Par Jean Maitron, Claude Pennetier, Justinien Raymond
Né le 1er janvier 1872 à Nolay (Côte-D’or), mort le 12 février 1957 à Nice (Alpes-Maritimes) — il habitait alors Martagny (Eure) — ; employé de commerce ; militant du Parti socialiste, du Parti communiste puis du POP et du PUP, et enfin à nouveau du Parti socialiste SFIO ; conseiller municipal du XIIe arrondissement de Paris, député (1924-1928, 1932-1942).
Fils d’un employé de chemin de fer, aîné d’une famille de sept enfants, Jean Garchery adhéra dès l’âge de dix-huit ans au Groupe d’études sociales de Dijon. Venu à Paris en 1903 comme employé de commerce, il milita au sein de son syndicat et siégea au conseil d’administration de la Fédération des employés. Fixé dans le XIIe arr., quartier de Picpus, il était administrateur de la coopérative de Bercy-Picpus vers 1909-1910. Il vota l’unité coopérative en 1912, devint membre du Comité central de la FNCC et n’abandonna le militantisme coopératif actif qu’après 1921. Son rôle fut également important dans le conseil d’administration du syndicat des voyageurs et représentants de commerce affilié à la Fédération CGT des employés. Il adhéra en 1905 à la 12e section de la Fédération socialiste de la Seine, en devint le secrétaire en 1912 et fut délégué au conseil fédéral.
Jean Garchery avait été mobilisé dès la levée de 1914 avec la classe 1892. Il fut maintenu aux armées jusqu’en août 1918 et démobilisé en janvier 1919. Veuf de Lucie Grospierre, il se remaria le 27 mai 1919 à Paris Xe arr. avec Marthe Champougny, une couturière originaire de Meurthe-et-Moselle. Il était père de trois enfants.
Très vite, la 12e section lui confia d’importantes fonctions. Il fut secrétaire de la commission électorale du 2e secteur de la Seine pour les élections législatives de novembre 1919 ; le 30 du même mois, il fut élu conseiller municipal du quartier Picpus par 6 842 voix sur 14 239. Il succédait à Pierre Dormoy élu député. Garchery siégea à l’Hôtel-de-Ville jusqu’en 1933.
Avant le congrès de Tours (décembre 1920), son nom apparut parmi les 204 signataires de la motion du Comité de la reconstruction de l’Internationale publiée dans l’Humanité du 6 novembre 1920 sous le titre « Motion d’adhésion avec réserves à la IIIe Internationale ». Il signa également la déclaration du Comité de la reconstruction (102 signataires) parue dans l’Humanité et Le Populaire du 16 décembre 1920. C’est donc « par discipline » qu’il suivit la majorité du Parti à la IIIe Internationale. Ses qualités personnelles lui permirent cependant d’avoir une audience croissante dans le PC. Secrétaire adjoint puis secrétaire du groupe communiste à l’Hôtel-de-Ville de Paris, il entra au Comité directeur du Parti communiste au congrès de Marseille (décembre 1921), fut réélu au congrès de Paris (21 octobre 1922) et figura comme représentant du Centre sur la liste établie par le IVe congrès de l’Internationale communiste en décembre 1922. Le 21 janvier 1923, la conférence nationale de Boulogne-sur-Seine le confirma au Comité directeur. Le congrès de Lyon (janvier 1924) entendit son rapport sur « le programme municipal » et le désigna à la commission des conflits (non au CD). Il devint cependant secrétaire de la commission électorale et siégea plus tard au Bureau politique. Humbert-Droz, représentant de l’Internationale en France, envisagea même de le faire entrer au secrétariat en affirmant à Zinoviev que « mieux vaudrait au secrétariat à la place de la double direction (Treint-Louis Sellier) du parti, un bon organisateur sans grande envergure politique, comme Garchery par exemple ».
Aux élections législatives du 11 mai 1924, le Parti communiste le mit à la tête des onze candidats de la liste Bloc ouvrier et paysan du 2e secteur de la Seine (1er, IIe, IIIe, IVe, XIe, XIIe, XXe arr. de Paris). Il obtint 41 601 voix sur 197 144 inscrits et 171 927 votants (moyenne de la liste 40781 voix) et fut élu député avec son second Paul Henriet (40 805 voix). Les autres membres de la liste (Clerc, Danjean, Grandin, Guérard, Hadjali, Jantzem, Linck, Manuel, Roblot) recueillaient entre 40 760 et 40 680 voix. Le Bureau politique réuni le 21 août 1924 le nomma délégué du groupe parlementaire auprès du Comité directeur (I.M.Th., bobine 64).
Garchery disposait d’une popularité personnelle qui se confirma aux élections municipales des 3 et 12 mai 1925 qui lui permirent de conserver son mandat de conseiller municipal de Picpus (XIIe arr.). Son adversaire socialiste SFIO, Pierre Dormoy*, conseiller de ce quartier de 1912 à 1919, avait mené une vive campagne contre lui, l’accusant en particulier de cumul des mandats, pratique jusqu’alors combattue par les organisations ouvrières. Paris-Soir du 17 janvier 1925 affirmait qu’il avait dans un premier temps refusé d’être candidat. Sur 16 586 inscrits et 13 903 votants, Garchery obtint 4 814 suffrages et Dormoy 3 991. Au second tour, le maintien du candidat socialiste (4 624 voix) ne permit au communiste qu’une courte victoire : 4 743 voix. Son action de propagande le faisait apparaître comme « un apôtre du communisme petit-commerçant » (la formule est d’Henri Sellier* cité par Le Drancéen du 25 juin 1926) et défenseur des locataires. Un rapport de police du 25 mars 1929 permet de comprendre son influence : Garchery disposait dans le quartier de Picpus d’une « forte situation électorale qu’il doit plus à lui-même qu’au PC. Très intelligent, très travailleur, il remplit entièrement ses fonctions de conseiller, et, comme il ne se montre point sectaire dans son quartier, il est devenu le conseil de beaucoup d’électeurs étrangers au PC » ; il intervient au conseil municipal sur les loyers, les transports, le travail, le gaz, l’électricité, « questions qu’il traite avec une compétence reconnue » (Arch. Nat. F7/13264).
L’instauration du scrutin uninominal pour les élections législatives des 22 et 29 avril 1928 ne lui fut pas favorable. La deuxième circonscription du XIIe arr. était formée du quartier de Picpus, toujours très favorable à Garchery, et du quartier Bel-Air représenté au conseil municipal par Émile Faure. Sur 23 331 inscrits et 20 712 votants, 8 071 suffrages se portèrent sur son nom, 5 600 sur celui d’Émile Faure, mais au second tour le conseiller de Picpus ne retrouva pas la totalité des 1 608 suffrages qui étaient allés au socialiste Hazan, tandis que Faure faisait le plein des voix et l’emportait par 10 441 suffrages contre 9 378. Aux élections municipales, Garchery réussit à se faire réélire dès le premier tour, le 5 mai 1929, avec 6 802 voix sur 16 800 inscrits et 13 823 votants. Il avait participé activement à la campagne électorale en prenant la parole dans de nombreuses réunions publiques et en rédigeant des articles dans l’Humanité, en particulier, avec Charles Joly, une « Enquête sur les réalisations en URSS sur la base soviétique ».
Quelques mois après ce succès, un conflit opposa la direction du PC à ses élus parisiens. L’affaire commença par l’exclusion des trois « pèlerins de Budapest », deux conseillers généraux (Jules Lauze*, Louis Laporte*) et un conseiller municipal (Louis Duteil) qui avaient accepté de participer à un voyage d’étude en Hongrie. Le 5 novembre 1929, sous le titre « La discipline du Parti et les élus », l’Humanité publia une déclaration du Bureau politique donnant comme tâche à la Conférence nationale de janvier l’épuration de tous les éléments « opportunistes », « social-démocrates », « confusionnistes » et le renforcement de la discipline à l’égard des élus. Le lendemain, toujours dans l’Humanité, Marcel Cachin* reprit ces thèmes sous le titre « les élus et la discipline ». Jean Garchery protesta avec cinq des huit autres conseillers municipaux de Paris, Louis Sellier*, Charles Joly, Louis Castellaz*, Camille Renault et Louis Gélis ; par une lettre datée du 6 novembre 1929. Ils refusèrent de se rendre à la conférence des élus municipaux de la région parisienne convoquée le 10 novembre. Exclus, « les Six » réagirent avec force en faisant placarder dans Paris, le 20 novembre, une affiche intitulée : « Les élus communistes de Paris au Prolétariat. » « Derrière le triple écran de la Révolution russe, de l’Humanité et de la répression, déclaraient-ils, une équipe de gamins, d’ambitieux et de résignés, manœuvrent des ouvriers sincères, poussent à l’abîme le Parti qui devait porter historiquement l’espoir de libération révolutionnaire du prolétariat » (Le Résuisitoire des Six, p. 24). Garchery et ses cinq camarades constituèrent le Bureau provisoire d’un Comité de regroupement prolétarien pour la constitution d’un Parti ouvrier paysan (POP) entre « la SFIO glissant sur les positions politiques de la bourgeoisie radicale et la secte anarcho-communiste » (ibid, p. 57). Un septième conseiller municipal parisien, François Salom, les rallia bientôt et il ne resta plus que Marty pour représenter le Parti communiste à l’Hôtel de ville. Fin décembre 1929, Garchery devint président du Parti ouvrier paysan dont Louis Sellier* assurait le secrétariat général. L’année suivante, le POP fusionna avec le Parti socialiste communiste de Paul Louis pour former le Parti d’unité prolétarienne qui regroupa un nombre important d’élus.
Après son exclusion du Parti communiste, Jean Garchery, comme Louis Sellier*, donna sa démission d’administrateur de la Banque ouvrière et paysanne dont il avait entrepris la réorganisation. Ces problèmes précipitèrent la crise de la Banque qui ferma le 31 janvier 1930. Il quitta également la présidence de la Fédération sportive du travail tandis que l’Union sportive ouvrière du XIIe prenait son autonomie en 1932, après deux ans de conflit.
Les 1er et 8 mai 1932, contre Émile Faure, URD, député sortant, Jean Garchery emporta le siège de député de la 2e circonscription du XIIe arr. par 5 723 voix et 9 812 voix (29,9 % et 41 % des 23 932 inscrits). À la Chambre, il présida le groupe d’unité ouvrière. Un an plus tard, il démissionna de son siège de conseiller municipal qui fut conquis par son collaborateur Julien Taillard. Aux élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936, bénéficiant du désistement du communiste Thomasson, Garchery, toujours candidat du PUP, fut réélu par 7 902 et 12 213 suffrages (31,3 et 49,2 % des 24819 inscrits). Comme à l’Hôtel de ville, il manifesta une intense activité, multipliant les interventions et les propositions. La défense des locataires, et plus généralement des victimes de la crise, restait sa préoccupation principale.
À la fin de l’année 1936, avec la majorité du PUP, Garchery rejoignit le Parti socialiste SFIO.
À Vichy, le 10 juillet 1940, il vota l’octroi des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Pour ce vote que ne vint racheter aucun fait notable d’action sous l’occupation allemande, il fut exclu du Parti socialiste reconstitué par le congrès extraordinaire de Paris des 9-12 novembre 1944. Dans une lettre du 28 décembre 1944, il essaya de justifier son vote du 10 juillet : « Si je reconnais m’être lourdement trompé, je dis que je n’ai trompé ni trahi personne. » Sa carrière politique était terminée. Il fut cependant un des fondateurs de l’éphémère « Vieux Parti socialiste SFIO », membre de sa commission administrative provisoire et secrétaire de sa Fédération de la Seine. Il participa ensuite au Parti socialiste démocratique de Paul Faure*, mais, le remarquable ancien conseiller municipal de Picpus avait en grande partie perdu le capital de sympathie accumulé pendant deux décennies d’activité en faveur des ouvriers, artisans et commerçants de son quartier.
Par Jean Maitron, Claude Pennetier, Justinien Raymond
SOURCES : Arch. Nat. F7/12948 ; F7/13092 ; F7/13264, 24 juillet 1928 et 25 mars 1929, 23 avril 1929. — Arch. Dép. Seine, D3 M2 n° 30. — I.M.Th., bobines 59, 62, 64, 113, 122. — Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Arch. Ours, lettre du 28 décembre 1944. — L’Humanité, passim. — Ça ira, passim. — Le Courrier du XIIe, 1932-1934 (la BN n’a conservé que le n° 1, 12 mars 1932). — L’Avenir du XIIe, 1935 (journal d’Émile Faure, le principal adversaire politique de Garchery dans le XIIe arr.). — Cahiers du Bolchevisme, septembre 1928, décembre 1929. — G. Lachapelle, Les élections législatives, op. cit. — J. Jolly, Dictionnaire des Parlementaires, tome V, p. 1779. — Le Congrès de Tours : édition critique, collectif, Paris, Éditions sociales, 1980. — Archives de Jules Humbert-Droz, I Origines et débuts des partis communistes des pays latins (1919-1923), Dordrecht-Holland, 1970 ; II Les partis communistes des pays latins et l’Internationale communiste dans les années 1923-1927, Dordrecht-Holland, 1983. — Le Réquisitoire des Six, Paris, imprimerie centrale de la Bourse, 1929, 69 p. — J. Estivill, Recherches sur les socialistes et les communistes aux élections municipales et à l’Hôtel-de-ville de Paris (1919-1939), Mémoire de Maîtrise, Paris I, 1980. — État civil de Nolay, de Nice et Paris Xe arr. — Renseignements communiqués par G. Morin et Nathalie Viet-Depaule. — Notes de Jacques Girault.