanniques, publié par T. Wolton, prouve qu’il n’avait jamais cessé d’émettre.

Après la publication en France de L’Orchestre rouge de Gilles Perrault puis du Grand Jeu de Léopold Trepper lui-même, un ancien directeur du service de contre-espionnage ouest-allemand (Bundesamt für Verfassungsschutz), Günther Nollau, assisté d’un fonctionnaire du BfS, Ludwig Zindel, signait en 1979 un livre consacré aux « agents soviétiques parachutés pendant la Seconde Guerre mondiale » dans lequel il consacrait de larges développements à l’affaire Robinson, fondés sur des archives de l’Abwehr du IIIe Reich. Selon eux, Robinson était en 1940-1941 à la tête d’un appareil de renseignement militaire s’appuyant sur des sources situées à Vichy. Sur instructions du « Centre », il fut mis en liaison avec le « réseau Otto » de Trepper. Après l’arrestation de ce dernier, un rendez-vous fut fixé à Robinson à la sortie du métro Invalides le 21 décembre 1942. Il fut arrêté par le commissaire Josef Reiser et le capitaine Piepe du commando spécial « Orchestre rouge ». Reiser avait contraint Trepper à l’accompagner dans sa voiture. Emmené au siège du commando, rue des Saussaies, Robinson « observa le mutisme le plus complet », comme l’attestent des rapports de l’Abwehr publiés par Nollau et Zindel. Dans une poche secrète de sa serviette, les Allemands trouvèrent des passeports suisses et belges aux noms d’Alfred Merian, Henri Baumann, Otto Wehrli et Alfred Doyen. Sauvagement torturé, Henri finit par livrer une adresse — l’Hôtel des Coloniaux, 4, rue du Général-Bertrand — où les policiers allemands découvrirent des doubles de rapports et une correspondance établissant que Robinson, au début de la guerre, avait tenté d’obtenir du « Centre », par le canal de Trepper, que son fils Léo soit exfiltré d’Allemagne pour ne pas avoir à endosser l’uniforme de la Wehrmacht, idée qui lui était « insupportable ». En dépit des assurances qui lui furent données, Léo fut incorporé et grièvement blessé sur le front russe, avant d’être arrêté par la Gestapo pour complicité avec des agents de la IIIe Internationale. Selon Günter Nollau, Robinson fut torturé comme l’étaient tous ceux qui « refusaient de coopérer ». La date et le lieu de sa mort n’ont toujours pas été établis à ce jour. Il fut sans doute décapité en Allemagne en 1944, selon les dépositions de Reiser après-guerre.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76013, notice ROBINSON Henri. Pseudonymes : HARRY Léon, DOYEN Alfred, GLACOMO (DBK) par Jean-Pierre Ravery, version mise en ligne le 24 janvier 2010, dernière modification le 24 janvier 2010.

Par Jean-Pierre Ravery

SOURCES : Bibliothèque marxiste de Paris, microfilm, lettre de Calzan. — G. Bourgeois, « Vie et mort de Henri Robinson », Communisme n° 40/41, 1995. — Günther Nollau et Ludwig Zindel, Gestaporuft Moskau - Sowjetische Fallschirmagenten im 2.Weltkrieg, Blanvalet Verlag, München, 1979. — Thierry Wolton, Le grand recrutement, Grasset, 1993. — Léopold Trepper, Le grand jeu, Albin Michel, 1975. — Gilles Perrault, L’orchestre rouge, Fayard, 1967. — Victor Alexandrov, OS 1 - Services secrets de Staline contre Hitler, Planète, 1968. — Pavel et Anatoli Soudoplatov, Missions spéciales, Seuil, 1994. — Notice par Jean-Pierre Ravery, DBMOF.

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