IKOR Roger

Né le 28 mai 1912 à Paris (XIe arr.), mort le 17 novembre 1986 à Paris (XIIIe arr.) ; écrivain, professeur, journaliste et conférencier ; un temps socialiste ; président fondateur du Centre contre les Manipulations mentales (CCMM).

Roger Ikor était de famille juive. Son père, de souche kohanique, né en Lituanie, émigra en France à l’âge de seize ans, vers le début du siècle. De son métier, il était retoucheur de photos ; il travailla longtemps chez Pirou, la grande maison du bd Saint-Germain, un temps rivale de Nadar. Sa mère, née à Varsovie, avait six mois quand ses parents, en 1890, s’installèrent à Paris ; ils devaient tenir longtemps, jusque vers 1920, une épicerie rue des Hospitalières Saint-Gervais, dans le Marais.

Peu après la naissance de l’enfant, le couple prit un petit commerce de couleurs et vernis rue du Cardinal-Lemoine (Ve arr.), sur les pentes de la Montagne Sainte-Geneviève ; puis, à partir de 1920 et jusque dans les années 1960, une boutique de brocante rue Legendre (XVIIe arr.), aux Batignolles. La formation de Roger Ikor fut donc entièrement parisienne.

Élève d’une école primaire d’abord rue Saint-Victor, dans le Ve arr., puis rue de Florence, dans le VIIIe arr., il fréquenta ensuite le lycée Condorcet jusqu’au baccalauréat, puis la khâgne de Louis-le-Grand. Reçu à l’École normale supérieure en 1934, agrégé de grammaire en 1935, il fut professeur à Avignon de 1937 à 1939. Il fit la guerre comme lieutenant d’infanterie : campagnes de Lorraine (septembre 1939) et de Belgique (10-29 mai 1940), fut fait prisonnier à Lille et connut cinq années de captivité dans un Oflag poméranien. Au total, en comprenant l’année de service militaire : sept ans sous l’uniforme. À partir de 1945, Roger Ikor fut professeur dans divers lycées parisiens, puis maître-assistant à la Sorbonne, enfin professeur honoraire à partir de 1973.

En 1929-1930, à Condorcet, Roger Ikor eut pour professeur de philosophie Félicien Challaye. Ce grand universitaire qui avait été le compagnon de Brazza au Congo, professait le pacifisme intégral et l’anticolonialisme. D’où la colère de l’extrême droite fascisante qui déclencha cette année-là contre lui des manifestations dans le lycée et au dehors. Peut-être sous l’influence indirecte de son maître, Ikor venait d’adhérer à la LAURS, la Ligue d’action universitaire républicaine et socialiste fondée quelques années plus tôt par Mendès-France ; il en avait monté une section au lycée. Le petit groupe tenta de réagir contre les manifestations hostiles à Challaye. Il y eut des heurts, de courtes bagarres, des charges de police dans la gare Saint-Lazare, et aussi une pétition à laquelle quelques journaux de gauche firent écho.

L’année suivante, hypokhâgneux à Louis-le-Grand (avec, comme professeurs, entre autres, Albert Bayet et Lavelle), Ikor qui, entre-temps, avait aussi adhéré aux Étudiants socialistes, en forma au lycée une section qui compta bientôt une centaine de membres, dont Georges Pompidou et Léopold Senghor. Le secrétaire national était Claude Lévi-Strauss, le secrétaire du groupe de Paris, à partir de 1931 ou 1932, Max Lejeune, avec lequel Ikor travailla assez étroitement.

Selon son témoignage : « dans ces années 30-34, la vie n’était pas rose pour la gauche au Quartier latin. D’un côté, 500 étudiants socialistes, 80 communistes de l’UFE et une poignée de radicaux ou « frontistes », de l’autre une dizaine de milliers au moins de Jeunesses patriotes, Camelots du Roy, Chemises bleues, etc., militarisés, armés, parfois en uniforme, et soutenus de surcroît par une police complaisante. Une véritable terreur régnait. Les bagarres étaient incessantes, certaines sanglantes... ».

Sous l’effet de cette situation, une évolution notable se produisit dans l’esprit d’Ikor. Arrivé au Quartier latin avec les illusions du rêveur qu’était Félicien Challaye, il comprit assez vite que, devant ce fascisme ouvert et virulent, les débats d’idées étaient vains. Certes, des plages plus paisibles subsistaient encore. Il put ainsi un jour, comme secrétaire des ES de Louis-le-Grand, exposer sans drame le point de vue socialiste à une assemblée de Jeunesses Patriotes où l’avait invité un camarade de classe membre de cette organisation. D’autre part, certains liens humains pouvaient se maintenir avec l’Action Française dont l’antisémitisme n’atteignait pas à la bestialité nazie. Néanmoins, il était clair que la violence physique était reine.

Un voyage en Allemagne, à l’automne 1932, accentua son évolution, et le marqua très profondément. Le jour où, appuyé sur sa bicyclette au bord de la route, il vit défiler devant lui des bataillons de SA chantant « Frankreich wollen wir vernichten » (nous voulons détruire la France), il comprit que si ces gens arrivaient au pouvoir, la guerre ou l’esclavage seraient inévitables, et qu’aucune mesure pacifiste unilatérale n’y pourrait rien. Il rompit alors avec Félicien Challaye*et se rallia à l’idée d’une démocratie armée, combative ; il devait aller plus tard jusqu’à appeler à une guerre, sinon préventive, du moins déclenchée à temps.

Dès la fin de 1933, le Quartier latin sentait monter l’émeute fasciste à partir de l’affaire Stavisky. Exaspéré par la mollesse socialiste, Ikor se rapprocha des communistes. Néanmoins, le soir du 6 février, c’est à la permanence des JS, rue Feydeau (IIe arr.), qu’il se rendit ; puis, avec quelques camarades, il se joignit à un groupe de deux ou trois cents communistes qui marchaient sur la Concorde dans l’espoir de « submerger les trublions fascistes sous les masses populaires ». En chemin, devant l’Humanité, un dirigeant du PC, Marty (?), harangua la foule en s’en prenant surtout aux « social-fascistes »... Arrivé à la Concorde, le groupe se volatilisa dans l’émeute.

Le 9, à la République, Ikor fut de ceux que la police refoula dans le métro. Le 12, à la Nation, il était de ceux qui poussaient les chefs socialistes dans les bras des chefs communistes. Ensuite, il participa anonymement aux diverses manifestations qui marquèrent le redressement des forces de gauche. Il se fit même arrêter pour « rébellion à agents » lors de la manifestation dirigée par Marceau Pivert, près de la Tour Saint-Jacques, en avril et passa 24 heures au poste de police des Halles (cf. À travers nos déserts et Le Tourniquet des innocents).

Une fois à l’École normale, Ikor, comme bien d’autres alors, hésita entre communistes et socialistes. Il adhéra, pour peu de temps, au Comité Amsterdam-Pleyel ; mais il présida aussi, pendant un an, le Cercle d’études socialistes de l’ENS. À ce titre, lors d’élections étudiantes qui eurent lieu dans les facultés, il fut des deux ou trois négociateurs qui parvinrent, à grand peine, à mettre sur pied une liste commune socialiste-communiste, dite liste Tao, qui l’emporta de justesse à la Sorbonne, en dépit d’une bagarre avec les Ligues.

À noter, à partir de 1935-1936, une expérience intéressante et trop peu connue à laquelle il participa. Deux normaliens socialistes de sa promotion, Stéphane Piobetta et Roger Pagosse, fondèrent « Les Camarades ». C’étaient des groupes culturels tripartites, étudiants, ouvriers et employés, un peu sur le modèle des équipes sociales de Garric, mais laïques, et destinés à renouveler l’expérience des universités populaires sous une forme plus maniable : les groupes ne devaient pas dépasser quinze membres. D’assez nombreux groupes furent formés à Paris et en province ; la guerre y mit un terme.

À partir de 1936, son militantisme se manifesta par la plume. Très blumiste d’abord, déçu ensuite par la non-intervention et par Munich, Ikor pencha de nouveau vers les communistes, sans jamais toutefois se joindre réellement à eux. Il connut aussi vers ce moment une brève phase trotskiste, en compagnie de David Rousset. À la veille de la guerre, il amorça une collaboration avec La Pensée de Cogniot et Regards. Le Pacte germano-soviétique mit un terme définitif à ces velléités de rapprochement.

En captivité, Roger Ikor, dénoncé dès la fin 40 comme « meneur » d’activités « antinationales », participa fin 1943 ou début 1944 à la fondation des Groupes Liberté (organisation de résistance de l’Oflag) ; il en fut chef de bloc et directeur du journal clandestin. Il était membre également de la section socialiste. Une tentative d’évasion vers les Russes aboutit à sa reprise après un mois d’errance dans les lignes allemandes (cf. Pour une fois écoute, mon enfant).

Revenu en France, il collabora dès juillet 1945 aux Lettres Françaises ; il s’en écarta lorsque les communistes dirigèrent seuls le journal. Plus tard, en 1956, il collabora à Demain ; puis, pendant cinq ou six ans, chaque semaine il donna une chronique dans Démocratie (toute la dernière page) et apporta un appui vigoureux dans Le Monde (deux articles) à Mitterrand, candidat contre de Gaulle. Parallèlement, il déploya une activité continûment antiraciste (une étude dans la Nef, notamment).

En 1956, il participa à la solidarité avec les travailleurs hongrois.

En fait, depuis la publication de son premier roman en 1950, Ikor s’était fait une loi de ne s’astreindre à la discipline d’aucun parti ; à peine une ou deux tentatives timides de participer à des groupes d’écrivains socialistes. Il l’avait dit plusieurs fois, un écrivain selon lui ne se doit qu’à l’expression de sa vérité, sans ménagements pour ses amis politiques. Même pendant sa longue collaboration à Démocratie, il ne fut pas membre du Parti (il ne l’a d’ailleurs été, sauf aux ES, que très momentanément : aux JS vers 35, lors de la période trotskiste, et à la 17e section de Paris). Sa pensée n’a néanmoins cessé de graviter autour du PS. Simplement, elle s’est exprimée à travers son œuvre romanesque, par ce qu’il appelle la « pente » de l’ouvrage ; et de manière plus directe, bien sûr, dans les essais et articles divers.

Depuis 1981, il était entièrement engagé dans la lutte contre les « sectes », qu’il estimait être une forme particulière du totalitarisme et de l’obscurantisme.

Lorsqu’il enseignait, il avait longtemps appartenu au SNES. Nombre de ses ouvrages sont consacrés aux problèmes de l’éducation.

Il fut enfin vice-président de l’Union rationaliste et des Amis de Zola.

Roger Ikor était veuf depuis 1978 et père de cinq garçons.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76506, notice IKOR Roger, version mise en ligne le 15 avril 2010, dernière modification le 3 juillet 2021.

ŒUVRE : La quasi-totalité de ses ouvrages a été publiée chez Albin-Michel.

SOURCES : Autobiographie de Roger Ikor, mai 1983. — Le Monde, 19 novembre 1986.

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