HENRY François

Par Madeleine Singer

Né le 2 novembre 1907 à Paris (XVIIIe arr.), mort le 20 juin 2002 à Colombes (Hauts-de-Seine) ; professeur agrégé d’histoire ; professeur à l’École normale ouvrière CFTC (1934-1939, 1945-1960), membre du bureau confédéral CFTC (1945-1946).

Fils aîné de Louis Henry, docteur en droit, un des responsables du contentieux aux Chemins de Fer de l’Est, François Henry fut élève du Lycée Condorcet à Paris. Il y prépara en Khagne l’entrée de l’ENS où il séjourna de 1926 à 1930. Il y fit très vite la connaissance de Paul Vignaux*, entré à l’École en 1923. Agrégé d’histoire, François Henry enseigna d’abord à Orléans, puis à Lille. Prisonnier de guerre de juin 1940 à avril 1945, il fut à son retour nommé à Paris au Lycée Condorcet où il exerça jusqu’à son départ à la retraite en 1967.

Resté en relation avec Paul Vignaux, il fit partie du petit groupe qui, à partir de 1936, se réunit au siège de l’Association syndicale professionnelle des fonctionnaires CFTC et envisagea de fonder un syndicat groupant les trois ordres d’enseignement. Son rôle fut alors particulièrement actif : le 24 janvier 1937, sous l’égide de l’Association syndicale professionnelle des fonctionnaires, il envoyait à ses « collègues » une circulaire rappelant celle de juillet précédent. Il les invitait à cotiser à ladite Association « en attendant d’adhérer à une organisation autonome ». Jusqu’alors, rappelait-il, les professeurs de lycée font partie d’un syndicat qui n’adhère pas à la FGE (fédération générale de l’enseignement affiliée à la CGT), quoiqu’en son sein une forte minorité réclamât cette adhésion ; un grand nombre d’entre eux donne donc une « double adhésion » aux deux organisations. Or, les professeurs cégétistes sont formellement invités à choisir, la FGE allant interdire cette double adhésion. Cela entraînera un affaiblissement du syndicat des professeurs de lycée « en nombre et en dynamisme ». Cette situation rend plus urgente la constitution d’un « syndicat conçu et agissant dans notre esprit » ; son rôle sera non seulement revendicatif, mais aussi pédagogique car, disait François Henry, « une commission de l’enseignement primaire » esquisse son programme dans les pages suivantes de notre circulaire. Vu le climat de l’époque aucun nom d’instituteur n’y figurait, mais la circulaire fut conservée par Guy Giry.

En attendant le « lancement officiel » du syndicat CFTC de l’enseignement public, François Henri annonçait d’autres circulaires que nous n’avons pas retrouvées. Il était là quand les statuts du SGEN furent adoptés le troisième jeudi d’octobre 1937. Il mit alors au service du syndicat sa compétence d’historien : en juillet 1939, il définissait dans École et éducation la neutralité de l’école qui est essentiellement « le respect des convictions de chacun » dans un pays caractérisé par une pluralité de tendances et d’opinions.

Aussi lorsqu’en 1945, l’abolition des subventions accordées à l’enseignement privé par le gouvernement de Vichy entraîna de multiples polémiques, ce fut François Henry qui présenta dans un article de mars 1946 la doctrine du SGEN : « le sens d’une école nationale », c’est d’offrir à tous les enfants « une vue vraiment synthétique de notre passé » car elle « prépare ainsi une plus pleine unité dans le présent ». Ceci suppose que nous n’ayons pas « peur d’une partie de notre passé », que nous sachions par exemple « parler avec la même sérénité du Moyen Âge et du temps de la Réforme ».

La question étant à l’ordre du jour du congrès SGEN de 1947, François Henry orienta les débats par une étude exposant les « positions et préjugés des auteurs de la loi Falloux ». Il montra qu’elle avait été conçue dans « une atmosphère de défiance et parfois d’hostilité » à l’égard de l’enseignement public : elle soumettait en effet l’école primaire publique à une stricte surveillance des maires et des ministres des différents cultes, car il s’agissait après « les désordres de 1848 » de protéger la société, comme le disait le ministre Falloux, contre « cette invasion de doctrines antisociales ». La même loi instaurait la liberté de l’enseignement secondaire, destiné aux « classes moyennes de la société dont l’esprit se révolterait contre des doctrines imposées », selon la formule de Thiers : celui-ci se méfiait autant de l’Université que du clergé, car la religion est « bonne pour le peuple et superflue pour les classes élevées ». Cet exposé conduisait François Henry à un schéma de politique scolaire qui montrait les inconvénients tant du monopole que du pluralisme. L’unité de la nation exige d’une part qu’on contrôle la valeur de l’enseignement privé – sans pour autant le subventionner -, d’autre part qu’on donne à l’école publique « les moyens de devenir un centre d’attraction où puissent se rencontrer les enfants de toutes les origines et de toutes les familles spirituelles ». C’est cette position que le congrès SGEN adopta.

Mais l’activité essentielle de François Henry se déploya au service de la CFTC. En 1934, Jean Pérès*, secrétaire général adjoint à la CFTC, chargé de la formation, avait demandé l’aide de Paul Vignaux. Celui-ci rassembla aussitôt une petite équipe : Charles Blondel, conseiller d’État, René Nouat, professeur d’histoire, Bernard Vacheret, agrégé de lettres, et François Henry qui fut avec Vignaux un des piliers des ENO d’avant-guerre. Dès le 13 janvier 1935, François Henry exposait le passage « de la corporation au syndicat » : c’était un des trois dimanches de formation en hiver. L’été, pendant la session de dix jours en 1936, il traita du marché du travail et du contrôle de l’économie.

Lorsqu’à partir de janvier 1937 parut le Bulletin de l’ENO CFTC, celui-ci publia les cours donnés à Paris (quatre dimanches en hiver maintenant et soirées du mercredi) ainsi que les exposés faits lors des sessions : session de permanents (avril 1938), sessions d’été (juillet 1938 et 1939). En parcourant la collection de ce bulletin, on voit qu’avant-guerre F. Henry se chargeait de l’histoire sociale (critique du marxisme par Henri de Man), des problèmes économiques : les données (prix, salaires, monnaie) permettant de juger l’expérience française de 1936 ; le pouvoir d’achat ; l’échelle mobile des salaires ; les conséquences économiques d’une politique d’armement, etc. Il traitait aussi les problèmes sociaux : comment se pose dans le contexte de l’époque l’alternative « lutte des classes ou collaboration » ; critique des ouvrages préconisant le corporatisme. Il devait le 14 janvier 1940 évoquer le Paris du XXe siècle (activités économiques, mouvements de population) : bien entendu la journée n’eut pas lieu.

Après guerre, dès que s’organisa la commission confédérale de formation, on y retrouva François Henry, bientôt rejoint par un permanent, Raymond Lebescond* qui animera cette commission pendant de longues années. Le travail ne manquait pas car François Henry était membre de la sous-commission chargée des programmes pour les sessions nationales de permanents et pour les Écoles normales ouvrières (ENO). Ace titre il participait aux deux journées annuelles qui rassemblaient les responsables régionaux à la formation. Il faisait des exposés dans les sessions de permanents qui dureront jusqu’en 1958. Il allait aussi en province car les membres de la commission confédérale se répartissaient les ENO afin d’y représenter ladite commission tout en y faisant quelques cours : on trouve par exemple François Henry à Orléans (1948), en Normandie (1950), à Clermont-Ferrand (1954). En 1960, dit-il, celle d’Alençon fut la dernière.

Dès 1946 la commission publia une circulaire mensuelle, remplacée en juin 1947 par la revue Formation dont le comité de rédaction comprenait entre autres François Henry qui en fut un des collaborateurs jusqu’en 1960. La commission confédérale se plaint même en juin 1951 de ce que le comité de rédaction laisse à Raymond Lebescond et à François Henry « tout le poids de la revue » ! Par ces publications, on sait que F. Henry traitait les problèmes économiques (l’entreprise, le plan Monnet, l’énergie, la monnaie, etc.), les problèmes sociaux (chômage et plein emploi, la technique et l’homme, etc.), les questions doctrinales (cogestion ouvrière). Il faisait aussi les comptes rendus des ouvrages sur l’histoire ouvrière.

En 1951, nouvelle tâche : les cours par correspondance qui comprenaient depuis 1949 un cycle d’initiation syndicale et un cycle d’études juridiques, s’adjoignent alors un cycle d’initiation économique dont F. Henry fut l’un des cinq rédacteurs. L’année suivante, quatrième cycle : « doctrine et principes d’action de la CFTC. ». François Henry en était l’un des dix rédacteurs et participait en outre à la correction des devoirs que les syndiqués, abonnés à ces cours, devaient envoyer au cours de l’année. A ce titre il siégeait dans la sous-commission des études syndicales qui réunissait les correcteurs des différents cycles. Ce cycle doctrinal sera remis en chantier en 1958, afin « qu’il se présente de façon moins confessionnelle », comme le demandait la commission confédérale. F. Henry était membre du groupe de travail chargé de cette tâche, mais finalement ce cours ne sera pas repris.

Ces diverses activités n’empêchaient pas François Henry de réfléchir aux méthodes qui pouvaient rendre l’enseignement plus efficace. En avril 1948, dans un article « Avant les ENO », il réclamait des professeurs « la simplicité », car « il s’agit d’être utile et non d’être brillant ». Ils doivent indiquer le contexte du fait qu’ils expliquent, se demander « quel écho va rencontrer un terme qui aura besoin d’une explication, quelle difficulté va susciter une idée qui heurte telle ou telle habitude ». F. Henry donnait en même temps des conseils aux auditeurs afin que ceux-ci sachent prendre des notes et les classer. Dans un article destiné à un ouvrage collectif, Culture ouvrière et action syndicale, il demandait pour cet enseignement « des hommes capables de partager les préoccupations de leurs auditeurs et d’avoir assez de souplesse pédagogique pour un travail très différent de celui qu’ils peuvent pratiquer ailleurs ». On comprend qu’il fut « fort apprécié des métallos », comme le rappelle Frank Georgi dans son Histoire de la Fédération de la métallurgie CFTC-CFDT.

Entrant au bureau confédéral dès septembre 1945, François Henry se préoccupa aussitôt des problèmes qui se posaient à la confédération. C’était d’abord celui de l’unité syndicale car le Comité interconfédéral d’entente, créé en mai 1944 par la CGT et la CFTC ne fut pas officialisé : le 15 septembre 1945, la CGT refusa de signer l’accord prévu et proposa la fusion des deux organisations. Le mois suivant, dans École et Éducation, il éclairait le sens du pluralisme syndical. Celui-ci traduit des différences qu’il n’a pas créées : « ce sont les positions de principes prises par la CGT qui expliquent que celle-ci n’ait pas pu faire l’unanimité ouvrière, même là où les intérêts matériels étaient semblables pour tous ». Mais « le fait de savoir en quoi nous différons de la CGT ne nous empêche aucunement de travailler au besoin avec elle ». Si au contraire on proclamait immédiatement l’unité doctrinale, ce serait « au prix d’un mensonge en affichant une unité apparente derrière laquelle se livreraient les luttes de tendances les plus passionnées ». Nous savons maintenant que celles-ci, au sein de la CGT, devaient aboutir à la scission de 1947.

Partisan d’un élargissement de la CFTC, il exprima avec Vignaux, au comité national confédéral de février 1946, leurs réserves sur la manière dont avaient été conduites les relations de la CFTC avec la Conférence syndicale mondiale : au lieu d’adhérer à la Fédération syndicale mondiale qui se constituait, la CFTC demeura affiliée à la Confédération internationale des syndicats chrétiens qui regroupait des organisations peu importantes, si l’on excepte la centrale syndicale belge et deux centrales confessionnelles de Hollande.

Mais la principale contribution de François Henry à la vie confédérale concerna la modification de l’article 1 des statuts, proposée par le SGEN au congrès confédéral de juin 1946. Il s’agissait de remplacer la référence à l’encyclique Rerum Novarum par « les principes de la morale chrétienne ». Faute de temps, le débat fut renvoyé au congrès suivant. François Henry présenta donc, au comité national confédéral d’octobre 1946, le projet du SGEN auquel s’opposait un texte du bureau confédéral qui gardait la référence aux Encycliques. La question est extrêmement importante, dit François Henry, car « à la manière dont nous rédigeons nos déclarations de principes, beaucoup, au-dedans et au-dehors de la confédération, essaient de fixer et de comprendre le caractère que nous voulons donner à notre action ». Si le SGEN propose cette modification, c’est, ajouta-t-il, pour éviter de soumettre à des textes d’autorité – les encycliques papales – des travailleurs non catholiques qui acceptent cependant la position chrétienne en matière sociale. Quant aux catholiques, ils seront fidèles à l’Encyclique de Léon XIII, non pas en s’abritant derrière ce texte, mais en préparant par leurs initiatives les encycliques suivantes sans pour autant s’y asservir à l’avance car « nous ne sommes pas absolument sûrs qu’une Encyclique quelconque sur une matière sociale ou économique sera forcément en accord sur tous les points avec l’action militante des syndicalistes ».

Le texte du SGEN venant en discussion à nouveau au comité national confédéral de janvier 1947, il fit repousser un amendement qui proposait qu’on se réfère à la « doctrine sociale chrétienne ». Le terme de « doctrine », dit-il, désigne trop souvent un « système » ; il le rejetait donc en accord avec Georges Torcq*, alors président de la CFTC avec qui il a eu, précisait-il, de longs entretiens au sujet de cet article 1. François Henry proposa alors de compléter sa formule en y ajoutant l’épithète « sociale » : on se référera « aux principes de la morale sociale chrétienne ».

En outre le texte du SGEN faisait disparaître les allusions à la collaboration de classe (« la paix sociale »), remplaçait « l’organisation professionnelle » par « l’organisation démocratique de la vie professionnelle et économique » ; il mentionnait « l’esprit de fraternité et les exigences de la justice ». Certes Georges Torcq aurait voulu réintroduire le terme « charité » qui avait disparu. F. Henry s’y opposa afin de supprimer une équivoque : pour beaucoup de gens, le terme de charité ne signifie pas comme pour vous, lui dit-il, « l’amour fraternel ». Finalement le texte du SGEN, adopté par le comité national confédéral, fut ratifié par la quasi-unanimité des délégués au congrès de mai 1947.

Pour se consacrer à cette révision des statuts, François Henry avait, l’année précédente, cédé sa place au bureau confédéral à un autre militant SGEN, Fernand Labigne. En effet les réunions étaient mensuelles, voire plus fréquentes quand c’était nécessaire ; en outre dans l’intervalle de ces réunions, il siégeait dans la commission exécutive constituée essentiellement par les membres parisiens du Bureau. Il ne pouvait cumuler plus longtemps cette charge avec son travail dans les organismes de formation, d’autant plus qu’il siégeait à l’époque dans le jury du Certificat d’aptitude à l’enseignement dans les collèges (histoire et géographie). Or il devait ménager sa santé : reçu à l’ENS en 1925, il avait déjà dû alors prendre un congé de maladie d’un an avant d’entrer à l’École en 1926.

Pour la même raison, il abandonnera sa collaboration aux ENO en 1960, c’est-à-dire sept ans avant son départ en retraite. Mais il avait ouvert une voie et incité d’autres enseignants – dont l’auteur de ces lignes – à se mettre au service de la culture ouvrière.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76417, notice HENRY François par Madeleine Singer, version mise en ligne le 22 février 2010, dernière modification le 2 juillet 2010.

Par Madeleine Singer

ŒUVRE : « La CFTC et les problèmes de l’éducation ouvrière », dans Culture ouvrière et action syndicale, éd. Le Cerf, 1956.

SOURCES : Madeleine Singer, Le SGEN 1937-1970, Thèse Lille III, 1984, 3 vol. (Arch. Dép. Nord, J1471) ; Histoire du SGEN, PUL, 1987. — Arch. CFDT, cartons 4H70 à 4H73, 5H125, 6H166, concernant la commission confédérale de formation. — Bulletin de l’ENO CFTC, du n° 1 (janvier 1937) au n° 37 (juillet 1939). — Circulaire mensuelle de la commission confédérale de formation (janvier 1946- décembre 1946). — Formation, juin 1947 (n° 1 « faisant suite à ENO ») à décembre 1960. — École et Éducation, 1937-1949. — Diverses lettres de F. Henry à M. Singer en 1993 et 1994, ainsi qu’un entretien avec lui le 4 novembre 1994. — Gérard Adam, La CFTC. 1940-1958, Colin, 1964. — Frank Georgi, Soufflons nous-mêmes notre forge. Une histoire de la Fédération de la métallurgie CFTC-CFDT 1920-1974, Éditions ouvrières, 1991.— Etat civil.

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