BEAUDOT Jean, dit Marien

Par Rolande Trempé

Né le 27 février 1868 à Montluçon (Allier), mort le 2 mars 1952 à Maisons-Alfort (Seine, Val-de-Marne) ; militant socialiste et syndicaliste des verriers de Carmaux (Tarn) ; administrateur de la Verrerie ouvrière d’Albi.

Fils d’une famille ouvrière de cinq enfants (quatre garçons et une fille), Jean Beaudot ne put recevoir qu’une instruction très élémentaire dans une école religieuse attachée à l’usine où travaillaient ses frères. Par la suite, grâce à sa vive intelligence et à sa volonté, il compléta sa formation intellectuelle par de nombreuses lectures. Bien que son père fût forgeron, il plaça son fils en apprentissage dans une verrerie. Il avait alors huit ans. C’est à Cormontreuil près de Reims (Marne) qu’il fit son rude apprentissage du métier de verrier. Il franchit tous les échelons : gamin, grand-garçon, souffleur. Plus tard il sera maître-souffleur.
Il quitta Cormontreuil pour Montluçon (Allier) où il passa quelques années décisives pour sa formation politique. C’est en effet sous l’influence de Jean Dormoy qu’il adhéra au socialisme en 1886. La même année il entrait au syndicat des verriers.
Il fut obligé de quitter Montluçon à la suite d’une grève. Il arriva à Carmaux (Tarn) en 1890, mais il partit en 1891 pour l’Italie où il ne resta d’ailleurs que peu de temps. En 1892 il se fixait à Carmaux, où il fonda une famille. Il s’intégra rapidement au milieu carmausin où le socialisme livrait alors ses premiers combats. Très rapidement il allait jouer un rôle de premier plan dans les luttes ouvrières.
Sa fiche de police nous permet de dresser son portrait physique. Il est petit : 1 m 60, ses cheveux très frisés sont blonds-roux et il les porte longs. Il a les yeux noirs et point de barbe (Arch. Dép. Tarn : IV M 2/80, notice établie le 8 décembre 1893). Sur ses opinions une seule appréciation : « homme redouté ».
À travers la presse ouvrière locale dans laquelle il écrivait volontiers il nous apparaît, dans la fougue de sa jeunesse, comme un ardent et intransigeant socialiste. Libre penseur convaincu, il était violemment anticlérical. « Nous combattons le cléricalisme, écrivit-il dans le Cri des Travailleurs du 16 avril 1899, parce que le cléricalisme c’est l’ignorance, c’est le mensonge et que l’ignorance est la source de tous les maux dont souffre l’humanité ». Il aimait exprimer publiquement sa pensée et, à cette période de sa vie, il acceptait volontiers de parler en public. Les discours qu’il prononça à plusieurs reprises lors de l’enterrement civil de ses camarades de travail sont autant de manifestations politiques.
Dès son retour d’Italie en 1892, il apporta son appui aux mineurs en lutte, en août et septembre, contre la compagnie des mines. Bientôt il devint secrétaire du syndicat des verriers de Carmaux qu’il représenta avec Michel Aucouturier au congrès syndical mixte des Bourses du Travail et de la Fédération des syndicats, en juillet 1893, à Paris.
Il avait adhéré dès son installation à Carmaux au Cercle d’études sociales, nouvellement constitué. Selon le commissaire de police (rapport du 11 juillet 1893, Arch. Dép. Tarn IV M 2/74), il aurait alors appartenu à la tendance blanquiste et fait partie du groupe affilié au comité révolutionnaire central, organisé localement par Eugène Baudin lors de la grève des mineurs en août 1892.
Le 22 avril 1894, à l’occasion d’élections municipales complémentaires, il fut élu conseiller municipal de Carmaux. Il ne le restera pas longtemps. En effet, le 7 avril 1895, à la suite d’une réunion houleuse du conseil municipal, il était poursuivi avec Calvignac pour « injures à un maire dans l’exercice de ses fonctions ». Le maire, infidèle à ses engagements et traître à son parti - Voir Jean-Baptiste Calvignac - obtint une condamnation sévère contre les deux militants les plus actifs de Carmaux : le 25 mai 1895 le tribunal d’Albi leur infligea une peine de 40 jours de prison avec sursis et les priva de leurs droits civils et politiques pour cinq ans. Ils firent appel, mais le 27 juin 1895, la cour de Toulouse confirma ce jugement. En protestation, Beaudot fut présenté comme candidat aux élections pour le conseil d’arrondissement de Carmaux, le 25 juillet 1895. Élu, il ne siégea pas, car les résultats du scrutin furent annulés.
Cependant, le 20 juillet, il s’était rendu, avec le secrétaire syndical de la verrerie du Bousquet-d’Orb (Hérault), au congrès de la Fédération du Verre à Marseille (21-27 juillet 1895).
Le 28 juillet, au retour de Marseille, le directeur de la verrerie informait Beaudot qu’il était renvoyé pour s’être absenté irrégulièrement. Il objecta qu’il s’était conformé à l’usage des verriers : porté « manquant », il avait été remplacé par un « relais ». Le 30 juillet, une délégation se rendit auprès de la direction. Elle discuta en vain. Le 31 juillet, la grève était votée et devenait effective par l’extinction des fours. Même situation dès le lendemain au Bousquet-d’Orb dont la verrerie appartenait également à la société de Carmaux. Jean Jaurès, appelé en consultation, arriva le 1er août. Il tenta d’arranger les choses par une visite au directeur. Il fut fort courtoisement éconduit. Cette visite lui ayant permis d’apprécier la situation, il conseilla aux verriers, d’accord en cela avec le juge de paix de Carmaux qui faisait au même moment une proposition identique aux grévistes, de réclamer un arbitrage. Le 5 août, le conseil d’administration de la verrerie repoussa cette proposition. Devant l’intransigeance de leur employeur, les ouvriers décidèrent le 6 août la reprise du travail : ils s’engageaient à assurer l’existence des deux secrétaires syndicaux renvoyés. Une délégation alla informer le directeur de ces décisions, mais, lorsque les verriers se présentèrent au travail le lendemain, ils trouvèrent l’usine fermée. Il s’agissait d’un véritable lock-out qui permettrait au patron de dicter les conditions de la réouverture de l’entreprise. L’épreuve de force ainsi engagée devait durer 114 jours. Pour briser la résistance des grévistes qui se refusaient à accepter les propositions patronales, Résséguier (fondateur et principal actionnaire de la verrerie) tenta de rallumer les fours un à un avec des ouvriers embauchés dans les centres verriers de France où sévissait le chômage. Il recruta en Champagne, dans le Nord, à Bordeaux, mais surtout à Rive-de-Gier.
Beaudot, délégué avec deux autres grévistes par le comité de grève, entreprit alors un véritable tour de France pour aller exposer la situation de Carmaux et faire appel à la conscience des travailleurs. Il se rendit successivement à Reims (Marne), à Dorignies, à Masnières (Nord) et à Rive-de-Gier (Loire). Il parvint, tant était forte la solidarité dans les milieux verriers, à enrayer les embauchages, mais il ne put totalement les empêcher. Les succès, cependant très partiels de Résséguier, l’incitèrent à rejeter une nouvelle tentative officielle d’arbitrage le 5 novembre.
Estimant la situation sans issue honorable, les grévistes décidèrent le 9 novembre et de continuer la grève et de créer une verrerie en coopérative : la Verrerie ouvrière.
La fin de la grève fut effective le 22 novembre. Le travail reprit alors chez Résséguier tandis que les irréductibles allaient s’attaquer dans des conditions matérielles très difficiles à la construction de la nouvelle usine.
Beaudot participa avec ses camarades à ce travail pénible. Durant des mois les verriers, transformés en terrassiers puis en maçons, touchant des salaires dérisoires, bâtirent le premier hall et le premier four. Commencé le 13 janvier 1896, le four n° 1 fut mis à feu le 25 octobre 1896 ! Beaudot avait repris son tour de France pour recueillir l’aide financière des travailleurs.
Le 31 janvier 1896, il fonda le Syndicat des verriers et similaires d’Albi, Albi étant le siège de la Verrerie ouvrière. En 1898 il fut nommé administrateur de la Verrerie. Habitant désormais Albi il partagea sa vie militante entre la défense de la coopérative de production dont les débuts furent difficiles et le Parti socialiste. Il fut l’un des créateurs et des animateurs du comité de la Ligue de défense de la Verrerie ouvrière. Il fut le porte-parole de son comité directeur auprès des travailleurs de France. Coopérateur convaincu, il fut l’un des fondateurs d’une coopérative de consommation pour les ouvriers verriers d’Albi : « l’Aurore sociale » dont les statuts furent déposés à la mairie le 16 décembre 1902. Son expérience le fit déléguer à la chapellerie ouvrière d’Albi où il représentait la Verrerie.
Il anima le « Cercle républicain socialiste d’Albi » qu’il représenta à la Fédération d’unité socialiste du Tarn créée le 4 décembre 1898. Il participa à tous les congrès fédéraux et même à plusieurs congrès nationaux : il assista aux deux premiers congrès généraux des organisations socialistes à Paris, salle Japy (1899) et salle Wagram (1900). En septembre 1900, il fut délégué à la conférence nationale des Fédérations autonomes pour réaliser l’unité socialiste dont il était un ardent propagandiste. En 1901, il assista au congrès de Lyon, en 1903 à celui de Bordeaux, en 1905 à celui de Rouen et au congrès d’unité à Paris.
Il resta fidèle au Parti socialiste SFIO jusqu’à sa mort en 1952.
En 1907, son état de santé le contraignit d’abandonner le métier de souffleur. Il fut alors nommé à la direction du dépôt que la Verrerie ouvrière possédait à Paris. Il le dirigea jusqu’au moment de sa retraite en 1920. - Voir Alphonse Bigex.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article77446, notice BEAUDOT Jean, dit Marien par Rolande Trempé, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 7 novembre 2022.

Par Rolande Trempé

SOURCES : Renseignements communiqués par Mlle Beaudot, fille de Jean Beaudot. — Arch. Dép. Tarn : IV M 2/80 et série U : jugements correctionnels. — Journaux locaux, particulièrement La Voix des Travailleurs puis Le Cri des Travailleurs et La Dépêche de Toulouse. — Comptes rendus des congrès socialistes. — Rolande Trempé, Les Mineurs de Carmaux, 1848-1914, Paris, 1971.

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