MATHEVET René, Jean, Victor

Par Jean Lorcin

Né le 10 mars 1914 à Saint-Étienne (Loire), mort le 8 septembre 1994 à Montélimar (Drôme) ; employé à la Manufacture d’armes et de cycles de Saint-Étienne (Manufrance) ; militant CFTC puis CFDT ; membre du bureau confédéral (1949-1955 puis 1960-1970) ; membre du Conseil économique et social (1959-1969), vice-président de la CFDT (1967-1970).

Fils d’un passementier (tisseur selon l’état civil), mort à la guerre en novembre 1914 et d’une couturière, René Mathevet, pupille de la nation en mars 1919, fut élève de l’instituteur Joseph Baldacci, secrétaire du Syndicat national des instituteurs de la Loire.

Employé à Manufrance au service de l’exportation, il adhéra au syndicat CFTC des employés métallurgistes de Saint-Étienne en juin 1936, la CGT lui apparaissant comme trop influencée par le Parti communiste. Collecteur pour son syndicat, Mathevet appartint au conseil de la section syndicale d’entreprise CFTC Manufrance. Durant la grève de cent jours dont quarante-cinq d’occupation de l’usine qui se déroula de juillet à octobre 1937, il appartint au comité de grève et eut la responsabilité des loisirs : bals, théâtre, jeux collectifs, chorale. Il fut licencié à l’issue de la grève. Il composa à cette occasion la Madelon des grévistes dont le refrain était :

« Du courage et nous vaincrons, Harpagon ! Harpagon ! Harpagon ». C’était le sobriquet dont les grévistes affublaient le patron et fondateur de la MFAC, Mimard. En janvier 1938, René Mathevet devint secrétaire adjoint de l’Union départementale des syndicats CFTC de la Loire.

Mobilisé le 26 août 1939, René Mathevet fut fait prisonnier le 29 mai 1940 et le demeura jusqu’au 29 mai 1945. Après trois tentatives d’évasion, il fut déporté à Rawa-Ruska (Pologne orientale). Il en revint fragilisé physiquement, mais moralement endurci.

Secrétaire permanent de l’Union départementale des syndicats CFTC de la Loire à la Libération, puis secrétaire général de cette UD, du 1er décembre 1946 à 1963, René Mathevet fut alors élu au secrétariat confédéral siégeant à Paris.

René Mathevet, à l’origine, avait une attitude assez réservée à l’égard de la tendance progressiste qui, sous la pression des jeunes issus de la JOC, tendait à l’emporter au sein de l’UD de la Loire, mais il prit nettement position pour la tendance minoritaire de la CFTC à partir de 1949. Devenu le porte-parole de la minorité et l’une des figures de proue de Reconstruction, il s’attacha à donner à l’UD, dont il fut élu président en 1960, une allure plus combative et à la détacher de ses attaches confessionnelles.

Il soulignait à ce propos le décalage existant entre la « ligne ouvrière » de l’UD de la Loire et la majorité confédérale très marquée par les couches sociales « employés » et par une perspective confessionnelle.

L’incompatibilité des mandats politiques et syndicaux avait contraint Chacornac, secrétaire général de la CFTC, à céder son poste à Mathevet à la suite de son élection au Comité directeur départemental du MRP en 1948. René Mathevet s’opposait en outre à toute subordination du syndicat à un parti politique, en l’occurrence le MRP, comme à toute ingérence de la hiérarchie catholique au sein de la CFTC, ce qui motiva sa démission du bureau confédéral le 18 octobre 1952. Il n’en avait pas moins apporté son soutien à la candidature de Jean Pralong (ex-Jeune République) aux élections législatives du 18 mai 1952. En effet, il n’hésitait pas à considérer l’action politique comme un moyen de pression pour faire avancer la cause des travailleurs. Cette position lui valut la vive opposition de Chacornac, encore assez influent pour menacer la réélection de Mathevet au conseil de l’UD-CFTC en 1952. Ce ralliement aux thèses progressistes avait déjà amené Mathevet à faire adopter à l’Assemblée générale statutaire de la fédération départementale CFTC de la Loire, le 22 janvier 1950, le principe de l’adhésion de la CFTC à la nouvelle Internationale des Syndicats libres.

Sous la Ve République, il milita, face à la régression économique de la Loire, pour une planification démocratique grâce à la participation des travailleurs à des conseils économiques régionaux disposant de réels pouvoirs.
Parallèlement, René Mathevet et ses amis recherchaient la coordination la plus étroite possible avec le SNI et l’UD-Force ouvrière qu’ils avaient aidée à se libérer de la tutelle politique du Parti communiste, conformément à une vision anarcho-syndicaliste des rapports syndicat-parti qui était de nature à rapprocher les scissionnistes de la CGT des minoritaires de la CFTC. C’est ainsi qu’en 1949, Mathevet participa à la fondation, avec l’Union départementale Force ouvrière, le SNI et l’Union locale CNT de Saint-Étienne, du Comité de liaison des organisations syndicales de la Loire pour la coordination démocratique de l’action syndicale, organisme permanent de concertation entre les organisations syndicales non communistes de la Loire qui s’opposait au « bloc réactionnaire » constitué par les organisations patronales, comme à l’inféodation de la CGT au Parti communiste. En effet, ces UD avaient en commun l’accent mis sur l’indépendance syndicale et des perspectives révolutionnaires fondées davantage sur l’action économique que sur l’action politique.

Cette unité fut rendue possible par l’attitude de l’UD-FO de la Loire, moins anticommuniste que sa confédération. En effet, le Comité de liaison préparait des actions avec la CGT, non sans se méfier des tentatives de récupération de la CGT, comme la création des sections syndicales uniques d’entreprises.

Avec les participants du Comité de liaison, René Mathevet participa à la fondation, en 1955, du Comité de défense des libertés des peuples d’outre-mer. En 1958, il participa à la table ronde syndicaliste de la Loire rassemblant les UD-CFTC, Force ouvrière de la Loire, le SNI et le syndicat du Livre CGT pour manifester leur opposition, à la veille du référendum, à une Constitution dictatoriale qui limitait les droits économiques et sociaux des travailleurs et ne résolvait pas le problème algérien. Cette table ronde militait en outre pour la réunification syndicale et donna naissance à un Groupement intersyndical d’éducation et de culture ouvrière qui visait à former les militants « pour échapper au conditionnement actuel de l’opinion » (La Tribune, 2 décembre 1959).

En 1960, René Mathevet participa à un carrefour des organisations syndicales, sociales et familiales « Pour la paix en Algérie » avec la participation de l’UD-CGT. Il s’en prenait personnellement à l’engagement du rédacteur en chef de La Dépêche, Chacornac, ancien secrétaire fédéral de la CFTC, dans la défense de l’Algérie française.

René Mathevet fut également le porte-parole de la tendance Reconstruction et de la minorité CFTC au niveau confédéral. Au cours des grèves d’août 1953, il fit partie du « Comité de Vigilance syndicale » instauré par la « minorité » « pour dénoncer les ingérences des hommes de parti à l’intérieur des affaires syndicales », à la suite des pressions du MRP sur la CFTC pour lui faire casser la grève générale d’août 1953, alors que René Mathevet, membre minoritaire du bureau confédéral, demandait que le MRP se désolidarisât ouvertement du gouvernement Laniel. Cela l’opposa encore à l’ancien secrétaire général de l’UD Loire, Eloi Chacornac, qui appelait à la discipline confédérale et reprochait sa politisation au bureau de l’UD.

Au congrès confédéral CFTC de mai 1955, le projet socialiste défendu par Mathevet fut de nouveau confronté « aux idées traditionnelles du christianisme social, repeintes à neuf pour la circonstance ». René Mathevet présenta une contre-résolution sur l’orientation qui mettait en avant la planification démocratique, alternative anticapitaliste à l’impasse totalitaire (Pierre Cours-Salies, La CFDT, un passé porteur d’avenir…, op. cit., p. 41).

Il en fut de même au congrès confédéral de 1957.

Membre du bureau confédéral CFTC puis CFDT, du congrès de 1949 à celui de 1970, à l’exception des années 1955-1959 au cours desquelles les luttes de tendances le firent écarter du bureau confédéral et même du conseil confédéral, René Mathevet fut candidat au secrétariat confédéral aux congrès de 1951 et de 1955. Au congrès de 1957, il recueillit 9 voix contre 33 voix à Georges Levard.

René Mathevet s’employa à faire accepter par le conseil confédéral des 16-18 décembre 1965 le projet du secrétaire général Eugène Descamps d’unité d’action inter-confédérale avec la CGT et il voyait dans la « plate-forme revendicative commune » publiée le 10 janvier 1966 « l’acceptation pure et simple » par la CGT du programme de la CFDT qui adjoignait aux thèmes de « l’action revendicative » classique de véritables « réformes de structures » comme le droit syndical dans les entreprises, l’implantation d’industries nouvelles avec financement public, une réforme fiscale. Il n’y manquait que la planification démocratique que la CGT, en tout état de cause, n’eût pas acceptée. Cela déboucha le 17 mai 1966 sur de puissantes manifestations communes, notamment à Paris où « la classe ouvrière a repris possession de « ses boulevards » (…) », se félicitait René Mathevet. Toutefois, il manifesta sa défiance contre des « tous ensemble » périodiques et spectaculaires, des « faux-semblants » de grèves « où le privé compterait sur l’EDF pour arrêter le travail. » (Réunion intersyndicale du 20 juin 1966, Dialogues …, op. cit., p. 121). Cependant, lorsque la CGT proposa une journée d’action commune, le 17 mai 1967, contre les pleins pouvoirs que voulait se donner le Parlement pour réformer la Sécurité sociale, la CFDT, malgré le danger de politisation, décida de s’y associer : en effet, disait Mathevet, « si nous nous bornons à un mot d’ordre de 24 heures sans aucune manifestation, nous risquons de voir nos troupes répondre à des appels plus politiques (…) ».
Enfin il fut membre de la délégation CFDT à la conférence de Grenelle de mai 1968.

René Mathevet, secrétaire du groupe CFDT au Conseil économique et social dont il fut membre de 1959 à 1969, fut de 1961 à 1970 responsable du secteur confédéral d’action professionnelle et sociale. On peut noter à son actif le rapport sur la section syndicale d’entreprise au Conseil économique et social en juillet 1964 qui fut repoussé par 78 voix, celles des représentants des chefs d’entreprises, contre 76 : les adversaires du « projet Mathevet » arguaient que l’entrée du syndicalisme dans l’entreprise modifierait à la fois la nature du syndicalisme et le statut de l’entreprise, tandis que Mathevet invoquait la Constitution qui reconnaissait la liberté syndicale, un droit collectif, et rappelait le message d’Albert Camus* : « le monde a besoin de vrais dialogues, entre des gens qui restent ce qu’ils sont et qui parlent vrai ! » (C. N., « Le « projet Mathevet » repoussé par le Conseil économique », Le Nouveau Mémorial, 10 juillet 1964). Le « projet Mathevet » n’en servit pas moins de base à la loi de décembre 1968 sur le droit syndical dans l’entreprise.

Vice-président de la CFDT en 1967, il ne sollicita pas le renouvellement de son mandat lors du Congrès confédéral de 1970.

René Mathevet fut vice-président de l’Union nationale des caisses d’allocations familiales de 1947 à 1967, fonction dans laquelle il fut en butte aux vives attaques du quotidien communiste de la Loire Le Patriote qui accusait Mathevet d’avoir voulu étrangler financièrement la presse progressiste parce qu’il exigeait le paiement de l’arriéré des cotisations sociales.
Il fut également membre de la Commission supérieure des allocations familiales et de la Caisse nationale de Sécurité sociale et il publia un certain nombre de rapports sur ces questions dans le JO du CES (24 août 1962), dans le n° 58 de mai-juin 1964 de Formation CFTC, dans la Revue économique, n° 2, mars 1967, enfin dans le n° 1 de Droit social, janvier 1968.
En 1974, Mathevet s’opposa vigoureusement, au nom du respect de la vie, au ralliement de la CFDT à la campagne du MLAC en faveur de l’avortement libre et gratuit.

Vice-président des conseils de surveillance d’inter-expansion et du chèque-vacances, René Mathevet fut en outre membre du comité français pour l’UNICEF. En 1979, après le congrès fédéral tenu en mai, Mathevet se démit de tous ses mandats syndicaux et prit sa retraite.

Marié en janvier 1939 à Bonson (Loire), puis en 1950 à Saint-Julien-Molin-Molette, René Mathevet eut six enfants. Il fut décoré de la Croix du combattant volontaire de la Résistance et de la Médaille de la déportation et de l’internement pour faits de Résistance. Son fils François devint en 1974 permanent régional CFDT d’EDF pour la région Rhône-Alpes.

Ses obsèques eurent lieu le 12 septembre 1994 à Saint-Julien-Moulin-Molette.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76404, notice MATHEVET René, Jean, Victor par Jean Lorcin, version mise en ligne le 21 février 2010, dernière modification le 19 janvier 2021.

Par Jean Lorcin

ŒUVRE : « Équilibre et gestion des régimes de retraites complémentaires » (rapport au Conseil économique et social, publié au J O du CES du 24 août 1962). — « Le financement de la Sécurité sociale », Formation-CFDT, n° 58, mai-juin 1964. — « L’intégration des prestations sociales dans le Plan », Revue économique, n° 2, mars 1967. — « La réforme de la Sécurité sociale », Droit social, n° 1, janvier 1968.

SOURCES : Arch. Dép. Loire, 19 J 41, 20 J 32, 20 J 35, 20 J 38, 20 J 45, 20 J 52, 20 J 61, , 37 J 34, 85 W 160, 85 W 200, 85 W 206, 97 VT 3, 97 VT 48, 97 VT 49, 342 VT 1. — Autobiographie communiquée à Jean Maitron. – Notes prises par Maurice Moissonnier sur le journal de grève de Henri Coron, membre de la direction de la manufacture Française d’Armes et Cycles (3 août –12 novembre 1937). — Combat ouvrier, mars 1962. – Le Réveil social. — La Dépêche, 22 décembre 1947, 27 mars 1951, 2 janvier 1958, 28 novembre 1960. — La Dépêche-Le Dauphiné libéré, 11 juillet 1964 (« Après le rejet par le Conseil économique du rapport de la CFTC sur le scrutin d’entreprise : Monsieur Mathevet (CFTC Saint-Étienne) réfute les arguments de Monsieur Meunier (chef d’entreprise) ». — Le Patriote, 6 octobre 1949, 26 mars 1951, 9 mars 1953, 27 septembre 1958. — L’Espoir, 29 mars 1951. — La Tribune, 12 janvier 1952, 30 décembre 1957, 11 janvier 1958 (« Lettre ouverte à MM. Duperray, Folcher, Barlet, Peyre, Thévenon, Soffietto, Seigne, Mathevet, Rechatain, Soutrenon »), 27 septembre 1958, 2 et 5 décembre 1959, 14 avril 1961, 21 août 1961. — L’Espoir-La Tribune, 3 décembre 1956, 28 novembre 1960. — Le Progrès, 14 mai 1960, 22 avril 1961. – Centre Dimanche-Le Progrès, 10 et 16 avril 1961, 25 octobre 1964. — Le Nouveau Mémorial, 8 juillet 1964 (« Au Conseil Economique : M. Mathevet, ancien président de l’U.D.-C.F.T.C. Loire, plaide pour la présence du syndicat dans l’entreprise ») et 10 juillet 1964 (« C. N., « Le « projet Mathevet » repoussé par le Conseil Economique »). – Le Monde, 11-12 septembre 1994. — Hélène Forestier, Les grèves de novembre et décembre 1947 dans le département de la Loire, MM, Saint-Étienne (Dir. Mayeur), 1971 (Arch. Dép. Loire, 37 J 14). —
D. Héritier, R. Bonnevialle, J. Ion, C. Saint-Sernin, 150 ans de luttes ouvrières dans le bassin stéphanois, le Champ du possible, Saint-Etienne, 1979, 356 pages. —
Monique Luirard, La Région stéphanoise dans la guerre et dans la paix (1936-1951), Centre d’Etudes foréziennes/Centre Interdisciplinaire d’Etudes et de Recherches sur les Structures régionales, 1980, 24 cm., V-1 024 pages. — Hervé Blettery, Le mouvement ouvrier dans la Loire sous la 4e République. Pluralisme syndical et unité d’action dans la région stéphanoise (1944-1948), Mémoire de Maîtrise, Saint-Étienne (Dir. M. Luirard), 1985 (Arch. Dép. Loire, 37 J 98). — Pierre Cours-Salies, La CFDT, un passé porteur d’avenir : pratiques syndicales et débats stratégiques depuis 1946, préf. d’Eugène Descamp, postf. de Gilbert Declercq, contribution d’Albert Détraz, Montreuil-sous-Bois, la Brèche-PEC [Presse édition communication], 1988, 21 cm., 478 p. — Joseph Sanguedolce, Parti pris pour la vie : l’aventure des hommes, préface de Louis Viannet, Paris, VO éd., « Horizon syndical », 1993, 24 cm., 279 p. — Franck Georgi, L’invention de la CFDT 1957-1970. Syndicalisme, Catholicisme et politique dans la France en expansion, préface d’Antoine Prost, Les Éditions de l’Atelier/Editions Ouvrières, CNRS Éditions, 1995, 651 pages. — État civil.

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