Par José Gotovitch
Né le 24 octobre 1906 à Bruxelles, décédé le 24 novembre 1968 à Balai (URSS) ; traceur en chaudronnerie ; secrétaire national de la Jeunesse communiste belge (JCB) ; secrétaire du Parti communiste belge (PCB) ; participant aux congrès de l’ICJ et de l’IC (1926-1929) ; pratiquant à l’IC (1931-1932) ; ouvrier à Dniepropetrovsk, arrêté et déporté à la Kolyma.
Né dans une famille de petits commerçants bruxellois (vendeurs de journaux), Marc Willems suivit pendant cinq l’école industrielle du soir en mécanique, et devint ouvrier qualifié (traceur en chaudronnerie, ponts et charpentes). Militant syndical, exclu en 1928 de la Centrale social démocrate des Métallurgistes pour son activité communiste, il fut contraint au chômage après huit années de travail.
Adhérant à la JC en 1924, au PC en janvier 1926, il participa au comité central la même année comme secrétaire national de la JC. Il assistait également en cette qualité au bureau politique. Les frontières entre participation et appartenance formelle ne sont pas très nettes et les sources sont contradictoires, y compris dans ses biographies à l’IC.
Du 22 novembre au 15 décembre 1926, il fit partie, avec Jacquemotte, et Cloosterman, de la délégation du PCB au 7e plénum élargi de l’IC et participa aux réunions du Secrétariat latin, qui examinèrent l’ensemble de la politique et de l’organisation du PCB. Il y retrouva le délégué permanent du Parti belge auprès du Secrétariat. latin, Henri De Boeck. Il n’est pas superflu de souligner que ce 7e plénum fut celui de la centralisation définitive de l’IC. Ce voyage intronisa Willems comme dirigeant, il en fit un héraut de la bolchevisation qui souffrait un certain retard en Belgique. Dès novembre 1927, Willens apparut dans la discussion de la « question russe » dans le PCB, au côté de l’étroite minorité favorable à l’IC. Il émergea de cette lutte qui traversa le PCB comme le dirigeant incontesté de la JCB. Du 30 août au mois d’octobre 1928, il fut à nouveau présent à Moscou et participa, aux côtés des vétérans Jacquemotte et Coenen, à l’importante discussion sur le PCB « en convalescence », qui occupa le Secrétariat latin, Au cours du même séjour, il dirigea la délégation belge au Ve congrès de l’Internationale communiste des jeunes. Ses interventions furent chaque fois très pragmatiques, liées aux questions d’organisation. S’il ne fut pas effectivement élu au BP, il y siégea comme secrétaire national de la JC, à partir 1926. Il apparut donc, vis à vis de l’IC comme un dirigeant du Parti et intervint comme tel. Les turbulences consécutives à la scission allaient perdurer, exacerbant, au sein d’un parti réduit les oppositions entre personnes sous le couvert d’oppositions de ligne. En septembre 1929, une lettre ouverte de l’IC au PCB demeura sans écho et c’est Willems qui rapporta, en décembre 1929, devant le Secrétariat latin, sur le très triste état dans lequel se trouvait le PCB. Il critiqua la direction en place, qui d’après lui n’avait rien compris du message de la lettre de l’IC. Il dénonça le « bluff » de ses déclarations de victoire et lui opposa certaines actions de la JC. Il prôna une épuration sévère et témoigna aussi d’un ouvriérisme évident.
Manouilski abonda dans son sens. La critique du PCB fut virulente : il ne faisait rien si ce n’est du bavardage et des motions. Il interpella personnellement Willems en le désignant comme un bon élément de la JC et du PC, mais où étaient ses propositions concrètes ? Stepanov renchérit : au lieu de réunions chaque dimanche, il fallait aller sur place dans les cités industrielles, chercher le contact avec les masses, briser le monopole de la social-démocratie. Avec d’autres membres du Secrétariat, Stepanov estima que Willems forçait la note en termes d’épuration. Quelques mois après, Stépanov se vanta « de l’avoir crossé ».
Or le 4 janvier suivant, Willems fut relevé de ses fonctions à Bruxelles et envoyé comme secrétaire fédéral au Borinage. Selon Morriens rapportant devant le Secrétariat latin en mars 1930, Willems avait tenté, s’appuyant sur la JC, un véritable « coup d’État », se disant mandaté par l’IC. Curieusement, « par sentimentalité » et en fonction de son militantisme, il demeura membre du BP.
En novembre 1931, il fut désigné comme pratiquant à l’IC, section d’organisation du Secrétariat latin sous le nom de Jean Girard. Le 7 décembre, il y présenta un rapport sur la situation belge, résumé en termes très « troisième période » par Gerö. Lors de ce séjour, sa femme, ouvrière d’origine bessarabienne, demeura en Belgique.
Les grèves insurrectionnelles de l’été 1932, qui marquèrent l’émergence effective du PCB dans les masses ouvrières et la répression généralisée contre la direction du Parti le rappelèrent en Belgique. C’était une nouvelle phase qui s’ouvrait pour le PCB : il doubla son nombre d’adhérents, il étoffa sa maigre représentation parlementaire. Le Secrétariat du Parti fut assuré par un triumvirat : Henri De Boeck, comme numéro un, Jacquemotte et Marc Willems, ce dernier comme secrétaire d’organisation. Fin décembre 1932, il devint également responsable de la commission des cadres mise en place part Gerö, alors délégué de l’IC en Belgique. De fait, Willems forma alors avec De Boeck un duo permanent incarnant la direction du Parti : jeunes tous deux, issus des JC, formés à l’école « bolchevique » et marqués par un sectarisme évident. Marc Willems vécut désormais avec une compagne venue de Pologne en 1930 : Malka Brukiew, (née à Varsovie, 2 avril 1911). Étudiante à l’Université de Bruxelles de 1930 à 1932, puis ouvrière dans une fabrique d’imperméable, elle fut arrêtée une première fois pendant les grèves de 1932. Membre de la direction de la MOI (Maind’œuvre ouvrière immigrée), responsable de la section polonaise jusqu’à son arrestation et sa condamnation en janvier 1935, elle plongea alors dans l’illégalité. Les deux couples « mixtes » Willems et De Boeck* étaient amis.
Ils se dépensèrent tous deux sans compter, mais les relations avec Jacquemotte n’étaient pas des meilleures. D’autant que les gains engrangés en 1932 s’évanouirent dès 1933, et que les pratiques « gauchistes » suivies entrèrent en contradiction avec l’orientation amorcée par le 13e plénum de l’IC.
En contradiction totale avec la ligne qui s’amorçait, Marc Willems développa, pour la première fois devant le comité central des JC en juin 1934, la nécessité de la préparation à l’illégalité. Il développa le thème pendant plusieurs mois, faisant référence à la victoire de Hitler en Allemagne. Il ne faisait, en réalité qu’appliquer certaines directives de l’IC, dont il assuma ultérieurement seul le poids en Belgique. Mais surtout, en 1934, il partagea avec De Boeck la faute « criminelle » d’avoir, au nom du PC, avalisé la signature du pacte d’unité d’action du 11 août des Jeunesses communistes avec les Jeunesses socialistes et les Jeunesses trotskystes, prenant position pour le droit d’asile dans les pays capitalistes en faveur de Trotsky .
Le tournant à 180° opéré sur ordre de l’IC dans les jours qui suivirent, et auquel il s’associa, ne le sauva pas. C’est alors que la Section des cadres de l’Internationale mit en exergue son autoritarisme, ses tendances sectaires, son manque de continuité. Il fut décrit comme bon organisateur, bien formé théoriquement, mais pas aimé dans le Parti et incapable de travail collectif. La conférence d’avril 1935 du PCB élimina l’ancienne direction, faisant porter tout le poids des erreurs commises, le sectarisme et le pacte, sur les épaules du duo De Boeck-Willems.
Avec De Boeck et Henri Laurent, secrétaire des JC, Marc Willems fut donc envoyé travailler dans l’appareil de l’IC à Moscou où il arriva en juin 1935. Il demanda à pouvoir reprendre en usine son ancien métier de traceur. L’IC accepta et à la mi-octobre 1935, il débuta comme traceur à l’usine de construction de ponts Molotov à Dniepropetrovsk. Sa compagne l’y rejoignit et entama des études universitaires. Dès la première semaine, il se positionna comme « stakhanoviste » mais surtout, dans des lettres adressées à la commission des cadres de l’IC, il mit en cause les méthodes de travail de l’usine, le gaspillage éhonté qu’il constatait, et proposa des méthodes rationnelles. Pendant deux ans, ses demandes d’admission aux réunions du Parti et ses propositions de nouvelles méthodes, et même ses lettres à l’IC demeurèrent sans réponse. Au lendemain des élections législatives de mai 1936, qui marquèrent un succès important du PCB, il envoya au BP du Parti belge une longue lettre d’auto-flagellation sur ses fautes criminelles passées et la justesse des sanctions prises à son égard. Il y louait la politique suivie depuis lors. Rien ne permet d’affirmer que cette lettre parvint en Belgique. En mai 1937, une purge décapita la direction de son usine et il s’en réjouit : les causes du blocage et du sabotage étaient claires : il s’agissait de « saboteurs trotskystes ». De fait ses propositions furent enfin entendues, et il fut nommé instructeur pour les méthodes nouvelles. Mais en juillet 1937, il était à Moscou et faisait part dans une lettre à Dimitrov de son désir de retrouver le travail politique, estimant que les deux années passées en usine avaient « racheté ses fautes ». Sa compagne avait brillamment terminé sa deuxième année d’études. Huit jours après, il lança un SOS et demanda sa comparution urgente devant la commission des cadres de l’IC : son plan de construction avait été jugé erroné et des accusations graves étaient proférées contre lui dans l’usine.
Quelques jours plus tard, sa compagne télégraphia à l’IC : Marc est arrêté, plus aucune nouvelle. Le 15 janvier 1938, Xavier Relecom, secrétaire national du PC demanda aux cadres de l’IC d’intervenir auprès de Willems pour qu’il donne des nouvelles à ses parents, inquiets de ne plus en avoir depuis plusieurs mois !
Le parcours entamé par Marc Willems est détaillé dans la décision de réhabilitation rendue par la magistrature suprême de l’URSS en date du 30 juin 1955. Condamné à 5 ans de camp de travail en mai 1940 pour activité antisoviétique, il se trouvait depuis 1937 et jusqu’en 1942 sur les chantiers Dalstoi de la Kolyma, puis dans les mines d’or de cette même Kolyma. « Libéré » en 1947, assigné à résidence à Balai en Sibérie, il y devint mécanicien dans une scierie et, après sa réhabilitation, ingénieur puis finalement directeur de l’entreprise et admis au PCUS. Ayant fondé une nouvelle famille sur son lieu de travail, il aspirait à revoir pour quelque temps la Belgique où son frère Honoré avait été fusillé par les Allemands et où plusieurs membres de sa famille avaient survécu. Sa préoccupation de ne pas permettre l’utilisation de son cas contre le Parti auquel il demeurait attaché ne put convaincre pendant une longue période les dirigeants des PC concernés. Alors que tous les obstacles étaient enfin levés et que le voyage était programmé pour la fin de l’année 1968, il mourut à Balai le 24 novembre 1968. Le bel article que lui consacra dans Le Drapeau Rouge, Henri Laurent, son compagnon de 1935 qu’il avait retrouvé à Moscou entre 1957 et 1964, n’efface pas le drame que Marc Willems vécut, dérision de l’histoire, non comme militant belge, mais comme travailleur d’élite soviétique.
Par José Gotovitch
SOURCES : RGASPI, 495 193 186, 495 193 511, 493 93 246, 495 193 275. — CARCOB, microfilms IML, Internationale communiste des jeunes, Secrétariat latin, bureau politique et comité central du PCB. — Henri Laurent, « In Memoriam Marc Willems », Le Drapeau Rouge, 13 décembre 1968.