ALMEREYDA Miguel [VIGO Eugène, Bonaventure, dit]

Par Jean Maitron, André Balent

Né le 5 janvier 1883 à Béziers (Hérault), mort le 14 août 1917 à l’infirmerie de la prison de Fresnes (Seine) ; photographe, puis journaliste ; anarchiste, puis socialiste ; rédacteur de La Guerre sociale puis du Bonnet rouge.

Si une légende tenace a prétendu que Miguel Almeyreda avait des ascendances italiennes –sardes, en l’occurence–, ses ancêtres étaient catalans, des Pyrénées-Orientales. De son vrai nom — Eugène, Bonaventure Vigo—, Almeyreda eut pour père le rejeton d’une famille rurale cossue de la Cerdagne française.
Son grand-père paternel, Bonaventure Vigo (1836-1886) devenu républicain dans les années 1870, fut maire de Saillagouse (Pyrénées-Orientales) de 1878 à 1884 et accéda à un poste diplomatique, celui de viguier de France en Andorre qu’il occupa pendant trois ans (1883-1886) jusqu’à sa mort. Il défendit les intérêts français dans une Andorre qui venait d’affronter les convulsions de sa Révolution de 1881. Almeyreda évoqua volontiers ce grand-père viguier d’Andorre.
Son père, Bonaventure, François, Joseph Vigo, né à Saillagouse le 12 septembre 1860, était le fils aîné du viguier. Employé de commerce, il eut une relation avec une Perpignanaise d’origine populaire, Marguerite, Aimée Salles.
Celle-ci, née à Perpignan le 5 décembre 1863 fut la mère de Miguel Almeyreda. Reconnu mais abandonné par son père qui s’en alla faire souche à Bordeaux (Gironde), Eugène Vigo, le futur Almeyreda, passa son enfance puis son adolescence à Perpignan chez ses grands-parents maternels et n’eut plus de relations avec la famille de son père. Ce fut le hasard qui, plus tard, mit en relations son fils Jean et un des ses proches cousins descendant des Vigo de Cerdagne, Albert Riera (1903-1968).
Sa mère, Aimée Salles se maria en 1898 avec le photographe Gabriel Aubès, originaire de Millau (Aveyron) qui s’établit à Cette [Sète] (Hérault) en 1901. Il quittta Perpignan à l’âge de dix-huit ans pour rejoindre sa mère et son beau-père à Sète. Son enfance et son adolescence furent peu heureuses ; Gabriel Aubès qui eut de l’affection pour le fils de sa femme l’initia au métier de photographe. C’est vers 1899-1900 qu’Eugène Vigo vint à Paris où sa mère et Aubès étaient momentanément établis.
Très jeune, il mena une vie indépendante. Il commença à militer dans les milieux anarchistes et fit notamment la connaissance de Jean Marestan.

_ Apprenti photographe, Almereyda avait bien du mal à payer son loyer : le fils du photographe qui l’employait vola pour lui vingt francs dans la caisse de son père, mais l’affaire fut découverte et Almereyda condamné à deux mois de prison par le tribunal correctionnel « pour complicité de vol », peine qu’il purgea à la prison de la Roquette. Peu de temps après sa libération, il fut à nouveau condamné, cette fois à un an de prison, pour « fabrication d’explosifs ». Pour se venger de sa première condamnation qu’il estimait injuste, il avait, en effet, déposé dans une vespasienne une bombe de sa fabrication et qui n’explosa pas. En 1902, à sa sortie de prison, Almereyda abandonna son métier de photographe et entra comme secrétaire de rédaction au journal Le Libertaire où il assura la rubrique « Au hasard du chemin ». Si l’on en croit Jeanne Humbert qui le connut bien, Almereyda était, en ce début de siècle, « ... un jeune homme de vingt ans, beau comme devait l’être Don Juan. Son teint mat, presque bronzé et ses cheveux noirs et longs attestaient ses origines ibériques. Ses yeux d’un vert profond avaient des reflets étranges ». C’est dans les bureaux du Libertaire qu’Almereyda connut Emily Cléro, femme d’Aug. Philippe, qui devint sa compagne et dont il eut un fils, Jean, en 1905 (Voir : Vigo Jean).

En juin 1904, Almereyda fut délégué au congrès anarchiste antimilitariste d’Amsterdam. À l’issue du congrès, une Association internationale antimilitariste — en abrégé AIA — fut créée et la section française de cet organisme eut pour secrétaires Georges Yvetot et Miguel Almereyda. L’action de la Ligue fut bientôt entravée par la répression. Une affiche aux conscrits en fut l’occasion. Le procès eut lieu du 26 au 30 décembre 1905. Vingt-huit dirigeants de l’AIA furent inculpés. Vingt-six furent condamnés, entre autres Gustave Hervé à quatre ans de prison, Georges Yvetot et Almereyda à trois ans. Almereyda purgea sa peine à Clairvaux ; il eut l’occasion de nouer de solides relations avec Gustave Hervé et prit une nouvelle orientation. Le 14 juillet 1906, les condamnés furent amnistiés.

Le 19 décembre de cette même année paraissait le premier numéro de La Guerre sociale, dont le rédacteur en chef était Gustave Hervé. À ses côtés : Almereyda, Eugène Merle et Henri Fabre. Almereyda, lieutenant du « général », fut en réalité le véritable leader du journal.

En décembre 1907, Almereyda fut condamné par défaut à cinq ans de prison par la cour d’assises de la Seine pour articles antimilitaristes parus dans La Guerre sociale. Hervé et Merle étaient également inculpés. Ayant fait opposition à ce jugement, Almereyda fut condamné quelques semaines plus tard, avec Merle, à deux ans de prison et 500 f d’amende.

Au cours d’un congrès qui se tint à la Maison des Fédérations, rue de la Grange-aux-Belles, les 4, 11 et 19 avril 1909, un certain nombre d’anarchistes et d’antimilitaristes tentèrent de regrouper les révolutionnaires. Le comité directeur de la fédération ainsi constituée comprenait entre autres Miguel Almereyda, mais la tentative n’eut pas de suite.

Entouré d’une équipe de militants, le leader de La Guerre sociale n’hésitait pas à affronter ses adversaires politiques, qu’ils fussent d’extrême gauche — ses anciens amis anarchistes — ou d’extrême droite. En 1910, pour faire échec aux « Camelots du Roi », il créa l’association des « Jeunes gardes révolutionnaires » et le quartier Latin en particulier fut le théâtre de leurs combats.

En décembre 1912, Almereyda et plusieurs de ses amis adhérèrent au Parti socialiste et ils s’en expliquèrent dans un article que publia La Guerre sociale (numéro du 4 décembre) : « Pourquoi nous entrons au Parti socialiste ».

L’année suivante, Almereyda quittait La Guerre sociale. Il écrivit dans le Courrier européen, mais cette tribune lui parut trop étroite et, le 22 novembre 1913, en collaboration avec son ami Eugène Merle, il fondait Le Bonnet rouge. Cette création marqua le début de la troisième étape de sa « carrière ». Le Bonnet rouge était hebdomadaire mais, le 14 mars 1914, le journal devint quotidien du soir et se lança dans la bataille politique. Joseph Caillaux aurait été le commanditaire du quotidien dont, à l’approche des élections, il désirait faire un organe à sa dévotion. Toujours est-il que Almereyda mena campagne pour Caillaux et pour Malvy, ministre de l’Intérieur.

Puis ce fut la guerre. Le 31 juillet 1914, le Bonnet rouge publiait des appels de la Libre Pensée, du Parti socialiste, de la CGT qui, tous, s’élevaient contre la guerre. Mais, dès le 2 août, après l’assassinat de Jean Jaurès, le journal changea de ton et, le 3 août, sous le titre « Notre Guerre », donnait un article d’Almereyda dont on peut tirer ces quelques lignes :

« La guerre actuelle est une guerre sainte.
« Notre cause, c’est la cause de l’indépendance des peuples, c’est la cause de la liberté, celle pour laquelle nos pères allaient au combat et mouraient en chantant... »

Réformé huit ans auparavant pour incapacité physique, Almereyda se mit à la disposition du gouvernement, mais ne fut pas mobilisé. Il joua un rôle plus important, celui, dit-on, de « préfet de police officieux » du ministre de l’Intérieur Malvy et c’est dans le Bonnet rouge que, le 31 octobre 1915, il révéla comment il avait obtenu du ministre la non-utilisation du Carnet B, particulièrement en ce qui concernait ses anciens amis les anarchistes, à la veille de la déclaration de guerre. Le journal fut un temps soutenu par le gouvernement, recevant « d’abord un secours puis, mensuellement, d’importantes subventions » (cf. Maurice Fournié.)

Au début de 1916, Almereyda n’étant plus d’accord, cessa d’émarger aux fonds secrets et le Bonnet rouge ne put dès lors subsister que grâce « à l’aide d’amis ». En mai 1916, un des prêteurs, Marion, prit l’administration du journal, puis demanda qu’un nommé Duval s’en occupât. Cependant, les ennemis d’Almereyda ne désarmaient pas, en particulier l’Action française et son chef Léon Daudet. De plus, la vie fastueuse qu’il menait depuis plusieurs années donnait cours à bien des suppositions...

Le Bonnet rouge, devenu pacifiste, gênait le gouvernement ; il parut jusqu’en juillet 1917, puis fut suspendu. Sur ces entrefaites, on arrêta à la frontière suisse Duval, porteur d’un chèque tiré sur une banque de Mannheim. Almereyda fut également arrêté comme détenteur d’un document intéressant la défense nationale (il s’agissait d’une lettre sur la situation d’une unité combattante). Malgré ses essais de justification et sa demande de mise en liberté provisoire, il fut maintenu en prison. Or sa santé était ruinée par ses dérèglements ainsi que par la drogue — il était morphinomane. Transféré à l’infirmerie de la prison de Fresnes, il y mourut le 14 août et les circonstances de cette mort donnèrent lieu à des controverses. On parla de suicide, voire d’assassinat. La lumière n’a pas été faite.

La personnalité d’Almereyda prêta à bien des commentaires. Les anarchistes ne lui pardonnèrent pas son évolution (cf. Sébastien Faure dans CQFD, 8 septembre 1917) ; Henri Fabre, dans le Journal du Peuple du 27 août 1917, était plus nuancé. Francis Jourdain*, dans son livre Sans remords ni rancune, Souvenirs, 1953, a consacré quelques pages à Miguel Almereyda et il termine ainsi : « Je suis sûr de la passion et de la sincérité qui, autant que sa bonne humeur et sa finesse, ont longtemps fait d’Almereyda un de mes chers amis. L’homme dont vous gardez le souvenir, me dira-t-on, n’est pas mort en 1918 (sic) mais quelques années auparavant, après que vous l’eûtes, à un carrefour, quitté. Sous sa peau, un peu durcie, un autre a survécu que vous n’avez point connu. C’est possible ; je ne peux témoigner que de ce que j’ai vu » (op. cit. p. 35).

Le fils d’Almereyda, Jean Vigo, fut un cinéaste d’avant-garde, et de talent. Il mourut à Paris, à l’âge de vingt-neuf ans, le 5 octobre 1934.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article76911, notice ALMEREYDA Miguel [VIGO Eugène, Bonaventure, dit] par Jean Maitron, André Balent, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 8 octobre 2018.

Par Jean Maitron, André Balent

ŒUVRE : Le Procès des Quatre : Malato, Vallina, Harvey, Caussanel. Édition du Libertaire, Paris, 32 p. — Les Naufrageurs de la Patrie, Paris, s.d., 64 p.

SOURCES : Arch. Nat. BB 18/2324-1 (condamnation du 24 février 1908). — Arch. PPo. non versées. — Jean Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste..., op. cit. — Contre-Courant, n° 56, novembre 1957 (Jean Vigo par Jeanne Humbert) et n° 100, avril 1960. — Tous ouvrages et périodiques ci-dessus cités et M. Fournié. — André Balent, "Les ancêtres cerdans de Jean Vigo", Archives, Institut Jean Vigo Perpignan, 90-91, 2002, pp. 22-31. — André Balent, La Cerdagne du XVIIe au XVIIIe siècle. La famille Vigo, casa, frontières, pouvoirs, Perpignan, Trabucaire, 2003, 334 p. — Pierre Lherminier, Jean Vigo, un cinéma singulier, Paris, Ramsey Poche cinéma, 2007, 299 p. — Severine Lebre, Miguel Almereyda :tentative de biographie intellectuelle d’un militant antimilitariste, DEA, EHESS.

ICONOGRAPHIE : La France socialiste, op. cit., p. 132.

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