SEMARD Pierre, Victor (DBK)

Par Serge Wolikow

Né le 15 février 1887 à Bragny-sur-Saône (Saône-et-Loire) ; fusillé le 7 mars 1942 à la prison d’Évreux (Eure) ; secrétaire général de la Fédération des cheminots ; secrétaire général du Parti communiste (1924-1928). Membre du CE et du Présidium de l’IC de 1925 à 1930.

Le nom de Semard, certainement en France l’un des plus familiers — nombre de cités, places et rues portent son nom — est devenu, après 1945, emblématique de l’action syndicale et patriotique des cheminots. Semard est un des dirigeants ouvriers dont le souvenir a été entretenu durablement par des commémorations organisées par le PCF et la CGT. Pourtant son rôle au sein du Komintern et comme dirigeant communiste français, sont peu ou mal connus.

Pierre Semard passa son enfance dans la campagne bourguignonne dans une famille de cheminots de base, dont le père était cantonnier des chemins de fer et la mère, garde-barrière. Le jeune garçon, malgré de bons résultats scolaires dut, sitôt passé son certificat d’études, quitter sa famille pour aller travailler. Après avoir exercé différents métiers et après trois ans de service militaire, il entra aux chemins de fer comme employé aux écritures. C’est à Valence où il entra au secrétariat du chef de gare qu’il devint militant syndical. Semard, père de trois enfants, resté à Valence fut, à la fin de 1915, retiré du secrétariat du chef de gare et versé au service des trains, en raison de ses activités syndicales.

Les cheminots de la section de Valence, réunis à la Bourse du Travail, le 27 avril 1917, l’élurent délégué au premier congrès de l’union des syndicats du PLM qui se tint à Avignon les 5 et 6 mai 1917.
Responsable de l’Union Drôme-Ardèche, il étendit avec succès la syndicalisation aux dépôts et gares de son secteur.
Mobilisé à la fin de 1918, il fut envoyé en Belgique et ainsi coupé du milieu où il développait son activité syndicale. L’agonie de sa femme, frappée par la grippe espagnole, le ramena à Valence, en mars 1919. Il devint bientôt responsable de la propagande sur le secteur Drôme-Ardèche et multiplia les réunions dans lesquelles il se révéla bon orateur, soucieux d’aborder les problèmes sociaux et politiques du moment.

À la fin de 1919, Semard était le dirigeant incontesté des cheminots du département de la Drôme. Multipliant les prises de parole et les réunions, il déployait une activité intense pour diffuser les idées d’un syndicalisme révolutionnaire s’inspirant des révolutions française et russe. Il insistait pour que les cheminots ne s’enferment pas dans des revendications qui les isoleraient des autres salariés et préconisait leur mobilisation contre la vie chère.

L’impact de ses interventions est relevé par les notes policières qui signalent explicitement ses capacités.

Dès 1920, Semard commença à jouer un rôle national. Lors du congrès de l’Union PLM, le 25 mars, à Roanne il mit en cause la politique des dirigeants de la fédération. Après le 3e congrès de la Fédération des cheminots, les 22-24 avril 1920, lors duquel Semard contribua au changement de majorité, il fut un des rares à exprimer des doutes sur l’opportunité des nationalisations comme mot d’ordre mobilisateur. Ainsi devant le conseil fédéral, le 26 avril, il interrogea Dumoulin sur la détermination des autres fédérations à s’engager dans l’action. Dès le début de la grève, le 1er mai, Semard fut omniprésent, sillonnant le département, dans les différents dépôts, tout en assistant régulièrement aux réunions des grévistes de Valence. Malgré l’échec de la grève, Semard, révoqué dès le 8 mai, conservait une forte audience parmi les cheminots de sa région comme en témoigna leur présence lors de son remariage, en juin, avec Juliette Contier, employée au télégraphe en gare de Valence et également révoquée. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il devint gérant de la coopérative des cheminots. Bien vite cependant l’activité syndicale l’accapara et l’amena à Paris l’année suivante.

Fort du soutien de son Union départementale comme des syndicats de cheminots de Valence, il s’engagea dans le combat qui, au plan fédéral et confédéral, opposait révolutionnaires et réformistes. Au printemps 1921 les congrès des réseaux marquèrent un renforcement des positions minoritaires. Au congrès du Réseau PLM à Nice, le 5 mai, l’ordre du jour du syndicat de Valence fut adopté d’entrée. Il dénonçait les menaces d’exclusions brandies par la direction de la CGT et annonçait une vaste riposte des cheminots au cas où elles seraient effectives. Semard, en tant que secrétaire à la propagande du syndicat, intervint en expliquant que « si les minoritaires d’aujourd’hui deviennent les majoritaires de demain, ils n’excluront pas leurs camarades minoritaires ». Le grand tournant de la vie syndicale et politique de Semard fut certainement son élection comme secrétaire général de la Fédération des cheminots en juin 1921. Il dut alors, comme il aimait à le répéter les années suivantes, quitter Valence pour la « fournaise » de Paris. De fait les conditions dans lesquelles il devint dirigeant fédéral furent mouvementées puisqu’il se retrouva à la tête d’une fédération morcelée en raison du départ des syndicats qui avaient refusé de reconnaître le nouveau changement de majorité en faveur des révolutionnaires.

Durant les débats houleux de ce congrès, Semard, primitivement proposé par Monmousseau* pour être secrétaire adjoint, le fut ensuite comme secrétaire général.

La CGT refusa de reconnaître la fédération qu’il dirigeait et de l’accueillir au CCN de sorte qu’elle se trouva de fait exclue. En solidarité avec Semard et sa fédération, onze fédérations appelèrent, en décembre 1921, à la réunion d’un congrès unitaire regroupant les organisations où les révolutionnaires étaient majoritaires.
Dès lors, Semard, bien qu’il restât encore essentiellement un syndicaliste cheminot, joua un rôle grandissant dans la fondation de la CGTU et les débats d’orientation qui la traversèrent durant ses deux premières années. Derrière Monatte et Monmousseau*, il dénonça la centralisation bureaucratique et réclama ainsi qu’on restaura l’ancien rôledes bourses. À la veille du congrès de Marseille du Parti communiste, en décembre 1921, Semard signa la motion Mayoux qui affirmait son hostilité au contrôle du Parti sur l’activité syndicale. Lors du 1er congrès de la CGTU (Saint-Étienne, juin 1922), Semard intervint le troisième jour dans la discussion sur l’orientation. Aux dires de Chambelland son intervention fit mouche puisque celui-ci estimait que « Semard a été le meilleur ». Semard prit la parole comme membre de la tendance Monmousseau* qui défendait une position centriste. Il plaida pour l’adhésion à une Internationale révolutionnaire car il jugeait que la CGTU ne pouvait rester isolée dans le monde. Mais il refusait fermement la liaison avec le Parti communiste. Il réclama un vote du congrès pour que la délégation de la CGTU aille défendre ce point de vue au prochain congrès de l’ISR. En conclusion il proposa au congrès que la CGTU entre dans l’ISR pour y défendre son point de vue. Quelques mois plus tard, en novembre 1922, il était à Moscou à l’occasion du IVe congrès de l’IC et du IIIe congrès de l’ISR. En compagnie de Monmousseau*, il rencontra Lénine et en conserva une profonde impression. Le dirigeant bolchevique convint de la nécessité de concessions à l’égard des positions défendues par les syndicalistes français. De retour en France, Semard justifia l’adhésion de la CGTU à l’ISR. Il fut partie prenante dans l’action commune engagée contre l’occupation de la Ruhr par le comité d’action qui associait la CGTU et le PC. Après avoir assisté, le 7 janvier 1923, à la conférence d’Essen où il représentait la CGTU, il fut arrêté et détenu à la Santé jusqu’en mai. De la prison, il participa à la vie de sa fédération en écrivant de nombreux articles dans La Vie ouvrière sous le pseudonyme de » Lenmuré ». À la veille du 1er Mai, il puisait dans l’évocation des grèves de 1920 des raisons d’espérer. Lors du 2e congrès de la CGTU, à Bourges, du 12 au 17 novembre 1923, Semard défendit l’adhésion à l’ISR et revint sur la question des rapports de la CGTU avec le PC à propos des commissions syndicales constituées par le Parti. Il plaida, plus que ses camarades, pour un syndicalisme de masse ouvert n’affirmant aucune doctrine.

Malgré ces prises de position assez éloignées des positions de l’IC, il devint en quelques mois le principal dirigeant en titre du PC français. Il entra en effet au comité central lors du 3e congrès du PC, en janvier 1924 avant d’en devenir, en juin, le secrétaire général au lendemain du Ve congrès de l’IC. Cette promotion coïncidait avec la crise qui secouait le PC et l’IC au lendemain de l’échec révolutionnaire allemand et de la mort de Lénine . À la différence de nombre de ses camarades, Semard avait compris, très tôt, la nécessité de l’activité politique. Ayant adhéré à la SFIO, dès 1916, il n’avait pas joué de rôle politique dans la Fédération de la Drôme, tout en suivant de près son activité et son adhésion à la majorité lors du congrès de Tours. Les années suivantes, il défendit, dans La Vie ouvrière, l’idée d’une collaboration avec le parti révolutionnaire qui respecterait l’autonomie syndicale. Le départ de L.-O. Frossard, l’adhésion de Monatte, sont autant de signes qui coïncidèrent avec les concessions de l’IC concernant les particularités françaises. À la fin de l’année 1923, il devint membre de la commission syndicale du Parti alors dirigée par Monatte. Son profil, aux yeux de l’Internationale, n’était pas celui des dirigeants gauchisants de la Fédération de la Seine, Suzanne Girault* et Albert Treint* dont les outrances et l’autoritarisme étaient perçus même à Moscou. Du fait de son inexpérience, il se distinguait également des nouveaux dirigeants qui comme Rosmer*, Dunois ou Monatte venaient, avec Souvarine*, entourer Sellier à la direction du Parti lors du congrès de Lyon. Mais le compromis noué alors se défit rapidement au lendemain de la mort de Lénine . Face aux remous suscités par l’action et les écrits de Trotsky , Semard, en retrait, prit cependant position en faveur de la direction de l’IC par crainte, disait-il, de nouvelles divisions dont il rendait responsables Monatte et ses amis. Il refusa, comme Treint* par exemple, d’épiloguer sur Trotsky : « Trotsky est Trotsky. Il reste un de nos chefs les plus autorisés. » Sa conception de la direction était loin du monolithisme défendu par Zinoviev* : « Il y a eu et il y aura toujours des divergences de vue entre camarades de combat. » Concernant la bureaucratie dont les amis français de Trotsky affirmaient qu’elle menaçait le caractère prolétarien du Parti, Semard pouvait, mieux qu’aucun autre, répondre en parlant implicitement de lui qui restaitlié de près au mouvement ouvrier. À Moscou, il intervint, le 7 juillet 1924 devant le Ve congrès de l’IC pour présenter au nom de la délégation française un rapport sur la situation syndicale et la politique communiste. Le lendemain il fut élu au Comité Exécutif de l’IC et au Présidium en même temps que le communiste allemand Thaelman.
Gouralsky*, alias Lepetit, fut envoyé par la direction de l’IC pour suivre la mise en œuvre de la nouvelle politique. C’est d’ailleurs le délégué de l’IC qui présenta le 11 août 1924 les résultats du 5e congrès de l’IC devant le BP et non le nouveau secrétaire général.

En fait durant près de dix-huit mois Semard n’assura pas les responsabilités qu’impliquait son titre de secrétaire général. Avec l’accord de l’IC, S. Girault* et Treint* le cantonnèrent dans des responsabilités qui, pour être importantes, restaient latérales. Jusqu’au printemps 1925 sa tâche principale fut l’activité syndicale du Parti. Dès l’automne 1924, à l’instigation de l’IC, il s’employa à tisser des liens permanents entre le Parti et la CGTU en mettant sur pied des réunions périodiques entre les deux directions. C’est au 5e plénum de l’IC, en mars 1925, que Semard présenta devant une commission syndicale le projet de constitution d’une direction révolutionnaire unique réalisée par l’entrée au bureau politique des dirigeants syndicaux. Il se vit confier ensuite, comme autres responsabilités, celle de l’Humanité et celle de représenter l’IC auprès du PCA afin d’y combattre l’extrême gauchisme. Cependant, à la fin de l’année 1925, la situation évolua lorsque le PCF infléchissant son orientation politique, décida de présenter des propositions de front unique aux socialistes et de critiquer le sectarisme incarné par Girault* et Treint*. Semard arriva, en novembre, au premier plan pour prôner des alliances avec les forces antifascistes, socialistes notamment, sur des objectifs limités de défense républicaine. Il appela le prolétariat à se mobiliser contre le fascisme. Suivant les indications de Manouilski* qui se rendit en France à la fin de novembre 1925, Semard s’efforça de rompre avec le sectarisme et le volontarisme autoritaire qui suscitaient une opposition grandissante parmi les cadres syndicaux et les élus. Il prôna une politique de débat avec les opposants. Cette orientation aboutit lors du congrès de Lille, en juin 1926 où Semard affirma la nécessité de rassembler dans un comité central élargi les différentes générations et composantes qui formaient le Parti. Sa confirmation comme secrétaire général avait fait, quelques mois auparavant, à Moscou, l’objet de vives discussions. Lors du 6e plénum de l’IC, Semard s’était vu contester par Doriot*, allié à Monmousseau* et Treint*, possédant, de plus, le soutien de Staline. Semard, fort de l’appui des délégués régionaux, de celui de Manouilski* comme d’Ercoli (Toggliatti*), s’opposa à l’intervention de Staline et imposa la présence de Thorez à ses côtés comme secrétaire à l’organisation. À l’égard de la question russe, il restait dans l’expectative et demandait plus d’informations. Accusé d’être favorable à Zinoviev* il répondit qu’il ne voulait pas répéter ses erreurs de 1924 et trouva les mêmes arguments que Gramsci pour refuser de juger les révolutionnaires russes. Cela n’empêcha pas Semard, en novembre 1926, lors du 7e plénum de l’IC, de repousser avec véhémence les critiques de Boukharine qui reprochait au PCF de ne pas avoir su éviter le retour de Poincaré. Malgré ces critiques, Semard lors du 7e plénum fut l’objet de beaucoup d’attention de la part des dirigeants de l’IC.
Ainsi, le secrétaire du PCF, outre la présidence de la commission anglaise, eut la charge et l’honneur de présider la dernière séance du plénum et donc d’en prononcer le discours de clôture. Semard répondit aux critiques de Boukharine et Kuusinen à l’égard du PCF, taxé de parlementarisme : il releva l’incompréhension de ce qu’était la vie politique en France et la place qu’y tenait le Parlement. Il insista sur la consolidation des effectifs et de l’organisation du PCF en la mettant au compte, non de la situation favorable mais de la politique suivie les mois précédents par la direction. Il se félicita, eu égard au passé récent, de pouvoir présenter une direction homogène et soudée. D’une manière générale, il exprima publiquement ce qui transparaît dans sa correspondance : son irritation devant ce qu’il appelait les « censeurs » du PCF qui lui faisaient de plus la leçon.
Durant le premier semestre 1927, au centre du contentieux entre le PCF et l’IC, Semard se montra intransigeant sur les principes plus équilibrés qui devraient régler les relations entre l’organisation internationale et sa section française. Ses relations épistolaires avec les dirigeants de l’IC restèrent tendues car il jugeait exagérées et mal venues les critiques formulées contre les revues du Parti ou contre ses contacts avec telle ou telle section socialiste de province. Semard affirmait la nécessité de poursuivre la politique de front unique mise en œuvre par le PCF depuis la fin de 1925 et demandait une analyse mesurée de la situation économique dont la détérioration ne signifiait pas selon lui l’arrivée d’une crise. Il réfutait également les critiques moscovites accusant le PCF de ne pas pousser davantage la CGTU dans la voie de l’unité syndicale en estimant que celle-ci imposait des contacts et des négociations entre les deux confédérations et non pas des fusions partielles comme certains dirigeants de l’ISR l’envisageaient alors. Il se retrouva, à ce moment en pleine harmonie avec les dirigeants de la CGTU qui multipliaient alors des initiatives unitaires publiques et développaient leur réflexion sur le syndicalisme de masse.
Lors de plusieurs réunions du comité central, en avril et août 1927, consacrées aux questions syndicales, Semard encouragea et soutint cette évolution qui s’affirmait dans la préparation du congrès de la CGTU qui se tint à Bordeaux, en septembre 1927. Même ses relations épistolaires avec les dirigeants de l’IC restaient tendues. Lorsqu’une commission française fut mise en place par le secrétariat de l’IC, Semard demanda qu’on tienne compte des analyses de la direction du PCF et mandata Thorez* pour qu’il les expose, sans se laisser influencer, comme d’autres délégués français alors à Moscou, tels Cremet* ou Marty, par le climat défavorable au PCF. Lorsque, dans cette atmosphère lourde, Semard accusa réception de la lettre destinée par l’IC au PCF, il en différa la publication. Ce texte de compromis qui évoquait aussi bien les problèmes auxquels le PCF était confronté que les résultats positifs qu’il avait obtenus, contournait la question électorale qui, pour Semard et tout le BP d’alors, devait être clairement définie sans plus attendre. Semard refusa donc les critiques distillées par l’IC dans sa lettre du 2 avril 1927 : ainsi, pour lui, il n’était pas question d’accepter les reproches d’électoralisme, d’opportunisme ou de conservatisme syndical. Il était d’autant moins prêt à accepter ces appréciations qu’elles étaient, selon lui, émises à partir d’informations insuffisantes, ce qui signifiait en clair que les dirigeants de l’IC n’avaient pas les moyens de porter un jugement valable sur la politique du PCF, compte tenu de leur méconnaissance de la situation en France. Semard cita Staline comme exemple. Il conduisit la délégation du PCF au VIIIe plénum de l’IC, fin mai 1927 : à cette occasion, il semble avoir renouvelé sa demande de clarification sur la tactique électorale.
De retour à Paris, Semard fut arrêté, en vertu d’une condamnation pour l’action contre la guerre du Maroc. Après avoir profité de l’évasion de Daudet, pour fausser compagnie à ses gardiens, il retrouva la prison de la Santé où il demeura jus-qu’en janvier 1928. Dans des conditions pénibles, il s’efforça de diriger le Parti mais avec des difficultés grandissantes. Ainsi il adressa des indications très précises à Thorez, en partance pour Moscou, en août 1927, lui recommandant la fermeté pour réaffirmer les positions du PCF et repousser les critiques de l’IC.
En fait la politique que défendait Semard était fortement critiquée à Moscou où l’IC réclamait désormais une tactique électorale de rupture avec les socialistes et la formation d’un secrétariat du parti dirigeant le Parti sans les dirigeants emprisonnés. Semard ne fut informé de ces propositions de l’IC qu’au mois d’octobre par la correspondance de Thorez qui lui rendit compte de discussions vieilles d’un mois.
Semard, en réponse à Thorez*, exprima des réserves essentielles à l’égard des propositions et des analyses de l’IC concernant le PCF. Il concédait que certaines erreurs avaient été commises à propos des emprisonnements mais contestait le bien-fondé d’un passage général dans l’illégalité. Il repoussait également les reproches concernant le refus du PCF d’appeler à de nouvelles manifestations à Paris, en septembre, à l’occasion de cérémonies en faveur de l’American Legion. Son principal motif de désaccord porta sur la tactique électorale préconisée par l’IC qu’il jugeait erronée et inopportune. Pour la contrer il réfutait la thèse d’un changement brutal de la situation économique et politique. Semard estimait toujours souhaitable un désistement au second tour en faveur des candidats socialistes et même parfois en faveur des radicaux lorsqu’il y avait risque de victoire d’un « réactionnaire ». Semard était préoccupé par les effets négatifs d’une tactique électorale, selon lui gauchiste, qui risquait d’isoler le PCF et de lui faire perdre l’influence qu’il avait gagnée depuis un an grâce à sa politique de front unique.
Début novembre, Semard adressa une lettre, cosignée avec ses camarades détenus à la Santé, au comité central qui devait examiner les textes de l’IC. De fait, à ce moment, Semard ne dirigeait plus le Parti car il avait dû accepter la constitution d’un BP fonctionnant sans les dirigeants emprisonnés. Après l’adoption de la nouvelle tactique électorale, il exprima encore ses réticences, à l’intention du BP, et tenta d’atténuer la teneur de la lettre ouverte qui annonçait la nouvelle ligne du Parti.

Lorsqu’il reprit ses fonctions de secrétaire général, au lendemain de sa libération de prison, le 8 janvier 1928, il présenta, le 12 janvier, devant le comité central un rapport rappelant la décision du Parti d’accepter les dispositions préconisées par l’IC. Semard déplora que la discussion n’ait pas été suffisante dans le Parti et constata la persistance de désaccords importants. Quelques jours plus tard il se rendit à Berlin à la tête d’une délégation du PCF pour discuter avec Manouilski et Kuusinen qui cherchaient à limiter les résistances françaises. Lors du IXe plénum de l’IC, en février, Semard fut, avec le PCF, sur la sellette. Les dirigeants de l’IC, dans le cadre d’une commission spécialement constituée pour examiner le cas français multiplièrent les critiques contre les erreurs commises depuis plus d’un an. Semard admit que le PCF avait été lent à appliquer les décisions concernant la nouvelle tactique électorale mais en resta là . Togliatti* l’attaqua vivement en lui reprochant de ne pas revenir sur la politique suivie par le PCF depuis 1926 et de dissimuler les divergences dans le BP à l’égard des prescriptions de l’IC.

En dépit des critiques dont il avait fait l’objet Semard maintint son attachement à une tactique plus différenciée à l’égard des socialistes et le manifesta lors des discussions qui eurent lieu, dans le BP, après le premier tour des élections législatives : il considéra qu’il fallait réitérer les propositions de front unique en direction des socialistes. Lors du VIe congrès de l’IC, en août 1928, Semard intervint en séance plénière pour souligner l’agressivité de l’impérialisme français puis reprit la parole dans le débat sur le fascisme pour demander, comme Tasca, qu’on n’assimile pas social-démocratie et fascisme. On ne retrouva pas ces mêmes accents dans l’intervention qu’il présenta devant la commission, réunie pour examiner, une nouvelle fois, la situation du PCF. Non seulement Semard fit siennes les thèses de l’IC, sur la radicalisation en France et sur la validité de la tactique électorale mais il annonça le nécessaire remaniement de la direction du Parti en estimant qu’elle était disloquée : « Elle n’a plus de noyau dirigeant : le noyau de direction est en plusieurs morceaux. » La position de Semard était particulièrement inconfortable puisqu’il s’efforçait de justifier la politique de la direction sortante tout en admettant les critiques dont elle était l’objet. Ayant accepté d’être le porte-parole de la nouvelle ligne qu’il défendait, il ne pouvait cependant l’incarner.

L’affaiblissement de son rôle fut concrétisé par les changements de direction annoncés par Semard sans qu’il en connût la nature exacte. La décision de supprimer le poste de secrétaire général fut communiquée à une partie de la délégation française, en septembre 1928, alors que Semard était déjà sur la route du retour. Ce ne fut que lors de la réunion du comité central, en novembre, qu’il prit connaissance du nouvel organigramme de la direction. De même, bien que membre du comité exécutif de l’IC et de son présidium depuis 1924, il en fut écarté, lors du 11e plénum, en mars 1931, sans en être informé. Cette rétrogradation bien qu’indéniable ne fut jamais explicitée ou justifiée par des reproches politiques. Semard, maintenu au secrétariat collectif, fut chargé de la région parisienne, responsabilité qu’il assura, non sans difficultés, jus-qu’en 1931. Bien plus, il continua d’assumer des fonctions de direction, après l’arrestation des autres membres du secrétariat : il conduisit ainsi une délégation du PCF à Moscou, en octobre 1929, pour y rencontrer les dirigeants de l’IC. Devant le Secrétariat romain, le 3 octobre puis le 6 devant le secrétariat politique présidé par Molotov il exposa la gravité de la situation dans laquelle se trouvait le Parti. C’est encore lui qui fut chargé de dénoncer les députés et les conseillers de la Seine exclus du Parti. La presse socialiste et celle du PUP dénoncèrent les policiers dans les rangs du PCF et s’interrogèrent sur le rôle de Semard. Lorsqu’en août 1931, l’esprit de groupe et le sectarisme furent dénoncés, Semard se trouva d’une certaine manière associé aux reproches qui pesaient sur Celor*, devenu depuis 1929 le dirigeant le plus en vue de la direction régionale parisienne. Moralement et physiquement épuisé par son expérience politique dirigeante des années précédentes, il adressa au BP une longue lettre dans laquelle il retraçait comment il était devenu puis avait cessé d’être secrétaire général du Parti avant d’être l’objet des pires rumeurs. La mise en cause du sectarisme et des pratiques fractionnelles lui donna l’occasion de réclamer sinon réparation du moins des explications. Il demanda que son honneur soit publiquement défendu par son parti. Mais découragé et fatigué Semard réclama également d’être, au moins temporairement, relevé de toutes ses fonctions.

Après quelques semaines de repos, il accepta de reprendre la responsabilité de l’organisation communiste de la région parisienne puis d’être candidat lors des élections législatives de mai 1932 dans le XIIIe arr. de Paris contre un ancien député communiste, Gélis, qui le devança largement. En septembre 1932 à Moscou, lors du XIIe plénum de l’IC, Semard participa aux discussions concernant la direction du PCF. Il se plia non sans réticences aux souhaits de l’IC qui lui proposait d’être un des représentants du PCF à Moscou. Il y résida, après un bref retour en France à la fin de 1932 en tant que membre du secrétariat international du PCF. Il participa ainsi à toutes les réunions des instances dirigeantes de l’IC concernant le PCF notamment celles qui critiquèrent les initiatives unitaires en direction des socialistes, il occupa également des questions paysannes.

À l’automne 1933 Semard renoua avec le syndicalisme : il intervint lors du 7e congrès confédéral de la CGTU dans le même sens que Frachon* pour rectifier, comme le demandait l’ISR, les erreurs commises au début de 1933 lorsque des discussions et des accords avec les dirigeants de la CGT avaient été envisagés. Au lendemain de ce congrès, le bureau confédéral décida, conformément aux recommandations de l’ISR, d’affecter Semard à la Fédération des cheminots. Malgré quelques réticences devant celui qui apparaissait surtout comme un dirigeant politique, Semard, fort de son expérience et de sa connaissance du monde cheminot établit rapidement son autorité. Lors du 11e congrès de la Fédération CGTU des cheminots, le 26 juin 1934, il fut élu secrétaire général. Il perçut très tôt les possibilités nouvelles qu’offrait, au mouvement syndical, l’unité d’action communiste-socialiste. Il favorisa ainsi le mouvement de fusion entre syndicats locaux puis l’union des premiers syndicats de réseaux à la fin de 1934. Lors du congrès de fusion des deux fédérations, le 24 novembre 1935, il fut élu au secrétariat de la fédération réunifiée comme secrétaire général aux côtés de Jarrigion qui représentait les ex-confédérés.
Son activité dès lors se déploya essentiellement sur le terrain syndical même s’il resta membre du bureau politique du PCF. Il joua un rôle essentiel dans les négociations avec le gouvernement de Front populaire et contribua à l’implication du syndicalisme dans la création de la SNCF.

Au lendemain de la grève du 30 novembre 1938, il fut révoqué du conseil d’administration de la SNCF pour avoir signé des tracts qui appelaient à la grève. Traduit devant le conseil de discipline de la SNCF, il fut rétrogradé au rang de facteur aux écritures.
Les divisions dans la direction, latentes depuis plusieurs mois, s’exacerbèrent avec le Pacte germano-soviétique et la guerre : l’unité du bureau fédéral vola en éclats lorsque les ex-confédérés décidèrent, le 25 septembre, d’exclure Semard et ses camarades de leurs fonctions dirigeantes. Semard qui avait dû rejoindre son nouveau lieu de travail à Loches invita ses camarades à protester contre cette mesure qu’il jugeait antistatutaire et appela Tournemaine, en tant que trésorier, à bloquer en banque le montant des cotisations. Il fut arrêté le 20 octobre après la plainte déposée par ses adversaires. Amené à Paris, il fut incarcéré à la Santé, par le juge d’instruction militaire sous l’inculpation de détournement de fonds et d’infraction au décret du 26 septembre concernant la dissolution du PC. L’instruction dura plusieurs mois au cours desquels Semard combattit l’accusation dont il était l’objet : finalement lorsqu’il comparut devant le tribunal militaire, le 6 avril 1940, cette accusation fut abandonnée. L’audience dura une journée. Semard expliqua à nouveau qu’il était poursuivi pour avoir appartenu au Parti communiste, bien plus que pour ses fonctions syndicales et précisa qu’il n’avait rien à renier de ses opinions et de son passé avant de conclure que sa foi dans la réalisation d’un monde meilleur restait inébranlable. Il fut condamné à trois ans de prison.
Le 9 mai, il fut révoqué une seconde fois de la SNCF et transféré à Fresnes dans la banlieue parisienne. Le 20 mai, il fut évacué à Bourges où il fut incarcéré pendant près de 18 mois. Sa correspondance et la diversité de ses écrits attestent d’une énergie que la maladie, les brimades et l’isolement n’arrivèrent pas à entamer durablement. Outre des contes bourguignons, un roman antiraciste et un journal de prison écrits entre l’automne 1940 et l’automne 1941, il entretint une correspondance abondante avec sa femme et ses enfants. Pendant l’été 1940 il avait cru être libéré mais abandonna bien vite cet espoir. Malgré le manque d’information, il analysa la défaite de 1940 en percevant très tôt l’imposture de la Révolution nationale et de la collaboration. Les références à la République et au patriotisme sont explicites dans ses écrits dès l’automne 1940. Toujours soucieux d’associer les idées de justice et de liberté il critiqua longuement, dans ses notes personnelles, le système pénitentiaire français dont il envisageait la réforme.

Au début de l’année 1942, Semard, au lieu d’être libéré, fut transféré de Bourges au camp d’internement de Gaillon. Il y fut incarcéré avec les détenus de droit commun et non avec les politiques. Le6 mars il fut transféré à la prison d’Évreux où, le lendemain, il fut fusillé à la demande des autorités allemandes au titre d’otage. l’Humanité du 1er mai publia un texte présenté comme sa dernière lettre dans lequel il saluait l’Armée rouge, Staline et appelait les cheminots à l’action contre les nazis. En fait, n’a été retrouvée qu’une seule lettre manuscrite de sa main datée de ce jour : c’est celle qu’il envoya, pour la réconforter, à sa femme, détenue à la prison de Rennes. Le 7 mars 1945, des obsèques officielles furent organisées par le PCF dont la direction vint monter une garde d’honneur autour du catafalque installé gare de Lyon avant que le cortège funèbre ne s’ébranle vers le cimetière du Père-Lachaise.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76046, notice SEMARD Pierre, Victor (DBK) par Serge Wolikow, version mise en ligne le 26 janvier 2010, dernière modification le 20 avril 2021.

Par Serge Wolikow

SOURCES : Arch. Nat. F7/13662, 13667, 13683, 13684, 13685. — RGASPI — 492 1 91, 493 204, 493 1267, 495 3 164, 495-4-27, 495-4-145, 495-4-202, 4954-235, 495-4-247, 495-4-250, 495-4-259, 495-4-260, 495-4-351, 495-164-78, 495-164-247, 495-164-302, 495-164-304, 495-164-308, 495-164-310, 495-164-312, 495-164-318, 495-164-323, 495-164-324, 495-164327, 495-165-89, 495-165-95, 495-165-127, 495-165145, 495-165-165, 495-165-321, 495-166-48, 495-16656, 495-167-50, 495-167-65, 495-167-81, 495-167-136, 495-167-138, 495-167-140, 495-32-1, 495-32-11, 49532-13, 495-32-23, 495-32-24-25, 495-32-39, 495-32-41, 495-32-50, 495-32-56, 495-32-59, 495-32-61, 495-3278, 495-32-86, 495-32-111, 495-32-113, 495-55-7, 49555-7, 495-55-9, 495-55-25, 495-55-27, 517-1-494, 5171-496, 517-1-497, 517-1-642, 517-1-775-776. — Notice par Serge Wolikow, DBMOF.

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