RAMA Joanny [RAMA Jean, dit Joanny]

Par Nicole Cadène, Jean Maitron

Né le 25 juillet 1828 à Lyon (Rhône), mort le 19 mai 1902 à Paris ; communard, instituteur, pédagogue, socialiste, féministe, libre-penseur.

Cliché fourni par son arrière-petite fille, Hélène Talmon

Fils de Marie, Jeanne Rama, née à Jonage (Isère) le 17 novembre 1800, ouvrière tailleuse, et de père inconnu, Jean Rama naquit à Lyon le 25 juillet 1828.

En 1850, il faisait partie des instituteurs protestant contre l’adoption de la loi Falloux qui plaçait l’enseignement sous le contrôle de l’Église. Il fut privé de ses droits civiques pour avoir proposé un programme scolaire dont l’enseignement religieux était exclu, et probablement révoqué. Il exerça dès lors différentes professions : fondeur au moment de la naissance de sa fille Emma Jeger le 7 avril 1855 à Aubervilliers (qu’il reconnaîtrait seulement par la suite, le 20 avril 1874), il créa ensuite une entreprise commerciale qui fit faillite en 1857. Il devint alors employé au chemin de fer de Bourges et dans la compagnie du Midi.

En 1870, il s’installa 11 rue Caroline, dans le XVIIe arrondissement, et envisagea d’ouvrir un grand internat en banlieue. L’éclatement de la Guerre de 1870 le contraignit à différer son projet, mais la Commune lui offrit l’occasion de renouer avec ses préoccupations pédagogiques, à une autre échelle : le 26 mars 1871, il fut nommé délégué par la société l’éducation nouvelle avec Henriette Garoste, Louise Lafitte, J. Manier, Rheims et Maria Verdure. Il appartenait à la sous-commission dite « d’organisation de l’enseignement », créée par Édouard Vaillant, avec J. Manier, Eugène André, E. Da Costa, E. Sanglier. Il touchait un traitement de 100 francs par décade. Il rédigea un manifeste publié au JO du 13 avril 1871 dans lequel il défendait le principe d’une éducation gratuite, obligatoire et laïque, en se fondant sur des principes qui « se résument dans la justice, dans l’inviolabilité, le respect de la personne humaine, sans distinction de race, de nationalité, de croyance, de position sociale, de sexe ni d’âge », lesquels sont « distincts de tout culte, de toute religion, de tout système philosophique ». Fort de ces principes, il interdisit aux instituteurs et institutrices de conduire les enfants à l’église sous peine de révocation : c’était aux parents qu’il revenait de donner un enseignement religieux à leurs enfants s’ils le souhaitaient. Cette application de la laïcité au nom de la liberté de conscience ne l’empêcha pas de secourir deux frères des écoles chrétiennes qui étaient dans la gêne. Grâce à lui, le développement de l’Instruction publique fut favorisé dans le XVIIe arrondissement.
Auparavant il avait été, avec André-Léo, Élie et Élisée Reclus, Benjamin et Ferdinand Buisson, Benoît Malon et d’autres, l’un des principaux collaborateurs de La République des Travailleurs, hebdomadaire de la section des Batignolles et Ternes de l’AIT du 8 janvier au 4 février 1871.

Après la répression de la Commune, il fut traduit le 21 juillet 1871 devant la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour immixtion dans des fonctions publiques. Il se défendit en affirmant qu’il n’avait pas souhaité se mêler de politique, mais d’enseignement. Cette distinction est toutefois artificielle, car Rama considérait l’enseignement comme le plus solide fondement de la République. Son avocat Me Desmarest s’appuya sur des témoignages en sa faveur d’hommes honorables et hauts placés. Au vu de sa probité et de son honorabilité reconnues, Rama bénéficia de circonstances atténuantes. Il fut toutefois condamné à six mois de prison.

Il se maria le 24 septembre 1874 à Paris (IXe arr.) avec Émilie Jouglas, fille de Félix, Charles, Auguste Jouglas, né à Berlin (Prusse) et décédé à Paris, homme de lettres et professeur.
En 1875, Jean Rama ouvrit avec sa femme, institutrice titulaire d’un brevet de capacité second ordre, un pensionnat libre laïque de filles à Bourg-la-Reine, où naquit leur fils Pol, le 7 avril 1880. Rama a décrit cette institution dans une brochure publiée à compte d’auteur, L’Éducation pratique selon la science pour les deux sexes et la liberté de l’enseignement, qu’il rédigea pour compléter sa présentation à l’Exposition internationale des sciences appliquées de 1879. Le lieu avait été soigneusement choisi : l’institution Rama (5 rue de la Gare) était stratégiquement située à proximité de la capitale — à 22 minutes de Paris par le chemin de fer de Sceaux, lisait-on dans les annonces publicitaires régulièrement publiées dans la presse — dans un cadre favorable aux préoccupations hygiéniques de ses initiateurs : « dans cette partie de la banlieue restée tout à fait campagne », épargnée par « la fumée des usines » comme par « les inconvénients dangereux des égouts de Paris ». Car le fondement de toute éducation est l’hygiène physique et morale. Le pensionnat bénéficiait en outre d’un « beau jardin ombragé de grands arbres, avec gymnase ». Le corps enseignant se composait de plusieurs institutrices (cinq logeaient sur place, selon le recensement de 1881, en plus du couple Rama) d’une doctoresse, Mlle Verneuil, et d’un licencié es sciences, Charles Delon, auteur de nombreux ouvrages d’éducation. L’institution Rama se déclarait prête à accueillir des élèves de tous âges et de tous profils, y compris les sourdes-muettes et les arriérées, mais ne recevait pas d’externes : il importait d’éviter que les élèves fussent soumises à des influences extérieures, au point que les grandes vacances étaient facultatives. Les pensionnaires ne portaient pas d’uniforme et les plus âgées pouvaient disposer d’une chambre individuelle. Les élèves choisissaient, en fonction de leurs aptitudes et de leurs goûts, parmi les matières enseignées (langues, arts et sciences, économie domestique, législation usuelle, gymnastique…) et pouvaient se préparer à tous les diplômes, y compris le baccalauréat. La pédagogie s’appuyait sur « une méthode rationnelle, scientifique », fondée sur l’observation et l’expérimentation. Elle visait à former des individus responsables, donc libres. En 1880, le Conseil général de la Seine vota un crédit de 3600 francs pour l’entretien de trois boursières. L’année suivante, après un rapport d’inspection particulièrement élogieux, le ministre de l’Instruction publique décida d’envoyer des boursières de l’État à l’institution Rama. C’était la première fois qu’une école libre féminine bénéficiait d’une telle mesure. Mais l’année suivante, suite à des accusations d’anticléricalisme formulées contre l’institution, le Conseil général décida de transférer les trois bourses octroyées à l’institution Rama à celle de Mlle Robert, et Emilie Rama fut traduite devant le Conseil départemental. L’institution survécut cependant au moins jusqu’en 1886, mais on ne trouve plus sa trace dans le recensement de 1891. Rama lui-même était périodiquement attaqué, accusé d’anticléricalisme, comme l’atteste, en dépit de la modération de ses propos, la polémique qui l’opposa à Armand Ferrand en 1884 dans les colonnes du Bon citoyen de Malakoff.

Le couple Rama s’investissait également dans le domaine social. En 1879, Rama fut élu à la commission du canton de Sceaux chargée de favoriser l’application de la loi du 19 mai 1874 relative au travail des enfants employés dans l’industrie. Sa femme siégeait à la commission féminine. Il participa en outre aux travaux de la Société républicaine d’économie sociale (il était présent à la séance du 27 août 1887, assesseur à celle du 29 octobre et présida l’assemblée générale du 31 mars 1888 dont l’ordre du jour était l’organisation d’un congrès international d’économie sociale). En dehors d’un projet de candidature au conseil général dans le canton de Bagneux à laquelle il renonça lors de la réunion du comité cantonal républicain le 9 avril 1884 pour se désister en faveur de Martin, maire de Montrouge, il ne semble pas avoir nourri d’ambitions politiques.

Les Rama partageaient aussi un engagement féministe : tous deux collaborèrent à La Citoyenne, le journal suffragiste d’Hubertine Auclert. Rama exprima ses convictions sur l’égalité des sexes le 24 février 1881, à l’occasion du banquet organisé au parc Montsouris pour célébrer l’anniversaire de la proclamation de la IIe République. Il porta un toast « à l’égalité politique de la femme, qui, étant la compagne de l’homme, doit avoir les mêmes droits, puisqu’elle remplit les mêmes devoirs sociaux ». Il était aussi un fervent partisan de la coéducation, ainsi appelait-on alors la mixité. Il soutint des groupes féministes modérés, l’ADF (Association pour le droit des femmes) puis la LFDF (Ligue française pour le droit des femmes) de Léon Richer et siégea au conseil d’administration de la SASF (Société pour l’amélioration du sort des femmes) dirigée par Maria Deraismes. Il s’engagea aussi auprès de mouvements plus radicaux, comme ceux fondés par Astié de Valsayre qui l’admirait et le considérait comme son initiateur au socialisme. Ainsi, en 1889, il soutint son éphémère Ligue des femmes socialistes, puis, en 1890, la Ligue de l’affranchissement des femmes, un mouvement résolument mixte, patronné par cinq personnalités masculines, Joseph de Gasté, Daumas (conseiller municipal radical socialiste du XIe arrondissement), Benoit Malon, Cipriani, Eugène Chatelain. Astié pressentit Rama pour assumer la présidence de la quatrième réunion publique, rue Saint-Antoine, le 24 mars 1891. Dix ans plus tard, la participation de Rama à une fête du Groupe des femmes socialistes lors de laquelle il parla de « l’idéal que nous voulons représenter » atteste de la pérennité de ses convictions.
Entretemps, Rama avait quitté Bourg-la-Reine pour s’établir à Fontenay-sous-Bois, où il résidait en 1894, 14 rue du Fort selon le Bulletin de la fédération française de la libre pensée. Comme libre penseur, il prononça maints discours lors de funérailles civiles (Jean Lemoine, ancien instituteur, L’Hay, 1881 ; la fille du citoyen Louchard, Fontenay-sous-Bois, 1895 ; la citoyenne Dodet, Vincennes, 1900). Rama publia celui concernant Maria Dodet, 22 ans, féministe, socialiste et libre penseuse que la misère emporta prématurément, dans l’unique numéro de la Fraternité universelle. Ces discours étaient jugés « excellents » dans la presse libre penseuse et radicale. Mais la proposition de Rama, lors de la réunion du 14 novembre 1898 au nom de l’office Abaca, fondé en 1892 en vue de faciliter les formalités du mariage, d’insérer dans le Bulletin de la libre pensée d’annonces matrimoniales pour favoriser le mariage entre les libres-penseurs ne souleva guère l’enthousiasme. Son auteur fut invité à réitérer sa demande lors la prochaine Assemblée générale, seule habilitée à se prononcer sur un sujet aussi délicat…
Enfin, Rama multiplia, avec un succès variable, les prises de parole publiques : le 20 avril 1884, il prononça une conférence, « La République, ce qu’elle est et ce qu’elle doit être », devant l’alliance des travailleurs républicains du XIIe arrondissement, au bénéfice de sa caisse de prévoyance contre le chômage. Le 5 octobre 1884, il participa à l’inauguration à Malakoff des conférences contradictoires présidées par Charles Laisant, député républicain progressiste de Nantes, qui visaient à « rapprocher les citoyens par l’étude des questions politiques et sociales ». Il commença son discours par l’adresse « Citoyennes, citoyens ». Ce discours lui valut d’être vivement attaqué par Armand Ferrand qui rappela son passé de communard et l’accusa de saper l’ordre social en combattant l’influence de l’Église. Le 13 décembre 1887, il prononça une conférence publique gratuite et contradictoire sur « la question sociale par et pour la liberté » au cercle républicain du Rhône (dont il était originaire), à la brasserie Gruber, Boulevard Saint-Denis. Le 20 janvier 1888, il fut chahuté lors d’une réunion anarchiste à la salle Rivoli, rue Saint-Antoine, pour avoir protesté contre un appel à la violence :

« "Emparons-nous de l’usine, qui appartient à l’ouvrier, mais ne la brûlons pas. Des actes pareils amèneraient une épouvantable réaction qui nous retirerait jusqu’à la liberté de réunion dont nous jouissons aujourd’hui".
Les jeunes compagnons ont protesté à leur tour contre le socialisme à l’eau de Cologne du citoyen Rama, et pendant quelques minutes ça a été un vacarme infernal.
—  Préconisez tant que vous voulez des actes individuels, clamait le pauvre Rama, mais qu’ils soient intelligents.
—  Va donc ! raseur romantique, ont riposté les jeunes compagnons ».

Le 20 février 1891 il parla du « mouvement social » à la bibliothèque socialiste rue de la Clé. Le 11 septembre 1898, il participa à une conférence causerie contradictoire sur la question sociale au café Jules, Boulevard Magenta, organisée par le groupe des universalistes de Paris, et le 24 novembre 1901, à une discussion sur les droits de l’homme, rue des Partants. Enfin, le 16 février 1902, il fit une communication à l’Émancipation de Vincennes.
Il mourut quelques semaines plus tard à Paris, à son domicile 9 avenue Reille, le 19 mai 1902, à l’âge de 73 ans. Son acte de décès indique qu’il était publiciste, et marié en troisièmes noces à Gilberte Pinet, 48 ans, également publiciste. Ses obsèques civiles eurent lieu le 22 mai 1902.
Joanny Rama, après avoir eu une fille (Emma) avec une demoiselle Jeger, avait épousé une demoiselle Jouglas, avec laquelle il a eu deux enfants :
- Pol, né à Bourg la Reine le 9 avril 1880
- Albert, né à Paris VIe arr.le 11 juillet 1889, typographe.

Les principales féministes dans le Maitron :
https://maitron.fr/spip.php?mot192

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article7897, notice RAMA Joanny [RAMA Jean, dit Joanny] par Nicole Cadène, Jean Maitron, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 31 août 2022.

Par Nicole Cadène, Jean Maitron

Cliché fourni par son arrière-petite fille, Hélène Talmon

Œuvres de Rama : L’Éducation pratique selon la science pour les deux sexes et la liberté de l’enseignement, chez l’auteur, à Bourg-la-Reine, 1879 — La Fraternité universelle. Étude et action individuelle, familiale, sociale, 1900.
Sources imprimées : JO Commune, 2, 13 avril et 6 mai 1871 — La Gazette des tribunaux, 22 juilllet 1871, p. 357 — Mme Rama, Département de la Seine. Loi du 19 mai 1874 sur le travail des enfants et des filles mineures employés dans l’industrie. Rapport annuel des commissions locales du canton de Sceaux. Année 1879. Impr. De Charaire et fils, 1880 — Bulletin municipal officiel de la ville de Paris, 23 décembre 1882, p. 994  — « Chronique », l’Anticlérical, 12 février 1881, p. 101 — « Les banquets du 24 février », Le Rappel, 27 février 1881 — « L’éducation des filles », Le Rappel 20 août 1881 — « De quelle manière l’enseignement laïque est protégé dans le département de la Seine », La Lanterne, 11 janvier 1883 — « Montrouge. Petites nouvelles », Le bon citoyen de Malakoff, 20 avril 1884, p. 145 ; « Courrier de la semaine » et Un Montagnard, « Malakoff, place aux violents ! » , id. 5 octobre 1884, p. 489, 495, 497 ; « Place aux violents ! (suite) » id, 12 octobre p. 511-512 ; « Petites nouvelles », id. 19 octobre, p. 523-524 ; Rama, « Guerre à la violence ! Réponse au Bon citoyen  », 16 novembre, p. 591-592, 7 décembre, p. 639 ; A. Ferrand, « Le dossier Rama », id., 14 décembre, p. 653-654 ; A. Ferrand, « A Monsieur Rama », id., 21 décembre, p. 667-669 —— Annuaire de l’instruction publique des beaux-arts et des cultes, pour l’année 1886, Paris, Librairie Delalain frères, p. 97 — Revue socialiste, 2e semestre 1887, p. 319, 322, 539, id., premier semestre 1888, p. 107, 441 — « Les anarchistes et M. Rochefort », Le Temps, 24 janvier 1888 — « Statuts de la Ligue de l’Affranchissement des femmes », La Citoyenne, novembre 1890 — Bulletin mensuel de correspondance des groupes et adhérents fédérés, fédération française de la libre pensée, 1894, p. 345 ; id., 1898, p. 967, 968 — « Obsèques civiles », Le Radical, 22 mai 1902.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
Archives : Arch. Nat., BB 24/770, état n° 3, 14 mai 1872. — Arch. PPo., listes de contumaces ; AM de Lyon, acte de naissance de Jean Rama, (2 E 242) ; AM d’Aubervilliers, acte de naissance d’Emma Jeger ; AD des Hauts-de-Seine, acte de naissance de Pol Rama, (E_NUM_BRG107) ; acte de mariage d’Emma Jeger avec Edgar Behne (E_NUM_BRG188) ; recensement de population, Bourg-la-Reine, 1881 (D_NUM_BRG_1881) ; Archives de Paris, acte de décès de Jean Rama (V4E9832).
Bibliographie : Albin Jacquemart, Les hommes dans les mouvements féministes français (1870-2010). Sociologie d’un engagement improbable, PUR, 2015Jacqueline Lalouette, La Libre pensée en France, 1848-1940, Albin Michel, 1997, p. 284 — Jacques Rougerie, La Commune de 1871, l’événement, les hommes et la mémoire, PUSE, 2004, p. 120 — Charles Sowerwine, « Le groupe féministe socialiste, 1899-1902 », Le Mouvement social, janvier-mars 1975, p. 107 — Note de J.-P. Bonnet. — Notes de son arrière-petite fille, Hélène Talmon. — État civil de Lyon.

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