Par Jean-Joseph Chevalier
Né le 17 octobre 1846 à Cholet (Maine-et-Loire), mort le 17 octobre 1931 à Cholet ; tisserand à la cave à Cholet ; co-fondateur puis vice-président et président de la Chambre syndicale des ouvriers tisserands du rayon industriel de Cholet (1882-1888) ; conseiller municipal socialiste de Cholet (1889-1894).
Jules Allard naît dans le quartier des Câlins où son père est tisserand à la cave et sa mère dévideuse. Marié le 21 février 1870 à Henriette Collet (1846-1939), retordeuse, il n’en eut pas d’enfant.
Durant l’été 1882, il est l’un des sept tisserands à l’origine de la Chambre syndicale des ouvriers tisserands du rayon industriel de Cholet (CSOT) et en devient, le 23 août, le vice-président. Le 4 octobre 1882, il fait partie de la commission de trois membres choisie par le conseil de direction en son sein pour élaborer un tarif à proposer aux fabricants et inciter ces derniers à former une Chambre patronale qui sera l’interlocutrice de la Chambre ouvrière. Accepté par une très large majorité de fabricants à l’issue de nombreuses rencontres entre les représentants des tisserands et ceux des patrons, le tarif entre en vigueur le 1er février 1883. C’est le premier tarif jamais adopté dans le rayon industriel de Cholet au terme de discussions entre ouvriers et patrons. Il est imparfait et ne vaut pas pour toutes les fabrications mais constitue une étape historique dans les luttes des tisserands choletais pour l’amélioration de leurs conditions de vie et leur dignité. Le 28 mars 1885, il devient président de la Chambre et le reste jusqu’en avril 1888.
Jules Allard joue un rôle de premier plan dans la très longue grève générale du textile lancée le 17 septembre 1887 pour obtenir le renouvellement du tarif adopté en 1883. C’est au cours de cette grève que, le lundi 24 octobre, la question de l’adhésion de l’organisation choletaise à une force politique ouvrière nationale - la question de la « fédération » posée ici depuis 1884 mais jusqu’alors ajournée - est à l’ordre du jour de l’assemblée générale trimestrielle de la Chambre et soumise au vote des adhérents. Le moment a semblé favorable aux dirigeants les plus avancés. Dans leur action collective en effet, les tisserands choletais ont obtenu le soutien de journaux, d’organisations et de personnalités se réclamant de la Fédération des travailleurs socialistes de France (FTSF) dirigée par Paul Brousse avec laquelle - à la lecture des procès-verbaux de la Chambre - les militants choletais semblent avoir des liens privilégiés (à Paris : Victor Dalle, Simon Soëns, Jules Joffrin, Jean-Baptiste Dumay ; à Châtellerault : Georges Limousin, Eugène Audinet, Clément Krebs). La nouvelle municipalité de Paris (8 et 15 mai), a voté, à l’initiative des conseillers appartenant au « parti ouvrier » tout juste élus, un secours de 10 000 francs aux grévistes choletais. Le congrès de la FTSF qui se tient à Charleville en octobre 1887 et où les Cercles des études sociales de Cholet sont représentés par Jean-Baptiste Dumay a protesté contre le décret du gouvernement annulant la délibération du conseil de Paris. Une collecte y a été faite en faveur des grévistes de Cholet. C’est dans ce contexte que le Président Jules Allard appuie le vibrant appel de Pierre Chupin, sans doute le plus avancé des syndicalistes choletais, en faveur de l’adhésion au « parti ouvrier ». Elle est adoptée.
L’Intérêt public du 30 octobre 1887 exprime alors les craintes de la bourgeoisie face à la prise de conscience politique des ouvriers et jette l’alarme :
« C’est désormais l’adhésion officielle des ouvriers choletais au parti socialiste international. Le président, le citoyen Allard, a engagé les ouvriers ’’à entrer résolûment (sic) dans la lutte des classes’’ ; [...] le comité socialiste, qui a pris la direction du mouvement ouvrier dans la région choletaise, se prépare à saisir la première occasion pour organiser un mouvement révolutionnaire et anarchique dans le but de s’emparer des pouvoirs publics locaux. C’est la mise en pratique des théories exposées par les socialistes parisiens : ’’L’administration et tous les conseils électifs entre les mains des ouvriers socialistes" ».
Jules Allard réplique immédiatement par une lettre que L’Intérêt public a accepté de publier dans son édition du 6 novembre :
« Vous nous traitez d’anarchistes et [dites] que nous voulons nous emparer des pouvoirs publics, cela est aussi bien notre droit que le vôtre. Vous dites également que nous organisons un mouvement révolutionnaire. Nous pouvons vous certifier, Monsieur, que nous chercherons tous les moyens possibles pour nous sortir des mains de tous les exploiteurs qui veulent nous faire mourir de faim. »
En cet automne 1887, la tension sociale et politique est extrême. L’adhésion de la Chambre syndicale au « parti ouvrier » a mis fin à la neutralité paternaliste et condescendante du discours qu’avait tenu jusqu’alors sur elle l’hebdomadaire conservateur. Secondés par la feuille conservatrice qui dénonce à l’envi l’orientation socialiste, appuyés par le maire conservateur de Cholet qui y publie une série d’articles sur les syndicats professionnels et relayés par l’armature cléricale du pays, les patrons s’emploient à susciter une scission de la Chambre ouvrière en opposant tisserands à la cave et tisserands en usine, ville et campagne, action économique et action politique. Ainsi, annonçant la création de syndicats locaux dissidents (qui se dénommeront Syndicats de Prévoyance des Tisserands à la main), L’Intérêt public du 13 novembre écrit-il qu’ « au lieu de chercher à provoquer la guerre des classes, [les Prévoyants préfèrent] obtenir l’entente entre patrons et ouvriers par des voies légales et pacifiques ».
Pendant la longue grève de l’automne 1888 pour le renouvellement du tarif de 1883 et le maintien de son extension aux cotonniers, Jules Allard, sans responsabilité dans la Chambre depuis sa candidature aux élections municipales des 6 et 13 mai 1888, intervient à plusieurs reprises en assemblée générale pour dénoncer avec virulence les Prévoyants (« ces êtres vils et rampants qui se fonts les complices des affameurs et qui ont fondé un nouveau syndicat dans le but évident de rompre le tarif obtenu à si grande peine l’année dernière », le « syndicat des sacristains ») et les patrons des tissages mécaniques qui viennent de fonder leur propre syndicat et envisagent le lock-out des ateliers comme moyen de combattre le mouvement de grève (« c’est nous qui allons les forcer à fermer leurs usines en criant, nous ne voulons plus travailler dans vos bagnes »).
Le 25 novembre 1888, à l’assemblée de la Chambre syndicale qui clôt le mouvement de grève, Allard, comme Eugène Bodin avant lui, offre son concours au conseil de direction pour faire de la « propagande dans les campagnes ». La grève a été un échec, la division du mouvement syndical est actée et les patrons à la mécanique se donnent une organisation propre. Circonstance aggravante, L’Intérêt public utilise l’affaire Louis Chérion, conseiller municipal socialiste auquel la jeune organisation a confié imprudemment ses fonds dans le cadre d’un projet de Banque populaire, pour décrédibiliser la Chambre syndicale et ses dirigeants. Le moral collectif est au plus bas et de nombreux tisserands, en particulier dans les campagnes, délaissent l’organisation. Dans ce contexte déprimant, Jules Allard paie de sa personne et donne l’exemple pour relancer la mobilisation.
Dans les années qui suivent, il reste un militant actif et très disponible intervenant dans les assemblées générales et apportant volontiers son concours : en mars 1889, membre de la délégation choletaise à l’Exposition universelle de Paris ; en mars 1892, participation à la rédaction d’un nouveau tarif que la Chambre entend proposer aux fabricants ; en janvier 1894, avec Pierre Biton, proposition de création d’une « coopérative de consommation » par l’ensemble des organisations syndicales de l’agglomération choletaise pour « soustraire les travailleurs à l’exploitation de commerçants souvent hostiles à nos revendications ».
En 1895, il participe à la préparation de la tenue à Cholet du 3e congrès annuel de la Fédération du Textile dont les prémices avaient été esquissées en 1891 à l’initiative des Choletais avec la Fédération des tisseurs et similaires de l’Ouest. Le moment venu, il est l’un des représentants de la Chambre syndicale à ce congrès qui, réuni du du 15 au 19 mai, est clos publiquement par Jules Guesde.
En septembre 1898, il représente, avec René Guérin, la Fédération des Tisseurs de l’Ouest et la Chambre syndicale des ouvriers tisserands de Cholet au congrès confédéral de Rennes (Xe congrès national corporatif, IVe congrès national de la CGT].
Il n’apparaît plus ensuite qu’exceptionnellement - mais est-ce l’effet d’une documentation insuffisante ? - dans la vie sociale choletaise dans des contextes et des circonstances où sa vieille expérience et son autorité morale sont sollicitées.
Le 12 novembre 1904, il est nommé par le sous-préfet membre de la Commission d’arbitrage de l’industrie textile du rayon choletais en application de la loi du 27 décembre 1892 sur la conciliation et l’arbitrage (les autres ouvriers sont Pierre Biton, vice-président ; Elie Cartron secrétaire ; Humeau, Morin et René Guérin, membres). La Commission comprend six patrons et six ouvriers (de la CSOT et du Syndicat de Prévoyance).
En décembre 1908, il est membre de la commission chargée par les organisations syndicales textiles de répartir entre les chômeurs la subvention de 2 000 francs accordée par le conseil municipal de Cholet. Le 30 octobre 1910, alors que le textile est en grève depuis cinq semaines, il dirige la délégation convoquée par le maire républicain de Cholet dans le cadre de ses démarches pour faire prévaloir la voie de l’arbitrage dans ce dur et long affrontement.
Comme socialiste engagé dans la mouvance possibiliste de la FTSF, Jules Allard élargit très tôt son action syndicale vers le champ politique municipal. Aux élections des 6 et 13 mai 1888, il figure sur la liste formée par les socialistes de Cholet. Élu au second tour, il est l’un des sept représentants du « parti ouvrier » - parmi lesquels cinq tisserands - qui accèdent au conseil municipal au côté de treize républicains et deux conservateurs. Dès la première séance, Jules Allard et ses amis proposent la « laïcisation des écoles municipales de filles » et une « augmentation de 25 centimes par jour avec réduction de la journée à 10 heures » pour les ouvriers occupés par la Ville. Aux municipales des 1er et 8 mai 1892 puis des 17 et 24 juillet 1894, toujours sur une liste socialiste, il est réélu. Candidat à nouveau en mai 1896 (toujours sur liste socialiste) et en mai 1900 (socialiste sur liste de concentration républicaine), il n’est pas réélu.
Avec Pierre Biton, Pierre Chupin, Eugène Bodin, Victor Bonin, Francis Thomas et René Guérin, Jules Allard est l’une des grandes figures du mouvement ouvrier choletais.
Par Jean-Joseph Chevalier
SOURCES : Arch. Dép. Maine-et-Loire, 71M1. — Arch. mun. Cholet, 1F26-33, 2F32, 35J1, 35J2, 35J3. — L’Intérêt public, 6-8-1882, 9-8-1885, 21-8-1887, 2-10-1887, 16-10-1887, 30-10-1887, 6-11-1887, 13-11-1887, 6-5-1888, 13-5-1888, 20-5-1888, 1-7-1888, 8-5-1892, 20-11-1904, 3-1-1909, 6-11-1910. — Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, t. 2, 1871-1936, 1948. — Maurice Poperen, Un siècle de luttes chez les tisserands des Mauges, Angers, 1974, passim.