GOUNELLE Élie

Par André Caudron

Né le 24 octobre 1865 à Sauve (Gard), mort le 15 février 1950 à Ganges (Hérault) ; pasteur protestant ; chrétien social, de tendance socialisante ; fondateur de “Solidarités” et de « Fraternités » à Roubaix, Paris, Saint-Étienne, directeur de la Revue du Christianisme social, président du mouvement du Christianisme social.

Issu d’une vieille famille protestante de l’Hérault, fils d’un instituteur libre qui devint pasteur méthodiste et eut quatre fils pasteurs, Élie Gounelle était lycéen à Nîmes quand il entendit pour la première fois Charles Gide. Cette rencontre semble l’avoir déterminé à se faire pasteur au service du prolétariat urbain, soumis à la misère et à la complicité des églises avec ses exploiteurs. Étudiant à la faculté de théologie de Montauban en 1886, bachelier en théologie en 1889, il fut nommé pasteur auxiliaire à Alès où il entra en contact avec la population minière. Dès 1889, il se lia d’amitié avec Tommy Fallot, pionnier du christianisme social. Les prédications du jeune pasteur, de plus en plus vives, soulevaient des controverses. Il était déjà un proche collaborateurs de Gédéon Chastand, fondateur de la Revue du Christianisme social en 1887.

En 1896, le consistoire de l’Église réformée du Nord le fit venir à Roubaix dont la paroisse couvrait seize communes et comptant quelque trois mille personnes. Gounelle voulait « porter l’Évangile aux carrefours ». Il prit la parole dans des réunions contradictoires, affronta Sébastien Faure et d’autres anarchistes à Lille ou ailleurs. L’aide d’un riche paroissien, l’entrepreneur Moïse Rogier, lui permit d’ouvrir en 1898, près de la maison des syndicats de Roubaix, un foyer accessible à tous, qu’il appela « La Solidarité », avec salle de réunion, bibliothèque, chorale, organisme de prêt et ouvroir. Dix-huit œuvres y avaient leur siège, dont la Croix-Bleue qui combattait l’alcoolisme. L’initiative de Gounelle fut imitée à travers la France où l’on vit éclore les « Solidarités » et les « Fraternités », le nom variant selon les régions. Lorsque le congrès de Rouen, en 1901, créa une Fédération des Solidarités et œuvres chrétiennes sociales de langue française, il fut appelé à son comité général. En 1899, avec son ami Aquilas Quiévreux, il avait fondé l’Étoile blanche, ligue « contre l’immoralité publique et privée ».

Élie Gounelle allait prôner toute sa vie une conception du christianisme social qui voulait faire la synthèse du christianisme et d’une socialisme spiritualisé. Pour lui, tout en acceptant la lutte des classes, il fallait la dépasser par un régime de coopération et de solidarité, capable d’établir une démocratie économique. La société devait être organisée de manière à ce que le salut fût accessible à tous. Dans L’Avant-Garde, il reprochait à l’évangélisation protestante de « se faire une singulière idée du Christ », utilisé pour « amoindrir les grandes questions du jour : paix internationale, justice sociale, esclavage, droits de l’Homme, féminisme, paupérisme, coopération, socialisme, anarchisme, etc. (« L’Évangélisation-truc », 15 janvier 1902).

Ses contacts avec le guesdisme donnèrent lieu à de célèbres conférences contradictoires, tels les débats de Roubaix et de Croix, à l’automne 1900, où il eut le renfort de Jean Élie Néel, pasteur d’Alès, et de Franck Thomas, de Genève. Comme son ami Wilfred Monod, il scandalisait certains protestants par ses hardiesses théologiques, politiques et sociales. Il déclara, avec quelques autres chrétiens sociaux, « adhérer publiquement au socialisme (La Vie nouvelle, 24 novembre 1900). En fait, il ne s’agissait pas d’un engagement au POF ou dans un autre groupement politique, mais d’un ralliement « aux revendications spéciales communes à tous les partis socialistes (…) et aux grandes lignes de leur programme d’action (…) dans le domaine social et économique ». Devant ses auditoires, Gounelle affirmait que « la morale et la religion étaient nécessaires au socialisme ». Il entretenait de bonnes relations avec Jean-Baptiste Lebas qui, bien qu’agnostique, venait parfois écouter le pasteur au culte du dimanche. Le futur maire de Roubaix se disait à la fois heureux de voir des chrétiens venir au socialisme et sceptique quant aux possibilités d’un socialisme chrétien. La guerre de Chine offrit une occasion de conférences communes avec des socialistes aux Solidarités de Roubaix et de Lille (1901).

Élie Gounelle s’était fait aussi le champion du mouvement qui allait conduire à la réunification du protestantisme français. Las de l’incompréhension de certains paroissiens, il répondit en 1907 à l’appel de l’église libre de la Chapelle du Nord, dans le 10e arrondissement de Paris. Pendant ses onze années roubaisiennes, la communauté protestante n’avait augmenté que d’une trentaine de familles. Il est vrai que son pasteur ne visait pas le recrutement. « Annoncer Jésus-Christ », tel était son seul objectif. A Paris, en liaison avec la Mission Mac All, il concentra ses efforts sur l’évangélisation des quartiers ouvriers et la création de nouveaux foyers. Rédacteur en chef de la Revue du Christianisme social depuis 1896, il en prit la direction en 1909. Il avait organisé à Besançon, en 1907, une journée internationale, surtout franco-suisse, où fut décidé le lancement d’une Fédération internationale du christianisme social dont il devait être le secrétaire général. La guerre empêcha la tenue du congrès constitutif qu’il avait préparé à Bâle pour 1914.

Aumônier de la 29e division d’infanterie de 1916 à 1919, il partit ensuite pour Saint-Étienne où il lança une « Fraternité » dans le quartier populaire du Soleil. Il fonda en 1922 la Fédération protestante du christianisme social et prit en 1926 la codirection de l’Institut international du même nom, installé à Bossey (Suisse). A partir de 1931, il anima en outre une Fédération du christianisme social des pays latins. Devenu, comme Charles Gide, le maître à penser des chrétiens sociaux, il se passionnait aussi pour le mouvement œcuménique naissant. On le vit aux conférences de Stockholm (1925) et de Lausanne (1927).

Retiré dans le Midi en 1936, il resta membre du comité de rédaction de la revue, dont il quitta la direction en 1939, et président d’honneur du mouvement du Christianisme social jusqu’à la fin de sa vie. Bien qu’il se fût inquiété, entre les deux guerres, de la « montée des périls » totalitaires, ses idées, jugées trop optimistes, trop confiantes dans la nature de l’homme et dans l’avenir du monde moderne, étaient alors contestées par une nouvelle génération, sous l’influence du théologien Karl Barth. Élie Gounelle a publié plusieurs brochures relatives à l’apostolat, à la morale ou aux questions sociales, comme La Mission chrétienne-sociale de Roubaix et de Lille (Vals-les-Bains, 1899), Essai de dogmatique solidariste (Paris, 1902) et La Vie et l’œuvre de Louis Comte, son prédécesseur stéphanois (Saint-Étienne, 1929, 247 p.). Son livre sur La Plainte ouvrière est resté à l’état de manuscrit. Il a collaboré longtemps à L’Avant-Garde et à La Vie nouvelle, tribunes de l’aile avancée des chrétiens sociaux.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76054, notice GOUNELLE Élie par André Caudron, version mise en ligne le 27 janvier 2010, dernière modification le 12 avril 2021.

Par André Caudron

SOURCES : Dossier de pasteur, Archives nationales F19 10381 — Dictionnaire de biographie française, XVI, 1984 (J. Valynseele) — Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, IV. Lille Flandres, 1990 (J. Valynseele), V. Les Protestants, 1993 (J. Baubérot) — Christianisme social, janvier-février 1950 ; mars-avril 1952 — Le Christianisme au XXe siècle, 2 mars 1950 — Évangile et liberté, 15 mars 1950 — Le bon Semeur, avril 1950 — Jean Baubérot, « Le Protestantisme roubaisien face au socialisme guesdiste et au courant libertaire (1898-1907) », Christianisme et pouvoirs politiques, de Napoléon à Adenauer, Paris, Édit. universitaires, 1974 ; « L’Action chrétienne sociale du pasteur Élie Gounelle à la Solidarité de Roubaix (1898-1907) », 3e trimestre 1974 ; « L’Évangélisation protestante et la classe ouvrière : les Solidarités », Christianisme et monde ouvrier, cahier du Mouvement social n° 1, Paris, Édit. ouvrières, 1975 ; Un christianisme profane ? Royaume de Dieu, socialisme et modernité culturelle dans le périodique chrétien-social L’Avant-Garde (1899-1911), Paris, PUF, 1978 ; « Le Christianisme social de 1882 à 1940 », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 1987 — Charles Gounelle, « Complément sur Élie Gounelle », 1er trimestre 1975, Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français.

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