BROUTCHOUX Benoît

Par Jean Maitron

Né le 7 novembre 1879 à Essertenne (Saône et Loire) ; mort le 2 juin 1944 à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) ; militant mineur de tendance anarcho-syndicaliste, il marqua très fortement de son empreinte un courant revendicatif dans le bassin houiller du Pas-de-Calais.

Benoît Broutchoux débuta dans une ferme comme charretier, travailla dans diverses entreprises, puis à Montceau-les-Mines. Le 7 septembre 1900 il fut condamné par défaut à six mois de prison et deux années d’interdiction de séjour pour avoir, le 5 août, exercé des violences sur le commissaire spécial des chemins de fer de Chalon-sur-Saône. Arrêté en octobre à Montceau-les-Mines, il réussit à s’échapper. De nouveau arrêté, sa peine fut fixée à quatre mois en janvier 1901. Ce n’était que la première d’une longue série de condamnations.

À sa sortie de prison, en compagnie d’un groupe de mineurs de Montceau-les-Mines ayant accepté de venir travailler dans les charbonnages du Pas-de-Calais, il gagna Auchel, se faisant appeler Benoît Delorme grâce aux papiers que lui prêta un de ses camarades (ceci lui vaudra d’être poursuivi pour usage de faux papiers).

À la fin de 1902, Broutchoux vint à Lens (Pas-de-Calais) et s’opposa à la direction du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais incarnée par Émile Basly et Arthur Lamendin. Quoique libertaire, il réussit à prendre une position prépondérante dans le « Jeune Syndicat » des mineurs fondé à la fin de 1902 par les guesdistes et à y faire triompher les thèses du syndicalisme révolutionnaire ; il prit la direction du Réveil syndical (avril-octobre 1903) puis de l’Action syndicale. La catastrophe de Courrières (Pas-de-Calais), survenue le 10 mars 1906, par l’émotion qu’elle suscita, permit au « Jeune Syndicat » de menacer sérieusement la prépondérance du « Vieux Syndicat ». La grève qui suivit la catastrophe mit en vedette Benoît Brouchtoux, auquel, sur le rapport du commissaire spécial de Lens, Clemenceau accorda une très grande importance : celui-ci, notamment lors de sa visite à Lens, reçut Broutchoux et participa à une réunion organisée par lui. Les « broutchoutistes » ayant tenté de prendre d’assaut la mairie de Lens, Broutchoux fut arrêté avec trois de ses camarades, le 20 mars 1906, au cours d’une réunion tumultueuse de 1 500 grévistes, présidée par Émile Basly, et, le 23 mars 1906, condamné par le tribunal de Béthune (Pas-de-Calais) à deux mois de prison pour « violences à agent et rébellion ». Pierre Monatte le remplaça pendant son incarcération. L’année suivante, en août, ils assisteront l’un et l’autre à Amsterdam au congrès anarchiste international. De 1906 à 1908, Broutchoux tint un café à Lens et ayant acheté une petite imprimerie à Wingles (Pas-de-Calais), il rédigea et imprima lui-même, avec Georges Dumoulin, L’Action syndicale, hebdomadaire qui tirait entre 3 500 et 5 000 exemplaires, allant parfois jusqu’à 12 000. Très violent, très généreux, Broutchoux s’occupait sans aucun ordre aussi bien des affaires de son café que de celles de son syndicat et ceci facilita les attaques des « baslycots » contre lui et, en 1908, les accusations d’avoir dilapidé des fonds réunis en faveur des veuves de Courrières, Le « broutchoutisme », lié à la CGT, perdit alors beaucoup de son influence dans les mines du Pas-de-Calais, non sans des « retours de flammes » lors des grèves importantes. En décembre 1909, Broutchoux encouragea la grève des ouvriers occupés à la construction du canal du Nord, félicita ces ouvriers pour leurs actes de sabotage et, le 18 janvier 1910, fut arrêté à Metz-en-Couture (Pas-de-Calais) au milieu de cinquante grévistes, alors qu’il venait d’attaquer violemment le préfet du département. Son avocat s’étant engagé à ce que le militant ne retourne plus sur les chantiers du canal du Nord, Broutchoux fut relâché. Il devait cependant être à nouveau arrêté à Rouvroy (Pas-de-Calais) le 13 février 1910, alors qu’il attendait un ouvrier du canal.

Antérieurement à 1914, Broutchoux participa aux congrès nationaux corporatifs de Marseille, octobre 1908, et du Havre, septembre 1912. Il était secrétaire de l’Union départementale en 1914.

Lors du déclenchement de la guerre de 1914, le préfet du Nord donna l’ordre d’arrêter les quarante et un militants qui figuraient à son répertoire. Puis on décida de les libérer tous afin de les mobiliser. Mais l’officier chargé de les relaxer apposa par inadvertance sa signature au bas d’une page, après le quarantième nom ; de ce fait, le quarante et unième, Broutchoux (dont le nom figurait au verso) devait demeurer en prison jusqu’en septembre. Mobilisé au 59e régiment d’infanterie, il combattit, puis, en raison de lésions pulmonaires, fut déclaré, en mars 1916, réformé temporaire. Il participa en septembre 1916 au Comité de défense syndicaliste d’esprit libertaire, collabora à CQFD de Sébastien Faure, participa au mouvement syndical, mais toujours en militant anarcho-syndicaliste.

Il apparait dans une affaire de multiples vols de gare en 1920. A la suite d’un procès à la 11e chambre correctionnelle de Paris. En mars 1920, il est condamné à 13 mois de prison et 500 fr d’amendes. La peine est réduite en appel en juin 1920.
Après la guerre, il fut un temps de la CGTU et même se laissa aller, dira Le Meillour, à une « erreur bolchevisante d’un jour » (Le Libertaire, op. cit.). En 1924, il participa à l’essai pour rendre quotidien Le Libertaire, puis il s’établit dans le Midi de la France.

En février 1931, son fils, Germinal, fut tué par un gendarme à Bobigny (Seine) à la suite d’une affaire de droit commun et Benoît Broutchoux, attaqué dans la presse, fut défendu par les anarchistes, par Le Meillour notamment qui dans un article intitulé « Fermez vos gueules ! » déclarait que le passé de Benoît Broutchoux était tout à son honneur.

Quelques années plus tard, Broutchoux, malade et dans la misère, fut soutenu par les équipes de Plus loin, revue du Dr Pierrot (cf. décembre 1938) et par Syndicats. Il ne mourut que six années plus tard alors que son cerveau « n’avait plus que des lueurs fugitives ». Il fut enterré à l’église « où ce qui restait de lui n’avait pas sa place » (G. Dumoulin, op. cit.).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76768, notice BROUTCHOUX Benoît par Jean Maitron, version mise en ligne le 25 mars 2010, dernière modification le 6 décembre 2020.

Par Jean Maitron

Benoît Broutchoux au congrès de la CGT au Havre, en 1912
Benoît Broutchoux au congrès de la CGT au Havre, en 1912

ŒUVRE : COLLABORATIONS : (autres que celles déjà signalées) Terre libre (n° 1, 15 novembre 1909), La Plèbe, avril-mai 1918.

SOURCES : Arch. Nat F7/13053, BB 18/2206 (2356 A 01) et BB 18/2330, dr. 382 A 06. — Arch Dép. Nord, M 156/1, 157/1 et 2. — Arch. Dép. Pas-de-Calais, M 2068. — État civil de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne). — Interviews de Georges Dumoulin et Joseph Wéry. — Le Réveil syndical (avril-octobre 1903). — l’Action syndicale (1904-1907). — Jean Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste en France 1880-1914, op. cit., — Édouard Dolléans, Histoire du Mouvement ouvrier, Paris, 1953, t. II, p. 217, n. 6. — Cl. Willard, Les Guesdistes, pp. 570 et 694. — Julliard, étude dans le Mouvement social, n° 47, avril-juin 1964. — Le Meillour, article dans Le Libertaire, 21 février 1931. — G. Dumoulin, article dans l’Atelier, 17 juin 1944. — Les aventures épatantes et véridiques de Benoît Broutchoux par Phil et Callens, éditions « Le dernier terrain vague », Paris, s.d. (1979 ?).

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