TCHEMODANOV Vassili ; en russe, Чемоданов ; surnom, Tchemo.

Par Marc Giovaninetti

Né en 1903, exécuté en 1937 ou 1939 ; membre du secrétariat des Komsomols et secrétaire de l’Internationale communiste des jeunes (ICJ) de 1934 à 1936 ou 1937 ; membre du Secrétariat politique de l’Exécutif de l’IC de 1931 à 1935 ou 1936.

Principal dirigeant soviétique de l’Internationale communiste des Jeunes dans les années 1930, Vassili Tchemodanov en était le secrétaire général en 1935 [Michel Dreyfus ne lui attribue le titre de secrétaire qu’à partir de 1934] quand, à son 6e Congrès, il céda ce titre au Français Raymond Guyot, dont il apparaissait comme le rival. Il resta membre du Secrétariat de l’ICJ jusqu’à son arrestation dans le cadre de la Grande Terreur en 1937. Son nom est souvent associé à celui d’Alexandre Kossarev, le secrétaire général des Komsomols (Jeunesses communistes-léninistes) soviétiques.
Pour le début de la carrière politique du jeune Russe, suivant la biographie de Branko Lazitch dans Biographical Dictionary of the Comintern, il serait rentré au PCUS en 1924, et apparaîtrait comme responsable de l’ICJ à partir de 1931. Au 10e Plenum du Comité exécutif de cette organisation, en novembre 1929, son nom ne figurait pas encore parmi les treize titulaires ou suppléants soviétiques (sur un total de quatre-vingt-dix) de cette instance. Mais en 1931, sa signature conclut en effet un important article intitulé « Sous le signe de la vérification et de la mobilisation » consacré à ce CE dans le n° 6 d’août-septembre de son organe, L’Internationale de la Jeunesse. En avril de cette année, il avait intégré le Comité exécutif de l’IC lors de sa 11e réunion plénière, et y aurait présenté un rapport sur l’ICJ, d’après la biographie de Michel Dreyfus dans Komintern, l’histoire et les hommes. Il participa ensuite au mois d’août à la commission qui interrogea, sous la direction des deux dirigeants de l’IC Dimitri Manouilski et Ossip Piatnitski, le jeune Louis Coutheillas, délégué des JC français à Moscou, dénoncé par Raymond Guyot comme membre du « groupe occulte Barbé-Celor » qui aurait noyauté le PCF pour en prendre le contrôle. Le jeune homme devait s’en tirer avec un blâme et une « remise à la base », alors que Guyot, pourtant également membre du « groupe », était confirmé comme chef des JCF.

Au 12e Plenum du Comité exécutif de l’ICJ, en décembre 1932, Tchemodanov présenta le rapport d’ouverture auquel se référaient tous les intervenants suivants, apparaissant clairement comme le secrétaire général, poste qu’il aurait donc occupé depuis le 11e Plenum, celui de 1931, en remplacement de Rafail Khitarov. L’assemblée de décembre 1932 se prononça de façon très critique contre les Jeunesses françaises, en l’absence de ses principaux dirigeants Raymond Guyot emprisonné et Victor Michaut malade, défendus vaille que vaille par André Marty, représentant du PCF à l’IC. En juin 1933, Gaston Coquel et Jeannette Vermeersch, deux des dirigeants suppléants des JCF après la déchéance de Georges Charrière écarté pour « opportunisme », furent convoqués pour s’expliquer à Moscou devant Marty et Tchemodanov, qui les rabrouèrent durement. Devant le 13e Plenum rassemblé en décembre sous la férule d’un Tchemodanov toujours aussi sévère, Guyot, libéré entre temps, put s’expliquer, en rejetant toute la responsabilité des dérives et insuffisances des Jeunesses françaises sur Charrière. « La critique faite par Tchemodanov est entièrement juste », déclarait-il, tout en admettant que « le tournant exigé par l’ICJ n’est pas encore réalisé ». Le secrétaire soviétique consentit à lui exprimer son « accord ».
Un an plus tard, au contraire, et malgré un renouvellement total de la direction des JCF derrière Guyot et Michaut, le premier se heurta durement à Tchemodanov. Le « tournant » opéré à l’initiative du dirigeant français, encouragé par Maurice Thorez et Eugen Fried, n’était en effet pas du tout celui attendu par le leader de l’ICJ. Suite aux événements de février 1934 en France, le rapprochement avec les socialistes et autres radicaux, laïques ou chrétiens se dessinait, et les Jeunesses communistes commençaient à s’investir dans les loisirs au détriment de la politique. Pour étayer cette orientation de même inspiration que celle naguère condamnée chez Charrière, Guyot avait exalté dans une série d’articles les aspirations de la « jeune génération », sans concevoir que cela pût être en contradiction avec la théorie marxiste de la lutte des classes. Thorez et Guyot furent convoqués en décembre devant les Présidiums de l’IC, puis de l’ICJ, car même si l’Internationale, où Staline venait d’imposer Dimitrov, avait décidé en avril-mai l’abandon de la tactique « classe contre classe », le Front populaire prôné par les Français suscitait encore de fortes réticences. Tchemodanov s’en montra le plus brutal pourfendeur [soutenu notamment par Bela Kun et Piatnitski, d’après Michel Dreyfus], dénonçant la collusion des thèses de Guyot avec celles d’Hitler : « Il y a eu choc entre lui et moi », racontait le Français sur ses vieux jours, fier a posteriori d’avoir tenu tête et réussi in fine à remporter cette « dure bataille ». Il disposait en effet de soutiens qui finirent par faire céder le Soviétique : outre ceux de Thorez et Fried, ceux d’Ercoli/Togliatti et d’Albert Vassart, alors délégué français à l’IC, qui a laissé d’abondantes notes relatant l’ébranlement de « Raymond », et « le danger des conceptions dogmatiques, scolastiques, livresques » de Tchemodanov. Manouilski se montra un temps réservé, puis, sans doute encouragé par Dimitrov et soutenu par Kuusinen qui devait reprendre pour l’IC les rênes de l’ICJ des mains de Piatnitski, s’opposa aussi à Tchemodanov, comme le relata Dimitrov dans son Journal sous le terme d’ « incident » à la date du 15 décembre. Tchemodanov, d’après Vassart, aurait fini par « reconnaître des fautes administratives ».

Le jeune dirigeant soviétique, flanqué de son acolyte Alexandre Kossarev (que Guyot présentait au contraire comme un très proche ami, et qui l’aurait soutenu lors de l’épreuve précédente), fut mis en scène quelques mois plus tard à Paris par Fred Zeller, le chef de la fraction révolutionnaire des Jeunesses socialistes parisiens. Il décrit Tchemodanov comme « un grand blond à l’air totalement inexpressif ». Par l’intermédiaire d’un jeune communiste infiltré aux JS, Zeller se vit proposer en avril 1935 un rendez-vous secret avec Guyot, qu’il connaissait, et les deux Russes, arrivés clandestinement avec une interprète. Assistés de quelques autres Français des deux obédiences, les militants se rencontrèrent trois fois de suite, d’abord au siège du PCF puis dans une salle de café. Les deux Soviétiques, d’après Zeller, expliquèrent le « virage de la diplomatie stalinienne » qui menait au pacte Laval-Staline et à l’abandon de la propagande antimilitariste, et « les efforts communistes pour séduire les radicaux et la bourgeoisie en général ». Ils lui proposèrent de lui fournir « tout le nécessaire » pour chasser les trotskistes de leurs rangs, organiser « une fraction » aux JS, et gagner la direction de l’Internationale socialiste des Jeunes. Bien que choqué par leur cynisme et leur « mauvaise foi », Zeller fit traîner les discussions jusqu’à ce que les entretiens soient dévoilés par sa secrétaire dans l’organe trotskiste La Vérité, ce qui mit fin à l’épisode.

Cinq mois plus tard, les dirigeants des Jeunesses communistes du monde se réunirent pour la dernière fois en Congrès, le 6e de l’ICJ, qui faisait suite comme d’habitude au Congrès de l’IC, en septembre-octobre 1935. Malgré ses déboires récents, Tchemodanov restait en selle, mais les Français avaient le vent en poupe, et en conséquence, Guyot fut triomphalement élevé au secrétariat général de l’organisation, avec pour mission d’unifier tous les mouvements de jeunesse contre le fascisme, à commencer par les communistes et les socialistes, mais y compris les « sans parti ». La décision de promouvoir Guyot aurait été prise entre les deux congrès, lors de réunions préparatoires sous l’autorité d’Otto Kuusinen. Le jour de l’ouverture, le 25 septembre, Dimitrov vint en personne prononcer l’éloge des dirigeants, Tchemodanov compris. Mais lors des nominations au Comité exécutif, le Russe se vit rétrogradé d’abord à la deuxième place du Secrétariat, puis à la troisième, derrière Michal Wolf/Farkas, selon les listes définitives. Sa cote restait bonne à l’applaudimètre, pourtant, puisque seuls Guyot et lui étaient gratifiés d’ovations « frénétiques » par les délégués debout. Cependant, alors que Guyot avait prononcé le discours d’ouverture et était porté en triomphe à la fin, que le rapport d’activité était attribué à Wolf, Tchemodanov devait se contenter d’intervenir sur l’URSS. Il le fit par un rapport plus long encore que les autres, émaillé de dithyrambes sur Staline qui « incarne tout notre pays, notre présent et notre avenir ». D’après une lettre de délation rédigée deux ans plus tard par un « sous-marin » de l’ICJ basé à Paris, Erwin Pollack alias Marcel Godard, il aurait cependant mal vécu son déclin relatif, et « aspiré, de manière amorale, à retenir le pouvoir dans ses propres mains » en désirant absolument rester secrétaire général. Et en effet, probablement dépité, il apparut par la suite plus en retrait, alors que Guyot multipliait les missions et les déclarations, et que Wolf restait le pivot du siège moscovite.

Tchemodanov fut néanmoins encore investi de plusieurs missions importantes. Notamment, en mars 1936, alors que Guyot était occupé en France à assurer sa relève, il fut le principal interlocuteur des délégations de deux jeunes socialistes et deux jeunes communistes espagnols conviés à Moscou pour y discuter des modalités de leur prochaine fusion en Jeunesses socialistes unifiées. L’accueil, tel que le décrit Santiago Carrillo dans ses Mémoires, fut tellement cordial et somptueux que les pourparlers aboutirent sans frictions, d’autant que les chefs des deux délégations, Carrillo pour les JS et Medrano pour les JC, étaient déjà en très bons termes. Mais dans les mois suivants, la déléguée en Espagne de l’ICJ se montra tellement maladroite que des difficultés surgirent. Tchemodanov et Kossarev furent diligentés à Paris pour y revoir les jeunes Espagnols, arrondir les angles et fixer le congrès d’unification. Cependant la réunion avorta car elle était prévue le jour même où se déclenchait l’insurrection franquiste, ce qui précipita le retour chez eux de Carrillo et ses amis. Guyot et Wolf furent par la suite missionnés en Espagne même pour parachever l’opération. Dans l’intervalle, en avril 1936, Tchemodanov, Guyot et Wolf s’étaient retrouvés au 10e Congrès des Jeunesses communistes-léninistes de l’URSS, dont Kossarev était et devait rester le Secrétaire général jusqu’en 1938, et où Guyot, dans un long discours, plaisanta avec son ancien rival à propos d’un article de la presse française qui les déclarait tous les deux en Espagne au même moment. Pendant tous ces mois, Tchemodanov restait actif aux réunions du secrétariat de l’ICJ, et assistait à l’occasion à celles de l’IC quand elles traitaient des questions de la jeunesse.

Les deux dirigeants des komsomols soviétiques étaient encore présents à la fin de l’été 1936 à Genève avec nombre d’autres responsables, de façon tout à fait publique et officielle cette fois, l’un comme membre de la délégation de l’ICJ, l’autre à la tête des Komsomols soviétiques, pour le premier Congrès mondial de la Jeunesse pour la Paix. Organisé sous l’égide de la SDN, il était en fait initié et conçu par les jeunes communistes français et kominterniens basés à Paris, qui espéraient ainsi toucher les groupements socialistes, chrétiens, démocrates, etc. Même s’ils eurent à regretter, outre l’absence des Allemands et des Italiens, le boycott des jeunes catholiques, des jeunes travaillistes anglais et de l’Internationale socialiste des Jeunes, les communistes purent se réjouir de premiers contacts assez étoffés et fructueux avec surtout des jeunes chrétiens protestants. Mais si Kossarev y fit un discours important, Tchemodanov resta apparemment dans l’ombre. Le délateur déjà nommé prétendit même qu’il serait « resté avec la délégation soviétique à se saouler à l’hôtel ». Pressentait-il déjà sa prochaine déchéance, ou avait-il comme tant d’autres ex-révolutionnaires sombré dans un cynisme corrupteur ?

Dimitrov, s’il cite abondamment Kossarev dans des rassemblements de personnalités soviétiques du plus haut niveau jusque fin 1938, ne mentionne plus qu’une fois Tchemodanov, pour une « réunion de travail avec Raymond » le 29 juin 1937. Il aurait été arrêté peu après, au cours de l’été, exclu du CE de l’IC en même temps que Bela Kun et dix-sept autres responsables le 3 juillet 1938, torturé et exécuté en 1939.

Les accusations portées contre Tchemodanov après son arrestation justifiaient sans doute que Manouilski l’affublât en juillet 1939 du qualificatif de « petit politicien ». Il avait en revanche produit une impression favorable sur Carrillo, à l’inverse de Kossarev. L’Espagnol le voyait « grand, blond, quasi albinos, avec l’air d’un homme qui manque de sommeil, mais une pensée vive et une grande capacité de conviction et de synthèse ». Quant à Guyot, s’il ne cachait pas sa sympathie pour l’un et ses altercations avec l’autre, il devait en 1969 saluer la mémoire de ses deux anciens camarades en URSS même, dans ses discours aux célébrations des cinquantièmes anniversaires de l’IC puis de l’ICJ. L’ayant entendu à la radio, les veuves de ses anciens camarades soviétiques du KIM le contactèrent, et il passa avec elles une soirée privée dont il se disait « bouleversé », à évoquer le souvenir de leurs défunts maris. Ils avaient alors été réhabilités à titre posthume depuis plusieurs années déjà, à la faveur du dégel khrouchtchévien.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76061, notice TCHEMODANOV Vassili ; en russe, Чемоданов ; surnom, Tchemo. par Marc Giovaninetti , version mise en ligne le 16 juillet 2010, dernière modification le 16 juillet 2010.

Par Marc Giovaninetti

SOURCES  : RGASPI, 533-2-118 (10e Plenum ICJ), 533-2-141 (12e Plenum ICJ), 533-10-3309, 533-2-179, 182, 190 (13e Plenum ICJ), 517-1-1602 (notes d’Albert Vassart), 533-1-234, 256, 258, 259, 260, 269 (6e Congrès ICJ), 533-9-4, 533-10-2606 (10e Congrès JCLUS), 533-4-264 (secrétariat ICJ), 495-18-1102 (secrétariat IC), 533-3-395 (présidium ICJ), 533-9-2 (notes de Raymond Guyot). - Archives du PCF, fonds Raymond Guyot, 283 J 35, 42 et 43, 4 AV 2468 et 2469 (entretiens enregistrés avec Raymond Guyot). - L’Internationale communiste des Jeunes, n° 6, août-septembre 1931. – L’Avant-Garde, notamment n° 566, 567 et 670, 8 et 15 septembre 1934, 29 août 1936. – Cahiers de l’Institut Maurice Thorez, n° 14, 2e trimestre 1969. - Santiago Carrillo, Memorias…, Ed. Planeta, Barcelona, 1973. - Fred Zeller, Trois points c’est tout…, Laffont, Paris, 1976, et Témoin du siècle…, Grasset, Paris, 2000. - André Tollet, Ma Traversée du siècle…, Ed. VO, Paris, 2002. - Lise London, Le Printemps des camarades, Seuil, Paris, 1996. - Georgi Dimitrov (présentation Gaël Moullec), Journal, 1933-1949, Belin, Paris, 2005. - Branko Lazitch et Milorad Drachkovitch, Biographical Dictionary of the Comintern, The Hoover Institution Press, Stanford, 1986. - Arkadi Vaksberg, Hôtel Lux…, Fayard, Paris, 1993. - Annie Kriegel et Stéphane Courtois, Eugen Fried, Le grand secret du PCF, Seuil, Paris, 1997. - Michel Dreyfus, in José Gotovitch et Mikhaïl Narinski (dir.), Komintern : l’histoire et les hommes…, Ed. de l’Atelier, Paris, 2001. - Souria Sadekova, « Dimitri Manouilski », Communisme, n° 40-41, 1994-1995. - Jean-François Gelly, « A la recherche de l’unité organique : la démarche du Parti communiste français (1934-1938) », Le Mouvement social, n° 121, 1982. - Entretiens avec Fernande Guyot, 2002, et avec Lise London, 2006 ; Marc Giovaninetti, 50 ans au cœur du système communiste : Raymond Guyot, un dirigeant du PCF, thèse de doctorat d’histoire, Université de Paris 13, 2009.

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