POULAIN Albert [POULAIN Gaétan, Albert]

Par Justinien Raymond

Né à Angers (Maine-et-Loire) le 18 juin 1866 ; mort à Paimbœuf (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique) le 19 mars 1916 ; ouvrier mécanicien ; militant socialiste ; député des Ardennes.

« Fils non reconnu de Eugénie-Marie Poulain et de père non dénommé » (Arch. Ass. Nat.), Albert Poulain, ouvrier mécanicien à Trélazé (Maine-et-Loire), se donna tout jeune à l’action corporative et au mouvement ouvrier. Il se signala notamment lors de la grève de Trignac (1886). Aussi vint-il rapidement à Paris où il fut secrétaire de la chambre syndicale des Métallurgistes et se maria dans le XXe arr., le 18 février 1888. Il se mêla au mouvement syndical et politique parisien presque confondu dans l’action du possibilisme. Lorsque ce dernier se fractionna en 1890, Poulain suivit au POSR l’aile allemaniste majoritaire à Paris, sa propre condition sociale l’entraînant vers le parti qui se voulait ouvrier d’abord. D’abord adhérent à la FTSF puis au POSR, il fut trésorier adjoint de l’UFC du POSR en 1893 (il habitait alors en plein cœur de Belleville au 25 rue Henri Chevreau).

Il avait aussi fixé son choix sous l’influence de J.-B. Clément. Ce dernier ayant été chargé d’organiser la fédération ardennaise du POSR. Poulain y fut son lieutenant. Arrivé dans les Ardennes fin mars 1894 pour le seconder dans son œuvre de propagande et d’organisation, il dut bientôt le suppléer. Malade, J.-B. Clément souhaita lui-même voir son jeune disciple lui succéder. Poulain assista en septembre au VIe congrès national des syndicats qui se tint à Nantes. Au congrès fédéral du 20 janvier 1895, à Nouzon, Poulain dirigea les débats en l’absence de J.-B. Clément. Au nom du POSR Lavaud vint à Mézières le 24 mars 1895 l’investir de ses fonctions de délégué fédéral à la propagande, et en septembre, Poulain participa, à Paris, à la conférence nationale du parti. A. Poulain était donc un permanent appointé au service du POSR, ce qui n’alla pas toujours sans frictions : en juin 1896, il menaça de démissionner parce que la fédération qui lui devait 1 500 f le laissait depuis seize mois dans la gêne. À ce poste, il se révéla organisateur habile, militant actif, si l’on en juge par les résultats. Il fonda de nombreux syndicats, notamment parmi les métallurgistes et les ardoisiers. Il sut sortir la fédération du marasme dans lequel l’avait plongée en 1895 une longue suite de grèves. Il la dota d’une école mutuelle d’orateurs prévue dès 1892. Les groupes socialistes se multiplièrent dans un département industrialisé de façon diffuse et la fédération ardennaise devint en quelques années une des plus vivantes du POSR. Dans cette action Poulain rencontra quelques embûches. En novembre 1894, il fut condamné à dix jours de prison pour avoir bafoué la police en réunion publique à Charleville. Pour insultes à l’armée, selon l’acte d’accusation, « pour avoir protesté […] contre la grossièreté et la brutalité de certains chefs… » (Arch. Ass. Nat., profession de foi de 1898) selon son aveu, il comparut devant les assises en 1897 et fut acquitté.

Poulain n’était pourtant rien moins qu’un semeur de désordres et il abandonna vite l’action révolutionnaire pour le réformisme le plus sage. Même au temps où il encourait ces poursuites et condamnations pour des violences de langage, il temporisait dans l’action et se révélait homme de compromis. Il rédigea et réussit à faire accepter un règlement d’action ouvrière dont la procédure complexe et lente ne pouvait tendre qu’à entraver les mouvements spontanés de grèves partielles. En septembre 1895, au congrès corporatif de Grenoble, il se prononça contre le principe de la grève générale, un des grands thèmes d’action du POSR, non sans soulever les protestations de Fournier, membre du secrétariat de ce parti. La même année, à Paris, à la conférence nationale du parti, prônant « une politique de résultats » (Les Fédérations socialistes, op. cit., p. 13), il réclama, en vain, la liberté de contracter des alliances pour les élections municipales. Aux congrès nationaux de Paris de septembre 1896 et de septembre 1897, il préconisa une union de tous les courants socialistes. Or, le POSR — il l’a montré jusqu’en 1905 — était le plus jaloux de sa personnalité, de son indépendance et, pour tout dire, le plus muré dans l’esprit de secte. Fin 1897, la fédération des Ardennes s’en retira et se proclama autonome : son comportement ultérieur autorise à penser que Poulain, inspirateur de cette rupture, voulut se donner les coudées franches pour les élections législatives de 1898.

Élu, il continua à militer pour l’unité. La fédération départementale en son congrès de 1899 se prononça « pour l’unité absolue par la disparition des écoles » (ibid., p. 15). En décembre, il siégea à Paris, salle Japy, au premier congrès général des organisations socialistes françaises, porteur du mandat du syndicat des métallurgistes de Braux, et des trois mandats de la circonscription de Mézières dont il était le député. Alors que la plupart des orateurs qui, pendant cinq jours, avaient préconisé l’unité l’entendaient comme une union fédérale des partis existants, Poulain invita ces derniers à disparaître dans une fusion totale : « Nous vous demandons de regarder l’heure de votre mort », leur cria-t-il (C. rendu congrès de Japy, p. 350). Au lendemain du congrès de Wagram (1900) où il fut délégué et qui fut le point de départ de nouveaux déchirements et de regroupements, Poulain cessa de se faire le champion de l’autonomie garante de l’unité, soutint la politique de Millerand et, après le congrès de Lyon (1901), entraîna la fédération des Ardennes dans le PSF et participa à son congrès de Tours (1902). Enfin, en 1905, il se montra réticent devant l’unité accomplie : à son instigation, le groupe de Charleville, se fondant sur les doctrines antipatriotiques d’Hervé, saisit le congrès fédéral du 5 juin d’un vœu demandant aux deux députés socialistes de rester hors du groupe de la SFIO et hors du groupe socialiste indépendant. Le congrès le repoussa et vota l’adhésion à l’unité. Poulain offrit sa démission, puis la retira et rejoignit le groupe unifié. Mais il se comporta désormais avec beaucoup d’indépendance à l’égard de sa fédération, ne lui versa pas la cotisation exigée des élus, ne lui rendit pas compte de son mandat, fut moins assidu aux réunions fédérales et contracta des alliances personnelles. Il fut néanmoins délégué aux congrès nationaux du Parti socialiste à Paris (avril 1905), à Limoges (1906), à Toulouse (1908), à Nîmes (février 1910), à Lyon (1912) et à Amiens (1914).

Il se présenta en 1893 dans le quartier Charonne comme candidat du POSR où il obtint 4,77 % des voix et échoua de justesse face à Landrin lors des élections municipales partielles de 1894 dans le quartier du Père-Lachaise (Paris, XXe arr.), il obtint 17,21 % puis 17,54 % des voix. Député depuis 1898, Poulain envisagea de plus en plus la politique socialiste sous l’angle électoral. Il souhaitait maintenir le contact avec les républicains démocrates. Il les côtoyait à la Franc-Maçonnerie. Il s’efforçait de ne pas les effaroucher par ses proclamations. En 1898, il se déclara « candidat de la République » (Arch. Ass. Nat.) dans la 2e circonscription de Mézières, et sa profession de foi ne contenait pas le mot socialisme. Il recueillit 9 675 voix et fut élu au second tour, à la faveur du désistement du candidat radical, l’industriel Georges Corneau, par 11 881 suffrages sur 21 617 votants. En 1902, candidat du PSF, il en présenta le programme qu’il fit précéder d’une définition soigneusement étudiée de « la politique socialiste, hardie dans ses vues généreuses, courageusement décidée à défendre par tous les moyens la justice et le droit dans la forme républicaine, en même temps que sagement réformatrice dans ses applications » (Arch. Ass. Nat., profession de foi). Il l’emporta dès le premier tour par 11 792 voix sur 22 797 votants. Il fut réélu en 1906 dans les mêmes conditions par 15 107 électeurs sur 23 799 votants : à sa « candidature nettement républicaine et socialiste » (ibid.) les radicaux n’opposèrent pas d’adversaire. Dédoublée en 1910, la circonscription de Poulain perdit une partie de l’électorat ouvrier qui lui était fidèle. La discipline plus stricte de la SFIO lui imposa des positions plus fermes. Il posa nettement en 1910 le problème de la propriété et fut réélu au premier tour par 6 851 voix sur 16 900 inscrits et 13 573 votants. En 1914, il s’affirma résolu à « poursuivre la socialisation des moyens de production et d’échange » (ibid.) et, toujours au premier tour, fut réélu par 7 667 suffrages sur 13 860 votants. Albert Poulain fut en outre conseiller général pour le canton de Mézières, de 1904 à 1910. Aux élections sénatoriales du 7 janvier 1912, second sur la liste des trois candidats socialistes, il recueillit 123 voix tandis que 155 et 118 allaient à ses colistiers.

Au Parlement, Poulain intervint sur quelques incidents de la vie militaire. Le 24 novembre 1898, il proposa d’interdire toutes fonctions publiques aux élèves des congrégations. Mais ses rapports, propositions ou interventions intéressèrent surtout le monde du travail qui constituait le gros bataillon de ses électeurs. En effet, la continuité de ses succès électoraux ne s’explique pas seulement par un opportunisme qui, s’il lui conciliait les milieux de démocratie bourgeoise, aurait pu indisposer une partie de son électorat ouvrier. Outre son action parlementaire favorable aux travailleurs, Poulain sut garder le contact avec la vie ouvrière. Après la grève des ardoisiers de Rimogne en 1901, il encouragea la coopérative ouvrière fondée sur le modèle de la verrerie d’Albi et s’efforça de lui procurer des fonds. En 1905, il soutint les grévistes de Revin où il était très populaire et ceux de Haybes en 1907. S’il s’abstint généralement de participer au mouvement contre la vie chère, en 1911, il protesta contre la répression dont il fut l’objet par une affiche apposée sur les murs de Charleville qui le conduisit aux assises le 22 novembre pour outrages à l’armée. « Si nos libertés étaient menacées, y déclara-t-il, si nous avions à protéger ce que nous aimons, les soi-disant antipatriotes, les soi-disant insulteurs de l’armée que nous sommes sauraient faire leur devoir » (T. de Pyègne). Il fut acquitté. Ses dernières participations à des actions de masse furent dirigées contre le danger de guerre. En 1912, il parla dans les meetings de la CGT à Revin, à Monthermé, à Sedan. En février 1913, avec la fédération socialiste, il accueillit G. Hervé venu à Mézières rendre compte du congrès de Bâle. Il parla en sa compagnie à Nouzon. Il multiplia pendant l’année les déclarations publiques contre la loi des « trois ans » dans des réunions de la SFIO et de la CGT. Le 29 novembre, il présida un imposant rassemblement à Charleville, y présenta Jaurès, et lança un appel à l’abonnement à l’Humanité éditée sur six pages.

La guerre venue, A. Poulain se rangea à la politique de défense nationale unanimement acceptée alors par le Parti socialiste. Sa vie politique dans les Ardennes bientôt occupées était terminée et il alla mourir dans son département natal.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76078, notice POULAIN Albert [POULAIN Gaétan, Albert] par Justinien Raymond, version mise en ligne le 27 janvier 2010, dernière modification le 27 janvier 2010.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : Poulain a collaboré aux journaux suivants : L’Émancipation, hebdomadaire que dirigea J.-B. Clément dans les Ardennes et que tua un procès. — Le Socialiste ardennais, organe fédéral créé en 1896, hebdomadaire puis bihebdomadaire, imprimé, 16, place Ducale, à Charleville. Poulain en était le rédacteur en chef.

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Congrès général des organisations socialistes (décembre 1899), Paris, salle Japy. Compte rendu sténographique, pp. 9, 205, 215, 349-354, 407, 421, 422. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., p. 333 et Les Fédérations socialistes II, op. cit., pp. 9-25, passim. — Tristan de Pyègne, Guide de l’étranger dans le pays d’Ardenne, Charleville, 1899. L’auteur relève le rôle d’interrupteur perpétuel de Poulain au cours des débats parlementaires. Dans le même opuscule de caricatures, sous le titre « Les grandes manœuvres électorales », Poulain est figuré sur les épaules de Georges Corneau et portant une besace sur laquelle est écrit : Vive Méline ! Vive le Marquis ! en allusion à la politique électorale de compromis du député des Ardennes. — L’Humanité 25 novembre 1911. —Michel Offerlé, Les socialistes et Paris, 1881-1900. Des communards aux conseillers municipaux, thèse de doctorat d’État en science politique, Paris 1, 1979. — Didier Bigorne (sous la dir. de), Terres ardennaises, n° spécial, n°46 : Visages du mouvement ouvrier, Mars 1994.

ICONOGRAPHIE : La France socialiste, op. cit., p. 333.

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