HEUMANN Gauthier [HEUMANN Günther/Gonthier, Ernest]

Par Françoise Olivier-Utard, Léon Strauss

Né le 17 juin 1916 à Strasbourg (Basse-Alsace, Alsace-Lorraine annexée), mort le 19 septembre 1992 à Strasbourg (Bas-Rhin) ; journaliste de la presse communiste, auteur d’ouvrages politiques et historiques ; rédacteur en chef de l’Humanité d’Alsace et de Lorraine (1948-1959), directeur de l’Humanité 7 jours (1959-1991), membre du bureau fédéral du Bas-Rhin (1953-1957, 1966-1992).

Gauthier Heumann était l’aîné de cinq enfants. Son père, Edouard-Roland, né en 1883, avait une entreprise de maroquinerie à Strasbourg. Sa mère, Marie-Joséphine Issenhuth, née en 1890, n’avait pas de profession. Le père était protestant et la mère catholique, mais les enfants reçurent une éducation protestante. Gauthier Heumann fit ses études au Gymnase protestant de Strasbourg et fut éclaireur unioniste. Son bac passé à dix-sept ans, il entreprit deux années de théologie protestante à l’université de Strasbourg, puis se réorienta en faculté de médecine où il rencontra Gertrude Selma Steib, née le 3 mars 1917 à Graishausen (Suisse), étudiante en médecine qu’il épousa le 12 mars 1940 et qui devint ensuite pédiatre.

En 1939-1940, il fut médecin auxiliaire au centre de recherches marines de Banyuls (Pyrénées-Orientales). De juillet 1940 à juillet 1941, il vécut à Marseille (Bouches-du-Rhône) et tenta de gagner les États-Unis, accompagné d’un ami médecin juif allemand, du nom de Jacobsohn, qui avait fui le nazisme. Leurs démarches n’aboutirent pas. Ils se replièrent à Pringy (Haute-Savoie), de juillet 1941 à juin 1942. Le 15 juin 1942, Jacobsohn, qui n’avait pas de permis de séjour, et Gauthier Heumann furent arrêtés à Annemasse mais réussirent à s’évader, grâce à la complaisance d’un brigadier d’origine alsacienne. Ils passèrent en Suisse où se trouvait l’épouse de Gauthier. Les beaux-parents Steib, Alsaciens d’origine, étaient en effet revenus en 1939 dans la ferme où ils s’étaient déjà réfugiés de 1914 à 1925. Ils attendaient la nationalité suisse mais ne l’obtinrent pas et furent déclarés apatrides. Heumann vécut clandestinement à Genève. Arrêté en octobre 1942 par la police suisse, il fut interné dans divers pénitenciers à Berne puis à Coire. Il fut libéré de novembre 1943 à avril 1944, au moment de la naissance de sa fille. De mai à septembre 1944, il fut interné à nouveau dans un camp de travail près de Zurich. Le 5 octobre 1944, il s’engagea, avec les Alsaciens du camp, dans le Groupe Mobile d’Alsace, qui fut rattaché à l’armée De Lattre dans le Jura. Il participa à la bataille de Seppois, près de Mulhouse et rentra à Strasbourg en décembre 1945, avec le grade de lieutenant.

Il adhéra au PCF à son retour à Strasbourg et, renonçant à terminer ses études de médecine, travailla comme journaliste au quotidien communiste rédigé en langue allemande, l’Humanité d’Alsace et de Lorraine, alors dirigé par Alfred Roeslin*. La maladie empêchant bientôt celui-ci d’assumer ses fonctions, Heumann le remplaça en tant que rédacteur en chef, en 1948. Il devint dès lors le patron de la presse communiste alsacienne. Premier journal quotidien à reparaître dans l’Alsace libérée, l’Humanité d’Alsace-Lorraine se vendait à plusieurs milliers d’exemplaires et remplaçait, pour le public dialectophone, l’Humanité de Paris. La politique éditoriale visait essentiellement la région et tenait les lecteurs informés des luttes locales, grâce à un réseau de militants qui servaient d’informateurs et auxquels Gauthier rendit très régulièrement visite jusqu’à la fin : mines de potasse, SACM, Manurhin, DMC, mines de charbon, aciéries, SNCF, ce qui faisait que le journal était lu dans les grands centres ouvriers du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Les rédacteurs étaient le plus souvent des militants issus de la base et formés par le parti. L’imprimerie commerciale assurait une source de rentrées. Le financement du journal fut soutenu jusqu’au bout par le CC. Une Fête de l’Humanité d’Alsace-Lorraine était organisée tous les ans dans le grand hall de la Foire-exposition du Wacken, à Strasbourg. Elle rassemblait des milliers de personnes. Les Alsaciens montaient aussi un stand à la Fête de l’Humanité en région parisienne.

Des divergences d’analyse se manifestèrent entre Heumann et certains envoyés du Comité central, à qui il reprochait de ne pas comprendre la situation alsacienne et qui, de leur côté, le trouvaient trop éloigné des positions du CC. Il eut parfois maille à partir avec Joseph Mohn*, secrétaire de l’UD- CGT du Bas-Rhin, qui lui reprochait, par contre, son dogmatisme et sa russophilie.

Les grandes unes du journal furent consacrées à la dénonciation du plan Marshall, au procès d’Oradour, au réarmement de l’Allemagne fédérale, aux guerres d’Indochine et d’Algérie. En 1956, au moment des événements de Hongrie, le siège du parti, les locaux de l’imprimerie (rue des Francs-Bourgeois) et la librairie du Rhin (rue des Serruriers) furent assaillis par des manifestants en grande partie composés d’étudiants de droite qui saccagèrent complètement les locaux, détruisirent les archives. Il y eut des blessés de part et d’autre. Il fallut organiser la garde nocturne des locaux pendant un an.

La marginalisation du parti en Alsace entraîna la disparition de l’édition quotidienne en janvier 1959 et son remplacement par un hebdomadaire, l’Humanité 7 jours.

Les relations entretenues entre l’Humanité d’Alsace et de Lorraine et la Sächsische Zeitung conduisirent Heumann une fois ou deux seulement à Dresde (RDA). Les liens avec la RDA, qui semblaient étroits puisque le journal alsacien publiait de nombreux articles directement envoyés de Dresde, n’étaient en définitive que formels.
Gauthier Heumann eut à cœur de mettre l’accent sur les questions régionales dès le milieu des années 1970. « Dix propositions pour sauver l’Alsace » abordaient de façon pionnière les questions liées à la décentralisation et à la régionalisation. Il tenta aussi un rapprochement avec les chrétiens, mais la résistance des autorités religieuses fut inébranlable du côté catholique.

La modernisation du journal, par le passage à la langue française, la professionnalisation des journalistes et l’intérêt pour les questions sociétales nouvelles intervint trop tard. Le lectorat s’était rétréci aux vétérans. Heumann conservait l’espoir que le journal pourrait regagner de l’audience mais, après la librairie et l’imprimerie, il fallut renoncer aussi à l’édition. Le journal cessa de paraître en 1991.

Gauthier Heumann était entré au CF en 1947 et au BF en 1948. Il y fut élu jusqu’en 1957. Il y retourna de 1966 à 1992. Entre temps, il fut membre du comité fédéral.

Il s’intéressait aux questions linguistiques et culturelles et rédigea même un ouvrage historique sur la Guerre des paysans alsaciens de 1525, publié d’abord sous forme de feuilleton. Il fut aussi actif à la FSGT et anima pendant quelques années l’équipe de basket du club Égalitaire de Strasbourg-Neudorf.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76602, notice HEUMANN Gauthier [HEUMANN Günther/Gonthier, Ernest] par Françoise Olivier-Utard, Léon Strauss, version mise en ligne le 10 mars 2010, dernière modification le 21 janvier 2022.

Par Françoise Olivier-Utard, Léon Strauss

ŒUVRE : Zum 10. Jahrestag der Ermordung von Georges Wodli. Der Freiheitsheld des Elsass, Strasbourg, 1953. — La question culturelle et linguistique en Alsace dans Analyse de l’Alsace, Paris, 1955, p. 99-150. — 40 Jahre Kommunistische Partei Frankreichs, Strasbourg, 1960. — Résistance, Strasbourg, 1965. — Der Volksfront, Le Front populaire en Alsace et en Lorraine, Strasbourg, 1966. — La Guerre des paysans d’Alsace et de Moselle (1525), Paris, 1975.

SOURCES : Arch. Dép. Bas-Rhin R 544 D 40. — Arch. Dép. Seine-Saint-Denis 261 J 67. — Arch. comité national du PCF, biographies de la Section Montée des cadres. — Françoise Olivier-Utard, « Du quotidien l’Humanité d’Alsace-Lorraine au magazine l’Humanité 7 jours : grandeur et déclin de la presse militante germanophone », in José Gotovitch et Anne Morelli (dir.) , Presse communiste. Presse radicale (1919-2000), Bruxelles, 2007, p. 205-219. — L’Humanité, Paris, 24 octobre 1992. — Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, fascicule n° 16, Strasbourg, 1990, p. 1570. — Entretien avec Gertrude Heumann, son épouse, le 22 mars 1999.

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