GUGLIELMO Raymond, Robert

Par Alain Bué, Françoise Plet

Né le 26 mai 1923 à Paris (XIIe arr.), mort le 18 octobre 2011 à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) ; géographe ; professeur au lycée de Fontainebleau (1951-1953), au lycée de Saint-Germain (1953-1956), chercheur au CNRS (1956-1960), assistant à l’Institut de géographie de Paris (1960) puis maître assistant (1961-1969), chargé d’enseignement au centre universitaire expérimental de Vincennes (1969-1979), maître de conférences à l’Université de Paris 8-Vincennes ; résistant ; militant du Parti communiste français (1940-1968).

Fils unique de Germaine Roche, mère au foyer, et de Robert Guglielmo, instituteur, il avait deux arrières grands-parents italiens côtés paternel et maternel. Il connut une enfance protégée dans une famille laïque. Bachelier à seize ans après des études au lycée Rollin, il étudia le violon et consacrait ses loisirs à la randonnée, qui fut une passion durable et l’orienta dès l’adolescence vers la géographie. C’est en hypokhâgne au lycée Henry IV qu’il commença à militer au Parti communiste dans le groupe étudiant créé par Pierre Daix, d’un an son aîné. Il fut arrêté et incarcéré à Fresnes le 26 novembre 1940 en vertu de la loi du 26 septembre 1939 mettant hors la loi le Parti communiste, pour avoir participé aux actions pour la libération de Paul Langevin. Condamné à huit mois de prison, il fut libéré le 26 mai 1941, après avoir été acquitté en appel pour avoir « agi sans discernement… ». Il avait dix-sept ans et était mineur. En khâgne, toujours à Henry IV, il fut provisoirement sauvé d’une arrestation début 1942, grâce au proviseur Émile Jolibois (qui fut destitué par Vichy) qui lui avait fait quitter discrètement le lycée. Arrêté pourtant en mars, il parvint à s’évader de la Préfecture de police, restant dans la clandestinité dans la région parisienne.

En 1944-1945, il entreprit une licence de géographie (créée en 1941), tout en militant au Comité de libération de la faculté des lettres, dans la cellule du PC Sorbonne lettres, en compagnie de l’historien [Jean Chesneaux-<19807]. Après un court service militaire, il fut démobilisé en août 1945 en qualité de résistant.

Il épousa alors Monique Lavissière dont il eut deux filles, Catherine, née en 1946, et Françoise, née en 1947. Il gagnait sa vie comme surveillant au lycée Voltaire à Paris. Afin de se présenter à l’agrégation de géographie à laquelle il fut reçu premier en 1951, il réalisa un diplôme d’études supérieures sous la direction de Pierre George, nouveau professeur à l’université de Paris où il avait été nommé en 1948, membre du PC, et promoteur d’une « nouvelle géographie » donnant une place importante à l’économie, à l’industrie, aux questions des rapports entre villes et campagnes. Le champ des travaux de Raymond Guglielmo, dans cette école intellectuelle, fut l’industrie chimique qu’il explora jusqu’à la fin des années 1960, au CNRS puis à l’Institut de géographie de Paris, notamment pour une thèse de doctorat d’État qu’il n’acheva pas.

Sa vie militante, toujours au sein du PCF, fut rythmée par les grands engagements contre les guerres – d’Indochine, d’Algérie, du Vietnam –, et autour des grands mouvements sociaux (grèves et manifestations). Sa critique de l’idéologie dominante du parti se développa à partir de 1956 ; il soutint la révolte des étudiants communistes contre la remise au pas de la revue Clarté en 1965, l’un des préludes à mai 1968, mais ne quitta le PC qu’en mai 1968, profondément choqué par les positions du parti vis-à-vis du mouvement étudiant.

1968 fut le moment d’une rupture fondamentale. Raymond Guglielmo, qui avait toujours sympathisé avec les étudiants, opta alors définitivement pour les aspects antihiérarchiques, généreux et sociaux du mouvement étudiant, puis du mouvement étudiants et ouvriers. Il s’engagea dans les universités d’été créées par les assemblées générales étudiantes de mai et juin, expérience de construction du savoir avec les acteurs des situations étudiées, participa à celle de la Plaine-Saint-Denis, espace en voie de désindustrialisation par migration des usines vers la province.

Depuis 1945, il était engagé syndicalement au SNES, puis au SNESUP lors de sa nomination à l’Université de Paris.

Conscient de s’être enfermé dans une géographie industrielle "marxiste" ignorant les ouvriers, il s’orienta vers l’étude des problèmes posés par l’aménagement « par le haut », par la domination foncière de grandes entreprises dans les espaces de vieille industrie, ceux de la situation ouvrière en termes de rapport au patronat et de sécurité au travail, de la situation des populations face aux décisions de l’État et du patronat. Les crises – Lip à Besançon, le démantèlement de la sidérurgie lorraine – ; la décomposition programmée des banlieues ouvrières entre grands ensembles collectifs d’habitation et emplois en disparition rapide ; les grands aménagements (Fos-sur-Mer) étaient désormais des chantiers sur le vif auxquels il associa étroitement les étudiants, dans la recherche comme dans l’action. S’y ajouta (1971-1981) la lutte contre l’agrandissement du camp militaire du Larzac, question paysanne certes, mais aussi mise en question de décisions politiques et question d’aménagement du territoire. Il y déploya une infatigable activité, mettant au service des communautés locales ses compétences de géographe, pour coordonner une étude cartographique minutieuse de la situation foncière, afin de construire une opposition efficace aux expropriations et d’empêcher la continuité territoriale du futur camp.

Parallèlement, Raymond Guglielmo s’inscrivit dans les réflexions post-1968 d’une poignée d’intellectuels, pour la plupart très jeunes, sur leur rôle dans la société, et sur les fonctions de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce fut d’abord le groupe « géographie » de l’Association pour la Critique des sciences économiques et sociales, puis la création de la revue Espace et luttes (1978-1980) afin « d’apporter aux groupes engagés dans les luttes contre l’aménagement autoritaire de l’espace l’information produite par d’autres […], et permettre à ceux qui mènent ces luttes de s’exprimer, de débattre de leurs objectifs et de leurs expériences » (éditorial du n° 1).

Au Centre universitaire expérimental de Vincennes, où il enseigna dès sa création – par Edgar Faure à l’automne 1968 –, il fut l’initiateur ou le garant de formes de pédagogie très contestées par des enseignants plus conventionnels, telles les « grappes » d’unités de valeur (UV) fonctionnant en interdépendance et échangeant grâce à des réunions périodiques de l’ensemble des étudiants et enseignants, ou les UV autogérées au sein desquelles les étudiants formulaient eux-mêmes leur programme de travail, se rencontrant régulièrement pour échanger sous la tutelle de Guglielmo et présentant publiquement leurs travaux en fin de semestre.

Durant les années 1980, les grandes luttes sociales « de terrain » furent moins intenses et moins nombreuses. Les groupes militants contestataires de gauche s’étiolaient. Raymond Guglielmo s’attacha à écrire dans des publications plus classiques sur l’aménagement du territoire, la désindustrialisation, le travail, la ville, dans une perspective qui exprimait les inégalités socio-spatiales, les rapports de pouvoirs, les abus de pouvoir. Il créa une équipe de recherche sur les banlieues à l’Université de Paris 8 (ex-Vincennes, délocalisée à Saint-Denis en 1980). Revenu à une certaine conformité universitaire, il n’en devint pas pour autant conformiste. Mais les positions intellectuelles relatives avaient changé durant les années 1980, les points de vue de l’acteur social, quelle que soit sa position dans la société, ayant pris au sein des sciences humaines et sociales une importance qu’ils n’avaient pas dans les années 1960 et 1970.

Le contact direct avec les étudiants, les jeunes, resta un point d’ancrage important de Raymond Guglielmo, y compris après sa retraite à soixante-cinq ans. Il continua à enseigner en géographie, et à l’Institut Maghreb-Europe de Paris 8 jusqu’en 2003, le champ des populations d’origine maghrébine étant intimement lié aux banlieues à l’industrie, et à la désindustrialisation.

Il fut décoré de la médaille de la Résistance, fait chevalier des Palmes académiques et de l’ordre du Mérite.

Il était marié et père de deux fills.

Décédé le 18 octobre 2011, ses obsèques eurent lieu dans l’intimité selon sa volonté.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76233, notice GUGLIELMO Raymond, Robert par Alain Bué, Françoise Plet, version mise en ligne le 7 février 2010, dernière modification le 16 juillet 2021.

Par Alain Bué, Françoise Plet

ŒUVRE choisie : Direction de Recherches en géographie industrielle, Mémoires et documents du CNRS, 1974, vol. 14, 300 p. – « L’opération Fos, un test de l’aménagement capitaliste du territoire », Urbanisme, 1976, n° 44, p. 65-76. – « Profession géographe : quelle action militante ? », Hérodote, 1978, n° 4, p. 67-78. – « Une enquête géographique, économique et sociale sur le Larzac », Gardarem lo Larzac, mars-avril 1980 – « Dégage, on redéploie », Espaces et Luttes n° 5, pp. 3-13 ; 1986- « Désindustrialisation et évolution de l’emploi à Saint-Denis », Villes en parallèles, n° 11 pp. 117-134 ; « Les grands ensembles et la politique », Hérodote n° 43, pp. 39-74 ; 1987. — La vie sociale dans l’entreprise en banlieue nord, Ministère de l’Industrie, 430 p. collab. Dominique Mestdagh, Brigitte Moulin ; 2000 – Les grandes métropoles du monde et leur crise, Paris, Armand Colin, 270 p.

SOURCES : Témoignages de l’intéressé. — Brigitte Moulin , Françoise Plet éd., 1991 Autour de Raymond Guglielmo, Géographie et contestations, Centre de Recherche sur les Espaces de Vie, Paris, 214 p. — Claude Bataillon, « Six géographes en quête d’engagement : du parti communiste à l’aménagement du territoire. Essai sur une génération », Cybergéo, 2006.

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