Né le 3 juillet 1897 à Rennes (Ille-et-Vilaine), mort le 13 janvier 1993 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; mutin de la mer Noire ; secrétaire national de la Fédération de la céramique et des produits chimiques (1930) puis de la Fédération des ports etdocks (1934), membre du bureau confédéral de la CGTU (1931) ; membre du comité central du PCF (1932-1952) ; membre du secrétariat clandestin du PCF (1941-1944)et chef-fondateur des FTP (1942-1944) ; ministre de l’Air, de l’Armement puis de la Reconstruction (1944-1947) ; maire d’Aubervilliers ; démissionné du bureau politique puis du comité central en 19511952 (« affaire Marty-Tillon »), puis exclu du PCF en 1970.
Fils d’un employé aux tramways d’Ille-et-Vilaine, et d’une employée de maison, Charles Tillon, après son certificat d’études et son apprentissage de métallurgiste à l’école professionnelle de Rennes, entra à l’automne 1914 à l’Arsenal de Rennes comme ajusteur. Réformé en janvier 1916, il choisit néanmoins de signer un engagement de cinq ans dans la Marine.
Embarqué en août 1916 sur Le Guichen comme mécanicien, il jouera un rôle actif dans la mutinerie qui se déclencha le 26 juin 1919. Après l’intervention des tirailleurs sénégalais, Tillon et vingt-quatre autres « meneurs » furent ramenés à Brest pour y être jugés.
Condamné à cinq ans de travaux forcés en novembre, Tillon purgea sa peine au camp de Monsireigne puis, à partir de juillet 1920, à Dar bel-Hamri (Maroc). Il fut libéré au bout de cinq mois.
Charles Tillon fit alors la connaissance de Louise Bodin, qui militait activement en Ille-et-Vilaine pour le ralliement à la IIIe Internationale après avoir animé un comité de soutien aux mutins. Il adhéra au Parti communiste au cours de l’été 1921 et s’engagea dans le combat syndical. En 1929, il devint secrétaire régional du PC. En décembre 1929, une délégation conduite par H. Barbé*,
A. Vassart* et M. Gitton* se rendit à Moscou pour discuter avec l’IC et l’Internationale syndicale rouge des problèmes de la CGTU : la promotion de Tillon à la tête de la future Fédération de la céramique et des produits chimiques fut annoncée (B.M.P., Mfm 383, bureau politique du 10 janvier 1930).
En effet, en mars 1930, il prit la direction de la nouvelle Fédération CGTU de la céramique et des produits chimiques.
Au printemps 1931, il effectua son seul et unique voyage en URSS, ce qui contraste avec l’itinéraire traditionnel du responsable communiste : Tillon construisit sa légitimité dans l’action revendicative (des mutineries aux grèves) et non dans le mouvement communiste international. Il partit à Moscou avec une délégation de syndicalistes français, peu après l’arrivée à Paris d’Eugène Fried*, alors que l’IC procédait à une sorte de revue des effectifs, sélectionnait de nouveaux cadres et cherchait à mieux connaître ce qu’on appelait à Moscou le « groupe syndical », dirigé par Marcel Gitton*. Le bon accueil qui leur fut réservé par S. Lozovsky* et D. Manouilski* montrait la volonté de l’IC de reprendre en main la direction du PC.
Tillon entra au bureau confédéral de la CGTU en septembre 1931. En mars 1932, à l’occasion du 7e congrès du PC, il entra au comité central puis, en septembre, après le 12e plénum de l’IC, au bureau politique comme suppléant, avec
A. Vassart* et d’autres syndicalistes, tels René Arrachard* (Bâtiment) et H. Martel (mineurs). À l’issue du congrès du PC de Villeurbanne (janvier 1936), il avait été chargé de la région Paris-Nord pour contrer J. Doriot*. Par contre, il n’avait plus été reconduit au bureau politique, vraisemblablement à cause de quelques affrontements avec M. Gitton*. Il fut aussi chargé de missions délicates : en 1938, il fut envoyé par E. Fried* à Prague, au nom de l’IC, pour convaincre K. Gottwald, secrétaire général du PCT, de se mettre à l’abri à Moscou. En avril 1939, il fit partie d’une délégation internationale qui avait été envoyée en Espagne pour aider au rapatriement des républicains espagnols bloqués à Alicante et à Valence.
Après le Pacte germano-soviétique et la dissolution du PC, il entra dans la clandestinité. Entre-temps, B. Frachon* l’avait désigné comme l’un des quatre instructeurs inter-régionaux, lui confiant les départements du Sud-Ouest.
Ces années de guerre constituèrent une étape décisive dans sa vie, en raison du rôle qu’il joua et de la légitimité que lui valut son attitude dès l’été 1940. Le 18 juillet de la même année, il lança un long manifeste dans lequel il dénonçait la guerre impérialiste et appelait à la libération nationale : or, de son côté, J. Duclos* qui faisait engager à Paris des négociations pour la reparution légale de l’Humanité (voir Maurice Tréand*), incitait à manifester pour la réoccupation des mairies communistes de la banlieue parisienne et à dépêcher des délégations pour la reconnaissance des anciennes directions syndicales communistes. Ces divergences, dues à l’éparpillement de la direction (J. Duclos* à Bruxelles puis à Paris, M. Thorez* à Moscou, B. Frachon* sur les routes de l’exode) et à la coupure des communications (mais aussi à des conceptions stratégiques différentes réaffirme Charles Tillon, lettre du 12 septembre 1992), disparurent dès la reprise des liaisons, mais allaient néanmoins constituer un enjeu de mémoire décisif après la Libération.
En octobre, B. Frachon* appela Tillon pour l’informer qu’il allait désormais faire partie du secrétariat du PC, que Georges Beyer*, son adjoint, lui succéderait dans le sud-ouest et qu’il devait gagner définitivement Paris le 19 décembre.
Une fois déclenchée la lutte armée qui suivit l’attaque allemande contre l’URSS, Tillon fut chargé des questions militaires. La mise en place d’une structure unifiée fut assez longue et aboutit en mars-avril 1942 à la création des FTP, dirigés par un Comité militaire national (CMN) dont il prit la tête.
Après la Libération, il fut élu maire d’Aubervilliers en 1945 et reconduit en 1947 puis élu tour à tour député en 1946 et en 1951.
Il avait été désigné au BP du PCF lors du congrès de janvier 1945. En effet, dès septembre 1944, il avait été l’un des deux ministres communistes du gouvernement du général de Gaulle. Il fut, successivement, ministre de l’Air (jusqu’au 6 novembre 1945) et ministre des Armements (21 novembre 1945-20 janvier 1946) dans les deux gouvernements De Gaulle, ministre de l’Armement (23 janvier-22 novembre 1946) dans les ministères
F. Gouin et G. Bidault, enfin ministre de la Reconstruction sous P. Ramadier, jusqu’au départ des ministres communistes le 2 mai 1947.
Ayant quitté le ministère, Tillon devint responsable des questions militaires et de défense nationale au BP. Fin mai, désigné par le bureau politique comme orateur à la Mutualité à Paris pour commémorer le centenaire des journées de juin 1848, il s’en prit à Tito avant sa rupture avec Staline , dans une phrase que Thorez* lui avait demandé d’intégrer. Il lança en novembre le Mouvement des combattants de la paix et de la liberté, devenu en 1949 le Mouvement des partisans de la paix, ce qui provoqua son premier affrontement majeur avec la direction du PC, tout d’abord avec Jeannette Thorez-Vermeersch.
Marcel Servin, responsable de la commission des cadres, qui était allé voir Maurice Thorez* en convalescence dans le Caucase, mit en place en juillet 1951 une commission d’enquête composée de Léon Mauvais*, de Gaston Auguet et de lui-même. Georges Beyer*, son beau-frère et son bras droit pendant la guerre, fondateur du réseau de renseignements des FTP, le FANA qui, semble-t-il, était « tenu » après la Libération par les services soviétiques, apporta un témoignage qui corroborales accusations de travail fractionnel. À l’issue de ces réunions, Marty* perdit son poste au secrétariat et Tillon le sien au BP. La séance du CC du 7 décembre marqua une dernière étape : tandis que Tillon était rétrogradé à la base, après une autocritique (14 octobre) considérée comme insuffisante et démis de la présidence de l’ANACR (Association nationale des anciens combattants de la Résistance), s’opérait la dénonciation du « flic Marty* » qui fut exclu du PCF et se vit retirer la présidence de l’Association des anciens de la mer Noire.
Le 3 juillet 1970, il fut exclu de sa cellule mais son autorité resta très forte dans les milieux de la Résistance et son souvenir vivace.
S’il joua bien un rôle dans le mouvement communiste international dans les années 1930, il avait construit sa légitimité ailleurs, dans le mouvement revendicatif, puis dans la résistance précoce à l’occupant, puis la direction de la lutte armée. Là se trouve la source de ses affrontements avec l’appareil du PCF au tournant des années 1950. Là se trouve également ce qui fait de Charles Tillon le moins kominternien des kominterniens présentés dans ce dictionnaire.
Denis Peschanski
SOURCES : Tsentralnoe chranilise sekretnychdel, Fonds 5, dossier personnel Tillon, 11.144-209. — RGASPI, 495 270 3 : ce dossier a été transféré au RGANI (arch. du PCUS) et est inconsultable pendant 70 ans ans après le décès. — Notice par D. Peschanski, DBMOF. — Arch. Préfecture de police, dossier « affaire Marty-Tillon ». — Arch. Comité national du PCF, dossier « affaire Marty-Tillon ».