ZETKIN Clara, née EISSNER (DBK)

Par Henri Wehenkel

Née le 5 juillet 1857 à Wiederau (Saxe), morte le 20 juin 1933 à Moscou ; institutrice ; député au Reichstag ; membre du Comité exécutif de l’IC, présidente du Secrétariat féminin, présidente du Secours rouge international.

Clara Zetkin avec Rosa Luxemburg
Clara Zetkin avec Rosa Luxemburg

Fille d’instituteur, formée dans un institut pédagogique dirigé par une militante féministe, Clara Zetkin adhéra à la social-démocratie en 1878 et vécut pendant l’interdiction du Parti d’abord en Autriche, puis à Zurich et Paris. En 1889 elle fit partie du comité d’organisation du congrès fondateur de la IIe Internationale réuni à Paris et elle présenta le rapport sur le mouvement prolétarien des femmes. Elle dirigea à partir de sa fondation en 1907 le Secrétariat féminin international qui constitua l’embryon d’une Internationale des femmes et propagea la célébration de la Journée des femmes. Elle prononça en 1912 au congrès socialiste extraordinaire de Bâle l’Appel aux femmes pour empêcher la guerre. Et ce fut encore elle qui réunit en mars 1915 en Suisse une conférence internationale des femmes, initiative parallèle aux conférences de Kienthal et de Zimmerwald qui conduisit à son incarcération. Clara Zetkin fit partie avec Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht et Walter Mehring de l’aile gauche de la social-démocratie depuis la lutte contre le révisionnisme théorique de Bernstein au début du siècle jusqu’au vote des crédits militaires en août 1914 et à la formation du groupe Spartacus.

Lors de la formation de l’Internationale communiste, Clara Zetkin fut la figure la plus connue et la plus prestigieuse du mouvement ouvrier occidental qui rallia la nouvelle Internationale. Après la mort de Luxemburg, Liebknecht et Mehring elle représenta à elle seule cette tradition révolutionnaire allemande qui aurait pu faire contre-poids à l’influence de plus en plus dominante des révolutionnaires russes. Toutes les interventions de Clara Zetkin montrent qu’elle était consciente de la responsabilité qui lui incombait au sein du mouvement communiste naissant et qu’elle s’attachait à redresser les erreurs du début et à maintenir les liens avec le passé du mouvement ouvrier. Elle n’hésita pas, quand il le fallait, à enfreindre la discipline et elle alla parfois jusqu’au bord de la rupture, mais jamais au-delà .
Clara Zetkin séjourna, pour la première fois, en Russie de septembre à novembre 1920, donc après le IIe congrès de l’Internationale. Liée à Lénine , elle n’exerçait à ce moment aucun mandat international. Le Comité exécutif la pria néanmoins de faire partie du Secrétariat d’Europe occidentale, sans doute en prévision des congrès des Partis allemand, français et italien, où devait se jouer l’adhésion à la IIIe Internationale.

Quand le congrès du Parti socialiste indépendant d’Allemagne décida, le 17 octobre 1920 à Halle, d’adhérer à l’Internationale communiste et de fusionner avec le KPD, Clara Zetkin se trouvait encore à Moscou. Elle fut présente du 4 au 7 décembre 1920 à Berlin pour le congrès de la réunification et fut élue au secrétariat. Avec la constitution du Parti communiste unifié d’Allemagne, le premier Parti communiste occidental disposant d’un appui des masses était né.

Interdite de séjour en France, Clara Zetkin arriva à Tours, le 27 décembre 1920, pour participer aux débats du Parti socialiste. Déjouant la surveillance policière, elle apparut à la tribune, après que la salle eut été plongée dans le noir. Elle prononça un discours dur, dénonçant les illusions parlementaires, proclamant sa foi dans la révolution mondiale et reprochant aux ouvriers occidentaux de ne pas avoir fait leur devoir. Elle récolta les applaudissements d’une salle conquise. Tout en défendant la ligne définie par l’Internationale communiste, Zetkin critiqua, dans son compte rendu au comité exécutif et dans une lettre à Lénine du 25 janvier 1921, le télégramme de Zinoviev excluant les dirigeants réformistes du nouveau Parti ainsi que l’action des délégués de l’IC installés sur place, Abramovitch et Vanini. Elle refusait des méthodes prenant « parfois le caractère d’une intervention brutale, autoritaire en l’absence d’une connaissance exacte des circonstances réelles qu’il faut prendre en compte ». Zetkin recommanda à l’Exécutif de ne pas être dupe du « vernis révolutionnaire » de Frossard, tandis qu’elle faisait l’éloge de Cachin, de Vaillant-Couturier et des époux Rosmer.
C’est par la filière de La Vie ouvrière et grâce à l’aide d’un syndicaliste révolutionnaire de Longwy lié à Rosmer, Auguste Mougeot, que Clara Zetkin était venue à Tours. C’est par le même itinéraire qu’elle quitta la France sans être ni reconnue niarrêtée par la police. À Thionville, elle monta sur une locomotive conduite par un cheminot luxembourgeois, Franz Neu, ce qui lui permit de répéter le coup de théâtre de Tours, quatre jours plus tard, au congrès du Parti socialiste luxembourgeois réuni à Differdange. « Quelle impression fait-elle ? Une femme du peuple, plutôt âgée, pas très grande, pas très belle. Il faut l’avoir entendue, avoir vu sa mimique, les éclairs dans ses yeux, ses gestes. C’est comme si un démon s’était tout à coup emparé de cette personne parlant à travers elle avec des langues de feu » (Escher Tageblatt). La célèbre oratrice fascina, mais ne convainquit pas. Une fois de plus, ce furent les exclusions prononcées de loin par Moscou qui offusquaient les militants qui se souvenaient de Clara aux côtés des mêmes dirigeants réformistes lors du meeting du Premier mai de l’année 1908. D’après le compte rendu officiel Zetkin évita soigneusement de parler de « scission » : « Parfois une séparation est nécessaire. La clarification une fois acquise, les deux courants peuvent se retrouver plus tard. »

Constatant que ce qui avait été possible en Allemagne et en France n’avait pu se faire au congrès du Parti italien réuni à Livourne le 15 janvier, Clara Zetkin fit part à Lénine de sa déception et de son désaccord. L’échec des communistes italiens la confirmait dans ses critiques à l’égard de la tactique suivie par l’Exécutif de l’Internationale. Les événements dramatiques de mars 1921 en Allemagne conduisirent Clara Zetkin à s’insurger de façon spectaculaire contre la stratégie de l’offensive à tout prix qui avait entraîné le puissant Parti allemand dans des affrontements suicidaires avec les forces militaires. Contre cette politique qui avait été encouragée, sinon conseillée, par Béla Kun et par Radek Clara Zetkin s’opposa par la démission de tous les postes assumés au sein du Parti et par l’appel en dernier recours à Lénine . La question allemande fut au centre du IIIe congrès du Komintern qui condamna sans équivoque la théorie de l’offensive et appela à la conquête des masses. Ayant obtenu satisfaction, Clara Zetkin reprit sa place au secrétariat du VKPD.
Tout en continuant sa lutte contre les dérives sectaires du Parti allemand, Clara Zetkin consacra désormais l’essentiel de ses forces à l’Internationale communiste. En octobre 1921, elle fut envoyée au congrès du Parti socialiste à Milan afin de redresser une situation politique compromise depuis le congrès de Livourne par le départ intempestif de la fraction communiste qui n’était selon son appréciation qu’ » un salmigondis de toutes les confusions, illusions et sottises possibles ». En février 1922, quand la question française se posa par rapport à l’application de la ligne de front unique, le plénum la désigna pour faire partie de la « commission française ». En avril 1922, elle représenta l’Internationale communiste lors de la rencontre des trois Internationales à Berlin.

Le IVe congrès de l’IC qui s’ouvrit en novembre 1922 et consacra la politique de Front uni, élut Clara Zetkin comme membre de plein droit du comité exécutif de l’Internationale communiste. Chargée en 1924 du Secrétariat international des femmes et assumant à partir de 1925 la direction du Secours rouge international, Zetkin ne se contenta pourtant pas de cumuler les postes. Elle prit position sur les questions décisives de l’époque, notamment sur la question de la définition du fascisme lors de l’Exécutif élargi de juin 1923 et sur la question du gouvernement ouvrier et paysan comme pouvoir de transition, lors du plénum de janvier 1924.

Ses relations conflictuelles avec la direction du Parti communiste allemand conduisirent à deux reprises, en 1923 et en 1929, à son élimination du comité central du KPD. Le conflit se transporta au Comité exécutif de l’Internationale communiste, quand celui-ci condamna en février 1928 la « déviation droitière » au sein du KPD. Refusant les exclusions demandées par Staline , Clara Zetkin s’opposa à celui-ci lors de la réunion du 19 décembre 1928. Dans une lettre à Jules Humbert-Droz, elle fit un portrait sans fard des nouvelles méthodes de travail : « Je vais me sentir totalement isolée et déplacée dans cette corporation qui, d’organisme politique vivant qu’elle était, s’est transformée en une mécanique morte : d’un côté elle avale des ordres en langue russe et recrache de l’autre côté des ordres en différentes langues. » La dénonciation par Staline du « luxemburgisme » et l’arrêt de l’édition des œuvres complètes de Rosa Luxemburg en 1931 situaient la dimension historique du clivage.
Réélue au Reichstag en 1932, Clara Zetkin prononça, en tant que doyenne, son dernier discours devant une assemblée dominée par les nazis en uniforme. Déjà gravement malade, elle mourut à Moscou peu de mois après l’arrivée au pouvoir de Hitler.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76113, notice ZETKIN Clara, née EISSNER (DBK) par Henri Wehenkel, version mise en ligne le 29 janvier 2010, dernière modification le 26 août 2010.

Par Henri Wehenkel

Clara Zetkin avec Rosa Luxemburg
Clara Zetkin avec Rosa Luxemburg

SOURCES : Centre Jean Kill, Luxembourg, J.-P.Lippert, notes manuscrites, p. 4. — Musée Social, Paris, Fonds Mougeot, lettre de Mougeot à Molinier, 28 juillet 1932. — Escher Tageblatt, Luxembourg1921, n° 12. — Der Kampf, Luxembourg, 6 janvier 1921. — Soziale Republik, Luxembourg, 5 janvier 1921. — La Révolution prolétarienne, Paris, janvier1962. — Luise Dornemann, Clara Zetkin. Ein Lebensbild, Berlin, 1957, 9e édition en 1989. — Institut für Marxismus-Leninismus, Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung volume VII, Dietz Verlag, 255 p.Berlin 1967. — Institut für Marxismus-Leninismus, Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung, Biographisches Lexikon, Dietz Verlag, 528 p., Berlin 1970. — Antoine Krier, 75 Jôr LetzebuergerSozialismus, Luxembourg 1977. — Jacques Droz (sous la dir. ), Allemagne, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international, Ed Ouvrières, 547 p., Paris 1990. — Beiträge zur Geschichte derArbeiterbewegung (BZG), Berlin 1991, n° 2 — Gilbert Badia, [Clara Zetkin, féministe sans frontières, Éd. Ouvrières, 335 p., Paris, 1993.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable