HUCK Lucie

Par Madeleine Singer

Née le 9 mars 1909 à Clichy-la-Garenne (Seine, Hauts-de-Seine), morte le 6 février 1974 à Colombes (Hauts-de-Seine) ; agrégée de physique ; membre du bureau national du SGEN de 1951 à 1966.

Lucie Huck était la fille unique d’Émile Huck, ouvrier menuisier-ébéniste qui réussit à s’établir à son compte, et de Maria-Louise Renaudie, institutrice laïque. Lors de son mariage en 1908 comme lors de la naissance de sa fille, Émile Huck est présentée comme employé de commerce. D’origine protestante, mais sans credo, il avait un temps, disait-elle, subi l’influence du Sillon. Il est certain qu’il orienta sa fille vers les problèmes des classes défavorisées. Il comprit d’emblée le travail syndical que sa fille assuma à la CFTC et, sur son lit de mort, il eut la force de lui demander de le poursuivre. La mère de Lucie était de famille catholique, mais la préparation à son métier, tel qu’il était conçu au début du siècle, l’avait totalement éloignée de la foi. Mariés civilement, les parents de Lucie ne la firent point baptiser et l’élevèrent dans une totale incroyance.

Lucie Huck suivit jusqu’en 1925 les cours de l’EPS Sophie-Germain à Paris, entra en seconde au lycée, puis en 1928, après le baccalauréat, à la Faculté des sciences. De ses années de Sorbonne, elle gardait un souvenir ébloui : suivre l’enseignement d’Irène et de Frédéric Joliot-Curie, se pencher avec eux sur les problèmes de la radioactivité, cela en 1930 n’était pas donné à tout le monde. Agrégée de physique en 1932, elle débuta au lycée de jeunes filles de Nancy et fut nommée en 1936 à Paris, au lycée Fénelon où elle fut chargée en 1950 de la préparation à l’ENSET, puis à celle de l’ENS de Fontenay. Quand cette classe fut supprimée, elle émigra au Lycée Chaptal en préparation Agro, mais revint ensuite à Fénelon, d’abord en Math. Sup., puis en Spéciale A’ où elle enseigna jusqu’à la retraite en 1971. Dans l’intervalle, en 1942, sans qu’on sache ce qui l’incita à lire l’Évangile - elle avait toutefois une grand-mère catholique, navrée de voir sa petite-fille non baptisée - Lucie Huck s’était fait baptiser et avait alors fréquenté le Groupe évangélique du Père Féret grâce à qui la science reprenait ses droits, même dans le domaine spirituel.

À la Libération, elle adhéra au Syndicat général de l’Éducation nationale (SGEN). Elle avait choisi d’exercer son métier dans l’enseignement public et d’en respecter la neutralité. Mais cette neutralité devait être ouverte à toutes les formes de pensée et elle voulait mettre fin au double sectarisme qui, depuis Jules Ferry, avait nourri « la guerre scolaire ». D’autre part ce Syndicat se voulait « général » ; sa mère, institutrice, pouvait y trouver sa place, tout comme elle : Lucie Huck regrettait toutes les formes de défiance entre maîtres de différents degrés. Enfin l’affiliation du SGEN à une Confédération ouvrière permettait une affirmation concrète de solidarité entre toutes les catégories de travailleurs.

Dès qu’elle eût adhéré, elle fut militante. Trésorière depuis 1947 de cette grande Académie qui englobait Amiens, Reims, Orléans, elle adjoignit à cette fonction en 1949 le secrétariat administratif. Les secrétaires académiques passaient, Lucie demeurait et, sans le moindre complexe de minorité, revendiquait la place du SGEN dans les bureaux du Rectorat qui étaient alors sensibles aux influences hostiles à ce Syndicat tout neuf qui venait déranger un certain ordre établi. Elle se consacrait aux plus modestes, aux délégués, aux maîtres auxiliaires (MA). Elle les défendait avec acharnement parce qu’elle vivait en elle-même le caractère aléatoire de leur condition : « J’ai mal à mes MA », disait-elle parfois, rongée de chagrin par un échec qu’il allait falloir annoncer à la victime. Son numéro de téléphone personnel était devenu une annexe du syndicat, même quand elle veilla successivement son père et sa mère mourants.

Mais son activité ne se limitait pas aux tâches administratives et aux démarches au bureau national du Second degré auquel elle participait régulièrement, elle rendait compte par exemple d’une réunion de stagiaires du CAPES ou de la préparation des élections aux commissions administratives paritaires. Adjointe des secrétaires académiques successifs, elle devint en 1958 secrétaire académique et le resta jusqu’à ce qu’en 1964 elle put trouver un remplaçant en la personne de Maurice Eymard. Elle cessa peu après de représenter l’académie de Paris au bureau national des lycées où elle siégeait depuis quinze ans. Elle passait son temps à essayer de susciter de nouveaux militants. L’une d’entre eux parle de « l’art » avec lequel Lucie l’a conduite en délégation au Rectorat, la forçant à dominer « une excessive timidité ». Lucie Huck était toujours prête à se replier sur l’humble, mais astreignant travail du fichier et des démarches, notamment pendant les vacances scolaires. Elle ne prenait guère plus de trois semaines de congés : ainsi sur l’agenda de l’académie de Paris en 1954, on voit qu’elle fut présente avec cinq collègues du 1er au 13 juillet et qu’elle assura seule la permanence du 15 août au 11 septembre.

Elle suivait en même temps les problèmes généraux dans lesquels elle replaçait les cas particuliers qui se présentaient) à elle. Entrée en 1951 au bureau national et au comité national, elle resta au bureau jusqu’en 1966 et ne quitta le comité national que deux ans plus tard. Elle participa activement à l’élaboration du plan SGEN de résorption de l’auxiliariat, à l’action du Syndicat pour la paix en Algérie et la défense des libertés. Elle suivit de près la déconfessionnalisation de la Confédération : le passage de la CFTC à la CFDT constituait à ses yeux la conclusion logique du développement historique de l’organisation.

Or toutes ces responsabilités, elle les assumait sans aucune décharge de service, même partielle. Elle avait une puissance de travail exceptionnelle car son activité syndicale n’a jamais empiété sur son enseignement, comme on le voit par le témoignage de ses anciennes élèves dont elle prenait en charge aussi bien les difficultés matérielles que l’avenir professionnel. Ne voulant pas les abandonner aux aléas des concours aux grandes écoles, elle assurait, en complément bénévole, une sorte de préparation aux IPES Elle avait dû renoncer au plaisir des concerts qu’elle n’avait plus le temps d’aller entendre. Elle se promettait de se rattraper une fois à la retraite. Mais elle continua à assumer encore pendant deux ans la défense des auxiliaires. En 1973, elle ne put retourner qu’à un seul concert, car ce fut la maladie. Elle voulut alors encore servir, en faisant don de son corps à la Recherche médicale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76425, notice HUCK Lucie par Madeleine Singer, version mise en ligne le 23 février 2010, dernière modification le 8 septembre 2010.

Par Madeleine Singer

SOURCES : Syndicalisme universitaire (1955-1974, notamment l’article nécrologique paru le 28 février 1974). — Article d’Huguette Pelletier du 6 avril 1974, dans le Bulletin de l’académie de Paris. — « Lucie Huck : 9 mars 1909-6 février 1974 », par Jean et Laure Mousel, 17 p. dactylographiées et distribuées aux amis de L. Huck (archives privées). — État civil.

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