BOUCHARD Jean

Par Yves Lequin

Né à Mende (Lozère), le 3 mai 1864 ; ouvrier mineur ; syndicaliste de la Loire.

Vers 1900, Jean Bouchard travaillait à la compagnie minière de Villebœuf, à Saint-Étienne (Loire) ; il militait au Cercle de l’Isérable, rattaché à la très modérée Union socialiste, et, surtout, au syndicat des mineurs de la Loire. Intelligent, d’esprit droit et de mœurs régulières, il faisait partie de cette pléiade de militants qui, aux côtés de Gilbert Cotte, avaient ranimé la flamme du syndicalisme minier dans le bassin de la Loire à partir des années 1890. En 1901, il prit une part active au réveil de l’action revendicative et se fit remarquer par sa véhémence au congrès de la fédération nationale, à Lens, où il avait été délégué ; en août, il entraîna dans la grève plusieurs centaines de mineurs de sa compagnie pour tenter, en vain, de faire annuler un certain nombre de renvois. Aussi fut-il de ceux qui partirent pour le congrès d’Alais, en mars 1902, bien décidés à imposer la grève générale de la corporation ; mais il semble y avoir accepté la décision d’ajournement, et ne suivit pas Escalier et les éléments révolutionnaires dans leur décision de ne plus participer aux travaux de l’organisation nationale. Et, en mars 1903, lorsque le syndicat des mineurs de la Loire la quitta, lorsque son leader Beauregard abandonna en conséquence le secrétariat de la fédération régionale, c’est Bouchard qui fut choisi pour lui succéder.
De 1903 à 1911, Bouchard occupa cette fonction qui faisait de lui le leader du bassin tout entier ; en novembre 1903, il fut renvoyé par la compagnie de Villebœuf, et put se consacrer totalement à ses responsabilités. Tout en refusant de suivre le secrétaire national Gilbert Cotte, déconsidéré par ses tergiversations et ses compromissions, Bouchard sut regrouper les modérés et progressivement isoler les dirigeants révolutionnaires ; les mineurs retrouvèrent le chemin des organisations traditionnelles, un instant secouées par la crise de 1902-1903, et tentées par l’adhésion à la CGT. Ce refus d’un extrémisme qui lui semblait préjudiciable au mouvement syndical n’était pas exclusif d’une grande fermeté dans la lutte revendicative. C’est Bouchard qui, en avril 1906, conduisit la grève générale des mineurs de Saint-Étienne, après la catastrophe de Courrières ; il fut, pour les ouvriers, le principal négociateur d’accords qui aboutirent à un relèvement des salaires dans le bassin, élabora et signa, au nom des organisations syndicales, la convention qui régla pour plusieurs années les relations avec le patronat minier, sous les auspices de la préfecture ; à la fin de 1908, soucieux d’efficacité pratique, il se retrouva aux côtés des compagnies pour réclamer l’instauration de tarifs sur les charbons étrangers, seul moyen à ses yeux d’éviter aux mines un chômage en extension dans les autres branches des industries stéphanoises. Bouchard continuait ainsi la ligne définie vingt ans auparavant par Rondet et qui, d’une manière générale, rencontrait l’adhésion des mineurs de la Loire, très attachés au réformisme, sauf à l’occasion de quelques poussées révolutionnaires épisodiques.
Pendant toute cette période, le rôle de Bouchard dépassa d’ailleurs largement le cadre du bassin ; le poids des vingt mille mineurs stéphanois d’une part, la clarté et la vigueur de ses conceptions d’autre part, en firent un des leaders de la majorité modérée de la fédération nationale. En avril 1907, notamment, au congrès de Denain, il conduisit une vive polémique contre Dumoulin : à travers lui, il s’en prit violemment à l’antimilitarisme actif de la CGT, démoralisateur et inutilement provocateur à ses yeux, se refusant à confondre syndicalisme et anarchisme ; en 1908, à Montceau-les-Mines, il prit la tête de la majorité pour arracher la conduite des travaux et l’orientation des décisions à l’influence d’Étienne Merzet ; on comprend dès lors ses réticences devant l’entrée des mineurs à la CGT, et sa volonté que l’association se fasse sur un pied d’égalité : il se fit le défenseur de la représentation proportionnelle au Comité confédéral, idée que son ami Barthuel alla défendre peu après au congrès confédéral à Marseille. Pour lui, l’adhésion signifiait un changement radical d’orientation de la CGT ; aussi salua-t-il, en février 1909, le départ de Griffuelhes et l’élection de Niel comme « le triomphe du syndicalisme sur l’anarchie, de l’action méthodique et raisonnée sur les soubresauts spasmodiques du sabotage » (Arch. Dép. Loire, 93 M 25, commissaire spécial Saint-Étienne au préfet, 27 février 1909).
L’unité signifia cependant pour Bouchard le commencement de son déclin ; au début de 1908, il avait retrouvé les éléments révolutionnaires qu’il avait chassés du bureau régional en 1903 dans la commission mixte destinée à préparer la fusion du syndicat des mineurs de la Loire (rouge) et du syndicat des mineurs de Saint-Étienne ; il présida à ses travaux, mais les pourparlers furent lents, et ce n’est qu’en 1910 que la réunification fut chose accomplie. L’influence de Bouchard s’était entre-temps amenuisée, son modérantisme semblait excessif et fut l’occasion de vigoureuses controverses avec la fédération socialiste SFIO ; son action était de plus en plus battue en brèche par une nouvelle génération de responsables née de l’unité : en janvier 1911, il fut exclu du secrétariat à la fédération régionale et remplacé par Barthuel. Il était alors totalement discrédité auprès des mineurs, et, pour avoir subi la même évolution que Michel Rondet et Gilbert Cotte, connaissait le même sort ; il ne retrouva plus son influence et ne joua par la suite aucun rôle dans la direction syndicale des mineurs de la Loire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article78089, notice BOUCHARD Jean par Yves Lequin, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 8 novembre 2022.

Par Yves Lequin

SOURCES et BIBLIOGRAPHIE : Arch. Nat. F7/12 769 et 12 770, F7/12 781. — Arch. Dép. Loire, 10 M 139, 14 M 8, 92 M 103 et 104, 93 M 22, 93 M 24 et 25, 93 M 49. — Pétrus Faure, Histoire du mouvement ouvrier dans le département de la Loire, Saint-Étienne, 1956, pp. 290-291 et 391.

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